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Date : 20040504

Dossier : T-880-03

Référence : 2004 CF 658

Toronto (Ontario), le 4 mai 2004

En présence de Monsieur le juge Campbell

ENTRE :

             TRUEHOPE NUTRITIONAL SUPPORT LIMITED, DAVID HARDY,

                               MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                 LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

                                                                                                                              défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête en vue d'obtenir l'autorisation de déposer un avis de demande modifié, dans lequel on réclame le contrôle judiciaire de deux décisions dans le cadre d'une seule demande, aux termes des règles 75 et 302 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]                L'avis de demande original, daté du 28 mai 2003, réclamait le contrôle judiciaire de cinq décisions prises par Santé Canada. Les demandeurs souhaitent maintenant déposer un avis de demande modifié, dans lequel ils ont restreint leur contestation à deux décisions par lesquelles Santé Canada a ordonné la saisie et la garde d'Empowerplus, un supplément alimentaire, qui leur était expédié au Canada. Ils allèguent que les saisies ont été faites par Santé Canada le ou vers le 22 avril 2003, concernant un envoi d'Empowerplus daté du 17 avril 2003, et le ou vers le 21 mai 2003, concernant un envoi d'Empowerplus daté du 16 mai 2003. Il sera fait référence aux envois sous les expressions « l'envoi d'avril » et « l'envoi de mai » respectivement.

[3]                La requête réclame plus précisément une ordonnance :

a) autorisant le dépôt de l'avis de demande modifié ;

b) permettant que le contrôle judiciaire des décisions dont il est question aux paragraphes a) et b) de l'avis de demande modifié soit réclamé dans une seule demande ; et

c) adjugeant les frais de la requête aux demandeurs.

Les paragraphes a) et b) de l'avis de demande modifié ont trait aux décisions alléguées des défendeurs ayant pour but de saisir et de détenir l'envoi d'avril et l'envoi de mai respectivement .


A. L'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la règle 302

[4]                La question principale consiste à déterminer si l'on peut autoriser l'étude des deux décisions dans le cadre d'une seule demande de contrôle judiciaire aux termes de la règle 302, qui est rédigée dans les termes suivants :

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande du contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

1. Le précédent

[5]                La règle 302 exprime la politique dont l'objectif est d'assurer une méthode rapide et ciblée pour contester une seule décision ou ordonnance (Badger c. La Nation crie de Sturgeon Lake 2002 ACF 130 (C.F. 1re inst.), paragr. 13).

[6]                Les actes ou décisions continus peuvent faire l'objet d'un contrôle en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [qui est maintenant la règle 302]; toutefois, les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents (Mahmood c. Canada (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.); réexamen refusé [1998] A.C.F. no 1836). Au paragraphe 10, le juge Muldoon a déclaré ce qui suit :


Bien que la règle prévoie qu'une seule décision (à présent, une seule « ordonnance » ) peut être contestée, la Section de première instance a également reconnu que les mesures ou les décisions qui se poursuivent peuvent également faire l'objet d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) (voir par exemple Puccini c. Canada (Ministère de l'Agriculture), [1993] 3 C.F. 557). Cependant, dans ces cas, les mesures en question étant de nature continue, le demandeur avait d'autant plus de difficultés à préciser pour quelle décision il pouvait demander une mesure de redressement auprès de la Cour. Il ne s'agissait pas, comme en l'espèce, de deux situations de fait différentes, de deux mesures de redressement différentes recherchées ou de deux organismes décideurs différents. [L'ancienne règle 1602(4) stipulait que l'avis de requête « [portait] sur le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question » sauf lorsqu'il s'agissait d'une décision rendue conformément à la Loi sur l'immigration concluant qu'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était dénuée de fondement, et de la mesure de renvoi subséquente à cette décision.] (Renvoi ajouté.)

[7]                Dans la décision Puccini c. Canada, [1993] 3 C.F. 557, 65 F.T.R. 127 (C.F. 1re inst.) citée par le juge Muldoon dans l'extrait reproduit ci-dessus, la Cour a statué que le paragraphe 18.1(2) de la Loi et la règle 1602(4) envisageaient une décision ou une ordonnance précise à l'égard desquelles le contrôle judiciaire était recherché. Toutefois, ils pouvaient également englober une situation, ou porter sur une situation continue, dans le cadre desquelles un certain nombre de décisions sont prises.

[8]                Dans la décision 047424 NB Inc. c. Canada (M.R.N.) 157 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.), la Cour a autorisé plusieurs contribuables, qui avaient reçu du ministre des demandes de renseignements apparentées à se regrouper en tant que demandeurs dans une seule procédure de contrôle judiciaire contestant les demandes étant donné que les questions soulevées par les demandeurs étaient essentiellement les mêmes, même si les questions de fait constituant le fondement des demandes différaient sur certains aspects mineurs.

[9]                En se demandant si deux décisions peuvent être contestées dans une seule demande, la Cour a également examiné si la preuve et les arguments juridiques ayant trait à chaque contestation étaient reliés entre eux (Lavoie c. Canada (Service correctionnel) (2000), 196 F.T.R. 96 (C.F. 1re inst.).

2. Les arguments

[10]            En l'espèce, les demandeurs s'appuient sur les décisions Mahmood, 047424 et Lavoie pour faire valoir que les deux décisions dont il est question dans leur avis de demande modifié devraient faire l'objet d'un seul avis de demande parce que ces deux décisions portent sur des faits pratiquement identiques, qu'elles sont de nature continue, qu'elles soulèvent des questions juridiques identiques et que le même redressement est réclamé à l'égard de chacune des décisions.


[11]            Les demandeurs sont d'avis que le fondement factuel de chaque saisie est très semblable : les deux décisions ont été prises par une personne qui était le gestionnaire des opérations par intérim de la Division inspectorat, Direction des produits de santé et des aliments de Santé Canada pour l'Ouest du Canada, c'est-à-dire Rod Neske pour l'envoi d'avril et Sandra Jarvis pour l'envoi de mai; ces deux personnes ont ordonné la saisie parce qu'elles ont décidé qu'Empowerplus est un « médicament » et que les envois étaient des importations commerciales, faits en contravention de la politique d'importation personnelle de Santé Canada. Les demandeurs ont insisté sur le fait que les deux décisions étaient des mesures gouvernementales faisant partie d'un programme continu visant à interdire l'importation et la vente d'Empowerplus.

[12]            Les demandeurs font valoir que les questions et les arguments juridiques soulevés à l'égard de chacune des questions sont identiques : les deux questions portent sur une contestation fondée sur la Charte faisant valoir qu'il y a eu contravention aux mêmes droits constitutionnels, de même que sur une contestation de la légalité des saisies et la définition du mot « médicament » dans la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27 (la Loi sur les aliments et drogues), et une allégation que les fonctionnaires ont agi de manière injuste, arbitraire, biaisée et discriminatoire.   

[13]            En outre, les demandeurs soutiennent que la preuve dans chacune des demandes sera presque identique, et portera notamment sur les constituants et les effets d'Empowerplus, l'historique des mesures prises par Santé Canada à l'égard d'Empowerplus, et les justifications avancées par Santé Canada pour s'opposer à Empowerplus.

[14]            Les demandeurs font valoir que le fait d'exiger deux demandes distinctes dans les circonstances rendrait la procédure inutilement complexe et onéreuse, que celle-ci ferait double emploi, et qu'il y a aussi un risque d'obtenir des verdicts contradictoires.

[15]            Toutefois, les défendeurs sont d'avis que seulement une des deux « décisions » peut faire l'objet d'un contrôle. Ils soutiennent que l'envoi de mai n'a pas été saisi ou détenu par Santé Canada comme l'allèguent les demandeurs, et que, par conséquent, la Cour n'est saisie d'aucune « décision » à l'égard de cet envoi. Les défendeurs prétendent également que deux des demandeurs, M. Untel et David Hardy, étaient les destinataires prévus de l'envoi d'avril, mais non de l'envoi de mai et que, par conséquent, ils n'ont pas l'intérêt pour contester la décision relative à l'envoi de mai. Qui plus est, les défendeurs soutiennent qu'il y a des éléments de preuve indiquant que l'envoi de mai a été libéré, ce qui fait en sorte que les questions ayant trait à cet envoi sont théoriques.


[16]            Subsidiairement, les défendeurs s'opposent à la demande voulant que les deux questions soient examinées dans le cadre d'une seule demande de contrôle judiciaire, étant donné qu'ils soutiennent que les deux décisions contiennent des différences de fait importantes, qu'elles font intervenir des décideurs différents en poste à des moments différents et qui ont pris des décisions différentes s'appuyant sur des renseignements différents, et que les parties directement touchées par chacune des décisions ne sont pas les mêmes. Les défendeurs soutiennent que Rod Neske a saisi et a détenu l'envoi d'Empowerplus du 17 avril 2003 aux termes de l'article 23 de la Loi sur les aliments et drogues, alors que Sandra Jarvis n'a jamais saisi ni détenu l'envoi de mai, et qu'elle a recommandé que cet envoi soit acheminé au Canada, ce que l'Agence des douanes et du revenu du Canada a autorisé. De plus, les défendeurs soutiennent que Neske et Jarvis se sont appuyés sur des faits différents, c'est-à-dire que, bien qu'ils aient tous deux reçu des factures et du matériel publicitaire, Neske s'est appuyé sur des renseignements additionnels portant sur la façon dont les personnes avaient acheté Empowerplus, renseignements dont Jarvis ne disposait pas à l'égard de l'envoi de mai.    

[17]            Les défendeurs font valoir qu'il y a un chevauchement limité entre les deux questions et que le fait de combiner le contrôle judiciaire de deux décisions distinctes dans une seule demande entraînerait de la confusion. En outre, ils citent les décisions Mahmood et Hamilton-Wentworth (Municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1999] A.C.F. no 1993 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 39 à 41, et prétendent qu'il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle les demandeurs ont de la difficulté à préciser une seule décision afin de demander réparation.

3. Conclusion


[18]            À mon avis, on devrait autoriser les demandeurs à contester les deux décisions dans le cadre d'une seule demande de contrôle judiciaire pour les raisons suivantes : les deux décisions ont été prises par un décideur agissant à titre de gestionnaire des opérations par intérim de la Division inspectorat, Direction des produits de santé et des aliments de Santé Canada pour l'Ouest du Canada; les deux décideurs ont agi en s'appuyant sur le fait qu'Empowerplus est un médicament et que les envois étaient des importations commerciales contrevenant à la politique d'importation personnelle de Santé Canada; les deux décisions entraînent une contestation juridique basée sur la contravention des mêmes droits garantis par la Charte, soit la légalité des saisies, et la définition du mot « médicament » dans la Loi sur les aliments et drogues; et des allégations sont faites à l'égard des deux décisions.

[19]            À mon avis, les distinctions entre les deux décisions telles qu'elles ont été présentées par les défendeurs ne l'emportent pas sur les similitudes, et ces distinctions ne sont pas si complexes qu'elles risquent d'engendrer la confusion, et exiger que deux demandes de contrôle judiciaire distinctes soient présentées, compte tenu des similitudes, constituerait une perte de temps et d'efforts. À mon avis, que l'envoi de mai ait véritablement fait l'objet d' « une décision » , ou que les questions qui y ont trait soient théoriques, sont des questions auxquelles une réponse sera donnée au cours de l'audition du contrôle judiciaire.

B. Le dépôt de l'avis de demande modifié

[20]            En vertu de la règle 75, la Cour peut autoriser une partie à modifier un document aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.


[21]            La règle générale est la suivante : une modification devait être autorisée à toute étape d'une action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu que cela ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer et qu'elle serve les intérêts de la justice (Canderel c. R., [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.)).

[22]            Les demandeurs soutiennent que leur avis de demande modifié simplifie leur demande et qu'elle servira donc à faciliter le déroulement de la procédure et qu'elle permettra aux parties de se présenter à l'audition plus rapidement que si l'avis de demande demeurait inchangé. Je suis d'accord avec eux. J'estime qu'aucun préjudice n'est causé aux défendeurs.

C. Les dépens


[23]            La question finale est l'adjudication appropriée des dépens pour la présente requête. En réponse à la prétention des demandeurs selon laquelle les dépens de la requête devraient leur être adjugés, les défendeurs déclarent que les dépens devraient plutôt leur être accordés au motif qu'ils ont subi un préjudice par les positions adoptées par les demandeurs dans leur avis de demande original. Les défendeurs prétendent qu'ils ont dû engager des dépenses importantes pour demander par requête que soient radiées les irrégularités de l'avis de demande, même si cette requête n'a pas été entendue. Les défendeurs soutiennent que les demandeurs devraient être autorisés à apporter leurs propres modifications à leur avis de demande en échange du paiement des dépenses absorbées par le Canada qui a dû demander par requête de faire radier certaines parties de l'avis de demande, et du paiement de leurs dépens pour répondre à la présente requête.

[24]            La présente demande a fait l'objet d'une gestion de cas détaillée dans le cadre de laquelle les deux parties ont démontré leur bonne volonté. Comme la présente requête apporte une solution finale à un désaccord après que les parties se sont entendues sur plusieurs autres points, je ne rendrai aucune ordonnance concernant les dépens.

                                        ORDONNANCE

Pour les raisons énoncées ci-dessus, j'ordonne par les présentes ce qui suit :

a)    l'avis de demande modifié peut être déposé; et

b)    le contrôle judiciaire des décisions dont il est question aux paragraphes a) et b) de l'avis de demande modifié pourra être recherché dans une seule demande.

Je ne rends aucune ordonnance concernant les dépens.

                                                                      « Douglas R. Campbell »                  

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                            Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                             T-880-03

INTITULÉ :                            TRUEHOPE NUTRITIONAL SUPPORT LIMITED,

DAVID HARDY, MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE

                                                                                          demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

                                                                                            défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 10 FÉVRIER 2004     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :          LE 4 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Dr. Sheilah L. Martin, c.r.

POUR LES DEMANDEURS

James Shaw

Brenda Kaminski

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Dr. Sheilah L. Martin, c.r.

Code Hunter Barristers

Calgary (Alberta)                      

POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS


             COUR FÉDÉRALE

      Date : 20040504

              Dossier : T-880-03

ENTRE :

TRUEHOPE NUTRITIONAL SUPPORT LIMITED, DAVID HARDY, MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE

                                        demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA

                                          défendeurs

                                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                             

              


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