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Date : 20020717

Dossier : IMM-5655-01

Référence neutre : 2002 CFPI 797

ENTRE :

                                                        MUHAMMAD NASEEM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 16 novembre 2001, par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]         Le demandeur, citoyen du Pakistan, a fondé sa réclamation sur l'allégation qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance au Parti du peuple pakistanais (le PPP). Il a prétendu avoir été persécuté par des membres des partis politiques rivaux et les autorités policières du Pakistan. La SSR a conclu qu'elle ne disposait pas d'éléments de preuve crédibles suffisants pour établir que la revendication était fondée et qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit victime de persécution s'il retournait au Pakistan.

[3]         Dans le présent contrôle judiciaire, le demandeur invoque plusieurs moyens pour contester le bien-fondé de cette décision. J'accepte sa première prétention selon laquelle la SSR a commis une erreur en affirmant que ses arrestations et détentions répétées ne constituaient pas de la persécution parce qu'elles ont été effectuées en vertu de lois d'application générale. J'estime donc qu'il n'est pas nécessaire de se pencher sur les autres questions soulevées par le demandeur.

[4]         Le demandeur était un membre du PPP et exerçait les fonctions de secrétaire général pour sa province. Il a participé à plusieurs manifestations de protestation entre 1996 et son départ, en 2001, et il a été arrêté lors de ces manifestations, détenu pendant des jours et brutalisé par la police. La SSR a apprécié ce témoignage et a conclu comme suit :

Compte tenu de l'instabilité politique que connaît actuellement le Pakistan, le tribunal estime que les allégations du revendicateur sont plausibles. Cependant, il est d'avis que l'arrestation et la détention du revendicateur par la police à ces trois occasions respectent la loi d'application générale visant à réprimer l'instabilité politique au Pakistan à ce moment et qu'il ne s'agit pas de persécution. Dans l'affaire Brar, la Cour fédérale du Canada, Section d'appel, indique ce qui suit :

« La sécurité nationale et le maintien de la paix et de l'ordre sont des objectifs sociaux valables pour tout État, et la dérogation temporaire aux droits civils en situation d'urgence ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit de persécution. »            [Traduction]


Le tribunal estime que la police, en mettant fin à cette manifestation politique et en procédant à l'arrestation et à la détention des manifestants, ne tentait que de maintenir l'ordre et la paix.

(Dossier du demandeur, page 10)

[5]         La SSR a tiré cette conclusion après avoir examiné la preuve documentaire au sujet des manifestations du PPP et des réactions de la police. La SSR a conclu qu'elle ne disposait d'aucune preuve documentaire indiquant que la police a utilisé des tactiques indûment harcelantes contre les manifestants.

[6]         Le demandeur a aussi déclaré craindre le gouvernement militaire du Pakistan en raison des arrestations et des détentions d'autres membres du PPP. En réponse à cette allégation, la SSR a conclu :

De nouveau, le tribunal estime que ces arrestations et ces détentions à la direction du régime militaire formant le gouvernement ont été effectuées en vertu d'un droit d'application générale afin de mettre un terme à l'instabilité sociale pendant une période tendue de transition politique au Pakistan, et non à des fins de persécution. Le tribunal reconnaît que le revendicateur a pu faire l'objet de harcèlement de la part des militaires à cause de son appartenance au PPP et de ses activités politiques.

(Dossier du demandeur, page 16)


[7]         À mon avis, le passage ci-dessus montre que la SSR a commis une erreur en n'analysant pas correctement la question de savoir si les arrestations et les détentions constituaient de la persécution ou si elles étaient le résultat de l'application des lois. Il est bien établi que les poursuites effectuées en vertu de lois d'application générale ne peuvent équivaloir à de la persécution; il y a cependant un certain nombre de facteurs qui doivent être pris en considération avant de pouvoir tirer cette conclusion, notamment si l'application de ces lois peut effectivement avoir l'effet d'une persécution (Cheung c. M.E.I., [1993] 2 C.F. 314 (C.A.F.). La Cour d'appel fédérale a reconnu qu'on peut ne pas considérer la conduite de policiers comme étant simplement le résultat de l'application générale de lois, mais bien comme étant du harcèlement délibéré à l'encontre de revendicateurs qui font de la politique active (Suruipal c. M.E.I., [1985] A.C.F. no 326).

[8]         Le demandeur déclare que la SSR n'avait pas, en preuve, la loi ou la disposition précise au nom de laquelle il avait été arrêté et détenu. Il fait remarquer qu'il n'a jamais été accusé d'avoir commis un crime ni déclaré coupable, mais plutôt que [TRADUCTION] « les autorités policières punissaient les gens sans leur fournir de garantie procédurale et sans autorisation ou intervention judiciaire » .


[9]         Me fondant sur les faits de l'espèce, je conclus que la preuve permet amplement de conclure que les arrestations et les détentions répétées du demandeur indiquent que les autorités pakistanaises pratiquaient de façon généralisée le harcèlement dans un dessein politique clair. J'accepte la prétention du demandeur selon laquelle la preuve ne permettait pas à la SSR de conclure que ce harcèlement infligé en vertu de la loi visait à maintenir la paix et l'ordre. En l'espèce, la preuve permet de démontrer que les arrestations et les détentions ne constituaient pas une « dérogation temporaire aux droits civils en situation d'urgence » , mais plutôt une action délibérée, menée pendant plusieurs années, visant à éliminer l'opposition politique. Je conclus donc que la SSR a commis une erreur de droit en analysant erronément le contexte en ce qui concerne la question de savoir si ce traitement équivalait à de la persécution.

O R D O N N A N C E

La décision de la SSR est par conséquent annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 17 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            IMM-5655-01

INTITULÉ :                           MUHAMMAD NASEEM

                                                                                           demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 17 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      le juge CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                     le 17 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Phil Rankin                               pour le demandeur

Banafsheh Sokhansanj              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rankin & Bond                        pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                    pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


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