Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                    Date : 20020118

                                                              Dossier : IMM-1656-01

                                                  Référence neutre : 2002 CFPI 56

Entre :

                        ELEONORA ASUNCION CARAG

                                                             Demanderesse

                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                Défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]    La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision de N. Chan, conseillère en immigration (l'agente), datée du 12 février 2001, refusant sa demande de dispense ministérielle pour des raisons d'ordre humanitaire (CH) en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).

[2]    La demanderesse est citoyenne des Philippines. Elle a un frère qui réside à Vancouver, en Colombie-Britannique avec sa famille. Depuis 1999, la demanderesse n'a eu aucune communication avec son mari.


[3]    Elle est arrivée au Canada le 18 mai 1997 en vertu du programme concernant les aides familiaux résidants (programme AFR). Elle a travaillé, avec une autorisation, pour Wendi Vaisler du 1er juin 1997 au 15 septembre 1997.

[4]    La demanderesse a découvert qu'elle était enceinte en juillet 1997. Elle a cesséde travailler en raison de complications de sa grossesse. Elle avait reçu un nouveau permis de travail, mais elle n'a pas travaillé, suivant le conseil de son médecin. La fille de la demanderesse est née le 30 décembre 1997. Après la naissance de sa fille, la demanderesse n'est pas retournée travailler. On a établi, alors que la fille de la demanderesse était âgée d'un an, qu'elle souffrait d'asthme.

[5]    Un troisième permis de travail a été délivré à la demanderesse le 2 novembre 1998. Elle a travaillé pour son employeur, Mme Becky Lui, jusqu'au 3 novembre 1999.

[6]    Un quatrième permis de travail a été délivré à la demanderesse le 25 octobre 1999. Elle a continué à travailler légalement pour Mme Lui jusqu l'expiration de son permis de travail, le 18 mai 2000. Elle a illégalement travaillé pour Mme Lui jusqu'en juillet 2000. Au moment de l'entrevue, elle travaillait sans permis de travail comme bonne d'enfants non résidante pour Mme Shiffman.

[7]    La demanderesse a soumis sa demande CH le 7 avril 2000. Elle a été interrogée par l'agente le 30 novembre 2000, et sa demande a été rejetée par lettre datée du 12 février 2001.


[8]    Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le juge L'Heureux-Dubé a décidé, aux pages 857 et 858, que la norme de contrôle appropriée des décisions rendues en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi et de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, était celle du caractère raisonnable simpliciter :

(...) Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[9]    La demanderesse soutient que l'on n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur de son enfant. À ce sujet, le juge L'Heureux-Dubé déclare ce qui suit au paragraphe 75 :

(...) Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[10] Comme le démontre la décision de l'agente, je crois qu'une attention particulière a été accordée aux intérêts et aux besoins de l'enfant. Par opposition à l'agent dans Baker, précité, Mme Chan a tenu compte des intérêts de la fille de la demanderesse. Au contraire, les facteurs suivants ont été examinés : l'impact que le refus de la demande de la demanderesse aurait sur l'enfant, l'impact causé chez l'enfant si elle devait retourner aux Philippines ainsi que l'accès aux soins de santé dont disposerait l'enfant aux Philippines. Je suis donc d'avis que la décision de l'agente, sur ce point, était raisonnable.


[11] La demanderesse soutient que l'agente a erré en indiquant comme facteur négatif le fait qu'elle était entrée au Canada en vertu du programme AFR. Je crois qu'en réalité, la demanderesse met en doute le poids accordé par l'agente aux éléments de preuve fournis par la demanderesse.

[12] Dans Vidal c. Canada (M.E.I.) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 123, le juge Strayer déclare ce qui suit à la page 130 :

[traduction]

Je ferai remarquer en passant qu'il s'ensuit comme corollaire du raisonnement tenu par le juge en chef adjoint Jérome dans l'arrêt Yhap qu'un requérant ne peut pas se plaindre si un agent d'immigration omet ou refuse de se conformer aux lignes directrices du ministre. Il ne peut pas non plus se plaindre si un agent d'immigration applique un autre facteur à la place de ceux qui sont prévus dans les lignes directrices dans la mesure où il agit de bonne foi, et à condition que le facteur ne soit pas totalement dénué de lien avec une idée acceptable de ce qui constitue des raisons d'ordre humanitaire. Qui plus est, c'est à l'agent qu'il appartient de décider s'il est convaincu de la véracité des dires du requérant, à moins peut-être qu'il ne formule des conclusions de faits clairement dénués de lien avec tout le dossier dont il est saisi. Il n'appartient pas à la Cour de siéger en appel pour trancher sur les conclusions de faits de l'agent ou la manière dont il a pondéré les différents facteurs...

[13] J'ai l'impression qu'il était vraiment possible, pour l'agente, dvaluer le fait que la demanderesse était à l'origine entrée au Canada en vertu du programme AFR en considérant qu'au moment de l'entrevue, elle travaillait sans permis de travail, ce qui constituait un critère essentiel de ce programme. Le fait qu'elle est entrée au Canada en vertu du programme AFR, qu'elle n'a pas satisfait aux exigences du délai de vingt-quatre mois et qu'elle a travaillé sans permis de travail constitue simplement un ensemble de facteurs à considérer pour lvaluation globale de la situation de la demanderesse visant à savoir si cela justifie la dispense et ne donne pas automatiquement droit à la dispense. De plus, les questions relatives à valeur de la preuve sont de la responsabilité de l'agent et ne peuvent pas servir de fondement juridique sur lequel la Cour pourrait à bon droit intervenir. (Voir Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (29 mai 1986), A-987-84.)


[14] La demanderesse a également soutenu qu'elle aurait dû être informée qu'il aurait été approprié pour elle de formuler une demande de résidence permanente en vertu du programme AFR. La demanderesse soutient également qu'elle aurait dû être avisée du droit de retenir les services d'un avocat. En ce qui a trait au premier point, la demanderesse déclare clairement, dans son affidavit, qu'elle était au courant que son permis de travail expirerait le 18 mai 2000. Étant donné qu'elle était au courant de cette date, il semblerait logique qu'elle ait également lu les remarques, sur ledit permis, qui indiquaient clairement qu'elle aurait le droit de formuler une demande de résidence permanente après avoir achevé vingt-quatre mois de travail. Deuxièmement, avant l'entrevue qu'elle a eue avec l'agente, la demanderesse a reçu une lettre, le 31 octobre 2000, l'informant de ce qui suit :

[traduction]

Si vous avez besoin d'un interprète, vous devez vous organiser pour en faire venir un. Votre avocat ne peut pas agir en tant qu'interprète.

Bien que la lettre ne mentionne pas précisément que la demanderesse devrait ou pourrait retenir les services d'un avocat, il est clair qu'une personne raisonnable lisant cette lettre pourrait facilement en venir à la conclusion selon laquelle le fait d'avoir recours à un avocat ne constitue pas seulement une possibilité, mais est permis.

[15] La demanderesse soutient que l'agente a mal calculéle nombre de mois pendant lesquels la demanderesse avait travaillé en vertu du programme AFR, admettant qu'elle avait travaillé comme aide familiale pendant dix-neuf mois. Je ne décrirai pas la conclusion de la décision selon laquelle la demanderesse avait travaillé pendant [traduction] « approximativement dix-huit mois » comme étant un mauvais calcul, mais simplement comme étant un chiffre approximatif ne contredisant pas le fait que la demanderesse n'a pas travaillé comme aide familiale résidante pour un total de 24 mois, comme l'exige l'article 7 des directives de l'AFR.


[16] De plus, la demanderesse prétend que l'agente a erré en ne tenant pas compte des heures supplémentaires qu'elle avait faites. À mon avis, la demanderesse n'a fourni aucun élément de preuve pour appuyer cette allégation. Elle ne peut donc être retenue.

[17] Sur la base de la preuve soumise, je crois qu'il était raisonnable pour l'agente de conclure qu'en l'espèce, la demanderesse n'avait pas établi qu'elle satisfaisait aux exigences énoncées dans Baker, précité, relativement aux difficultés qui lui seraient causées.

[18] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                   « Yvon Pinard »                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 18 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                                                                    Date : 20020118

                                                              Dossier : IMM-1656-01

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2002

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                        ELEONORA ASUNCION CARAG

                                                             Demanderesse

                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                Défendeur

                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire d'une décision de N. Chang, datée du 12 février 2001, refusant la demande de dispense ministérielle de la demanderesse pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, est rejetée.

                   « Yvon Pinard »                               

       JUGE

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                   IMM-1656-01

INTITULÉ:                    Eleonora Asuncion Carag

et

Le ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 11 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :           Le 18 janvier 2002

COMPARUTIONS:

Luningning Alcuitas-Imperial              POUR LA DEMANDERESSE

Helen Park                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                 

Luningning Alcuitas-Imperial              POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.