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Date : 20050411

Dossier : T-1190-03

Référence : 2005 CF 478

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

MARC GÉLINAS

demandeur

et

CENTRE D'ANALYSE DES OPÉRATIONS ET

DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans un jugement rendu le 17 décembre 2004, j'ai condamné le défendeur, qui avait congédié injustement le demandeur, à verser à celui-ci une somme de 35 792 $ ainsi que des intérêts et une indemnité additionnelle. Conformément à ma directive, les parties ont déposé à la Cour des observations écrites au sujet des dépens.


[2]                Le défendeur demande à la Cour de lui enjoindre de verser au demandeur les dépens partie-partie jusqu'au 16 mars 2004, soit la date de signification d'une offre de règlement qu'il a présentée, et de condamner le demandeur à lui verser le double de ces dépens, à l'exclusion des débours, pour la période postérieure à cette date. Le demandeur conteste le droit du défendeur au double des dépens et sollicite lui-même des dépens à titre de partie ayant réussi à prouver qu'il avait été injustement congédié.

[3]                Les Règles 400 et 420 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, sont les dispositions à appliquer pour trancher cette question. Compte tenu de la preuve présentée par le demandeur, il m'apparaît utile d'examiner d'abord l'application de l'alinéa 420(2)a) des Règles, qui est ainsi libellé :

420. (2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur :

a) obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et le défendeur a droit au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement; [je souligne]

420. (2) Unless otherwise ordered by the Court, where a defendant makes a written offer to settle that is not revoked,

(a) if the plaintiff obtains a judgment less favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff shall be entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and the defendant shall be entitled to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment; [emphasis added]


[4]                D'après le texte du paragraphe 420(2) des Règles, il est évident que deux conditions préalables doivent être remplies avant que la Cour décide d'exercer son pouvoir discrétionnaire[1] et d'accorder le double des dépens au défendeur; ainsi, l'offre doit avoir été présentée par écrit et ne doit pas avoir été révoquée : Halford c. Seed Hawk Inc., [2004] A.C.F. n ° 1541 (C.F.); Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L'), [2003] 4 C.F. 284 (C.A.); 671905 Alberta Inc. c. Q'Max Solutions Inc., [2002] A.C.F. no 1765 (C.F. 1re inst.).

[5]                Le défendeur soutient que son offre de règlement datée du 16 mars 2004 et subséquemment modifiée le 20 septembre 2004 (mais qui est demeurée la même pour l'essentiel) était raisonnable et indiquait de sa part une volonté d'éviter un long litige. De plus, le demandeur a agi de façon déraisonnable, puisqu'il n'a présenté aucune offre de règlement de son propre chef et a plutôt exigé la réintégration. Le défendeur ajoute que son offre formulée les 16 mars et 20 septembre 2004 était manifestement supérieure à la réparation que la Cour a ordonnée et que, de ce fait, l'alinéa 420(2)a) des Règles devrait s'appliquer.


[6]                Je ne suis pas d'accord avec le défendeur. D'abord, il est prouvé que les offres de règlement du défendeur ont été révoquées le 24 septembre 2004. Dans une lettre envoyée par télécopieur, l'avocat du défendeur a informé le demandeur de ce qui suit :

Veuillez noter que le CANAFE retire, par la présente, toute offre de règlement communiquée auparavant dans le dossier susmentionné. Notamment, les offres communiquées dans nos lettres du 20 septembre 2004, du 16 mars 2004 et du 17 novembre 2003, sont par la présente retirées.

[7]                Il s'agit là indéniablement d'une révocation. Le défendeur soutient néanmoins que les offres de règlement sont demeurées ouvertes au sens du paragraphe 420(2) des Règles. Je ne puis souscrire à cet argument.

[8]                Même si les autorités n'indiquent peut-être pas clairement jusqu'à quel moment l'offre doit demeurer ouverte[2], indépendamment de la question de savoir si la révocation susmentionnée a eu lieu à la date à laquelle la lettre a été écrite (24 septembre 2004) ou à la date à laquelle elle a été communiquée par télécopieur (13 octobre 2004), cette révocation est survenue avant l'audience (19 novembre 2004) et, bien entendu, avant la date du jugement (17 décembre 2004).

[9]                Par conséquent, une des deux conditions préalables à l'octroi du double des dépens conformément à l'alinéa 420(2)a) des Règles n'est pas remplie.


[10]            De plus, je ne suis pas convaincue que le jugement rendu était « moins avantageux » pour le demandeur que l'offre qui lui a été présentée. En termes pécuniaires, le montant accordé à titre de dommages-intérêts équivalait à quatre mois de salaire, tandis que l'offre de règlement du défendeur équivalait à six mois de salaire. Toutefois, la question de savoir si le jugement était moins avantageux ou plus avantageux pour le demandeur peut englober des considérations non pécuniaires[3]. Bien que le défendeur ait proposé, dans ses offres de règlement, de fournir au demandeur une lettre de recommandation, cette mesure n'aurait pas atténué le préjudice causé à la réputation du demandeur autant qu'une conclusion selon laquelle il a été injustement congédié. En ce sens, en dépit du fait que le montant accordé est inférieur à celui des offres de règlement, le jugement rendu a peut-être été plus avantageux en réalité pour le demandeur. Même s'il n'est pas nécessaire que je le fasse, étant donné que les offres de règlement ont été révoquées avant le jugement, je refuserais d'appliquer l'alinéa 420(2)a) des Règles également pour ce motif.


[11]            L'adjudication des dépens en l'espèce doit donc découler du paragraphe 400(1) des Règles, qui accorde à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui devront les payer » . L'adjudication est fondée sur un ou plusieurs facteurs dont la Cour « peut » tenir compte, selon le paragraphe 400(3) des Règles[4]. Les facteurs pertinents en l'espèce sont soulignés ci-dessous :




400. (3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a)       le résultat de l'instance;

b)       les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c)       l'importance et la complexité des questions en litige;

d)       le partage de la responsabilité;

e)       toute offre écrite de règlement;

f)         toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g)       la charge de travail;

h)       le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i)         la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

j)         le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k)       la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i)       était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii)     a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l)         la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m)     la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n)       la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o)       toute autre question qu'elle juge pertinente.

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

[12]            Dans la présente affaire, le demandeur n'a eu que partiellement gain de cause en ce qui a trait au fond de la demande qu'il a formulée contre son ancien employeur. La Cour n'a pas jugé à propos d'ordonner la réintégration et a accordé un montant sensiblement inférieur à celui qui était réclamé au titre des dommages-intérêts, mais elle a tout de même conclu que le demandeur avait été injustement congédié, réhabilitant jusqu'à un certain point la réputation et l'intégrité de celui-ci.


[13]            En deuxième lieu, l'affaire n'était pas très complexe. Les conclusions tirées portaient principalement sur la preuve concernant la façon dont la relation intime entre le demandeur et une employée subalterne avait débuté et les faits survenus par la suite ainsi que les dates pertinentes.

[14]            En troisième lieu, le défendeur a formulé des offres de règlement, mais aucune de ces offres ne visait à réparer le principal préjudice que le demandeur soutenait avoir subi, soit le tort causé à sa réputation et à son intégrité. Il s'agissait peut-être d'un préjudice que le défendeur ne pouvait réparer. En tout état de cause, eu égard à ces circonstances, il n'était pas déraisonnable de la part du demandeur de poursuivre le litige jusqu'à l'audience afin de tenter de prouver son innocence.


[15]            En quatrième lieu, les parties ont généralement pu collaborer au cours de la préparation de l'instance, même si le contre-interrogatoire du demandeur a nécessité plus de temps. Il est vrai que le demandeur a répondu de façon plutôt évasive à certaines questions, mais cette attitude est imputable à mon avis en partie à la nature particulièrement délicate et personnelle de l'affaire. Il convient également de souligner qu'en modifiant le motif qu'il a d'abord invoqué pour congédier le demandeur, c'est-à-dire en affirmant qu'il congédiait celui-ci non pas en raison de la relation intime que celui-ci avait avec une autre employée, mais plutôt en raison de l'omission de sa part de divulguer en temps opportun cette relation et du rôle qu'il avait joué dans la promotion de cette employée, le défendeur a ajouté d'autres coûts à l'instance.

[16]            En conséquence, dans l'ensemble, je suis d'avis que les dépens devraient être adjugés en entier au demandeur conformément à la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, 1998.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les dépens soient accordés au demandeur conformément à la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, 1998.

« Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1190-03

INTITULI:                                        Marc Gélinas

et

Centre d'nalyse des opérations et déclarations

financières du Canada

LIEU DE L UDIENCE :                  Sur la foi du dossier

DATE DE L UDIENCE :               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 avril 2005

COMPARUTIONS:

Me Bruno Meloche                                                                 POUR DEMANDEUR

Me Georges Vuicic                                                                POUR DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Meloche Larivière

390, rue Notre-Dame ouest

Montréal (Québec)

H2Y 1T9                                                                                  POUR DEMANDEUR

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

150, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario)

K2P 1P1                                                                                 POUR DÉFENDEUR



[1] Il convient de souligner que le texte liminaire du paragraphe 420(2) des Règles - « sauf ordonnance contraire de la Cour » - confère un certain pouvoir discrétionnaire à la Cour : voir Association olympique canadienne c. Olymel, Société en commandite et al (2000), 195 F.T.R. 216, aux paragraphes 14 et 15 (C.F. 1re inst.).

[2] Dans Francosteel, précité, le juge Létourneau a souligné, dans une opinion concourante, que l'offre doit demeurer ouverte jusqu'à la date du jugement tandis que, dans Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2002] A.C.F. n ° 566 (C.F. 1re inst.), conf. par [2002] A.C.F. n ° 1603 (C.A.F.), le juge MacKay était d'avis qu'une offre de règlement qui demeurait ouverte uniquement jusqu'au début du procès n'était pas révoquée au sens du paragraphe 420(2) des Règles.

[3] Ainsi, dans Monsanto, précité, le juge MacKay a examiné la suggestion selon laquelle, étant donné que la Cour avait conclu dans son jugement à l'existence d'une contrefaçon et exposé le fondement de cette conclusion, ce jugement était plus favorable que l'offre de règlement. Toutefois, le juge MacKay a rejeté l'argument, parce que la partie défenderesse a reconnu dans son offre de règlement qu'il y avait eu contravention à certaines revendications du brevet. Malgré tout, cette décision permet de dire que, indépendamment du montant accordé à titre de dommages-intérêts, des conclusions de fond de cette nature peuvent rendre un jugement plus ou moins favorable que l'offre de règlement, selon les conditions de celle-ci.

[4] Malgré ce libellé, je soulignerais que la Cour d'appel fédérale a déjà mentionné « qu'il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer, non seulement le montant des dépens,... » . Francosteel, supra, au paragraphe 20.

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