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Date : 20040827

Dossier : IMM-7248-03

Référence : 2004 CF 1179

Ottawa (Ontario), le 27 août 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                         ZEYNEP CINKITAS ET DILEK CINKITAS

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 27 août 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que les demanderesses ne satisfont pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi et ne sont pas non plus des personnes à protéger au sens de l'article 97 de la Loi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                La décision du tribunal nécessite-t-elle l'intervention de la Cour?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative et je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

FAITS

[4]                La demandeure Zeynep Cinkitas (demanderesse) et sa fille Dilek Cinkitas sont citoyennes de la Turquie. Elles allèguent avoir une crainte fondée de persécution en raison de leur ethnicité kurde et de leur religion alévi. De plus, Dilek Cinkitas allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit celui de la famille et celui des personnes atteintes du syndrome cérébral organique.

[5]                Voici les faits allégués, tels que décrits par le tribunal. La demanderesse est de descendance kurde par son père et de religion alévi par ses deux parents.


[6]                Après son mariage en 1971, la demanderesse et son mari, tous deux enseignants de profession, travaillent à Kahraman Maras. En 1978, sa maison ainsi que celle de nombreux kurdes vivant dans leur village sont marquées d'un signe rouge pendant la nuit. Au matin, les maisons marquées sont attaquées par les Turcs. Son mari est alors arrêté et incarcéré. À ce moment, la demanderesse se trouve à Adana dans sa famille. À son retour, elle se rend au poste de police où elle est alors détenue pendant une journée, questionnée et battue.

[7]                Suite au décès de son époux en 1981, elle poursuit sa profession d'enseignante avec difficulté et en 1994, elle est congédiée. Par la suite, elle travaille à domicile comme couturière. Elle connaît de nombreux problèmes avec ses voisins qui l'insultent continuellement en raison de sa religion alévi et de son ethnicité kurde et elle se voit dans l'obligation de déménager à trois reprises.

[8]                En novembre 2001, durant la période du Ramadan, la demanderesse est agressée par un groupe de femmes dans un commerce. Craignant la police suite à son arrestation, elle décide de ne pas porter plainte. Ne pouvant plus supporter la persécution dont elle est victime, et craignant la situation des femmes seules en Turquie, la demanderesse décide de quitter le pays. Elle et sa fille obtiennent alors un faux visa pour les États-Unis et le 9 janvier 2003 et quittent la Turquie. Le 10 janvier 2003, elles arrivent à Montréal et revendiquent le statut de réfugié.

DÉCISION CONTESTÉE


[9]                Le tribunal estime que la demanderesse n'est pas crédible en raison de nombreuses omissions et contradictions. Il conclut également que la demanderesse n'a pas prouvé de façon satisfaisante sa crainte subjective de persécution. Par ailleurs, le tribunal note que la preuve documentaire ne démontre pas que la crainte liée à l'appartenance à la religion alévi est fondée. Finalement, en ce qui a trait à la crainte de la demanderesse Dilek liée à son appartenance au groupe social des personnes atteintes du syndrome cérébral organique, le tribunal conclut qu'il ne s'agit pas de persécution mais plutôt de discrimination.

ANALYSE

[10]            Afin de pouvoir justifier l'intervention de la Cour, les demanderesses doivent prouver que la décision du tribunal est manifestement déraisonnable.


[11]            Certaines contradictions et omissions importantes dans le témoignage de la demanderesse ne sont pas contestées par cette dernière. De plus, la demanderesse a allégué à la question 40 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'elle aurait été détenue une journée en 1978, une version qu'elle a maintenue à l'audition. Cependant, à la question 38 de son FRP, ainsi que dans un autre formulaire rempli à son arrivée, la demanderesse indique plutôt n'avoir jamais été arrêtée. Il en va de même pour les notes de l'agent d'immigration prises au point d'entrée. Ainsi, à quatre reprises dans les documents et les renseignements fournis à l'appui de sa demande d'asile, la demanderesse a indiqué n'avoir jamais été détenue. À l'audience, la demanderesse a déclaré avoir été victime d'un viol le 20 novembre 2001. Confrontée au fait que cet incident tragique n'est pas indiqué dans son FRP, la demanderesse s'est reprise et a plutôt parlé de tentative de viol. Elle n'a pu expliquer pourquoi ce renseignement ne figure pas dans son FRP malgré les modifications qu'elle y a apportées. La demanderesse s'est aussi contredite quant au jour où elle aurait rencontré une cliente qui lui aurait expliqué comment quitter la Turquie. Les demanderesses n'ont quitté la Turquie qu'en janvier 2003 malgré qu'elles étaient munies de leurs documents depuis septembre 2002. Elles craignaient leur pays depuis 1980, en particulier depuis novembre 2001.

[12]            J'estime que le tribunal était tout à fait en droit de relever ces contradictions et d'en tirer une inférence négative relativement à la crédibilité de la demanderesse.

[13]            Par ailleurs, le tribunal n'a pas cru la demanderesse et sa fille, qui se disent kurdes. La demanderesse semblait posséder des connaissances plutôt douteuses de la culture kurde. Elle n'a pu donner le nom ni la date de la fête du Nouvel An kurde. Le tribunal a également noté que la demanderesse ne parle pas le kurde et qu'elle n'a fait aucune référence à son origine kurde à son arrivée au Canada, tant dans son formulaire que lors de son entrevue avec l'agent d'immigration. Ces constatations ne sont pas contestées par la demanderesse.

[14]            Quant à la crainte liée à l'appartenance à la religion alévi, le tribunal a cité deux documents objectifs de source fiable. La première indique que « le fait d'être Alévi ne constitue pas en soi un motif suffisant pour invoquer une crainte d'oppression [...] Bien que certains groupes ou certaines personnes soient victimes de discrimination, il n'y a pas d'oppression systématique de tous les Alévis » . La deuxième source documentaire indique que « there is no evidence that Alevis are persecuted on account of their religious beliefs by the Turkish State » . Discrimination et persécution ne sont pas synonymes.


[15]            Finalement, pour ce qui est de la crainte de la demanderesse Dilek en raison de son appartenance au groupe social des personnes atteintes du syndrome cérébral organique, le tribunal a déclaré ce qui suit :

[...] Il ressort de cet interrogatoire que Dilek ne veut pas retourner en Turquie parce que dans son pays on la traite de folle et on l'insulte. Malgré toute la compassion que le tribunal peut avoir pour la situation dans laquelle se trouve la fille de la demandeure, les événements vécus par cette dernière ne sont point de la persécution au sens de la Convention puisqu'ils constituent plutôt de la discrimination à son égard en raison de son état de santé. Ces insultes ne constituent pas des mauvais traitements d'une gravité telle qu'ils peuvent équivaloir à de la persécution au sens de la Convention. De plus, le tribunal ne considère pas que les incidents vécus par Dilek constituent des traitements ou peines cruels et inusités. [...]

[16]            Ni la demanderesse ni sa fille n'ont montré que les conclusions du tribunal à ce sujet comportaient une erreur déterminante.

[17]            En somme, les conclusions du tribunal ont été tirées après une étude complète de la preuve. Elles sont raisonnables et portent sur des éléments essentiels de la revendication des demanderesses. Il n'y a donc pas lieu que la Cour intervienne. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]            Les parties ont décliné de soumettre des questions à certifier. Cette cause ne comporte aucune question à certifier.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

              « Michel Beaudry »               

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7248-03

INTITULÉ :                                        ZEYNEP CINKITAS ET

DILEK CINKITAS

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 25 août 2004


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          le 27 août 2004

COMPARUTIONS :

Eveline Fiset                                          POUR LES DEMANDERESSES

Annie Van der Meerschen                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eveline Fiset                                          POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)


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