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Date : 20050920

Dossier : IMM-10396-04

Référence : 2005 CF 1296

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

MIRIAN MARLENE AYALA SARAVIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                               

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         Mirian Marlene Ayala Saravia est citoyenne du Salvador; elle demande le statut de réfugiée au sens de la Convention et de personne à protéger. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision de rejet rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).

[2]         En l'espèce, la question déterminante est la suivante : l'interprétation assurée devant la Commission a-t-elle été adéquate? Les avocats des parties conviennent que le droit exige que l'interprétation soitcontinue, fidèle, impartiale, concomitante et faite par une personne compétente. Voir : Mohammadian c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 85 (C.A.). Cela ne veut pas dire que l'interprétation doit être parfaite. Dans l'arrêt Mohammadian, la Cour d'appel a expressément suivi les observations qu'avait formulées le juge Lamer, alors juge en chef, dans l'arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, à la page 987 : « l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans des circonstances idéales » .

[3]         Comme l'audience ne peut être équitable que si l'interprétation est adéquate, les avocats des parties conviennent aussi qu'une analyse pragmatique et fonctionnelle n'est pas nécessaire. C'est à la Cour qu'il revient de décider si l'audience s'est déroulée dans le respect des exigences d'équité procédurale et des droits garantis par l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[4]         L'avocat du ministre a fait valoir que, lorsque l'intervention d'un interprète est nécessaire, il est impératif que tous les intéressés sachent qu'ils doivent s'exprimer avec des phrases courtes, parler lentement, se servir de termes ou d'expressions de rechange lorsqu'un terme ou une expression n'est pas compris ou n'est pas facilement traduisible et, de manière générale, agir de bonne foi; j'abonde dans son sens. Les avocats ne doivent pas chipoter sur des banalités sémantiques et tenter de faire feu de tout bois. Cependant, en dépit des arguments intéressants de l'avocat du ministre, l'avocat de Mme Saravia, par ses arguments non moins habiles, m'a convaincue que, en l'espèce, les problèmes d'interprétation étaient d'une dimension plus importante.

[5]         Par exemple, la deuxième interprète fournie à l'audience a eu beaucoup de mal à traduire des termes comme « conduite » , « charge » , « points de suture » , « sobre » , « vérification » , « saisie » et « renonciation » . Des éléments de fond ont été omis relativement à des observations portant sur la guerre en Iraq et à l'attaque dont aurait été victime Mme Saravia et qui aurait été perpétrée par des membres d'une bande criminelle organisée. (Comme ces omissions et d'autres problèmes ont été signalés par l'avocat à l'audience, aucune question de renonciation ne se pose). Dans la transcription, à partir de la page 10, c'est-à-dire dès l'arrivée de la deuxième interprète, jusqu'à la page 48, on constate que l'interprète a eu des difficultés à comprendre l'intervenant (souvent le président de l'audience lorsqu'il posait des questions à Mme Saravia), ou à traduire ses déclarations : voir aux pages 12 à 15, 20 à 22, 24, 26, 28, 31, 35 à 39, 41, 42, 44, 46 et 47.

[6]         En l'espèce, je ne peux pas conclure que l'interprétation a été continue, fidèle, et qu'elle a été faite par une personne compétente. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

[7]         Avant de décerner l'ordonnance, je voudrais dire que je suis consciente des difficultés auxquelles l'interprète a fait face. Premièrement, l'audience a été tenue par vidéoconférence. Le président de l'audience et l'interprète étaient à Montréal, tandis que la demanderesse et son avocat étaient à Toronto. Dès le début, l'interprète a signalé l'écho causé par l'équipement de transmission de la conférence et a dit qu'il allait être « difficile » de traduire. Deuxièmement, il a fallu demander à plusieurs reprises au président de l'audience, aux avocats et à Mme Saravia de s'exprimer avec des phrases plus courtes et de donner plus de temps à l'interprète. Troisièmement, le président de l'audience a lui-même reconnu que les choses étaient « difficiles » parce qu'il [TRADUCTION] « disait beaucoup de choses en anglais » . Quatrièmement, l'avocat de Mme Saravia (pas M. Kranc qui l'a représentée devant la Cour fédérale) a été remarquablement incapable d'aider l'interprète en lui donnant des synonymes. L'extrait suivant illustre bien son attitude :

[TRADUCTION]

L'AVOCAT (au président de l'audience)

-            Au lieu de pouvoir présenter les meilleurs arguments en premier, et plus précisément, j'ai dit que dans un cas comme celui-ci alors qu'elle a la charge de la preuve, elle doit prouver qu'elle est en danger. C'est elle qui a la charge de la preuve.

L'AVOCAT (à l'interprète)

-                Ce n'est pas la marge, je regrette. Vous devriez consulter un dictionnaire, madame.

R.              Vous dites marge de la preuve.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE (à l'interprète)

-                Non, charge.

L'AVOCAT (à l'interprète)

-                Charge. Charge.

R.              Charge, d'accord.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE (à l'interprète)

-                Le fardeau de la preuve.

R.              D'accord.

-                Dites-le différemment.

L'INTERPRÈTE (à l'avocat)

-                Eh bien, donc, si vous vous exprimez correctement, je serai capable de vous comprendre, alors.

R.              Insinuez-vous que je ne parle pas bien anglais, madame? Est-ce cela que vous insinuez?

-                Non, je veux simplement dire...

[8]         Je suis d'avis que les avocats doivent faire preuve de plus de coopération et de retenue.

[9]         Il faut féliciter l'interprète parce qu'elle a su reconnaître les difficultés auxquelles elle a fait face et arrêter le déroulement de l'instance afin de faire préciser ce qui avait été dit ou de traduire intégralement les déclarations faites. Cela dit, comme la qualité et l'équité de l'audience accordée à Mme Saravia donnent lieu à des doutes sérieux, la demande sera accueillie.

[10]       Les avocats n'ont pas demandé que soient certifiées des questions, et je conviens que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

ORDONNANCE

[11]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 3 décembre 2004 par la Section de la protection des réfugiés est annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour que celui-ci statue à nouveau.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10396-04

INTITULÉ :                                        MIRIAN MARLENE AYALA SARAVIA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Benjamin A. Kranc                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Ian Hicks                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kranc & Associés                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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