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Date : 20040625

Dossier : T-1097-03

Référence : 2004 CF 909

ENTRE :

                                                            AMRAM ELKAYAM

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                            et

                                          PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Amram Elkayam (le "demandeur") conteste par voie d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ) en date du 30 mai 2003, prise en vertu de l'alinéa 44(3)(b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la "Loi") de rejeter sa plainte au motif que:

1)             La preuve additionnelle n'appuie pas les allégations du plaignant selon laquelle il a été défavorisé en cours d'emploi en raison de sa religion et de son âge; et,

2)             Le mis en cause a fait son possible pour régler la situation.

[2]                L'alinéa 44(3)(b) de la Loi se lit comme suit:



(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_:

. . .

b) rejette la plainte, si elle est convaincue_:

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, [je souligne]

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

. . .

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).


Les faits

[3]                Le 15 mai 2000, le demandeur dépose à la Commission une plainte contre le ministère de la Défense nationale (le « ministère » ) dans laquelle il allègue: (dossier du demandeur, page 22)

La Défense nationale a agi de façon discriminatoire envers moi en n'agissant pas efficacement face au harcèlement dont j'ai été victime et en me défavorisant dans le cours de mon emploi en raison de ma religion (juive) et de mon âge (61 ans), contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. [je souligne]

[4]                Sa plainte précise les faits suivants:

1)         Il travaille depuis décembre 1995 de façon interrompue comme électricien dans le département électro-mécanique à la base de Longue Pointe géré par le ministère. Il travaillait en moyenne six mois par année, le ministère lui accordant des contrats de cette longueur.


2)         Il attribue l'origine de ses problèmes à l'arrivée, en août 1998, d'un nouveau chef au département électro-mécanique à Longue Pointe qui lui accorde seulement des contrats de six semaines tandis que certains électriciens moins expérimentés et avec moins d'ancienneté bénéficient de contrats de plusieurs mois. Il allègue avoir eu à se débattre chaque fois pour une extension.

3)         Lundi, le 2 août 1999, il travaillait avec un électricien collègue qui, dans l'après-midi, lui aurait interpellé "Hiel Hitler". M. Elkayam exige que celui-ci ne prononce plus ces paroles blessantes. La journée suivante, ce collègue inflige "Hiel Hitler" à son endroit. Le demandeur aurait fait part de cet incident au nouveau chef du département quelques minutes plus tard mais celui-ci ne réprimande pas l'individu.

4)         Quelques jours après l'incident, le demandeur a contacté une agente à la Commission pour l'informer qu'il pensait déposer une plainte pour harcèlement et discrimination. Cette agente l'aurait référé au capitaine Lapointe qu'il rencontra et à qui il fit part des incidents et son sentiment d'être défavorisé en emploi n'ayant pas les mêmes chances que d'autres électriciens avec moins d'expérience et d'ancienneté. La capitaine Lapointe lui aurait dit qu'elle tiendrait une réunion de sensibilisation avec les électriciens. Cette réunion a eu lieu peut de temps après.


5)         Malgré ces mises au point, le demandeur allègue qu'il a continué faire l'objet d'un traitement différentiel et d'un abus de pouvoir dans le but de le perturber dans son travail. Il mentionne qu'au début du mois d'octobre 1999, il commande des pièces électriques dont le délai normal pour la réception était d'environ une semaine. Il se plaint qu'au début du mois de janvier 2000, il n'avait toujours pas reçu les pièces commandées.

6)         Il dit faire l'objet de commentaires antisémites tout au long de l'année 1999 et 2000.

7)         Le 24 janvier 2000, il remet une lettre au capitaine Lapointe dans laquelle il exprimait son désir de déposer une plainte interne au ministère pour harcèlement contre deux de ses collègues et le chef du département. En effet, celle-ci fut déposée le 3 février 2000. Le major Daniel Ferland ordonne une enquête; il fait appel à une firme extérieure, Textus Inc. Les enquêteurs remettent leur rapport au major Ferland le 30 mars 2000.

8)         Le 6 avril 2000, le major Ferland écrit au demandeur pour lui faire part des conclusions du rapport d'enquête. Textus trouve certaines allégations de harcèlement du demandeur fondées et d'autres non-fondées.

9)          Il allègue n'avoir remarqué aucun changement significatif suite aux conclusions de ce rapport.

10)       Il allègue que, suite au rapport Textus, des mesures de représailles ont été prises contre lui: on le surveille et on l'oblige à travailler dans des endroits insalubres et dangereux.

11)       Entre temps, son contrat de travail est prolongé du 13 août 1999 au 11 février 2000 et, par la suite, extentionné jusqu'au 11 avril 2000 pour être finalement reporté au 9 juin 2000 qui fut sa dernière journée de travail.


12)       Il se plaint que d'autres électriciens temporaires plus jeunes, ayant moins d'ancienneté et d'expérience, continuent à travailler de façon régulière.

Le processus d'enquête de la Commission

1)         Le premier rapport d'enquête

[5]                La Commission nomme une enquêteuse qui signe son rapport le 11 juin 2001, dans lequel il est recommandé, en vertu du sous-alinéa 44(3)(b)(i) de la Loi que la Commission rejette la plainte au motif que, d'après la preuve, l'allégation de discrimination contre le ministère est sans fondement (dossier du demandeur, page 41).

[6]                L'enquêteuse résume fidèlement les principaux éléments de la plainte du demandeur.

[7]                Elle résume la défense du ministère en ces mots: (dossier du demandeur, page 42)

7. Le mis en cause nie avoir agi de façon discriminatoire à l'égard du plaignant. Un geste antisémite a été confirmé lors de l'enquête interne et l'employé a été réprimandé. Les employés et les superviseurs ont été rencontrés et la politique en matière de harcèlement leur a été transmise. Le mis en cause nie que le plaignant ait été affecté à des tâches dans des endroits insalubres et qu'il a été l'objet d'une surveillance constante. Le mis en cause soutient que le plaignant n'est pas apprécié de ses collègues de travail.

[8]                Elle constate qu'une équipe d'électriciens permanents est en place à la base de Longue Pointe mais, pour combler les besoins supplémentaires ainsi que les travaux urgents, le ministère embauche des employés temporaires et déterminés.

[9]                L'enquêteuse fait référence au rapport Textus. L'individu qui a posé le geste antisémite a été réprimandé verbalement et une lettre disciplinaire a été versée à son dossier personnel pour deux ans. Les enquêteurs de Textus concluent aussi que le ministère doit faire des modifications aux procédures de commande de pièces et recommandent, dans le but d'uniformité, que le ministère organise un concours qui permettra l'établissement d'une liste d'éligibilité basée sur le mérite, pour l'attribution des contrats de type déterminé aux électriciens. Selon l'enquêteuse, le ministère met en oeuvre les recommandations de Textus.

[10]            L'enquêteuse a interrogé le chef du département et la capitaine Lapointe. Le chef du département électro-mécanique à Longue Pointe aurait affirmé qu'effectivement, le demandeur s'est plaint à lui du geste antisémite posé par un de ses collègues. Il aurait parlé aux deux; ils se sont entendus pour terminer la journée de travail ensemble. Après, ils n'ont plus jamais travaillé l'un à côté de l'autre. M. Trottier, le chef de département, relate à l'enquêteuse que le demandeur ne s'est jamais plaint d'incidents ou du comportement de ses collègues jusqu'au dépôt de la plainte à la Commission.

[11]            L'enquêteuse écrit dans son rapport que la capitaine Lapointe lui a confirmé que le demandeur ne s'est jamais plaint d'autres commentaires antisémites et qu'il ne l'a jamais consultée malgré qu'elle l'ait invité à le faire si quelqu'un lui disait ou lui faisait quelque chose de déplaisant. La capitaine Lapointe lui a décrit sa réunion de sensibilisation avec les employés. Elle aurait aussi souligné l'importance de la tolérance zéro au superviseur du personnel de l'unité; la politique du ministère en matière de harcèlement a été distribuée à tous les employés.

[12]            Le rapport du 11 juin 2001 aussi fait état de l'enquête sur les éléments suivants: la commande de matériel; les contrats temporaires; le travail en équipe à deux; et les allégations d'être épié et d'être forcé à travailler dans des endroits insalubres. Les responsables du ministère ont été interrogés sur ces points.

[13]            L'enquêteuse rapporte que le ministère soutient que c'était le demandeur qui était responsable de faire le suivi de ses propres commandes si une pièce n'était pas reçue la semaine suivante. Le ministère souligne que plus de trois mois se sont écoulés sans que le demandeur s'informe de sa commande. Le ministère, par la suite, a modifié sa procédure de suivi. Le suivi est maintenant assuré par les superviseurs.


[14]            Le demandeur a réitéré à l'enquêteuse que l'oubli de ses commandes était intentionnel; ses compétences n'étaient pas reconnues et on voulait l'humilier. Le responsable des commandes a été interrogé et a nié qu'il n'aurait agi de la sorte car cela serait retourné contre lui.

[15]            Le ministère explique l'octroi au demandeur de contrats temporaires. Il affirme que le demandeur est un bon électricien et a une carte de compétence que peu de gens possèdent. Le ministère nie que l'attribution des contrats n'était pas fondée sur le mérite et les compétences mais plutôt sur le favoritisme et l'appartenance.

[16]            L'enquêteuse analyse de la même façon le travail d'équipe à deux et les allégations de surveillance, de complot contre lui et de travail dans des endroits insalubres. Elle interroge les responsables du ministère et obtient les commentaires du demandeur.

[17]            Elle tire les conclusions suivantes: (dossier du demandeur, page 45)

36. La preuve démontre que dès que le mis en cause a été avisé qu'un geste antisémite avait été posé à l'égard du plaignant, des mesures ont été prises. Une enquête interne a eu lieu et l'employé a été réprimandé. Par la suite, tous les employés ont été rencontrés et la politique en matière de harcèlement leur a été transmise. Le plaignant a été avisé de consulter son superviseur si un autre événement avait lieu. Le plaignant n'a jamais mentionné qu'il était insatisfait des mesures prises par le mis en cause et ne s'est jamais plaint d'un autre geste ou commentaire antisémite à son égard.

37. L'enquête a été menée au motif de la religion et le plaignant n'a pas fourni de commentaires sur le motif de l'âge.

38. La preuve démontre que le plaignant n'a pas été défavorisé en cours d'emploi. Il a été démontré que le plaignant est compétent mais qu'il a de la difficulté à travailler en équipe.

2)         Le rapport supplémentaire du 24 août 2001


[18]            Comme l'exige les principes de l'équité procédurale, le rapport d'enquête du 11 juin 2001 est transmis aux parties pour commentaires. Le demandeur soumet ses remarques le 9 juillet 2001; il souligne que l'enquêteuse n'a pas interrogé ses anciens superviseurs.

[19]            L'enquête est approfondie; l'enquêteuse remet un rapport supplémentaire le 24 août 2001; elle rapporte sur les témoignages additionnels:

1)         Un ancien superviseur du plaignant mentionne qu'il n'a jamais eu de problèmes avec le demandeur et n'a jamais eu de plaintes de d'autres employés face à lui.

2)         Un autre superviseur affirme que les employés ne voulaient pas travailler avec le demandeur parce qu'il est entêté et se disait plus qualifié que les autres. Le superviseur effectuait une rotation entre les employés pour les assigner avec le demandeur.

3)         Un autre ancien superviseur relate qu'il n'a jamais eu de plaintes de d'autres employés face au demandeur et que c'était lui qui ne voulait pas travailler avec certaines personnes.


4)         Un ancien collègue de travail du demandeur a été aussi interrogé. Il soutient que le demandeur faisait souvent des commentaires négatifs à l'endroit des autres employés. Il fallait que tout fonctionne à sa façon. Il n'acceptait pas les méthodes de travail autres que les siennes. Il était difficile de s'entendre avec lui et dès que survenait un problème, il se sentait persécuté (dossier du demandeur, page 58).

3)         Le suivi - le rapport supplémentaire du 3 février 2003

[20]            Bien que les dossiers des parties ne l'indiquent pas clairement, il m'apparaît que la Commission n'a pas accepté la recommandation de l'enquêteuse mais plutôt a décidé de nommer un conciliateur dont la tentative a échoué. Le conciliateur a présenté aux parties ses propositions de règlement le 13 juin 2002.

[21]            À sa réunion de septembre 2002, la Commission décide de remettre la plainte à enquête. Avant de prendre sa décision de saisir ou non un tribunal de la plainte, elle voulait obtenir des renseignements additionnels concernant le rendement du demandeur et son comportement avec ses collègues de travail avant août 1998, date à laquelle son nouveau superviseur, M. Trottier, est entré en fonction.

[22]            Une nouvelle enquêteuse est nommée qui dépose son rapport supplémentaire le 3 février 2003. Elle constate que la preuve additionnelle appuie en partie la recommandation du premier rapport d'enquête de rejeter la plainte.


[23]            La nouvelle enquêteuse a rencontré M. Guy Desgroseillers qui avait été le superviseur du demandeur entre 1995 et 1998. C'est lui qui l'avait embauché en 1995. M. Desgroseillers affirme que le demandeur était particulier en ce qu'il avait ses propres idées et sa propre façon de faire et qu'à une ou deux reprises, des collègues de travail se sont plaints auprès de lui que le demandeur travaillait mal en équipe. En dépit de cette situation, M. Desgroseillers renouvelle les contrats du demandeur; le demandeur était compétent et avait les connaissances requises pour bien accomplir son travail. Il était d'avis, cependant, que le plaignant travaillait mieux seul qu'en équipe.

[24]            L'enquêteuse, le 5 décembre 2002, reprit contact avec le demandeur pour obtenir de lui les noms de ses collègues de travail à l'époque où M. Desgroseillers était son superviseur. Le demandeur lui a fourni huit noms et tous ont été rejoints au téléphone par l'enquêteuse.

[25]            Voici son résumé que l'on voit aux paragraphes, 16, 17 et 18 de son rapport: (dossier du demandeur, page 55)

16.            La preuve additionnelle recueillie indique qu'avant août 1998:

•                le plaignant était compétent dans son travail;

•                certains collègues de travail éprouvaient de la difficulté à travailler en équipe avec le plaignant parce qu'il était têtu, voulait toujours avoir raison et il était difficile de comprendre ce qu'il disait;

•               le plaignant s'entendait mieux avec ses collègues de travail lorsqu'il ne faisait pas équipe avec eux;

•               le plaignant travaillait mieux seul qu'en équipe; et

•               à l'époque, cette situation ne justifiait pas de ne pas réengager le plaignant, au besoin.

17.           La preuve additionnelle recueillie indique qu'après août 1998:


•               au moins deux collègues de travail du plaignant s'entendaient bien avec lui et deux autres n'ont pas eu de problèmes sérieux avec lui. Ceci contredit l'affirmation du mis en cause au paragraphe 30 du rapport d'enquête selon laquelle:

n              « tous les employés et superviseurs sont unanimes pour dire que le plaignant n'est pas respectueux envers ses collègues, qu'il les insultent, et qu'il n'hésite pas à leur faire part qu'il est, selon lui, plus compétent qu'eux. »

18.           Par conséquent, la preuve additionnelle recueillie appuie en partie, les affirmations contenues aux paragraphes 26, 30, 33 et 38 du rapport d'enquête, selon lesquelles le plaignant avait de la difficulté à respecter ses collègues et à travailler en équipe. En effet, ces affirmations concernant le comportement du plaignant ne font pas l'unanimité.

Analyse

a)         Certains principes

[26]            Le rôle que joue la Commission dans le traitement des plaintes est bien établi. Le juge La Forest dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.S.C. 854, est d'avis à la page 890 que le mandat de la Commission est de recevoir les plaintes et d'en faire un examen préalable afin qu'elles soient traitées comme il convient. Il écrit ceci au paragraphe 53:

¶ 53       La Commission n'est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899:


        L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. [je souligne]

[27]            Dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le juge Décary, au nom de la Cour d'appel fédérale écrit ceci au paragraphe 38:

¶ 38       La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme "à son avis", "devrait", "normalement ouverts", "pourrait avantageusement être instruite", "des circonstances", "estime indiqué dans les circonstances", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

[28]            Dans l'arrêt Bourgeois c. Banque de commerce canadienne impériale, [2000] A.C.F. no 1655 (C.A.), le juge Décary écrit ceci au paragraphe 3 de sa décision:

¶ 3       Le juge MacKay était d'avis, avec raison, que la norme de contrôle applicable au rejet d'une plainte par la Commission exige que la Cour fasse preuve d'un très haut degré de retenue à l'égard de la décision de la Commission, à moins qu'il y ait eu violation des principes de justice naturelle ou absence d'équité procédurale, ou à moins que la décision ne soit pas étayée par les éléments de preuve dont disposait la Commission. Il a conclu que les circonstances n'étaient pas telles qu'elles justifiaient l'intervention de la Cour. [je souligne]

[29]            Dans l'arrêt Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2003] A.C.F. no 763, le juge Evans, au nom de la Cour d'appel fédérale, écrit:                                                                                       

¶ 4 Nous convenons que l'enquête et le rapport comportent quelques faiblesses et qu'il est inacceptable qu'il ait fallu quatre ans pour terminer l'enquête. Néanmoins, nous ne sommes pas persuadés que l'enquête soit déficiente au point de constituer une violation de l'obligation d'équité (voir Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne)[1994] 2 C.F. 574 (1re inst.)), ou qu'il soit manifestement déraisonnable pour la Commission d'avoir rejeté la plainte en se fondant sur les documents dont elle disposait.

¶ 5       Ainsi, par exemple, même si le rapport de l'enquêteur ne traitait pas spécifiquement de la plainte de harcèlement de Mme Murray, cette dernière admet que les faits sur lesquels sa plainte était fondée étaient essentiellement identiques à ceux sur lesquels reposait sa plainte de discrimination. En outre, si l'enquêteur a commis une erreur en concluant qu'en 1996, des employés qui occupaient des postes intérimaires pendant moins d'un mois n'avaient pas le droit d'être rémunérés selon la même échelle que la personne qu'ils remplaçaient, cette erreur était sans importance vu la conclusion générale de l'enquêteur selon laquelle il n'y avait pas de preuve de discrimination contre Mme Murray pour des raisons de race ou d'origines nationales ou ethniques. Dans la mesure où Mme Murray allègue qu'elle avait le droit de se faire payer les heures pendant lesquelles elle exécutait des fonctions intérimaires, son recours consistait en une plainte en vertu de la convention collective.

¶ 6       Quant au retard de l'enquête sur la plainte, aussi regrettable qu'il puisse être, l'intervention de la Cour à ce stade-ci ne corrigerait aucun préjudice que ce retard pourrait avoir occasionné à l'enquête.

[30]            Il est important, je pense, de bien cerner la plainte du demandeur à l'encontre de son employeur, le ministère de la Défense nationale. Il accuse le ministère de ne pas avoir agi efficacement face au harcèlement dont il dit avoir été victime.


[31]            Je note que le demandeur n'a pas invoqué comme moyen de révision judiciaire un bris quelconque de l'équité procédurale de la part de l'enquêteuse ou de la Commission, principe reconnu par la Cour suprême du Canada dans Radulesco c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1984] 2 R.C.S. 407 et Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada, (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879.

[32]            Non plus, a-t-il plaidé que l'enquête était déficiente au sens de Slattery c. Canada (Commissions des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (P.I.).

[33]            Plutôt, le demandeur soulève les points suivants:

1)         délai administratif déraisonnable s'appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, considérant que sa plainte fut déposée début janvier 2000, affirme-t-il, et que la Commission a pris trois ans et demi pour la rejetée;

2)         la Commission n'a pas tenu compte du rapport Textus;

3)         la Commission n'a pas voulu retenir sa plainte sur les représailles;

4)         les enquêteuses ont été orchestrées par quelqu'un de haut placé dans la Commission qui voulait que sa plainte échoue;

5)         la Commission, en tranchant en faveur du ministère, a rendu une décision arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. Il allègue que la Commission s'est pliée à la demande du Directeur général des relations de travail et coordinateur adjoint des droits de la personne (civil) au ministère;


6)         la preuve additionnelle appuie ses allégations;

7)         il n'y a pas eu d'enquête réelle;

8)         la Commission a ignoré que ses problèmes ont débutés avec M. Trottier;

9)         la Commission a mal saisi le fond de sa plainte;

10)       la Commission n'a fait aucun effort pour remédier à sa situation;

11)       la Commission a ignoré des allégations sur l'antisémitisme, le racisme, la discrimination, la coalition contre lui et l'abus de pouvoir.

[34]            Les prétentions du demandeur doivent être rejetées aux motifs suivants:

1)         le demandeur n'a apporté aucune preuve au soutien des points 4 et 5 énumérés au paragraphe précédent.

2)         les points 2, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 de cette énumération n'ont aucun mérite. Il m'apparaît évident, à la lecture des trois rapports d'enquête, que la Commission, appréciant ceux-ci, en est venue à la conclusion que la preuve n'était pas suffisante pour justifier qu'elle demande la convocation d'un tribunal des droits de la personne afin d'examiner sa plainte.

[35]            Je suis convaincu que la Commission était d'avis que le ministère avait agi rapidement et efficacement avant et après le dépôt de sa plainte interne. Elle n'a pas retenu les allégations du demandeur que l'antisémitisme, le racisme, le harcèlement, la coalition contre lui, le comportement du chef du département, et les représailles étaient justifiés par la preuve au dossier.


[36]            La preuve étalée dans les rapports d'enquête appuie la conclusion de la Commission à cet égard. En réalité, ce que le demandeur me demande de faire est de substituer mon appréciation de la preuve pour celle de la Commission, exercice que la Cour suprême du Canada, à maintes fois, avertit que les cours supérieures ne peuvent faire.

[37]            Je traite brièvement des autres points soulevés par le demandeur.

[38]            Il soutient que la conclusion de la Commission que le ministère avait tout fait pour résoudre le problème est contredite par le fait que la médiation et la conciliation n'ont pas réussi. Je n'accepte pas le raisonnement du demandeur; aucune preuve appuie cette prétention. D'après la Loi, la médiation et la conciliation demeurent confidentielles et ne peuvent pas être prises en considération par la Commission.

[39]            La Commission s'est penchée sur les doléances du demandeur à propos des représailles contre lui telles que précisées dans sa plainte et ne les a pas retenues.

[40]            En dernier lieu, prenant en considération toutes les circonstances, je ne considère pas le délai administratif déraisonnable en l'espèce.

[41]            Le demandeur dit avoir déposé sa plainte début janvier 2000; ce qu'il ne reconnaît pas est le fait qu'il a travaillé avec des agents de la Commission pour préciser certains éléments de sa plainte et ce n'est que le 15 mai 2000 qu'il a signé le formulaire de plainte.

[42]            Le délai s'explique aussi par les tentatives de médiation et de conciliation et par le désir de la Commission, éminemment justifiés à mon avis, de s'assurer que l'enquête soit complète en recueillant l'interrogatoire, à différentes étapes, d'un grand nombre d'individus dont le témoignage méritait d'être apprécié.

[43]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                                                         

                                                                                            J U D G E                

Ottawa (Ontario)

le 25 juin 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1097-03

INTITULÉ :               Amram Elkayam c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                            10 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:                le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                   le 25 juin 2004

COMPARUTIONS :

Amram Elkayam                                                POUR LE DEMANDEUR

Mariève Sirois-Vaillancourt                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Elkayam (lui-même)

64, rue Gauthier

Longueuil, Qc

J4L 1Y1

(450) 674-4257                                                POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest

Tour est, 5e étage

Montréal, Qc

H2Z 1X4

(514) 496-9234

fax (514) 283-3856                                           POUR LE DÉFENDEUR


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