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Date : 20040611

Dossier : IMM-5571-03

Référence : 2004 CF 850

ENTRE :

                                              LOVEDEEP SINGH DHANJU

                                                                                                                      demanderesse

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 18 juin 2003. La Commission a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demanderesse sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire aux fins d'un nouvel examen.


[2]                La demanderesse a 30 ans. Elle est citoyenne de l'Inde et sikhe. Elle affirme craindre avec raison d'être persécutée par les autorités de l'Inde du fait des opinions politiques qu'on lui attribuerait et de son appartenance à un groupe social. Elle affirme aussi être une personne à protéger.

[3]                Le 13 mai 2003, la Commission a tenu audience sur la demande de la demanderesse et, le 18 juin 2003, elle a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention parce que sa crainte de persécution n'était pas fondée. La Commission a en outre conclu qu'elle n'était pas une personne à protéger et que sa demande ne reposait sur aucune base crédible.

[4]                Je résume les allégations de la demanderesse de la façon suivante. En mai 2001, la demanderesse, sa mère et son père ont été arrêtés par la police et battus pendant leur détention. En plus d'être battue, la demanderesse a été agressée sexuellement par un agent de police pendant sa détention. Sa mère et elle n'ont été relâchées qu'après qu'elles eurent offert un pot-de-vin. Cependant, la police n'a pas relâché son père et elle ne sait toujours pas où il se trouve. À la suite de sa libération, un médecin a traité ses blessures.


[5]                L'arrestation et les mauvais traitements avaient pour motif que la police voulait savoir où se trouvait le frère de la demanderesse, qui devait prochainement être un témoin clé dans un procès intenté contre la police par le père de Balwant Singh, qui avait disparu après son arrestation en novembre 2000. La police avait aussi arrêté le frère de la demanderesse en novembre 2000 et ce dernier s'était par la suite tenu caché lorsqu'il avait appris que sa soeur avait été arrêtée.

[6]                Dans sa décision, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait simplement pas démontré qu'elle était crédible ou que les faits allégués avaient réellement eu lieu. La Commission a fait observer que la preuve documentaire donnait à penser que la situation au Pendjab était maintenant stable et que les disparitions en série avaient pris fin.

[7]                À l'audience, la demanderesse a affirmé que si elle devait retourner en Inde, la police la tuerait ou l'enverrait en prison, où elle subirait des traitements cruels, parce que la police était toujours activement à la recherche de son frère. La demanderesse a affirmé aussi que son frère avait depuis disparu et que le plaignant qui avait intenté le procès, le père de Balwant Singh, avait lui aussi disparu. La Commission a alors demandé à la demanderesse pourquoi la police en aurait encore contre elle si le procès n'avait pas lieu. La demanderesse a répondu que la police avait probablement peur de sa famille. La Commission a qualifié cette réponse d'inacceptable, se demandant pourquoi la police l'avait relâchée si en fait elle voulait la tuer. La demanderesse a affirmé que le chef du conseil de village, grâce à son autorité, avait convaincu la police de la relâcher.


[8]                La Commission a posé d'autres questions à la demanderesse au sujet de l'autorité du chef du conseil de village et lui a demandé pourquoi ce chef ne pouvait pas obtenir aussi la libération de son père. La demanderesse a alors répondu qu'il n'avait pas l'autorité pour faire libérer son père. La Commission a conclu que ces incohérences affectaient sa crédibilité et qu'elle n'avait pas démontré qu'elle serait recherchée par la police si elle retournait en Inde.

[9]                En outre, au sujet du procès intenté par le père de Balwant Singh, la demanderesse n'a pas fourni à la Commission de renseignements tels que les documents déposés en cour, la date de l'audience ou le nom des avocats s'occupant de l'affaire. Compte tenu de cela et du témoignage de la demanderesse, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas démontré qu'un procès devait avoir lieu.

[10]            La Commission a conclu que les allégations de la demanderesse n'étaient pas crédibles et que la demanderesse n'avait présenté aucun élément de preuve fiable qui établissait qu'il existe une sérieuse possibilité qu'elle soit persécutée ou qu'elle soit personnellement exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités en Inde.


[11]            Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse allègue que la Commission a tiré ses conclusions sur la crédibilité de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Plus précisément, elle allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale et psychologique qu'elle a présentée à l'appui de sa demande d'asile.

[12]            La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en n'admettant pas la preuve médicale qu'elle a présentée avant l'audience. Le fait que la demanderesse ait été victime de torture et de viol et, comme cela a été soulevé dans le rapport psychologique, qu'elle ait été en état de stress post-traumatique aurait pu expliquer sa confusion dans les réponses qu'elle a données aux questions lors de l'audience. La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas la documentation médicale et psychologique lorsqu'elle a évalué sa crédibilité et que la Commission n'aurait pas dû tirer des conclusions défavorables et écarter son témoignage, au vu de la preuve corroborante déposée au soutien de sa demande.

[13]            Le défendeur soutient que, puisque la question de sa confusion lors de l'audience a été soulevée devant la Commission, c'est à ce moment-là qu'elle aurait dû en fournir une explication et qu'il ne lui est plus permis de le faire maintenant. De plus, le défendeur soutient qu'un examen attentif de la preuve médicale et psychologique présentée par la demanderesse permet d'affirmer que ni son psychologue ni son médecin n'ont conclu que son état psychologique pouvait affecter sa capacité de témoigner au point qu'elle se contredirait.


[14]            Comme le juge Martineau l'a fait remarquer dans Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 7 à 12, une affaire où la situation factuelle était semblable à l'espèce :

L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

[. . .]                         

Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)

[. . .]                         

[...] un manque de cohérence dans le témoignage du revendicateur devrait être considéré à la lumière de l'état psychologique de ce dernier, en particulier lorsque cet état est étayé par des documents médicaux : voir Reyes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 282 (QL) (C.A.); Sanghera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 155; Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 34 (QL) (1re inst.).

[15]            Vu les circonstances de l'espèce, la preuve au dossier et la décision de la Commission considérée dans son ensemble, je conclus que la conclusion que la Commission a tirée sur la crédibilité de la demanderesse est manifestement déraisonnable.


[16]            Bien que la demanderesse ait omis de déposer une preuve médicale et psychologique extrêmement pertinente dans les vingt jours avant l'audience, comme l'article 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés l'exige, les explications que la demanderesse a fournies à l'audience pour justifier son retard étaient plus que raisonnables et, par conséquent, la Commission a commis une erreur en écartant cette preuve.


[17]            En outre, les lettres que la demanderesse a présentées constituent le fondement de sa demande et sont tout à fait pertinentes quant à son évaluation. Les documents confirment tous son récit selon lequel elle a été battue et violée par un agent de police, plus particulièrement la lettre du médecin qui l'a examinée après qu'elle eut été libérée. Le médecin affirme que la demanderesse a été admise à l'hôpital du 4 au 12 mai 2001 inclusivement et qu'elle y a été traitée pour [traduction] « une clavicule (gauche) fracturée, une plaie au-dessus du genou gauche, de multiples contusions, des lésions [indéchiffrable] à certains tissus, des ecchymoses et des égratignures au cou, aux seins, aux cuisses et sensibilité dans la région vaginale [...] [et] était en état de choc traumatique [soulignédans l'original]. Le Dr David Woodbury, directeur du West Montreal Counselling Centre, qui a eu 32 séances de counseling avec la demanderesse, a aussi fourni une lettre. Il y note que la demanderesse souffre du [traduction] « syndrome de stress post-traumatique (SSPT) avec crises de panique, d'un épisode isoléde trouble dépressif majeur, sans caractéristique psychotique [...] » . Il ntait pas équitable que la Commission n'ait pas pris ces éléments en considération ou ne les ait pas au moins mentionnés dans sa décision. En l'espèce, la demanderesse avait le droit de faire entendre sa version des faits, et la maxime audi alteram partem s'applique. La Commission a commis une erreur en n'acceptant pas les lettres comme éléments de la preuve.

[18]            De plus, contrairement à ce que conclut la Commission, le fait que la demanderesse ne sache pas où se trouvent son père ou son frère, de même que Balwant Singh et son père, étaye en fait l'allégation selon laquelle la demanderesse craint d'être persécutée par la police. En outre, à la question de la Commission à savoir pourquoi la police pourrait tenter de lui faire du mal si elle retournait en Inde, la demanderesse a répondu que la police craignait peut-être sa famille, vraisemblablement en raison des accusations qu'elle pourrait porter quant au traitement cruel auquel elle a été soumise alors qu'elle était en prison. Vu les circonstances de l'espèce, il était tout à fait déraisonnable de la part de la Commission de conclure que cette explication n'était pas acceptable. Le fait que tous les témoins semblent avoir « disparu » appuie le témoignage de la demanderesse quant à ses craintes.


[19]            Enfin, je voudrais me prononcer sur un autre point soulevé à l'audience par l'avocat du défendeur, selon lequel le défendeur n'était pas prêt à débattre de la question de savoir si la Commission avait commis une erreur en n'acceptant pas comme éléments de preuve les documents médicaux et psychologiques présentés par la demanderesse. L'avocat du défendeur a prétendu qu'il n'était pas prêt parce que la question n'avait pas été soulevée dans les observations écrites présentées à la Cour.

[20]            Je ne suis pas d'accord avec le défendeur : la demanderesse a soulevé cette question tant au début dans sa demande de contrôle judiciaire que dans son affidavit. En outre, le défendeur, dans sa réponse, a traité expressément de la question. Par conséquent, contrairement à ce que le défendeur prétend, le fait que la question ait été soulevée à l'audience ne pouvait pas l'avoir pris par surprise, puisqu'il en avait traité dans sa réponse, à partir du paragraphe 9.

[21]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour y être examinée à nouveau.

                                                                                                                          « P. Rouleau »                 

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                        

OTTAWA (Ontario)

Le 11 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-5571-03             

           

INTITULÉ :                                                   LOVEDEEP SINGH DHANJU

c.

MCI     

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)                    

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 18 MAI 2004                     

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LA DEMANDERESSE

Marie-Claude Paquette                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steward Istvanffy

Montréal (Québec)                                            POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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