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Date : 20050706

Dossier : IMM-6910-04

Référence : 2005 CF 944

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER                               

ENTRE :

MOHAMMAD SALAH

(aussi connu sous le nom de Mohammad Y. Salah)

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Mohammad Salah est un apatride d'origine palestinienne. Bien qu'il n'ait jamais résidé en Jordanie, il est titulaire d'un passeport jordanien qui lui permet de vivre et de voyager dans ce pays. Il est né en Égypte et a vécu dans ce pays de 1983 à 2000 en vertu d'un permis de résidence. En 2000, il s'est rendu aux États-Unis pour y chercher des possibilités d'emploi. Son permis de résidence égyptien ayant expiré pendant son séjour aux États-Unis, il n'a plus le droit de retourner en Égypte. Il est arrivé au Canada le 4 août 2003 et a demandé l'asile peu de temps après. Dans une décision datée du 10 juin 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]         Les questions suivantes sont soulevées en l'espèce :

1.       La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demande du demandeur devait être examinée au regard de la Jordanie seulement?

2.       La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'impossibilité, pour le demandeur, de travailler légalement en Jordanie ou en Égypte n'équivalait pas à de la persécution?

ANALYSE

Question no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la demande du demandeur devait être examinée au regard de la Jordanie seulement?


[3]         La définition de « réfugié au sens de la Convention » énoncée à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), englobe les personnes qui n'ont pas de nationalité et qui ne peuvent ou ne veulent retourner dans le pays dans lequel elles avaient leur résidence habituelle parce qu'elles craignent avec raison d'y être persécutées pour l'un des motifs prévus par la Convention. Il est également question du pays de résidence habituelle antérieure dans la définition de « personne à protéger » à l'article 97 de la LIPR.

[4]         Malgré le fait que sa preuve ne concerne que la Jordanie, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en examinant sa demande uniquement au regard de ce pays. À son avis, la Jordanie ne peut constituer un pays de résidence habituelle antérieure puisqu'il n'y a jamais vécu. Le demandeur semble principalement faire valoir que la Commission avait l'obligation d'examiner sa demande au regard de ses [traduction] « véritables » pays de résidence habituelle, même s'il n'en a identifié aucun en particulier.

[5]         Dans les quelques décisions qu'elle a rendues sur la question, la Cour a défini la « résidence habituelle » comme une relation avec un État comparable à celle qui existe entre un citoyen et son pays de nationalité. De plus, la personne doit établir une résidence de facto pendant une longue période dans le pays en question (Kadoura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1328 (C.F. 1re inst.)). Si l'on tient compte du sens ordinaire de « résidence habituelle » et de la jurisprudence, il n'est pas certain que la Jordanie constitue un pays de résidence habituelle antérieure du demandeur et que la Commission devait examiner sa demande au regard de ce pays.


[6]         La question importante qui se pose du point de vue du demandeur n'est pas de savoir si la Commission avait l'obligation d'examiner sa demande au regard de la Jordanie, mais plutôt si, en accordant toute son attention à la Jordanie, la Commission a omis de tenir compte de ses [traduction] « véritables » pays de résidence habituelle. À mon avis, elle ne l'a pas fait. Le demandeur a mentionné deux pays dans son Formulaire de renseignements personnels : la Jordanie et l'Égypte. Bien que la Commission traite principalement de la Jordanie dans ses motifs, il ressort de la décision et du dossier qu'elle a également tenu compte des raisons invoquées par le demandeur pour expliquer son départ de l'Égypte (où il a résidé durant 17 ans). La transcription indique en particulier que la Commission a interrogé le demandeur au sujet de l'Égypte et a entendu son témoignage sur ce pays. Si la Commission avait décidé de ne pas considérer l'Égypte comme un pays de référence, elle n'aurait pas eu besoin d'entendre le témoignage du demandeur sur les raisons qui l'ont poussé à quitter ce pays et sur les raisons pour lesquelles il n'a pas renouvelé son permis de résidence avant sa date d'expiration.

[7]         Le demandeur a indiqué dans son témoignage qu'il avait travaillé illégalement dans l'entreprise de son oncle en Égypte. Lorsque cette entreprise a fermé, il est allé aux États-Unis pour chercher un emploi. Il a dit également qu'il ne pouvait pas retourner en Égypte parce que son permis de résidence avait expiré pendant qu'il vivait aux États-Unis. Se fondant sur cette preuve, la Commission a conclu que le demandeur avait quitté l'Égypte parce qu'il [traduction] « cherchait à avoir une vie meilleure aux États-Unis » et non parce qu'il craignait avec raison d'être persécuté. De même, il ressort clairement de la preuve que le demandeur n'a pas quitté l'Égypte pour un motif prévu par la Convention et qu'il ne lui était pas interdit de retourner dans ce pays pour un tel motif. En fait, il n'avait plus de statut en Égypte parce qu'il avait omis de renouveler son permis de résidence pendant qu'il était à l'étranger. Comme le juge Gibson l'a dit dans Arafa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1286 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8 :


... n'est pas réfugiéau sens de la Convention n'importe quel apatride. Pour qu'un apatride qui est en dehors du pays où il avait sa résidence habituelle et qui ne peut pas retourner dans ce pays soit un réfugié au sens de la Convention, il doit se trouver dans cette situation parce qu'il craint avec raison dtre persécuté pour au moins l'un des motifs mentionnés dans la définition.

[8]         À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n'avait pas quitté lgypte pour un motif prévu par la Convention ou qu'il ne lui était pas interdit d'y retourner pour un tel motif. En outre, la Cour n'a aucune raison d'intervenir puisque la Commission a examiné la demande au regard des deux pays mentionnés par le demandeur dans son Formulaire de renseignements personnels et dans son témoignage.

Question no 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'impossibilité, pour le demandeur, de travailler légalement en Jordanie ou en Égypte nquivalait pas à de la persécution?

[9]         Le demandeur soutient que, si la Jordanie était un pays de résidence habituelle, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que son impossibilité d'y travailler légalement nquivalait pas àde la persécution. Dans ses prétentions orales, il a aussi parlé du fait qu'il ne pouvait pas non plus travailler en Égypte.


[10]       Des limitations strictes du droit de gagner sa vie et l'ingérence systématique du gouvernement dans les possibilités d'emploi peuvent, dans certaines circonstances, être de la nature de la persécution (Xie c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 286 (C.F. 1re inst.)). Cependant, contrairement à ce qui s'est passé dans cette affaire, le demandeur en l'espèce n'a pas produit de preuve du fait qu'il ne pourrait pas travailler en Jordanie. Il n'a jamais essayé de trouver du travail dans ce pays et n'a pas produit de témoignages de Palestiniens se trouvant dans la même situation que lui qui se sont vu refuser du travail. Dans ces circonstances, j'estime que la Commission pouvait conclure que le demandeur ne craignait pas avec raison dtre persécuté en Jordanie.

[11]       En ce qui concerne lgypte, le demandeur n'a présenté aucune preuve démontrant que le fait qu'il ne pouvait pas travailler légalement en Égypte équivalait à de la persécution, même s'il a vécu dans ce pays durant longtemps. En fait, il a indiqué dans son témoignage qu'il avait travaillé en Égypte au moins durant les trois dernières années qu'il avait passées dans ce pays. La Commission a conclu, sans toutefois le dire expressément, que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer que ses difficultés à travailler en Égypte équivalaient àde la persécution.

[12]       Par conséquent, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

CONCLUSION

[13]       En résumé, la Commission a examiné avec soin la preuve dont elle disposait. Il ressort de cette preuve, qui a été produite par le demandeur dans sa demande à la Commission et dans son témoignage, qu'il est un apatride voulant, pour des raisons économiques, quitter le pays où il résidait. Il a énoncé clairement cet objectif général dans lchange qui suit :

[traduction]


LE REVENDICATEUR : Ce que j'aimerais dire, ce que je demande, c'est une belle vie, pas plus. Je suis un être humain comme les autres. Ce n'est pas ma faute si je suis Palestinien, personne ne peut choisir son identité, sa date de naissance, son père, sa mère.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Vous dites donc que votre désir dtre ici est motivé en partie par des raisons économiques?

LE REVENDICATEUR : Oui, et je veux que la question de mon statut soit réglée...

[14]       Malheureusement pour le demandeur, le régime de protection des réfugiés prévu par la LIPR et les conventions internationales n'ont pas pour objet de donner à des personnes un moyen de trouver une vie plus stable ou plus désirable, mais plutôt, comme la Cour d'appel l'a dit dans Akthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 32 (C.A.F.), au paragraphe 18, « d'offrir un abri sûr à ceux qui craignent avec raison dtre persécutés dans leur pays d'origine » . Or, le dossier révèle en l'espèce que le demandeur ne satisfait pas à ce critère en ce qui concerne lgypte ou la Jordanie.

[15]       Le demandeur a proposé la question suivante à des fins de certification :

Un pays dans lequel une personne n'a jamais résidé peut-il être un pays de référence?

[16]       À mon avis, cette question n'est pas déterminante en l'espèce puisque la Commission a examinéla preuve présentée par le demandeur au regard de la Jordanie et au regard de lgypte.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.       aucune question de portée générale n'est certifiée.

          « Judith A. Snider »          

          Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            IMM-6910-04

INTITULÉ:                                                             MOHAMMAD SALAH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE 28 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                          LE 6 JUILLET 2005

COMPARUTIONS:

Michael Romoff                                                      POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Makepeace, Romoff                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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