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                                                                                                                                 Date : 20040628

                                                                                                                           Dossier : T-2282-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 932

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                 DENIS LANNO

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                            L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                Le demandeur, M. Denis Lanno, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Don Scarcello, directeur du bureau des services fiscaux de Kitchener/Waterloo de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). Dans cette décision, ce dernier a opté pour ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (LIR) d'établir de nouvelles cotisations après l'expiration de la période normale, pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 du demandeur.

Les questions en litige

[2]                La seule question en litige en l'espèce consiste à savoir si le ministre a mal exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 152(4.2) de la LIR.

Le contexte

[3]                En 1989, M. Denis Lanno faisait partie d'un groupe de contribuables qui ont investi dans Cherry Lane Condominiums (le projet Cherry Lane). Cet investissement immobilier s'est soldé par des pertes substantielles pour M. Lanno et d'autres investisseurs, pertes qu'ils ont réclamées en transmettant leurs rapports d'impôt sur le revenu à l'ADRC.

[4]                Étant informés que l'ADRC réexaminait l'admissibilité des pertes réclamées, les investisseurs du projet Cherry Lane ont retenu les services de BDO Dunwoody LLP (BDO) pour les conseiller dans leurs rapports avec l'ADRC. Les parties ne contestent pas les faits suivants, que je reprends dans l'ordre chronologique :


·            Le 8 avril 1997, M. Lanno a reçu un avis de nouvelle cotisation de l'ADRC, portant sur ses années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Ses dépenses et pertes liées au projet Cherry Lane ont été déclarées non admissibles, par suite de l'absence d'une « expectative raisonnable de profit » . Plutôt que de déposer lui-même un avis d'opposition auprès de l'ADRC, M. Lanno croyait que BDO déposerait cet avis en son nom avant l'expiration du délai prévu par le paragraphe 165(1) de la LIR.

·            Le 21 février 2002, BDO a informé M. Lanno qu'il ne trouvait aucune trace de son avis de nouvelle cotisation et, par conséquent, qu'il n'avait pas déposé un avis d'opposition en son nom.

·            Le 23 mai 2002, dans l'arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, la Cour suprême du Canada a rejeté le critère de « l'expectative raisonnable de profit » aux fins de déterminer si les activités d'un contribuable constituent une source de revenus pour l'application de l'article 9 de la LIR.

·            Le 6 décembre 2002, M. Lanno a invoqué le paragraphe 152(4.2) de la LIR pour demander qu'on établisse de nouvelles cotisations pour ses années d'imposition 1993, 1994 et 1995, après l'expiration de la période normale.


·            Le 29 mai 2003, M. Lanno a été informé que sa demande en vertu des dispositions d'équité, présentée au premier niveau, était rejetée étant donné que sa demande de remboursement était fondée uniquement sur un appel devant les tribunaux d'un autre contribuable ayant eu gain de cause (alinéa 4e) de la Circulaire d'information 75-7R3, « Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus » ).

·            Dans une lettre datée du 10 juin 2003, BDO a demandé un réexamen de cette décision au nom de M. Lanno. L'agent désigné qui a réexaminé le dossier a recommandé à M. Don Scarcello, directeur du bureau de Kitchener/Waterloo, le rejet de la demande en vertu des dispositions d'équité présentée au deuxième niveau par M. Lanno. Monsieur Lanno et BDO ont été informés de cette décision par une lettre datée du 30 juillet 2003.

·            Dans des lettres datées des 2 et 7 août 2003, M. Lanno a demandé le réexamen de la décision rendue au deuxième niveau. Le 4 novembre 2003, M. Scarcello a informé M. Lanno qu'il maintenait sa décision du 30 juillet 2003.

[5]                Monsieur Lanno sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Scarcello datée du 30 juillet 2003, telle que confirmée dans la lettre datée du 4 novembre 2003.


Analyse

La norme de contrôle

[6]                L'arrêt de la Cour d'appel La Reine c. Barron, [1997] 2 C.T.C. 198 (C.A.F.), à la page 200, établit clairement qu'au vu de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR, « [l]a cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit » . Ce critère a été appliqué à des décisions discrétionnaires de même nature dans Sharma c. Agence des douanes et du revenu du Canada, [2001] 3 C.T.C. 169, à la page 176 (C.F. 1re inst.) et Cheng c. Canada, [2001] 4 C.T.C. 190, à la page 196 (C.F. 1re inst.).

Le cadre législatif


[7]                En règle générale, le ministre doit établir les nouvelles cotisations d'un contribuable au cours de la « période normale de nouvelle cotisation » . Exception est faite en cas de fraude ou de fausses représentations. Pour les particuliers, cette période se termine trois ans après la date de la première cotisation du contribuable (paragraphes 152(4) et 152(3.1)). Par conséquent, en temps normal M. Lanno ne serait pas autorisé à demander une nouvelle cotisation en l'espèce, puisque sa demande est présentée plus de trois ans après la cotisation originale de 1997. Toutefois, le législateur a prévu des dispositions d'équité dans la LIR, qui autorisent le ministre à établir de nouvelles cotisations à la demande d'un contribuable après la fin de la période normale, afin de procéder à un remboursement ou à une diminution de l'impôt payable (paragraphe 152(4.2), la disposition d'équité). En adoptant les dispositions d'équité, le législateur a accordé un large pouvoir discrétionnaire au délégué du ministre, l'ADRC.

[8]                Afin d'aider ses fonctionnaires à prendre les décisions requises en vertu des dispositions d'équité, l'ADRC a adopté une politique que l'on trouve dans la Circulaire d'information 75-7R3, « Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus » . L'article 4 de la Circulaire d'information énumère les circonstances dans lesquelles l'ADRC octroiera un remboursement au contribuable.


Sur réception d'une demande écrite du contribuable, le Ministère établit ordinairement une nouvelle cotisation pour donner un remboursement, même si un avis d'opposition n'a pas été produit dans le délai prescrit, pourvu :

A reassessment to create a refund ordinarily will be made upon receipt of a written request by the taxpayer, even if a notice of objection has not been filed within the prescribed time, provided that

a)              que le contribuable ait produit la déclaration de revenu dans le délai de quatre ans mentionné au paragraphe 164(1);

(a)            the taxpayer has, within the four-year filing period required by subsection 164(1), filed the return of income;

b)              que le Ministère soit convaincu que la cotisation ou nouvelle cotisation précédente était inexacte;

(b)            the Department is satisfied that the previous assessment or reassessment was wrong;


c)              qu'il soit possible d'établir une nouvelle cotisation dans le délai de quatre ans ou de sept ans, selon le cas, dont il est fait mention au numéro 1 précédent ou, s'il n'est pas possible de remplir cette condition, que le contribuable ait produit une renonciation en la forme prescrite;

(c)             the reassessment can be made within the four-year period or the seven-year period, as the case may be, referred to in paragraph 1 above or, if that is not possible, the taxpayer has filed a waiver in prescribed form;d) que la réduction du revenu imposable établi ne résulte pas uniquement d'une majoration des déductions pour amortissement ou d'autres déductions laissant une marge de manoeuvre au contribuable, lorsque ce dernier a demandé au départ une déduction inférieure au maximum déductible; et

(d)            the requested decrease in taxable income assessed is not based solely on an increased claim for capital cost allowances or other permissive deductions, where the taxpayer originally claimed less than the maximum allowable; and

e)             que la demande de remboursement ne se fonde pas uniquement sur un appel devant les tribunaux d'un autre contribuable ayant eu gain de cause

(e)             the application for a refund is not based solely upon a successful appeal to the Courts by a taxpayer.


Le ministre a-t-il mal exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 152(4.2) de la LIR?

[9]                Comme je l'ai fait remarquer, la décision de M. Scarcello est de nature discrétionnaire. La Cour n'interviendra donc que si la décision est manifestement déraisonnable ou si elle enfreint les règles de justice naturelle. Après examen du dossier soumis à M. Scarcello, je ne suis pas convaincue qu'il y a lieu d'infirmer sa décision.


[10]            En l'espèce, la demande de M. Lanno pour faire établir une nouvelle cotisation a été rejetée pour le motif énoncé à l'alinéa 4e) de la Circulaire d'information. Tout comme l'agent de premier niveau qui a examiné la demande en vertu des dispositions d'équité, M. Scarcello n'était pas convaincu que la demande ne se « fonde pas uniquement sur un appel devant les tribunaux d'un autre contribuable ayant eu gain de cause » . La politique inscrite à l'alinéa 4e) fait que le processus de nouvelle cotisation est clair et final. L'ADRC doit pouvoir éviter une situation où elle ferait face à un nombre considérable de demandes de nouvelles cotisations chaque fois qu'un tribunal rend une décision portant sur les obligations des contribuables. Donc, lorsqu'un contribuable a gain de cause devant les tribunaux au sujet de son assujettissement à l'impôt, on ne versera aucun remboursement aux contribuables qui ne sont pas partie à l'action si leur demande de remboursement se fonde uniquement sur le résultat positif de l'appel. L'ADRC a agi raisonnablement en décrétant que la meilleure preuve que la demande n'est pas fondée uniquement sur l'appel est le dépôt d'un avis d'opposition avant qu'on connaisse le résultat de l'appel. Comme on le voit dans l'échange de correspondance et les décisions qui portent sur le cas de M. Lanno, l'ADRC examine les circonstances particulières de chaque affaire pour déterminer si le défaut de déposer un avis est dû à des circonstances hors du contrôle du contribuable. En fait, une grande partie de la décision de M. Scarcello constitue une analyse lui permettant de déterminer si M. Lanno a été empêché de déposer un avis par suite de circonstances hors de son contrôle.

[11]            Si M. Lanno avait déposé un avis, il aurait pu avoir droit à un remboursement. D'autres investisseurs dans le projet Cherry Lane ont déposé des avis avant le prononcé de l'arrêt Stewart, précité, et ils ont reçu des remboursements. Néanmoins, M. Lanno n'a pas automatiquement droit à une nouvelle cotisation fondée sur le règlement accordé aux autres investisseurs dans le même projet. C'est M. Lanno qui avait à démontrer à l'ADRC que son défaut de déposer un avis était dû à des circonstances hors de son contrôle. Il n'a pas convaincu M. Scarcello que c'était le cas.


[12]            En me fondant sur l'examen de la preuve, je suis convaincue que M. Scarcello pouvait raisonnablement rejeter la demande de M. Lanno. Je note en particulier les aspects suivants :

1.         Bien que M. Lanno ait été informé par BDO en février 2002 qu'aucun avis n'avait été déposé en son nom, ni lui ni BDO n'ont pris quelque mesure que ce soit pour rectifier l'erreur; et

2.         BDO aurait pu entrer en rapport avec M. Lanno lorsque certains des autres investisseurs, qui avaient aussi retenu les services de BDO pour les représenter, ont présenté les documents nécessaires. Rien n'indique que cela se soit produit.

[13]            Au vu du dossier qui lui était soumis, M. Scarcello pouvait examiner la preuve et arriver à la conclusion qu'elle ne suffisait pas à le convaincre que M. Lanno avait l'intention de réclamer un redressement avant le prononcé de l'arrêt Stewart, précité. De plus, la décision de M. Scarcello démontre qu'il a lu et examiné toutes les prétentions qui lui ont été présentées.


[14]            En conclusion, M. Lanno n'a pas présenté de preuve que la décision de M. Scarcello aurait été prise de mauvaise foi, que ce dernier aurait manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou qu'il aurait tenu compte de faits non pertinents, ou que la décision est erronée en droit. Monsieur Scarcello n'a pas commis d'erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Bien que le résultat soit malheureux pour M. Lanno et que j'aurais pu en décider autrement, il n'y a pas de fondement pour une intervention de la Cour.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.          La défenderesse a droit aux dépens.

                                                                                                                              _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-2282-03

INTITULÉ :                                                   DENIS LANNO

c. L'AGENCE DES DOUANES ET

DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 16 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Denis Lanno                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Andrea Jacket                                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Denis Lanno                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Pour son propre compte

Cambridge (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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