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Date : 20020528

Dossier : T-2032-98

Référence neutre : 2002 CFPI 612

ENTRE :

                         TRANSPORT LAVOIE LTÉE

                                                             Demanderesse

                                    et

                     SOCIÉTÉCANADIENNE DES POSTES

                                                             Défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Le 29 avril 1998, la défenderesse octroyait un contrat de transport à Transport Y.N. Gonthier Inc. Alléguant, inter alia, la mauvaise foi de la défenderesse, ainsi que l'illégalité du processus utilisé par la défenderesse relativement à l'octroi du contrat de transport, la demanderesse réclame de cette dernière, à titre de dommages et intérêts, la somme de 144 009,00$[1]. De plus, la demanderesse me demande d'en arriver aux conclusions suivantes:


-          déclarer illégal le processus de soumissions initié et suivi par la défenderesse en regard de la livraison de courrier et de colis entre Québec et Mont-Joli;

-          annuler et/ou résilier toute décision ou résolution adoptée par la défenderesse en regard de l'octroi de contrat de service conséquent au processus de soumissions;

-          annuler et/ou résilier tout contrat de service octroyé par la défenderesse aux termes du processus de soumissions.

[2]                 Les faits pertinents sont peu compliqués et peuvent se résumer comme suit. Le 20 mars 1998, la défenderesse faisait parvenir à 28 entreprises de transport une demande de proposition pour le service de transport de courrier et/ou de colis sur le couloir Québec/Mont-Joli.

[3]                 La demande de proposition transmise aux entreprises comprenait les renseignements nécessaires pour leur permettre de préparer leur soumission. Aux pages 1 et 2 de la demande de proposition, l'on peut retrouver le texte suivant:

Avis spécial aux répondants

Il est instamment conseillé aux répondants de se familiariser avec le contenu du Dossier DDP (y compris avec les renseignements ci-après) et en particulier les descriptions des services avant de déposer leur offre.

À partir des propositions qu'elle aura reçues, la Société canadienne des postes (ci-après désigné sous le terme SCP) pourra sélectionner un ou plusieurs répondants en vue d'autres négociations (appelés ci-après "répondants négociateurs").


Les contrats seront attribués aux répondants compétents les mieux disants et capables, de l'avis de la Société canadienne des postes et à sa seule discrétion, de respecter ses engagements contractuels. La SCP pourra octroyer un seul contrat pour l'ensemble des services ou un contrat pour chacun des services. Toutefois, la SCP se réserve le droit de rejeter toute offre, même la plus basse si, d'après elle, il en va de l'intérêt du public ou de son propre intérêt.

Par le dépôt de son offre, le répondant reconnaît que la SCP ne pourra être responsable de quelque coût que ce soit assumé par lui dans la préparation de son offre, et qu'il entreprend la préparation de son offre entièrement à ses risques et périls en sachant qu'aucun contrat ne sera issu du dépôt d'une offre, ni d'une négociation subséquente à cette offre, mais uniquement du fait de la passation d'un contrat écrit par les deux parties.

La SCP peut, à tout moment et sans engager sa responsabilité, mettre fin à son intention d'attribuer le contrat, ou changer la portée des services à fournir en relation avec le contrat.

[...]

Le ou les contrats seront pour une période de cinq (5) ans.

Les services débuteront le 1er juillet 1998.

[4]                 En réponse à l'invitation de la défenderesse, 14 entreprises, dont la demanderesse, ont répondu à l'appel au mois d'avril 1998. Le 16 avril 1998, lors de l'ouverture des soumissions, il fut constaté que la demanderesse était le deuxième plus bas soumissionnaire.

[5]                 La défenderesse a dès lors communiqué avec les quatre plus bas soumissionnaires, à savoir Les Services JAG Inc., la demanderesse, Transport Y.N. Gonthier Inc. et Transport D.S.D. Inc., mettant alors en branle la deuxième étape du processus menant à l'adjudication du contrat de transport.


[6]                 Suite à l'évaluation par la défenderesse des soumissions des quatre entreprises ci-haut mentionnées - cette évaluation étant basée sur un document interne préparé par les employés de la défenderesse et intitulé « Enquête de soumission » - la défenderesse a octroyé le contrat à Transport Y.N. Gonthier Inc., soit le soumissionnaire classé au premier rang.

[7]                 Le document intitulé « Enquête de soumission » , sur lequel la défenderesse s'est fondée pour évaluer les 4 soumissions, comportait 23 questions relatives au soumissionnaire et à sa demande de soumission. En rapport avec chaque question, un pointage « pondéré » était attribué. Sur la base du total de points (Maximum: 712) attribués aux soumissionnaires, la défenderesse calculait le « Coût de la soumission/pointage pondéré = coût/points » , afin de déterminer le rang de chacun des 4 soumissionnaires. Les points attribués à chacun des 4 plus bas soumissionnaires étaient les suivants:

Transport Y.N. Gonthier Inc.     697

Transport Lavoie Ltée              614

Transport D.S.D. Inc.                 605

Les Services JAG Inc.              598

Sous la rubrique « Coût de la soumission/pointage pondéré = Coût/Point » , les soumissionnaires étaient évalués comme suit:

Transport Y.N. Gonthier Inc.     $2,633.38

Les Services JAG Inc.              $2,879.48

Transport Lavoie Ltée              $2,948.19

Transport D.S.D. Inc.                 $3,162.90

  

[8]                 Au bas de l' « Enquête de soumission » relative à Transport Y.N. Gonthier Inc., apparaissent les commentaires suivants, sous la rubrique « Recommandation de l'agent responsable » , de M. Alain Larouche, un employé de la défenderesse et l'agent superviseur des soumissions:


Rang du soumissionnaire basé sur le prix uniquement: 3

Rand après enquête (évaluation): 1

Octroi d'un contrat à cet entrepreneur: meilleur rapport qualité/prix

Ce document est daté le 21 avril 1998.

[9]                 La défenderesse a fait témoigner M. Alain Larouche. Il a expliqué que les soumissions devaient être reçues au plus tard le 15 avril 1998, et que la première étape était de choisir, basé sur le prix de la soumission seulement, des candidats en pré-sélection. Il a expliqué que la défenderesse avait reçu 14 soumissions et que ces dernières avaient été ouvertes le 16 avril 1998 par Germain Blouin, un autre employé de la défenderesse, et lui-même.

[10]            Un document intitulé « Questionnaire d'évaluation - Services routiers » (pièce P-4), fut alors expédié aux quatre soumissionnaires pré-sélectionnés. Ce document, préparé par Messieurs Blouin et Larouche, comportait 12 questions, dont le but était de vérifier certains des renseignements fournis par les soumissionnaires dans leur soumission et de voir si le prix proposé était négociable ou final. Selon M. Larouche, ce document avait pour mission, entre autre, de colliger l'information reçue.


[11]            Relativement à ce questionnaire, M. Larouche a parlé à M. Yvan Lavoie, le secrétaire-trésorier de la demanderesse. Suite à la réception de la pièce P-4 et de sa conversation avec M. Larouche, M. Lavoie écrivait à M. Larouche, le 20 avril 1998, pour l'informer « de nos commentaires à ce qui a trait à votre questionnaire d'évaluation sur les services routiers, ... » . Concernant la question 11 du questionnaire d'évaluation sur les services routiers, M. Lavoie écrivait ce qui suit:

11.           Nous avons bien compris que le service G-483 est un service d'aller seulement. Également, nous n'augmenterons pas nos prix pour tenir compte de la modification que vous avez apporté au service G-486.

Quant à votre question à savoir si le tarif proposé est négociable nous vous informons qu'il est négociable en fonction de votre autorisation à transporter de la marchandise lors du retour sur le service G-483.

[12]            Le même jour, M. Lavoie écrivait à nouveau à M. Larouche pour l'informer que

« nous réduisons le prix soumissionné pour le solde à la tarification suivante: [...] » . M. Lavoie annexait à sa lettre un document indiquant les prix proposés « amendés » . M. Larouche a expliqué qu'il n'avait reçu le document faisant état des prix modifiés de la demanderesse qu'à 14h30 le 21 avril 1998, soit après avoir complété la pièce P-18, le document intitulé « Enquête de soumission » . Donc, l' « Enquête de soumission » relative à la demanderesse n'a pas tenu compte de ses prix révisés. Par ailleurs, M. Larouche a expliqué qu'il avait néanmoins regardé l'impact des nouveaux prix de la demanderesse, afin de déterminer si ces prix modifiaient la classification à laquelle il en était arrivé. M. Larouche a témoigné que les prix révisés de la demanderesse ne changeaient rien aux résultats obtenus. Malgré ses prix révisés, la demanderesse terminait tout de même au troisième rang.

[13]            Suite à la modification de ses prix, le prix soumissionné par Transport Lavoie passait de 1 810 188,64$, à 1 802 063,62$. Je note que Transport Y.N. Gonthier Inc. a


aussi modifié le prix de sa soumission, ce dernier étant réduit de 1 872 000,00$ à

1 835 464,00$.

[14]            M. Larouche a expliqué que le but de l'évaluation était de déterminer laquelle des soumissions offrait le meilleur rapport qualité/prix. Selon M. Larouche, suite à l'évaluation qu'il avait faite des quatre soumissions, celle de Transport Y.N. Gonthier Inc. était celle qui rencontrait le mieux ce critère. Par conséquent, M. Larouche a recommandé à ses supérieurs l'octroi du contrat à Transport Y.N. Gonthier Inc.

[15]            La position de la demanderesse est fort simple. Elle prétend que la demande de proposition de la défenderesse étant un appel d'offre « public » , cette dernière ne pouvait, suite à l'ouverture des soumissions, s'engager dans un processus de négociations avec certains des soumissionnaires. Il va sans dire que la demanderesse conteste vigoureusement le droit de la défenderesse de procéder, comme elle l'a fait, à une évaluation des soumissions et des soumissionnaires pour déterminer lequel des soumissionnaires se verrait octroyer le contrat.

[16]            Quant à la défenderesse, sa position est à l'effet qu'elle a respecté en tous points les conditions clairement énoncées dans sa « Demande de proposition » datée le 25 mars 1998. La défenderesse me réfère à certaines des conditions apparaissant dans son document, et plus particulièrement, les suivantes:

-          le fait qu'elle pouvait, suite à l'ouverture des soumissions, choisir un ou plusieurs « répondants » aux fins de négociations;


-          le fait que le contrat serait attribué au « répondant » qui, de son avis et à sa seule discrétion, serait le « mieux disant et capable » d'exécuter ses engagements contractuels;

-          le fait qu'elle se soit réservée le droit de rejeter toute soumission, même la plus basse, si elle était d'avis qu'il en était de l'intérêt public ou de son propre intérêt de le faire.

[17]            À mon avis, les prétentions de la défenderesse sont bien fondées. J'en viens à cette conclusion pour les motifs suivants.

[18]            Au paragraphe 20 de sa déclaration, la demanderesse allègue que la défenderesse a commis une faute relativement à l'octroi du contrat de transport à l'égard duquel elle a sollicité des demandes de proposition. En premier lieu, la demanderesse allègue que la défenderesse était de mauvaise foi. En second lieu, la demanderesse allègue que la défenderesse a commis une faute en ce qu'elle s'est engagée, suite à l'ouverture des soumissions, dans des négociations avec quatre des soumissionnaires. Cet allégué se retrouve au paragraphe 14 de la déclaration, et se lit comme suit:

14.           Sans limiter la généralité de ce qui précède, la demanderesse soumet respectivement que la demanderesse a outre-passé ses pouvoirs et commis une faute en invitant certains de ses soumissionnaires à réviser les prix contenus à leur proposition originale, ce qui, de toute évidence, est contraire aux exigences de la bonne foi qui doit régir toute relation contractuelle et qui enfreint le principe d'égalité entre soumissionnaires qui doit notamment régir les relations entre toute entreprises et les sociétés mandataires de la Couronne, tel la défenderesse.

[19]            Puisqu'il n'y a pas de preuve concernant la mauvaise foi de la défenderesse, le premier allégué de la demanderesse doit être rejeté. Quant au deuxième allégué, il ne peut réussir que dans la mesure où la demanderesse a raison de prétendre que la défenderesse s'était engagée dans un processus de soumissions publiques. À mon avis, à la lumière de la preuve, et plus particulièrement de la pièce P-1, soit la

« Demande de proposition » datée le 25 mars 1998, que la défenderesse faisait parvenir à 28 entreprises de transport, il ne peut faire de doute que la défenderesse ne s'était nullement engagée dans un processus d'appel d'offres public. Dans un article intitulé « L'adjudication des contrats par voie d'appel d'offres » [2], Me Pierre Daviault explique ce type de processus en ajoutant qu'en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires l'imposant, un organisme public peut procéder autrement:

2.1           Le principe

L'appel d'offre public a pour objet de rejoindre en même temps tous ceux qui désirent contracter avec l'Administration publique. L'idée est d'obtenir un vaste éventail de personnes compétentes et disposant de l'expertise recherchée, tout en suscitant une plus grande concurrence. D'où la nécessité de publier un avis dans les journaux. Cette procédure a donc un double effet sur la liberté contractuelle de l'administration publique puisqu'elle affecte à la fois le choix de ceux à qui elle désire offrir de contracter et celui de cocontractant. Conséquemment, considérant l'importance de la liberté contractuelle en droit commun des contrats, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires l'imposant, l'administration publique n'est pas tenue de procéder par voie de soumissions publiques. Elle peut opter pour l'appel d'offres sur invitation, c'est-à-dire choisir de n'inviter à soumissionner que certaines personnes. [le souligné est le mien]


[20]            Avant d'aller plus loin, il est important de noter que la loi constitutive de la défenderesse, soit la Loi sur la Société canadienne des postes, R.C.S. 1985, ch. C-10, n'exige pas que la défenderesse procède par voie d'appel d'offres public. Par conséquent, la défenderesse pouvait procéder, à sa discrétion, comme elle l'a fait en l'instance, par voie d'appel d'offres sur invitation.

[21]            L'invitation à soumissionner que faisait parvenir la défenderesse aux entreprises de transport le 20 mars 1998 ne comporte aucune ambiguïté. Le document prévoit que la défenderesse peut, suite à l'ouverture des propositions, s'engager dans un processus de négociation avec un ou plusieurs des soumissionnaires. Le document prévoit aussi que la défenderesse peut rejeter toute offre, incluant la plus basse, si, de son avis, l'intérêt public ou son propre intérêt le requiert. Finalement, le document prévoit que le contrat sera attribué à celui des soumissionnaires qui, de l'avis de la défenderesse, et à sa seule discrétion, saura le mieux « respecter ses engagements contractuels » . Par conséquent, je n'ai absolument aucun doute que le processus utilisé par la défenderesse en l'instance n'en n'était pas un d'appel d'offres public. La défenderesse avait donc pleine liberté contractuelle d'octroyer le contrat au soumissionnaire qui, à son avis, était le plus apte à remplir ses obligations contractuelles.


[22]            La jurisprudence et la doctrine sont unanimes en ce qui a trait au pouvoir d'un organisme public, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires l'obligeant à procéder par voie de soumissions publiques, de procéder comme s'il s'agissait d'une entreprise privée. Dans Arneg Canada Inc. c. La Fédération des Commissions scolaires du Québec, Cour supérieure du Québec, No: 200-05-006651-975, en date du 14 mai 1999, le juge Blanchet, aux pages 5 à 7 de ses motifs, s'exprimait comme suit:

DÉCISION

Dans la mise en oeuvre du projet placé sous sa responsabilité, la Fédération n'avait aucune obligation de recourir ni à la procédure de soumissions publiques, ni même à celle de l'appel d'offres sur invitation. Il lui était loisible, au même titre qu'une entreprise privée, d'exiger un produit spécifique et de contracter, même de gré à gré, avec le fournisseur de son choix.

Dans Contrats des organismes publics québécois, les auteurs Girous et Lemieux font observer que:

"En vertu du principe de la liberté contractuelle, un organisme public qui n'est pas assujetti à l'obligation de procéder par appel d'offres pour l'adjudication d'un contrat, disposera de la plus entière discrétion pour choisir son contractant et, le cas échéant, pourra avoir recours volontairement à l'appel d'offres".

S'‘autorisant d'une jurisprudence constante, les auteurs ajoutent:

"S'il choisit de procéder par appel d'offres, il ne sera pas nécessairement assujetti aux règles qui seraient autrement obligatoires dans le cas où l'appel d'offres lui est imposé. Ainsi en est-il des dispositions concernant le contenu de l'avis, du délai entre l'avis et le dépôt des soumissions, de l'ouverture des soumissions et même de la règle de l'adjudication au plus bas soumissionnaire (...) puisque le processus est alors laissé à la discrétion de l'organisme public comme s'il s'agissait d'une entreprise privée"

Ainsi, en l'espèce, la Fédération avait le droit le plus absolu d'écarter même la règle de l'adjudication au plus bas soumissionnaire, applicable en matière de soumissions publiques, ce qu'elle a fait par cette stipulation non équivoque inscrite en première page des "Instructions aux soumissionnaires":

"La FECQ ne s'engage à accepter ni la plus basse ni aucune des soumissions reçues et ouvertes. Elle se réserve également le droit de les retenir en tout ou en partie.:

La légalité d'une réserve de cette nature, même dans le contexte plus rigoureux d'un processus de soumissions publiques, est depuis longtemps reconnue dans notre droit.


Ainsi, dans l'hypothèse où la demanderesse aurait elle-même déposé la plus basse soumission conforme, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la Fédération serait demeurée parfaitement libre d'user de sa discrétion pour octroyer le contrat au soumissionnaire offrant à ses yeux le meilleur produit et les meilleures garanties. La réserve stipulée dans l'appel d'offres la place à l'abri de tout recours par l'un quelconque des soumissionnaires, à moins d'une preuve démontrant clairement qu'elle a fait montre de discrimination ou de mauvaise foi à l'endroit de l'un d'eux ou que son choix s'est exercé sur des bases arbitraires, abusives ou frauduleuses.

Or, en l'espèce, outre le fait que la demanderesse n'avait déposé elle-même aucune soumission auprès de la Fédération, il appert que la soumission de son distributeur, Aubin Réfrigération, occupait le second et dernier rang des offres reçues sous cette rubrique de l'appel d'offres, et cela encore par une marge appréciable, même après un ajustement par pondération effectué en fonction du pourcentage de contenu québécois de son produit.

[...]

Enfin, au delà des allégations de l'action et du témoignage du représentant de la demanderesse, qui prétend avoir été "tassé" par la Fédération, rien dans la preuve ne permet de conclure, voire même d'insinuer, que le choix exercé par la Fédération et ses représentants ait pu être dicté par des considérations autres que celle du meilleur intérêt des commissions scolaires représentées et de leurs contribuables.

[23]            Dans un article intitulé L'Adjudication des contrats municipaux par voie de soumissions[3], l'auteur André Langlois, aux pages 87 et 88 de son article, émet le commentaire suivant concernant l'obligation d'un organisme public de procéder par voie d'appel d'offres public:

Ce type de contrat n'étant pas couvert par l'obligation de recourir aux soumissions, l'organisme municipal n'a pas à obtenir l'autorisation du ministres des Affaires municipales pour octroyer le contrat à un autre que celui qui a déposé la soumission la plus basse ou la plus haute, selon les circonstances; il possède donc une grande discrétion pour choisir son contractant. Il pourrait même effectuer une négociation avec l'un des soumissionnaires.


[24]            Finalement, dans Groupe Sofidal Inc. c. Commission scolaire de St-Eustache, C.S. Terrebonne, 700-05-002097-917, décision rendue le 27 novembre 1991, le juge Roland Durand de la Cour supérieure du Québec, s'appuyant sur la doctrine, conclus qu'un organisme public, à moins d'y être obligé par sa loi constitutive, n'est pas soumis aux règles strictes de l'appel d'offres. Aux pages 10 et 11, le juge Durand s'exprime comme suit:

La Commission n'était pas obligée d'aller en appel d'offres, mais puisqu'elle l'a fait, volontairement, est-elle soumise aux règles strictes d'un tel appel? La réponse est non.

Le professeur Giroux écrit, dans son ouvrage Contrat des organismes publics québécois:

En vertu du principe de la liberté contractuelle, un organisme public qui n'est pas assujetti à l'obligation de procéder par appel d'offres pour l'adjudication d'un contrat, disposera de la plus entière discrétion pour choisir son cocontractant et, le cas échéant, pourra avoir recours volontairement à l'appel d'offres. S'il choisit de procéder par appel d'offres, il ne sera pas nécessairement assujetti aux règles qui seraient autrement obligatoires dans le cas où l'appel d'offres lui est imposé. Ainsi en est-il des dispositions concernant le contenu de l'avis, du délai entre l'avis et le délai des soumissions, de l'ouverture des soumissions et même de la règle de l'adjudication au plus bas soumissionnaire.[références omises], puisque le processus est alors laissé à la discrétion de l'organisme public comme s'il s'agissait d'une entreprise privée.

[25]            Je suis satisfait qu'en l'instance, la défenderesse s'est conformée en tous points aux conditions de sa « Demande de proposition » . Puisque rien dans la preuve ne me permet de conclure que la défenderesse a soit agi « illégalement » ou commis une faute relativement à l'octroi du contrat de transport à Transport Y.N. Gonthier Inc., l'action de la demanderesse sera rejetée avec frais.


[26]            Je m'empresse d'ajouter que, de plus, la demanderesse ne m'a pas convaincu qu'elle aurait obtenu le contrat n'eut été de la faute qu'elle reproche à la défenderesse. Dans sa déclaration, au paragraphe 21, la demanderesse ne fait qu'alléguer que sa soumission « aurait pu ... être retenue au terme du processus P-1 » . Donc, à mon avis, la demanderesse n'a pas établi un lien causal entre la faute alléguée et les dommages réclamés.

[27]            Vu la possibilité d'un appel de ma décision, je vais maintenant m'adresser aux dommages réclamés par la demanderesse. Tel que je l'ai déjà indiqué, la demanderesse réclame la somme de 144 009,00$, qu'elle calcule comme suit[4]:

ligne

1èreann ée     2e année      3e année      4e année      5e année      Total

Revenus       356 602        358 385        360 177        363 779        367 416        1 806 359

Coûts des opérations:

-Location de

   Remorques 106 200        106 200        106 200        106 200        106 200           531 000

-Salaires et

   avantages

   sociaux     104 680        104 680        104 680        104 680        104 680           523 400

- Essence      51 250       51 250       51 250       51 250       51 250          256 250

-Entretien et

   réparation 57 340       57 340          57,340         57 340         57 340         286 700

- Frais

   d'assurance            7 000         7 000         7 000         7 000         7 000          35 000

- Licences         6 000         6 000         6 000         6 000         6 000          30,000

332 470        332 470        332 470        332 470        332 470        1 662 350

Perte de

profits              24 132       25 915              27 707       31 309              34 946          144 009

ligne


[28]            Chacune des parties a fait entendre un témoin expert. Pour la demanderesse, M. Marc Bélanger, comptable agréé, a déposé un rapport en réplique, daté le 6 novembre 2001, et à l'égard duquel il a témoigné. Pour la défenderesse, M. Laurent Després, aussi un comptable agréé, a déposé deux rapports, le premier étant daté le 10 juillet 2000 et le deuxième, le 9 avril 2001. De plus, M. Després, lors de l'audition, a déposé un dernier calcul des dommages qu'aurait subis, selon lui, la demanderesse, soit la pièce D-26. Selon M. Després, la perte de profits subie par la demanderesse se chiffre à 14 194,00$.

[29]            Le litige concernant les dommages réclamés par la demanderesse résulte principalement du fait que la demanderesse n'a déduit aucune somme, au chapitre de « Coûts des opérations » pour ses frais d'administration. M. Després, dans son calcul des dommages de la demanderesse (pièce D-26), attribue sous ce chef un montant de 108 382,00$ pour la période du contrat, soit cinq ans. Aux pages 10 et 11 (paragraphe 4.3) de son rapport du 10 juillet 2000, M. Després explique pourquoi il en est arrivé à cette somme:

Aucun frais d'administration n'ont été considérés par la demanderesse dans le calcul de sa réclamation. Or, au sommaire du calcul de sa proposition (engagement no 2), on peut constater qu'un montant de 20 000 $ par année correspondant à environ 6 % du contrat avait été retenu pour les coûts attribuables aux frais fixes d'administration tels que les taxes (autres que les taxes de vente), les garanties, le loyer ainsi que les autres frais administratifs. La demanderesse considérait donc que l'obtention de ce contrat entraînerait une augmentation de ses frais d'administration. Nous avons donc considéré ces frais selon la même base de calcul que celle utilisée par la demanderesse lors du calcul de sa proposition.

Les montants attribuables aux frais d'administration sont les suivants:

   1998-1999

   1999-2000

2000-2001

   2001-2002

2002-2003

   356 602 $ * 6 %

   358 385 $ * 6 %

   360 177 $ * 6 %

   363 779 $ * 6 %

   367 416 $ * 6 %

    21 396

    21 503

    21 611

    21 827

    22 045

$

1 806 359 $ * 6 %

   108 382

$

[30]            Tel que l'indique M. Després, la demanderesse, dans le calcul de sa soumission, a tenu compte d'une somme de 20 000,00$ par année pour ses frais d'administration, ce montant représentant environ 6 % des revenus qu'aurait générés le contrat de la défenderesse.

[31]            M. Bélanger, l'expert de la demanderesse, est en désaccord avec M. Després. Selon lui, l'obtention du contrat de la défenderesse n'aurait pas entraîné une augmentation des frais d'administration de la demanderesse, vu la simplicité de la gérance de ce contrat. Au soutien de son argument, M. Bélanger souligne le fait que les frais d'administration de la demanderesse diminuaient malgré une augmentation de son chiffre d'affaires.

[32]            À mon avis, un somme représentant environ 6 % « du contrat » n'est nullement déraisonnable. En premier lieu, c'est ce que la demanderesse a considéré raisonnable lors du calcul de la soumission qu'elle a fournie à la défenderesse. En second lieu, les revenus qu'aurait produits le contrat de la défenderesse auraient représentés environ     7 % du revenu global de la demanderesse. Par conséquent, je suis d'avis que la somme de 108 390,00 $, attribuée par M. Després aux frais d'administration, est tout à fait raisonnable et je l'accepte.

[33]            Cette déduction réduit donc la réclamation de la demanderesse à la somme de 35 627,00 $. Puisque M. Després conclut que la demanderesse aurait droit à la somme de 14 1984,00 $, l'écart entre les parties n'est que de 21 433,00 $.


[34]            Tel que je l'ai indiqué plus tôt, le calcul de la réclamation que j'ai reproduit au paragraphe 27 de mes motifs n'est pas celui de M. Bélanger. Ce dernier, dans son rapport du 6 novembre 2001, reprend le calcul de la demanderesse, ainsi que celui de M. Després, et conclut à une perte de profits de 152 380,00 $. Dans son rapport, M. Bélanger répliquait, inter alia, au rapport de M. Després en date du 9 avril 2001. Dans son rapport, à l'endos de la page 4, M. Després reproduisait le calcul effectué par la demanderesse ainsi que son propre calcul (Tableau 2). En date du 9 avril 2001, M. Després concluait que la demanderesse, si elle avait obtenu le contrat de la défenderesse, aurait subi une perte financière de (153 741,00 $).

[35]            Lors du procès, M. Després a déposé un nouveau calcul modifiant celui qu'il avait fait lors de son rapport du 9 avril 2001. Selon ce calcul (nouveau Tableau 2, pièce D-26), la perte de profits la demanderesse se chiffre à 14 194,00 $. Suite au dépôt de la pièce D-26, les experts divergeaient d'opinion uniquement en ce qui avait trait aux items concernant essence, entretien et réparation, et frais d'administration.

[36]            J'ai déjà disposé de l'item « frais d'administration » et, par conséquent, il ne reste que les items « essence » et « entretien et réparation » . Pour l'item « essence » , M. Bélanger était d'avis que le coût réel se chiffrait à 301 121,00 $, soit un montant de 30 527,00 $ inférieur à celui calculé par M. Després (331 648,00 $). Quant à l'item

« entretien et réparation » , M. Bélanger était d'avis que le coût réel se chiffrait à

245 845,00 $, soit 725,00 $ de plus que le coût calculé par M. Després.


[37]            La divergence d'opinion concernant l'item « essence » est fort simple. M. Després a calculé cette dépense, comme l'explique M. Bélanger, en utilisant un ratio moyen entre le coût de l'essence et le chiffre d'affaires extrait des états financiers, qu'il a pondéré pour les années 1996 à 1999. M. Després en est arrivé à un ratio de 18.36%. Quant à M. Bélanger, ce dernier a aussi utilisé la méthode du pourcentage du chiffre d'affaires, mais pour les années 1998 et 1999 seulement. Il en est dès lors arrivé à un pourcentage de 16.67%. Puisque le contrat devait débuter le 1er juillet 1998 et qu'il devait se terminer le 30 juin 2003, je préfère l'approche de M. Bélanger, à savoir d'utiliser les années 1998 et 1999, plutôt que de tenir compte des années 1996 et 1997. Par conséquent, j'accepte le pourcentage suggéré par M. Bélanger, soit 16.67%.

[38]            Je conclus donc que les dommages qu'aurait subis la demanderesse se chiffrent à 35 627,00 $.

   

                                                                                               Marc Nadon

ligne

                                                                                                             Juge

  

O T T A W A (Ontario)

le 28 mai 2002


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

  

DOSSIER :                 T-2032-98

INTITULÉ :              TRANSPORT LAVOIE LTÉE. c. SOCIETÉ                                                                               CANADIENNE DES POSTES

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                              26 et 27 NOVEMBRE, 2001

MOTIFS ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                     28 MAI 2002

   

COMPARUTIONS :

ME. MARCEL GERVAIS                                               POUR LE DEMANDEUR

ME. FRANÇOIS BIENJONETTI                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BROCHET DUSSAULT LAROCHELLE        POUR LE DEMANDEUR

Québec, Québec

HEENAN BLAIKIE AUBUT                                        POUR LE DÉFENDEUR

Québec, Québec



[1]            Dans sa déclaration déposée le 28 octobre 1998, la demanderesse réclamait la somme de 200 000,00$ à titre de dommages et intérêts. Au début du procès, la demanderesse, par amendement verbal, a réduit le quantum de sa réclamation à 144 009,00$.

[2]            Développements récents en droit scolaires (1994), Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Les éditions Yvon Blais Inc., Cowansville (Québec), p. 77.

[3]            2e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville (Québec).

[4]            Ce tableau représente le calcul effectué par la demanderesse, et non le calcul effectué par son expert, M. Bélanger.

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