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Date : 20030213

Dossier : T-2164-02

Référence neutre : 2003 CFPI 157

Ottawa (Ontario), 13 février 2003

En présence de : Madame la juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                    VERINT TECHNOLOGY INC.

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                          LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

                                       ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de jugement en vue d'une injonction interlocutoire interdisant au défendeur, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) et/ou à ses représentants, la mise en oeuvre ultérieure d'un contrat adjugé à la suite d'une demande de proposition (DP), demande de soumissions no M9010-023466/A.

[2]                Verint Technology Inc. (le demandeur) était l'un des soumissionnaires de cette DP et a présenté une soumission de 11 968 234 $.

[3]                Le 3 décembre 2002, TPSGC informait par lettre le demandeur que sa soumission n'avait pas été retenue. TPSGC indiquait dans la lettre que le contrat avait été adjugé à un autre soumissionnaire qui avait présenté une soumission de 17 631 148 $.

[4]                Le demandeur a envoyé par télécopieur une lettre à TPSGC en déclarant que sa soumission était parfaitement conforme et que son prix était plus avantageux que celui du soumissionnaire retenu. Le demandeur a demandé d'autres renseignements sur l'évaluation de sa soumission et, dès que possible, une rencontre avec TPSGC. Cette rencontre a eu lieu le 10 décembre 2002. Lors de la rencontre, on a informé le demandeur qu'il avait perdu le contrat parce que sa soumission n'était pas conforme à l'une des exigences obligatoires de la DP.


[5]                Le paragraphe 6.2.3.7 de la DP contenait l'exigence obligatoire suivante :

[traduction]

La capacité de traitement de texte sera la dernière version de WordPerfect de Corel. Ce programme de traitement de texte sera fourni et installé par l'entrepreneur à chaque poste de travail des utilisateurs.

[6]                Le demandeur a soumis l'énoncé suivant dans sa proposition :

[traduction]

Il est entendu que le gouvernement fournira la dernière version de WordPerfect de Corel pour tous les postes de travail requis.

[7]                Les évaluateurs techniques ont considéré que cette formulation était ambiguë et ont demandé à TPSGC de demander au demandeur un éclaircissement de cet énoncé. TPSGC n'a pas demandé d'éclaircissement de cet énoncé et a conclu que la soumission du demandeur n'était pas conforme.

[8]                Le 18 décembre 2002, le demandeur déposait une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE), cherchant à obtenir une révision de l'adjudication du contrat.

[9]                Le 23 décembre 2002, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d'adjuger le contrat à un soumissionnaire autre que le demandeur.

[10]            Le 24 décembre 2002, le demandeur était informé que le TCCE avait décidé de ne pas tenir d'enquête au sujet de la plainte au motif que la DP faisait l'objet d'une exemption de sécurité nationale valide. Le TCCE décidait que l'acquisition était exclue de la couverture relevant des accords commerciaux et qu'il n'avait pas compétence pour instruire la plainte.

[11]            Le 2 janvier 2003, le demandeur présentait une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d'appel fédérale afin qu'il y ait révision de la décision du TCCE de ne pas tenir d'enquête au sujet de la plainte.

[12]            Le demandeur voudrait qu'il y ait jugement en vue d'une injonction interlocutoire interdisant à TPSGC la poursuite du contrat, en attendant la décision finale au sujet de sa demande de contrôle judiciaire.

[13]            La Cour suprême du Canada a déterminé le critère approprié pour envisager d'accorder une injonction dans R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Conformément à ce critère, le demandeur doit montrer qu'il existe une question sérieuse à juger, qu'il subira un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur. Le critère est conjonctif. Les demandeurs n'ont droit à la mesure de redressement recherchée que s'ils satisfont aux trois aspects du critère.

[14]            Pour ce qui est de la question sérieuse à juger, le demandeur prétend que TPSGC a délibérément appliqué une politique qui a eu pour résultat de contrevenir aux obligations du gouvernement de promouvoir des procédures d'acquisition justes, ouvertes et impartiales. L'action de TPSGC, en négligeant de demander des éclaircissements au sujet d'une phrase concernant une exigence obligatoire ambiguë, était arbitraire et enfreignait les obligations de TPSGC de faire preuve de bonne foi et d'équité à l'égard des parties invitées à soumissionner pour ces contrats avec le gouvernement, et était contraire à la doctrine de justice naturelle.

[15]            Je suis d'avis que le demandeur a soulevé de sérieuses questions. Tout d'abord, le fait que TPSGC n'ait pas demandé un éclaircissement de la phrase en question, avant de décider de la non-conformité (bien qu'il ait, au cours du processus d'évaluation, demandé au demandeur des éclaircissements pour deux autres exigences obligatoires de la DP), était arbitraire; ensuite, le fait que TPSGC n'ait pas informé le demandeur de sa récusation avant d'adjuger le contrat à un autre soumissionnaire, en lui retirant ainsi la possibilité d'obtenir du TCCE une ordonnance de sursis interdisant une telle adjudication, était contraire à l'équité de la procédure. Ces questions atteignent certainement le seuil de cause défendable.


[16]            Le demandeur a déposé un affidavit de M. R. Bennett, président de Verint Systems Canada Inc., à l'appui de sa requête d'une injonction interlocutoire. En ce qui a trait au préjudice irréparable, le demandeur prévoit perdre sa réputation de fournisseur de services à la GRC auprès d'autres organismes d'application de la loi et il pense que cette perte du contrat avec la GRC est préjudiciable à son droit de participer à de futures demandes de propositions par des organismes d'application de la loi.

[17]            Même si j'admets que les préoccupations du demandeur sont légitimes, malheureusement ses allégations ne respectent pas la condition imposée par la jurisprudence, c.-à-d. le demandeur doit présenter une preuve manifeste qu'il subirait des dommages ou que ces dommages seraient irréparables (Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129; Centre Ice Ltd. c. National Hockey League, [1994] C.F.J. No 68 (Q.L.)). Dans un contre-interrogatoire, M. Bennett a admis que c'est uniquement la perception du demandeur qu'un stigmate lui restera du fait de la perte du contrat. Il a aussi admis qu'il n'était pas au courant de contrats auxquels le demandeur n'aurait pas été invité à soumissionner à la suite de la perte du contrat. Le demandeur n'a pas soumis de preuve manifeste qui montre qu'il subira un préjudice irréparable, non compensable par l'octroi de dommages-intérêts, si une injonction n'est pas accordée.

[18]            Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, d'un côté le demandeur allègue que la perte du contrat avec la GRC causera un grave préjudice à sa réputation auprès d'autres organismes d'application de la loi et à sa capacité à participer à des demandes de propositions ultérieures. De l'autre côté, le défendeur soumet que tout report du contrat déjà adjugé aurait de sérieux effets négatifs. Le contrat entre TPSGC et le soumissionnaire retenu a été mis en oeuvre. De fait, un matériel important a déjà été livré à la GRC et davantage de matériel sera livré prochainement. Suspendre le contrat adjugé ne ferait que mettre les choses en suspens.


[19]            Je ne suis pas d'accord avec le demandeur sur le fait qu'une injonction interlocutoire remédierait au préjudice irréparable qu'il a allégué subir. L'injonction interlocutoire ne ferait que suspendre la poursuite d'un contrat déjà adjugé, mais ne résulterait pas en l'adjudication du contrat au demandeur. À mon avis, elle ferait peu de chose pour enlever le stigmate allégué ou améliorer la capacité du demandeur à soumissionner lors de futurs contrats. Ce genre de préjudice ne sera résolu que lorsqu'une décision finale sera prise sur cette question.

[20]            Le seul avantage actuellement prévisible pour le demandeur d'une mesure de redressement provisoire serait la préservation de la valeur du contrat. Cependant, s'il est établi par la suite que le contrat aurait dû être adjugé au demandeur, ce préjudice serait de nature purement financière et serait adéquatement compensé par l'octroi de dommages-intérêts.


[21]            En évaluant les facteurs à considérer à la troisième étape, la Cour doit tenir compte des préjudices à l'intérêt public établis par le défendeur. Il est indiscutable que le nouvel équipement permettra à la GRC d'exercer efficacement ses fonctions et d'assurer la sécurité publique. D'après la preuve confidentielle déposée par le défendeur, j'admets que tout report du contrat retarderait la livraison de cet équipement. Je pense donc que tout retard dans l'installation du nouveau système aurait un effet préjudiciable sur la capacité de la GRC à exécuter des activités essentielles d'application de la loi. Il est donc dans l'intérêt public de permettre que le contrat se poursuive. Je suis convaincue que la prépondérance des inconvénients et l'intérêt public sont en faveur du statu quo.

[22]            En conséquence, je dois en conclure qu'une injonction interlocutoire ne peut être accordée.

                                        ORDONNANCE

CETTE COUR ORDONNE que soit rejetée la requête d'injonction interlocutoire.

                                                                « Danièle Tremblay-Lamer »

          Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2164-02

INTITULÉ :               VERINT TECHNOLOGY INC. c. MINISTRE

DES TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            10 FÉVRIER, 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                MADAME LA JUGE

ET ORDONNANCE :                                    TREMBLAY-LAMER

DATE :                       13 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

M. THOMAS A. McDOUGALL

ET Mme BARBARA J. NICHOLLS                  POUR LE DEMANDEUR

Mme ELIZABETH RICHARDS                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PERLEY-ROBERTSON

HILL & McDOUGALL LLP                                        POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

OTTAWA (ONTARIO)                                               POUR LE DÉFENDEUR


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