Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060529

Dossier : T-1831-04

Référence : 2006 CF 643

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

ANTUN UTOVAC

demandeur

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 14 septembre 2004 (la décision) par laquelle la personne désignée par l'administrateur général pour trancher les griefs de classification au ministère du Développement des ressources humaines du Canada (la personne désignée) a adopté la recommandation du Comité d'examen des griefs de classification (le Comité) de ne pas changer la classification du poste du demandeur (en la laissant au groupe et au niveau SI-03). Le demandeur, qui se représente lui-même devant la Cour, réclame une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire à un autre comité pour qu'il détermine la classification qui correspond au poste qu'il occupait antérieurement.

 

CONTEXTE

 

            Antécédents de travail

 

[2]               Le demandeur (M. Utovac) a travaillé comme agent de la statistique à la Direction générale des programmes de la sécurité du revenu au ministère du Développement des ressources humaines (le Ministère) de janvier 1981 jusqu'à sa retraite, le 24 décembre 2002. À compter du 15 juin 1995, son poste a été classé au niveau SI-03, dans le groupe Soutien des sciences sociales (SI). Sa description de travail a changé au gré des changements organisationnels, mais au moment des faits, ses fonctions comprenaient la fixation et l'indexation des taux de prestations de programmes de sécurité du revenu comme le Programme de la sécurité de la vieillesse (SV) et le Régime de pensions du Canada (RPC), qui concernent plus de 4,5 millions de prestataires sur tout le territoire canadien et dont la valeur oscille autour de 40 milliards de dollars par année.

           

            Différend concernant la classification

 

[3]               Le demandeur explique qu'entre août 1995 et mars 1997, il a exécuté des fonctions qui font que son poste relevait du groupe Économique, sociologie et statistique (ES). Il précise que, dans le cadre de ses fonctions, il a élaboré et exploité des bases de données statistiques et des modèles mathématiques en vue de produire de nouvelles structures tarifaires pour la SV et le RPC. Il estime qu'en raison de ces fonctions, son poste devrait être classé dans le groupe ES.

 

            Compétence en matière de classification des postes

 

[4]               En édictant la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la LGFP), le législateur a conféré au Conseil du Trésor la compétence sur la gestion du personnel de la fonction publique du Canada, et l'a notamment habilité, en vertu de l'alinéa 11.1(1)b), à pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique. En vertu du pouvoir d'établir son règlement intérieur que lui confère le paragraphe 5(4) de la LGFP, le Conseil du Trésor a élaboré le Manuel du Conseil du Trésor, pour s'assurer que « la valeur relative de tous les emplois au sein de la fonction publique soit établie de façon équitable, uniforme et efficace, aux fins de la rémunération des fonctionnaires ».

 

            Griefs de classification

 

[5]               L'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 [abrogée par L.C. 2003, ch. 22, art. 285] (la LRTFP) prévoit un système de règlement interne des griefs dans le cas des conflits de travail opposant un fonctionnaire et la fonction publique. Le chapitre 4 du Manuel du Conseil du Trésor intitulé « Politique sur les griefs de classification » (la Politique) prévoit la procédure de règlement des griefs que doivent suivre les employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l'employeur. L'examen de ces griefs doit se faire conformément à l'« Annexe B, Procédure de règlement des griefs de classification ».

 

            Grief du demandeur

 

[6]               Le 31 mars 1998, le demandeur a, en vertu de l'article 91 de la LRTFP, déposé un grief pour contester la description de travail et la classification de son poste. Le grief a été rejeté au troisième et dernier palier le 18 octobre 1999, après quoi le demandeur et le Ministère ont conclu un accord de médiation le 16 février 2000. Malgré le règlement du différend concernant la description de travail de son poste, le demandeur a déposé un autre grief devant le Comité. Les membres du Comité se sont réunis le 20 novembre 2003 et, le 18 février 2004, ont recommandé que le poste du demandeur soit reclassé au niveau SI-04.

 

            Première décision concernant le grief de classification

 

[7]               Le 10 mars 2004, la personne désignée a approuvé la première recommandation du Comité de reclasser le poste du demandeur au niveau SI-04. Mécontent de cette décision, le demandeur a saisi la Cour fédérale d'une demande de contrôle judiciaire, à la suite de quoi la personne désignée a annulé la première décision rendue le 25 mai 2004 au sujet du premier grief et a ordonné qu'un second comité tranche le grief.

 

Seconde décision concernant le grief de classification

 

[8]               Le second comité a convoqué le demandeur à une audience le 30 juin 2004, date à laquelle le demandeur s'est représenté lui-même en formulant verbalement des observations et en déposant à l'appui vingt-huit documents. Les membres du Comité se sont réunis le 6 juillet 2004 pour examiner la preuve du demandeur et pour interroger un représentant de la direction qui était le superviseur direct du demandeur au moment où son poste a été classé en juin 1995. Le 12 juillet 2004, le Comité a invité le demandeur à fournir par écrit, avant le 30 juillet 2004, son évaluation des postes repères de la norme ES Standard qui justifieraient sa classification proposée. Le 19 juillet 2004, le demandeur a réclamé une copie de la norme ES, ainsi que la description de travail de l'employé qui occupait son ancien poste. Les documents en question ont été communiqués au demandeur. Le 3 août 2004, le Comité a de nouveau communiqué avec le demandeur, qui a expliqué qu'il ne présenterait plus d'observations parce qu'il avait déjà fourni les éléments de preuve qui justifiaient la cotation d'emploi qu'il proposait. Dans le rapport sur le grief de classification qu'il a publié à la fin du mois d'août 2004, le Comité a recommandé que la classification du poste du demandeur demeure inchangée, au niveau SI-03.

 

            La décision à l'examen

 

[9]               Par lettre datée du 14 septembre 2004, la personne désignée a informé le demandeur de sa décision d'adopter la recommandation du Comité que la classification de son poste demeure inchangée, et qu'il continue à être classé dans le groupe et au niveau SI-03. Voici le texte intégral de cette décision :

[traduction]

 

Monsieur,

 

Le grief susmentionné a été examiné par un comité de classification constitué conformément aux exigences du chapitre 4 du Manuel du Conseil du Trésor.

 

Les membres du grief de classification estiment que c'est à juste titre que le poste REH-01276 faisant l'objet du grief a été classé dans le groupe et au niveau SI-03 à compter du 15 juin 1995. Voici la cote qui a été attribuée à chacun des facteurs applicables :

 

Connaissances et aptitudes :      Degré  Z3         166 points

Résolution de problèmes :                     B2        187

Rapports de travail :                              B1        052

Supervision :                                         Z0            0

Total :                                                               405 SI-03 (336-435)

 

J'approuve la recommandation du Comité ainsi que je l'ai déjà indiqué. Sachez que la présente décision est définitive et sans appel.

 

Pour votre information, vous trouverez ci-joint une copie du rapport du comité d'examen des griefs de classification.

 

 

[10]           Le demandeur a introduit une instance en contrôle judiciaire de cette décision en déposant un avis de demande le 12 octobre 2004.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[11]           Les lois applicables à la présente instance sont la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 [abrogée par L.C. 2003, ch. 22, art. 285], dont les passages pertinents sont reproduits à l'annexe A des présents motifs.

QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           La présente demande soulève trois questions litigieuses :

 

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                  Le Comité a-t-il manqué à son devoir d'équité procédurale en admettant des éléments de preuve qui n'avaient pas été divulgués au demandeur et auxquels celui-ci n'avait pas eu la possibilité de répondre et en ajoutant foi à ces éléments de preuve?

3.                  La classification au niveau SI-03 était-elle manifestement déraisonnable?

 

ANALYSE

 

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

 

                        Équité procédurale

 

[13]           L'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, de la Cour suprême du Canada consacre le principe que, lorsqu'une loi habilitante délègue des pouvoirs à un décideur administratif, le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire doit déterminer la norme de contrôle judiciaire en procédant à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Toutefois, dans l'arrêt Syndicat canadien des employés de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, la Cour suprême précise, au paragraphe 100, que les questions de justice naturelle et d'équité procédurale se rapportent au cadre procédural de la décision du délégué et qu'elles n'obligent pas le juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle applicable. Il appartient à la Cour de définir le contenu de l'obligation d'agir avec équité, laquelle constitue une question de droit qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

                        Décision sur le grief de classification

 

[14]           Dans l'affaire Adamidis c. Canada (Conseil du Trésor), (2006), 146 A.C.W.S. (3d) 278 (C.F.), le juge Phelan a estimé, en appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle de la décision rendue par un comité chargé de statuer sur le fond sur un grief de classification était celle de la décision manifestement déraisonnable. J'estime devoir souscrire pour l'essentiel au raisonnement du juge Phelan, qui explique ce qui suit, aux paragraphes 18 à 24 du jugement Adamidis :

 18. Dans une large mesure, je fais mienne l'analyse de la norme de contrôle applicable aux décisions d'un comité de classification qu'a faite le juge Blanchard dans Trépanier c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1601; 2004 CF 1326. Dans cette affaire, le juge Blanchard a conclu que la norme de contrôle applicable à l'égard du calcul d'un délai à respecter était celle de la décision manifestement déraisonnable.

 19      En ce qui concerne l'existence et la nature d'une clause privative, le paragraphe 96(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi) prévoit ce qui suit :

 

 

96. (3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

 

 

 

* * *

 

 

 

(3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken thereon.

 

 20      Même si cette clause privative n'est pas la plus stricte, elle indique cependant une intention de limiter dans une certaine mesure les demandes de réexamen et de faire en sorte que la décision à l'égard du grief soit finale et obligatoire.

 21      Les trois autres facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, à savoir l'expertise, l'objet de la loi et de ses dispositions pertinentes et la nature de la question, revêtent une plus grande importance en l'espèce.

 22      Si le calcul d'un délai est une question purement factuelle qui exige une expertise, comme dans l'affaire Trépanier, l'application du système de classification est alors encore plus une question d'expertise. Il faut une grande expertise en matière de classification ainsi qu'une connaissance approfondie des politiques, des procédures et de l'organisation des employés du gouvernement et leurs fonctions.

 23      L'objet de la Loi est polycentrique « vu qu'elle vise à résoudre des questions touchant des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents et qu'elle n'a pas seulement pour objet d'opposer l'État à l'individu ».

 24      En ce qui a trait au quatrième facteur, la nature de la question est un peu moins factuelle que celle du calcul d'un délai mais, dans la présente affaire, les deuxième et quatrième facteurs jouent ensemble un rôle important. La pondération des fonctions du poste comprend la connaissance des faits de chaque fonction. Plus important encore, la sélection des groupes de référence est un domaine d'expertise (comme ce serait le cas dans une affaire d'évaluation commerciale), lequel est fondé sur la preuve d'expert établissant les questions de fait. Les demandeurs s'interrogent à savoir si le Comité a procédé de manière convenable pour la sélection, la pondération et l'analyse. Cette question commande un degré élevé de retenue judiciaire suivant la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (Voir Laplante c. Agence canadienne d'inspection des aliments, [2004] A.C.F. no 1640; [2004] CF 1345.)

 

[15]           Dans le cas de la demande dont je suis saisi, le Comité s'est prononcé sur la classification du poste du demandeur en évaluant les fonctions qu'il exerçait et en appliquant certains facteurs de comparaison. C'est le même type de question et d'évaluation que celles qui étaient en litige dans l'affaire Adamidis. Pour ces motifs, j'estime que la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne le bien-fondé de la décision à l'examen est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

2.   Le Comité a-t-il manqué à son devoir d'équité procédurale en admettant des éléments de preuve qui n'avaient pas été divulgués au demandeur et auxquels celui-ci n'avait pas eu la possibilité de répondre et en ajoutant foi à ces éléments de preuve?

 

[16]           Les parties s'entendent pour dire que la procédure de règlement des griefs de classification est assujettie à l'obligation d'agir avec équité. Cette procédure n'est pas fondée sur le principe du débat contradictoire : c'est une procédure administrative qui ne fait pas intervenir les droits ou les privilèges qui caractérisent les instances judiciaires ou quasi judiciaires (voir le jugement Chong c. Canada (Procureur général), (1995), 104 F.T.R. 253 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 39). Sous la plume du juge Décary, la Cour d'appel fédérale a déclaré, dans l'arrêt Chong c. Canada (Conseil du Trésor), (1999), 236 N.R. 371 (C.A.F.), que la teneur de l'obligation d'agir équitablement à laquelle sont tenus les comités chargés d'examiner les griefs de classification « se situe du côté d'une moindre exigence ». Dans l'arrêt Bulat c. Canada (Conseil du Trésor), (2000), 252 N.R. 182 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a précisé que l'auteur du grief doit avoir véritablement la possibilité de débattre d'une question qui joue, de l'avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief. Écrivant au nom de la Cour, le juge Evans propose les points de repère suivants aux paragraphes 9 et 10 de l'arrêt Bulat :

[9]     Il n'est pas contesté que l'obligation d'agir équitablement s'applique au processus de règlement des griefs de classification et qu'une décision du sous-chef, ou de la personne qu'il désigne, de suivre une recommandation du comité peut être annulée par la Cour au motif que le comité n'a pas accordé une audition équitable à l'auteur du grief. De plus, la Cour a déjà établi que, compte tenu de la nature de ce processus, la teneur de l'obligation d'agir équitablement se situe « du côté d'une moindre exigence » : Chong c. Canada (Procureur général ) (1999), 236 N.R. 371, 374 (le juge Décary).

[10]   Toutefois, je suis d'avis que l'issue de la présente affaire ne dépend pas de l'étendue précise de la teneur de l'obligation d'agir équitablement que le comité a envers l'appelant. L'un des aspects élémentaires de l'obligation d'agir équitablement veut que la personne sur laquelle une décision a un effet négatif ait véritablement la possibilité de débattre d'une question qui joue, de l'avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que l'auteur du grief ne croit pas litigieuse et qu'il ne s'attend donc pas à voir surgir ni à traiter.

 

[17]           Dans le cas du présent contrôle judiciaire, le demandeur affirme que le Comité a manqué à son obligation d'agir avec équité en ne lui donnant pas la possibilité de réagir aux réponses données par la direction aux questions se rapportant aux liens existant entre son travail et la gestion générale des programmes de la SV et du RPC. À l'audience, le demandeur a expliqué à la Cour que, ce qui le préoccupait, c'était le fait que la direction avait précisé qu'elle examinait et approuvait son travail avant d'en communiquer les résultats. Il signale que le fait que la signature des cadres ne figure pas sur la documentation pertinente appuie sa thèse. Il ressort toutefois de mon examen des feuillets d'approbation produits par le demandeur qu'à tout le moins, certains d'entre eux ont été signés par un directeur ou par un chef d'équipe. Les seules preuves tangibles dont je dispose sur cette question n'appuient pas la thèse du demandeur. Mais surtout, il n'y a rien qui permette de penser que cette question a joué un rôle crucial dans la décision.

 

[18]           Il n'y a rien dans le dossier qui permette non plus de penser que les réponses que la direction a données ont fait intervenir de nouvelles considérations qui auraient joué un rôle crucial dans la décision et que le demandeur n'aurait pas eu la possibilité d'en débattre. Il ressort de la décision que la direction a précisé ce qui suit :

[traduction] [...] les résultats (les barèmes de prestations) étaient examinés et approuvés par lui-même et par le directeur avant d'être publiés en vue d'être utilisés dans le cadre du programme ou d'être communiqués aux intéressés, y compris aux autres ministres fédéraux.

 

 

La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui permettrait de penser que l'approbation des barèmes de prestations jouait un rôle crucial en ce qui concerne la décision que la classification du groupe SI du demandeur demeure inchangée. Il n'y a également aucun élément de preuve qui permette de penser que le demandeur s'est vu refuser la possibilité de formuler des observations devant le Comité au sujet des résultats de son travail.

 

[19]           La procédure de règlement des griefs de classification n'est pas fondée sur le principe du débat contradictoire et, à mon avis, ni le plaignant ni l'employeur ne possède de droit acquis qui lui permettrait de répondre devant le Comité aux observations de la partie adverse. Voici à cet égard un extrait de l'Annexe B de la Politique :

Les employés ou leur représentant doivent se voir donner l'occasion de paraître [sic] devant le comité et de faire connaître leur point de vue sur la classification du poste. Ils doivent se retirer de la réunion une fois leur présentation terminée. Les représentations du plaignant et/ou de son représentant peuvent être aussi soumises par écrit. Tous les aspects de la décision faisant l'objet du grief, c.-à-d. le groupe et le sous-groupe, le niveau et la cotation (s'il y a lieu) accordés à chaque facteur, doivent être examinés même si dans certains cas, ils ne sont pas tous contestés.

Si elle est invitée à paraître devant le comité de griefs de classification pour fournir des renseignements sur les fonctions et les responsabilités assignées, la direction doit se retirer lorsque le comité a fini de poser des questions.

 

On constate donc que la Politique ne reconnaît pas au plaignant le droit de réagir aux réponses de la direction.

 

[20]           La Cour n'est pas non plus convaincue que le Comité a omis de donner au demandeur la possibilité de traiter d'une question qui aurait joué un rôle crucial dans la suite qu'elle a donnée au grief de classification, en l'occurrence le fait de comparer le poste du demandeur au groupe ES proposé. Après avoir entendu le demandeur et l'employeur, le Comité a invité le demandeur à formuler d'autres observations au sujet des postes repères de la norme ES qui justifieraient selon lui de faire relever son poste du groupe ES. L'affidavit souscrit par Richard Joyal pour le compte de la défenderesse révèle que le demandeur a refusé de formuler d'autres observations parce qu'il [traduction] « avait déjà soumis des éléments de preuve pour appuyer la cote qu'il attribuait à sa description de travail ». Dans ces conditions, on ne saurait prétendre que le Comité a manqué à son obligation d'agir avec équité envers le demandeur.

 

2.                  La décision était-elle manifestement déraisonnable?

 

[21]           Dans le cas d'un grief de classification, c'est au plaignant qu'il incombe de démontrer que la classification est erronée (voir le jugement Chong c. Canada (Procureur général), (1995), 104 F.T.R. 253 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 40). Le demandeur affirme que la décision du Comité était manifestement déraisonnable parce que le Comité n'aurait pas tenu compte de tous les éléments clés de la description de travail ou ne leur aurait pas accordé le poids voulu.

 

            Défaut de tenir compte d'éléments clés de la description de travail

 

[22]              Dans la décision qu'il a prise en réponse au grief de classification, le Comité a évalué les quatre facteurs précisés dans le plan de cotation du Groupe soutien des sciences sociales, à savoir : Connaissances et aptitudes; Résolution de problèmes; Rapports de travail; Supervision. Bien que ces facteurs ne couvrent pas tous les aspects de la description de travail, le Comité n'a pas commis d'erreur en n'attribuant pas de points aux autres facteurs qui ne sont pas énumérés. Voici ce que prévoit le plan de cotation en ce qui concerne les facteurs qui doivent être notés :

[traduction]

 

[...] L'ensemble des facteurs ne décrit pas nécessairement toutes les caractéristiques des emplois. Ils traitent seulement des caractéristiques précises et distinctes qui servent à déterminer les valeurs relatives des emplois.

 

La présente méthode prévoit quatre facteurs dont deux sont multidimensionnels et comportent deux éléments; les deux autres ne comportent qu'un seul facteur.

 

 

Les quatre facteurs précités sont les seuls dont le Comité devait tenir compte pour prendre sa décision au sujet de la classification du poste du demandeur.

 

            Élaboration de modèles mathématiques

 

[23]           Le demandeur signale notamment que le Comité ne lui a accordé aucun point pour les fonctions qu'il exerçait, conformément à sa description de travail, en matière d'élaboration et de maintien de modèles mathématiques en vue de l'établissement des taux de prestations des programmes de SV et du RPC. Je ne suis pas de son avis. Dans son rapport de recommandation, le Comité précise en effet ce qui suit dans son évaluation :

[traduction]

 

CONNAISSANCES ET APTITUDES  degré 3          166 points

 

Le titulaire de ce poste (SP) doit connaître les théories et les principes de l'analyse mathématique et statistique [...] et il doit connaître à fond les programmes de la sécurité du revenu afin d'être en mesure d'élaborer et de maintenir des bases de données statistiques et des modèles mathématiques ...

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[24]           Il est clair que le Comité a accordé des points au demandeur pour ce qui est de l'élaboration de modèles mathématiques. Le demandeur n'a pas réussi à convaincre la Cour que les points qui lui ont été attribués étaient manifestement déraisonnables.

 

[25]           Il est acquis aux débats qu'à la suite de la retraite du demandeur, les fonctions du poste relatives à l'élaboration et à l'exploitation de bases de données statistiques et de modèles mathématiques en vue de l'établissement des taux de prestations des programmes de SV et du RPC ont été réaffectées à un poste ES. La défenderesse ne conteste par ailleurs pas le témoignage du demandeur suivant lequel, dans une décision prenant effet le 13 décembre 2000, un agent de classification a modifié sa description de travail pour remplacer ses fonctions d'élaboration de modèles mathématiques par celle de gestion de tableurs. Le demandeur affirme que le Comité a attribué à son poste le même nombre de points pour les facteurs relatifs aux connaissances et aux aptitudes et à la résolution de problèmes (respectivement 166 et 187) que ceux que l'agent de classification avait accordés à son poste le 13 décembre 2000, date à partir de laquelle l'élaboration de modèles mathématiques ne faisait plus partie de sa description de travail.

 

[26]           Suivant les éléments de preuve non contredits portés à la connaissance de la Cour, deux descriptions de travail et deux classifications régissaient le poste que le demandeur a occupé au Ministère entre 1995 et 2000. La Cour a examiné les descriptions de travail en vigueur le 15 juin 1995 et le 13 décembre 2000 et elle est convaincue qu'elles sont pratiquement identiques, à ceci près que l'élaboration de modèles mathématiques a été remplacée en décembre 2000 par le calcul des taux de prestations de la SV et du RPC au moyen de tableurs.

 

[27]           En dépit de cette distinction, l'argument du demandeur doit être écarté pour deux raisons. Premièrement, bien qu'il soit difficile pour la Cour de comprendre comment on a pu attribuer le même nombre de points à des facteurs différents, compte tenu du remplacement d'une fonction par une autre qui était manifestement différente, il n'appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve qui ont été soumis au Comité. En d'autres termes, la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui permette de penser que l'élaboration de modèles mathématiques devrait se voir accorder un plus grand nombre de points que la fonction consistant à calculer les taux de prestations au moyen de tableurs. La Cour ne dispose par ailleurs d'aucun élément de preuve l'autorisant à penser que le nombre de points attribué était déraisonnable. En second lieu, la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui tendrait à démontrer que le Comité s'est servi comme facteur comparatif de la description de travail relative au poste que le demandeur lui-même occupait. On ne sait pas avec certitude si le demandeur prétend à titre subsidiaire que le niveau qui lui a été attribué au sein du groupe SI devrait être comparé à la classification SI-03 du 13 décembre 2000. Devant le Comité, il incombe au plaignant de prouver que la classification est erronée. On ne saurait qualifier de manifestement déraisonnable la recommandation du Comité au motif que celui-ci n'aurait pas évalué le groupe de comparaison, ce qui ne constitue pas une question cruciale soulevée par lui ou par le demandeur.

 

[28]           Le demandeur soutient essentiellement que certaines des tâches qu'il effectuait (c.-à-d. l'élaboration et l'application de modèles mathématiques) recoupaient les fonctions qu'exercent les titulaires de postes des groupes ES. Mais la recommandation du Comité de ne pas le faire relever du groupe ES ne doit pas pour autant être considérée comme manifestement déraisonnable. On lui a demandé de préciser les postes repères qui permettraient de le classer comme titulaire d'un poste ES, mais il a refusé de le faire. Il a laissé au Comité le soin de le faire. Je ne dispose d'aucun élément qui me permette de penser que le Comité s'est mépris en le classant dans le groupe SI. Le Comité s'est guidé sur les postes repères et a tout simplement suivi la procédure prévue.

 

[29]           Il incombe au demandeur de démontrer à la Cour que la décision relative au grief de classification qui a été recommandée par le Comité et qui a été adoptée par la personne désignée est manifestement déraisonnable. Or, il n'a pas fait cette démonstration.

 

DISPOSITIF

 

[30]           Pour les motifs exposés, la Cour conclut que le demandeur n'a pas été victime d'un déni d'équité procédurale et la Cour estime que la décision n'était pas manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

 

 

                                                                                                              

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

 

1.         Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11

 

PARTIE I

ORGANISATION [...]

 

5. [...]

 

Règlement intérieur

 

(4) Le Conseil du Trésor établit son règlement intérieur sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des instructions du gouverneur en conseil.

 

[...]

 

Pouvoirs du Conseil du Trésor

 

11.1 (1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e)  : [...]

 

b) pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique;

 

 

PART I

ORGANIZATION [...]

 

5. [...]

 

Rules and procedures

 

(4) Subject to this Act and any directions of the Governor in Council, the Treasure Board may determine its own rules and procedures.

 

 

[...]

 

Powers of the Treasure Board

 

11.1 (1) In the exercise of its human resources management responsibilities under paragraph 7(1)(e), the Treasure Board may [...]

 

 

(b)  provide for the classification of positions and persons employed in the public service;

 

2.         Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 [abrogée par L.C. 2003, ch. 22, art. 285]

 

PARTIE IV

GRIEFS

 

Droit de déposer des griefs

 

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

 

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

 

(i)  soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

 

(ii)  soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

 

b)  par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

PART IV

GRIEVANCES

 

Right to Present Grievances

 

91. (1) Where any employee feels aggrieved

 

 

 

 

 

 

 

(a)  by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i)  a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

 

(ii)  a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

 

(b)  as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsectione (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act. [...]

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1831-04

 

INTITULÉ :                                       ANTUN UTOVAC

                                                                                                                                      demandeur

                                                            c.

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                            représentée par LE CONSEIL DU TRÉSOR  

 

                                                                                                                        défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 4 MAI 2006

 

MOTIFS PRONONCÉS PAR :        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Antun Utovac

                                                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

John Jaworski

                                                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Antun Utovac                                                                           POUR LE DEMANDEUR      

3 Springdale Crescent

Ottawa (Ontario) K2H 5T7

                                                                                               

                                                                              John Sims   POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.