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     Date : 19980528

     Dossier : IMM-1585-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MAI 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     BARBARA WARD,

     Demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur.

     ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire,

ET APRÈS AVOIR entendu les avocats des parties le 13 mai 1998, à Toronto (Ontario),

LA COUR STATUE QUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de l'agente d'immigration désignée datée du 17 mars 1997 est annulée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent des visas différent.

     " Allan Lutfy "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980528

     Dossier : IMM-1585-97

ENTRE :

     BARBARA WARD,

     Demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      La demanderesse est une citoyenne de la Barbade. Elle est arrivée au Canada en 1986 et elle y est demeurée pendant 8 ans en qualité de titulaire d'un permis de séjour pour étudiant et d'un permis de travail qui ont été prolongés. Au cours des deux dernières années qu'elle a passées au Canada, elle a habité avec un Canadien qui est le père de sa fille, née en 1993. En septembre 1994, elle ne pouvait plus obtenir de prolongation de son statut de visiteur et elle est retournée à la Barbade avec sa fille.

[2]      En octobre 1995, la demanderesse a demandé la résidence permanente au Canada avec l'intention d'exercer la profession de teneuse de livres (catégorie 4131114 de la CCDP). Elle a reconnu qu'elle n'obtiendrait pas les 70 points requis, principalement parce qu'elle n'obtiendrait qu'un seul point d'appréciation pour la demande dans la profession. En conséquence, dans sa lettre de présentation, l'avocat de la demanderesse a demandé à l'agente des visas d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration1 de délivrer un visa à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis si, pour reprendre les termes du Règlement, " ... il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada ".

[3]      Lorsqu'il a demandé à l'agente des visas d'exercer son pouvoir discrétionnaire quant aux chances de la demanderesse de réussir son installation au Canada, son avocat a souligné que l'intention de la demanderesse de vivre avec le père de sa fille et de l'épouser plus tard, à l'issue de sa procédure de divorce qui s'éternisait, constituait le [Traduction] " facteur le plus déterminant ". En 1995, il gagnait un revenu annuel combiné de 60 700 $ tiré de deux emplois, l'un dans le service de rédaction d'actes translatifs de propriété d'un cabinet d'avocats et l'autre pour une entreprise de transport aérien où il travaillait en qualité de préposé d'escale. Il possédait des placements d'environ 15 000 $ sous forme de valeurs à revenu fixe et il était propriétaire de sa maison, à Toronto. La demanderesse a demandé avec insistance à l'agente des visas de prendre en compte son expérience appréciable du Canada en tenant compte de l'appui financier dont elle et sa fille pourraient bénéficier.

[4]      Pour faire la preuve de son autonomie, la demanderesse a aussi invoqué la valeur de rachat nette d'environ 10 000 $ de ses deux polices d'assurance-vie et un montant de 12 500 $ déposé dans son compte de banque à la Barbade. Elle a précisé qu'elle avait reçu cette somme de 12 500 $ en cadeau de son père. Lors de son entrevue, une certaine confusion a surgi relativement à la source de ce dépôt bancaire et l'agente des visas n'était pas convaincue que cet argent appartenait vraiment à la demanderesse. Le défendeur admet que le montant des fonds a joué dans la décision de l'agente des visas et il reconnaît maintenant que cet argent appartenait à la demanderesse. Je crois toutefois que cette question n'est pas déterminante pour l'issue de la demande de contrôle judiciaire.

[5]      La signification des termes " réussir leur installation au Canada " au sens du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration a été examinée par les tribunaux. Dans l'affaire Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, le juge Strayer a souligné que les critères de sélection " ... semblent être essentiellement liés à la capacité d'un immigrant de gagner sa vie au Canada ou d'y être soutenu financièrement par d'autres personnes que l'État " (non souligné dans l'original). Dans la décision Mangat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, délivrée le même jour que la décision Chen, le juge Strayer a réitéré ses propos, en les précisant dans une certaine mesure :

         Sans essayer de définir précisément les facteurs dont on peut tenir compte pour déterminer en vertu du paragraphe 11(3) les chances d'un immigrant de s'établir avec succès, j'estime, comme je l'ai dit dans l'affaire Chen, qu'ils doivent avoir un certain rapport avec la capacité d'une personne de subvenir financièrement à ses propres besoins ou la possibilité que d'autres personnes et non l'État y subviennent. [Non souligné dans l'original.]         

La Cour suprême du Canada a confirmé l'opinion exprimée par le juge Strayer dans la décision Chen.

[6]      L'agente des visas a expliqué dans sa décision de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) :

         [Traduction] Bien que vous ayez trente-trois ans, vous avez une expérience de travail très limitée et exclusivement dans des professions pour lesquelles la demande est inexistante en ce moment au Canada. Les fonds dont vous disposez pour vous installer sont limités et je doute que vous puissiez trouver un emploi rapidement. J'ai noté que vous avez un jeune enfant qui est né au Canada pendant que vous y habitiez en vertu d'un permis de séjour pour étudiant. J'ai examiné votre dossier attentivement et je ne crois pas que l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire soit justifié.         

Son appréciation défavorable des ressources financières de la demanderesse est exposée de façon plus précise dans les notes qu'elle a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (le système CAIPS) :

         [Traduction] Je crois que l'intéressée aimerait vivre au Canada parce que le père de son enfant y réside/ Le père de l'enfant n'a pas encore divorcé -- Aucune preuve n'établit qu'il le fera -- Je crois que l'intéressée, si elle obtient le droit d'établissement au Canada, deviendra bénéficiaire de l'aide sociale -- plus particulièrement en ce moment où il lui serait difficile de laisser son jeune enfant.         

[7]      En concluant que la demanderesse deviendrait bénéficiaire de l'aide sociale, l'agente des visas n'a pas mentionné dans les notes qu'elle a consignées dans le système CAIPS les ressources financières du conjoint projeté de la demanderesse. Elle mentionne la présence d'un ami qui a accompagné la demanderesse au consulat, mais qui n'a pas été invité à assister à l'entrevue. Si cet ami était le conjoint projeté de la demanderesse, l'agente des visas aurait très bien pu saisir l'occasion de lui poser des questions sur l'état de sa procédure de divorce, sur ses autres personnes à charge, le cas échéant, et sur la probabilité qu'il subvienne aux besoins de la demanderesse et de son enfant s'ils revenaient vivre au Canada. De même, la décision de l'agente des visas ne contient aucune remarque relativement aux ressources du conjoint projeté de la demanderesse que celle-ci invoquait à l'appui de sa demande.

[8]      L'agente des visas doit évaluer la demande de résidence permanente " avec l'esprit ouvert "4 et en tenant " compte de la totalité de la preuve "5. En l'espèce, la demanderesse a invoqué expressément les ressources que son conjoint projeté mettrait censément à sa disposition comme " le facteur le plus déterminant " qui devrait inciter l'agente des visas à exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration . J'estime que l'agente des visas était tenue de traiter cette question de fait avant de conclure que la demanderesse deviendrait bénéficiaire de l'aide sociale et peu d'éléments, s'il en est, établissent qu'elle l'a fait.

[9]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente des visas sera annulée et l'affaire sera renvoyée pour réexamen par un agent des visas différent.



[10]      Aucune partie n'a proposé la certification d'une question grave.

     " Allan Lutfy "

     Juge

Ottawa )Ontario)

28 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1585-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BARBARA WARD c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          13 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

DATE DES MOTIFS :          28 mai 1998

ONT COMPARU :

Me Michael Schelew      POUR LA DEMANDERESSE

Me Toby Hoffman      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Schelew, Gorodensky & Kreindler      POUR LA DEMANDERESSE

Me George Thomson      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      DORS/78-172.

     2      [1991] 3 C.F. 350, 13 Imm. L.R. (2d) 172 (C.F. 1re inst.) à la page 360, inf. [1994] 1 C.F. 639, (1993), 22 Imm. L.R. (2d) 213 (C.A.F.) et conf. [1995] 1 R.C.S. 725.

     3      (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 184 (C.F. 1re inst.), à la page 191.

     4      Dick c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 52 F.T.R. 318 (C.F. 1re inst.), à la page 320; Marques c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (no 2) (1995), 116 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), à la page 246.

     5      Toro c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.).

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