Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040914

Dossier : IMM-3780-03

Référence : 2004 CF 1245

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2004

En présence de Monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                                                              SIHAM GEDEON

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision du 9 février 2003 par laquelle un agent des visas de la section de l'immigration de l'ambassade du Canada à Damas, en Syrie, a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de Siham Gedeon (la Décision).


CONTEXTE

[2]                La demanderesse est une citoyenne du Liban. Elle a présenté, pour son propre compte et avec le soutien de sa famille, une demande en vue d'obtenir la résidence permanente au Canada, en conformité avec les normes de sélection prévues par l'ancienne Loi sur l'immigration , L.R.C. 1985, ch. I-2, en sa version modifiée, ainsi que le Règlement sur l'immigration connexe. Elle a indiqué comme profession envisagée celle de spécialiste des ventes techniques, soit la catégorie 6221 de la Classification nationale des professions (CNP) publiée par le ministre du Développement des ressources humaines.

[3]                En 1991, la demanderesse a commencé à travailler pour son employeur actuel, Nabhan Trading Hardware and Tools, d'abord comme secrétaire et adjointe administrative puis, à compter de 1994, à titre de spécialiste des ventes techniques. Dans le cadre de ses fonctions à ce dernier poste, elle fait de la prospection de clientèle et rencontre de nouveaux clients pour leur vendre des produits fabriqués et mis en vente par son employeur.

[4]                Au moment où elle a présenté sa demande et passé une entrevue, la demanderesse a produit une lettre de référence et relative à ses antécédents professionnels confirmant qu'elle occupait le poste de spécialiste des ventes techniques chez Nabhan Trading Hardware and Tools, au Liban.

[5]                Les trois frères, une soeur et la mère de la demanderesse sont des citoyens canadiens et ils vivent à Toronto. L'un des frères est propriétaire d'une entreprise au Canada, connue sous le nom de Advance Fasteners Inc., et un autre travaille comme cadre au sein de cette même entreprise. Celle-ci est spécialisée dans la fabrication de pièces d'attache, comme des vis, des écrous et des boulons, et dans leur vente en gros en Ontario, au Québec et dans l'ensemble de l'Amérique du Nord.

[6]                En raison des liens étroits dans la famille et de la formation scolaire et professionnelle de la demanderesse, cette dernière s'est vu offrir par ses frères un poste de spécialiste des ventes techniques au sein de leur entreprise. La demanderesse a accepté l'offre d'emploi, sous réserve de l'obtention du statut d'immigrant admis. On a soumis cette offre d'emploi à l'agrément d'Immigration Canada dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales et l'offre a été agréée aux fins du programme.

[7]                La demanderesse et Advance Fasteners ont informé l'ambassade canadienne à Damas qu'une offre d'emploi au sein d'une entreprise familiale avait été faite à la demanderesse et agréée par Immigration Canada.

[8]                La demanderesse maîtrise l'arabe et le français et elle a une bonne connaissance pratique de l'anglais. Lorsqu'elle a présenté l'offre d'emploi agréée par Immigration Canada, Advance Fasteners était au courant des aptitudes linguistiques de la demanderesse.


[9]                Advance Fasteners a des clients au Québec et au Nouveau-Brunswick, ainsi que dans toutes les autres provinces canadiennes et dans le reste de l'Amérique du Nord. Elle désire pénétrer des marchés dans d'autres régions du monde où, dans certains cas, l'on parle le français ou l'arabe.

[10]            La demanderesse est le dernier membre de sa famille immédiate qui vit toujours au Liban. Ses trois frères, sa soeur et sa mère sont des citoyens canadiens et ils résident en permanence à Toronto. La demanderesse est une veuve qui élève seule ses trois enfants, lesquels maîtrisent tous le français et ont une bonne connaissance de l'anglais, sans toutefois encore maîtriser cette langue.

[11]            En plus de l'offre d'emploi que Advance Fasteners lui a faite, la demanderesse dispose d'actifs et d'espèces, d'une valeur de plus d'un demi-million de dollars canadiens, pouvant favoriser son établissement au Canada. Elle a produit des documents qui l'attestent lors de son entrevue. Cette somme est sensiblement plus importante que celle de 30 000 $ mentionnée par l'agent des visas. La demanderesse est venue deux fois au Canada pour visiter sa famille et elle connaît notre pays.


[12]            Aux alentours du 9 février 2003, la demanderesse s'est rendue avec sa famille à Damas pour une entrevue que l'agent des visas lui a fait passer. Elle s'est présentée à l'entrevue avec tous les documents dont elle disposait, y compris la lettre de confirmation d'emploi de Nabhan Trading Hardware and Tools, l'agrément de l'offre d'emploi par l'entreprise familiale Advance Fasteners ainsi que des attestations quant aux éléments d'actif et fonds disponibles en vue de son établissement. La demanderesse affirme toutefois que l'agent des visas n'a pas demandé à examiner ces documents ni ne lui a offert l'occasion de les soumettre à son examen. La demanderesse affirme que l'agent tentait de la décourager, qu'il lui a présenté à signer des formulaires inappropriés et que, malgré ses protestations, il lui a dit estimer qu'elle constituerait un fardeau pour l'entreprise de son frère et qu'elle ne réussirait pas à s'établir au Canada.

LA DÉCISION À L'EXAMEN

[13]            La demande de résidence permanente a été rejetée par lettre datée du 9 février 2003, au moyen toutefois d'un document portant la date du 1er juillet 2002. Dans la lettre de rejet de la demande, on a mentionné comme motif que la demanderesse [traduction] « n'avait pas obtenu un nombre de points d'appréciation suffisant pour pouvoir immigrer au Canada, le nombre minimal requis étant de 70 points » .

[traduction]

[...] Vous ne m'avez présenté aucune information pouvant me convaincre que vous disposez de la faculté d'adaptation, de la motivation, de l'esprit d'initiative et de l'ingéniosité qui vous permettraient de réussir votre installation au Canada. Je ne vous ai accordé aucun point à ce titre. Selon ce que j'ai constaté, vous n'avez acquis aucune expérience professionnelle et je ne vous ai donc accordé aucun point tant pour l'expérience, que pour la profession.

À l'entrevue, vous m'avez dit vouloir immigrer au Canada pour être près des membres de votre famille et pour que vos enfants puissent poursuivre leurs études. Je ne suis pas convaincu que vous allez vous établir au Canada et y travailler. Je crois que vous désirez entrer au Canada uniquement pour que vos enfants obtiennent le statut de résidents permanents.

Le paragraphe 9(4) de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit :

Lorsqu'un agent des visas estime qu'il ne serait pas contraire à la Loi et au Règlement d'accorder le droit d'établissement ou d'entrée à un demandeur, il peut délivrer un visa si, à son avis, le demandeur satisfait aux exigences de la Loi et du Règlement.


Vous ne vous conformez pas aux exigences de la Loi et du Règlement pour les motifs expliqués ci-dessus. Par conséquent, je dois refuser votre demande.

[14]            La demanderesse signale que, contrairement à ce qui est énoncé dans la lettre de refus quant à l'évaluation des aptitudes professionnelles, y compris la mention par l'agent des visas du fait que la demanderesse n'a pas l'expérience professionnelle requise, on fait état, parmi les motifs de refus figurant dans les notes du STIDI, que la demanderesse travaille bel et bien depuis 1994 comme spécialiste des ventes techniques chez Nabhan Trading Hardware and Tools. Il est expressément mentionné dans les notes que la demanderesse [traduction] « a commencé à travailler en 1991 comme secrétaire et adjointe administrative. Puis, en 1994, elle est devenue spécialiste des ventes techniques. Ses fonctions ont trait essentiellement à la vente d'outillage de quincaillerie. Elle travaille dans une entreprise du secteur de la quincaillerie » .

[15]            L'agent des visas a également reconnu que la demanderesse était venue deux fois au Canada, qu'elle disposait d'argent en vue de son installation (bien qu'il ait mentionné un montant erroné) et qu'elle maîtrisait le français en plus d'avoir une bonne connaissance de l'anglais, sans toutefois maîtriser cette langue.


[16]            Le refus de l'agent des visas semble avoir été essentiellement motivé, d'après les notes du STIDI, par l'opinion de l'agent selon laquelle la demanderesse n'avait pas les aptitudes requises pour occuper le poste envisagé dans l'entreprise de son frère, puisqu'elle ne maîtrisait pas l'anglais, qu'elle était venue au Canada « seulement » deux fois et qu'elle ne connaissait pas le marché des affaires canadien.

[17]            Après avoir obtenu copie de la lettre de refus de l'agent des visas, la demanderesse a retenu les services d'une avocate à qui elle a demandé de présenter une demande de contrôle judiciaire, comme elle était d'avis que l'agent des visas avait mal évalué les facteurs de l'expérience et de la profession, de l'emploi réservé ainsi que de la personnalité et de la faculté d'adaptation. L'agent des visas avait également fait abstraction de l'expérience qu'elle avait acquise pendant près de dix ans comme spécialiste des ventes techniques, ainsi que de l'offre véritable qui lui a été faite d'un emploi au Canada, au sein de l'entreprise de son frère et dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales, dans le même domaine presque exactement que celui de son emploi actuel. Qui plus est, l'agent des visas n'a pas pris en compte la faculté d'adaptation de la demanderesse lors de ses deux précédents voyages au Canada, de l'argent et de l'emploi à sa disposition en vue de son installation non plus que de la présence de bon nombre de membres de sa famille immédiate au Canada, qui tous s'y sont établis avec succès.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]            La demanderesse soulève les questions qui suivent.


L'agent des visas a-t-il évalué incorrectement la demande de résidence permanente de la demanderesse

a.          en interprétant erronément la Loi sur l'immigration, le Règlement sur l'immigration et la CNP, du fait qu'il n'a attribué aucun point pour les facteurs tant professionnel que de l'expérience,

b.          en prenant mal en compte son emploi éventuel, du fait qu'il n'a attribué aucun point pour les facteurs tant professionnel que de l'expérience en dépit de l'expérience acquise et de l'emploi actuel de la demanderesse,

c.          en se servant à mauvais escient des facteurs professionnel et de l'expérience, pour exercer son pouvoir discrétionnaire de manière défavorable ou pour en arriver avec partialité à la décision désirée,

d.          en interprétant erronément la Loi sur l'immigration et le Règlement sur l'immigration par son refus de prendre en compte, pour les facteurs de l'emploi réservé et de la prime pour la famille, du parrainage par l'entreprise familiale,

e.          en interprétant erronément la Loi sur l'immigration et le Règlement sur l'immigration par son refus de notamment prendre en compte, pour évaluer la personnalité, les voyages antérieurs de la demanderesse au Canada, l'argent à sa disposition en vue de son installation au pays, la présence au Canada des membres proches de la famille qu'il lui reste, ses compétences linguistiques en arabe, en français et en anglais ainsi que de l'offre d'un emploi au sein de l'entreprise familiale,


f.           en interprétant erronément la Loi sur l'immigration, le Règlement sur l'immigration et la CNP, du fait qu'il n'a pas observé un principe de justice naturelle, une obligation d'équité procédurale ou toute autre exigence procédurale prescrite par la loi, et du fait que sa décision est entachée d'une erreur de droit?

[19]            La demanderesse soulève les questions additionnelles ou accessoires suivantes dans son exposé supplémentaire des faits et du droit.

a.              L'agent des visas a-t-il manqué à une obligation d'équité procédurale en n'informant pas la demanderesse de ses inquiétudes quant à ses antécédents professionnels, et en ne fournissant pas à celle-ci ou à son employeur l'occasion de dissiper ces inquiétudes?

b.              La décision de l'agent des visas, selon laquelle la demanderesse n'avait pas les antécédents professionnels requis pour obtenir le moindre point d'évaluation pour les facteurs de la profession ou de l'expérience pertinente aux fins de la CNP, était-elle manifestement déraisonnable, inéquitable ou non fondée en fait ou en droit, compte tenu en particulier de la preuve soumise à l'agent des visas?

c.              L'agent des visas a-t-il outrepassé sa compétence en s'appuyant sur des considérations linguistiques ou liées à la clientèle aux fins d'évaluer le facteur personnalité au regard de l'emploi projeté de la demanderesse au Canada?

d.              L'agent des visas a-t-il outrepassé sa compétence en s'appuyant sur des considérations autres que celles prévues par la Classification nationale des professions aux fins d'évaluer si la demanderesse satisfaisait aux exigences en matière de profession et d'antécédents de travail?

e.              L'attribution d'aucun point à la demanderesse pour le facteur personnalité constituait-elle une erreur de droit ou était-elle manifestement déraisonnable ou inéquitable, ou encore sans fondement en fait ou en droit, étant donné les liens importants entre le Canada - la présence de la mère et des trois frères, les voyages antérieurs, l'emploi réservé et l'argent en banque au Canada - et la demanderesse?


f.               L'évaluation de l'agent des visas, portant que la demanderesse n'était pas une immigrante potentielle mais plutôt un parent porteur, constituait-elle une erreur de droit ou était-elle manifestement déraisonnable ou inéquitable, ou encore sans fondement en fait ou en droit, étant donné les liens importants entre le Canada - la présence de la mère et des trois frères, les voyages antérieurs, l'emploi réservé et l'argent en banque au Canada - et la demanderesse?

ARGUMENTS DES PARTIES

Demanderesse

Arguments généraux

[20]            La demanderesse soutient qu'en vue d'établir si un immigrant pourra ou non réussir son installation au Canada, un agent des visas doit l'évaluer en fonction des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I du Règlement sur l'immigration.

[21]            Voici les neuf facteurs énumérés à la colonne I de cette annexe I : études, études et formation, expérience, facteur professionnel, emploi réservé, facteur démographique, âge, connaissance du français et de l'anglais et personnalité.

[22]            Un agent des visas peut délivrer un visa à l'immigrant qui obtient 70 points d'appréciation (sous-alinéa 9(1)b)(I) du Règlement sur l'immigration).

[23]            Un agent des visas peut accorder des points supplémentaires pour le facteur de l'emploi réservé ainsi que des points en prime dans le cas où la famille se trouve au Canada et où une demande est agréée dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales.

[24]            La CNP est l'outil mentionné à l'annexe I du Règlement sur l'immigration au regard des facteurs des études et de la formation, de l'expérience et de la profession. La CNP comporte deux éléments. Un élément consiste en la CNP elle-même, qui renferme la description de professions données, notamment les fonctions principales et les exigences qui y sont associées. Le second élément est le Guide sur les carrières. C'est le volet counseling, qui présente des cotes pour l'emploi et la formation servant à apprécier le facteur des études et de la formation, soit le facteur 2 à l'annexe I du Règlement sur l'immigration.

[25]            En ce qui concerne le facteur professionnel (le facteur 4), des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès établies dans la CNP, et pour laquelle il a exercé un nombre substantiel des principales fonctions établies dans celle-ci, dont les fonctions essentielles.

[26]            En ce qui concerne le facteur de l'expérience (le facteur 3), on attribue à un requérant des points d'appréciation en fonction de l'expérience acquise dans la profession pour laquelle, d'après le facteur professionnel, il est évalué.


[27]            Pour ce qui est du facteur des études et de la formation (le facteur 2), on évalue le requérant suivant le programme d'études et la période de formation professionnelle, d'apprentissage, de formation en usine ou de formation en cours d'emploi précisés dans la CNP comme étant nécessaires pour acquérir les connaissances théoriques et pratiques et les compétences qu'exige la profession pour laquelle le requérant est évalué selon le facteur 4 (le facteur professionnel).

[28]            Pour ce qui est du facteur de l'emploi réservé (le facteur 5), dix points sont attribués si, de l'avis de l'agent des visas, le requérant a, au Canada, un emploi réservé qui offre des perspectives de durée et des conditions de travail et un salaire raisonnables, et qui ne nuira pas aux possibilités d'emploi des citoyens canadiens ni des résidents permanents résidant au Canada; le requérant pourra probablement obtenir des autorités l'autorisation nécessaire pour l'emploi en question; le requérant possède les compétences voulues pour exercer un emploi, qui offre des perspectives de durée et des salaires raisonnables, dans une profession désignée et il est disposé à l'exercer.

[29]            L'agent des visas a déclaré, pour motiver son rejet de la demande de la demanderesse, ne pas être convaincu que celle-ci satisfaisait aux exigences professionnelles canadiennes ni qu'elle avait acquis l'expérience requise pour travailler comme spécialiste des ventes techniques au Canada, en fonction de ce que prévoit la CNP. L'agent était de cet avis malgré la lettre de l'employeur actuel de la demanderesse et malgré la mention du fait, dans les notes du STIDI, que cette dernière travaillait depuis 1994 comme spécialiste des ventes techniques. La demanderesse soutient que l'agent des visas a à cet égard interprété erronément la CNP et le Règlement sur l'immigration.

[30]            La demanderesse déclare répondre à toutes les exigences professionnelles énoncées dans la CNP-6221 et dans le volume 2 du Guide sur les carrières.


[31]            Selon la demanderesse, l'agent des visas a commis une erreur en rejetant sa demande au motif qu'elle ne satisfait pas aux exigences liées aux facteurs tant de l'expérience que de la profession, à l'égard desquels il n'a attribué aucun point. La demanderesse ajoute que l'agent des visas a fait erronément abstraction du fait qu'elle satisfaisait aux exigences prévues à la CNP-6221 pour ce qui est de la profession et de l'expérience, et que la décision de l'agent se fondait plutôt sur le sentiment qu'il avait qu'elle ne pourrait remplir les fonctions du poste offert au Canada (plutôt que de tout emploi au Canada). Selon la demanderesse, l'évaluation des facteurs profession et expérience doit s'appuyer sur les acquis dans le domaine et non sur ce qu'on peut entrevoir pour l'avenir au Canada, ce dernier élément étant apprécié de manière plus appropriée par d'autres critères d'évaluation.

[32]            La demanderesse soutient réunir les conditions prévues dans la CNP pour les facteurs des études, de l'expérience et de la profession, et que l'agent des visas aurait dû l'évaluer tel qu'il est précisé ci-après quant au facteur 3 - expérience -, au facteur 4 - profession -, au facteur 5 - emploi réservé - ainsi qu'au facteur 9 - personnalité et prime pour la famille.

Facteur 3 - expérience


[33]            La demanderesse affirme que, puisque l'agent des visas lui a attribué 15 points pour le facteur études et 17 points pour le facteur études et formation, il devait être convaincu du fait qu'elle avait reçu la formation professionnelle et en cours d'emploi nécessaire pour acquérir les connaissances théoriques et pratiques et les compétences qu'exige la profession de spécialiste des ventes techniques (Règlement sur l'immigration, annexe I, facteur 2, critère 1e) et f)).

[34]            La demanderesse déclare en outre qu'on aurait dû lui attribuer 8 points d'appréciation pour le facteur de l'expérience. On doit accorder deux points pour chaque année d'expérience, à concurrence de quatre, dans la profession pour laquelle le demandeur est évalué lorsqu'ont été attribués 17 points pour le facteur 2 (études et formation).

[35]            La demanderesse affirme que l'agent des visas a ainsi commis une erreur en appliquant pour le facteur expérience une norme plus sévère que celle expressément énoncée dans la CNP et le Guide sur les carrières. Dans sa lettre de refus du 9 février 2003, l'agent des visas a simplement déclaré qu'il n'était pas convaincu que la demanderesse disposait de l'expérience requise. Aucun motif n'était avancé quant à cette conviction ni quant au rejet de la lettre de l'employeur. L'agent des visas insistait plutôt dans sa lettre de refus sur les difficultés que, selon ce qu'il pressentait, la demanderesse éprouverait au Canada dans l'emploi offert par ses frères. L'agent concluait au manque d'expérience de la demanderesse dans sa lettre, malgré qu'on lui en ait reconnu dans les notes du STIDI et la lettre de confirmation d'emploi soumise. La demanderesse soutient qu'un agent des visas ne peut ajouter aux exigences prévues dans la CNP en appréciant, en regard du facteur expérience, les aptitudes éventuelles au Canada et en exigeant qu'ait été acquise une expérience correspondant à celle pouvant l'être au Canada.


[36]            La demanderesse affirme qu'on a conçu la CNP de manière à attribuer des points pour les études et à la formation, des facteurs eux-mêmes réputés indicatifs quant à la faculté d'adaptation. Il n'est donc pas pertinent que l'expérience ait été acquise au Liban plutôt qu'au Canada (Règlement sur l'immigration, annexe I, facteur 3 (se reporter à Paracha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1282 (1re inst.) et à Nakamine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 3 (1re inst.)).

[37]            La demanderesse dit avoir acquis de l'expérience comme spécialiste des ventes techniques au moyen d'une formation professionnelle et du fait qu'elle a occupé un tel poste pendant dix ans au Liban. Elle soutient avoir droit de ce fait à des points d'appréciation pour la catégorie de l'expérience et que, si on ne lui en attribuait pas, cela serait déraisonnable (se reporter à Nakamine, précitée, ainsi qu'à Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 2031 (1re inst.)).

[38]            Selon ce qu'affirme la demanderesse, aucun élément de preuve au dossier ne permet d'étayer la conclusion de l'agent des visas portant qu'elle ne répondait pas aux exigences professionnelles énoncées dans la CNP-6221 pour les spécialistes des ventes techniques et qu'elle ne pouvait donc pas se voir attribuer de points pour les facteurs tant de la profession que de l'expérience.

[39]            Bien que l'agent des visas soutienne dans son affidavit avoir interrogé la demanderesse au sujet de ses fonctions auprès de son employeur actuel, rien n'indique au dossier que de telles questions aient bel et bien été posées. La demanderesse soutient exactement le contraire dans sa déposition. Elle affirme qu'aucune question n'a été posée au sujet de sa profession et de ses fonctions, comme en attestent les notes du STIDI. Ces notes, à tout le moins, ne peuvent étayer une conclusion portant que la demanderesse n'a pas acquis d'expérience dans la profession visée par sa demande.

[40]            La seule allusion à la dénégation de l'expérience acquise figurant au dossier se trouve dans la lettre de refus elle-même, où il est simplement déclaré : [traduction] « Selon ce que j'ai constaté, vous n'avez acquis aucune expérience professionnelle et je ne vous ai donc accordé aucun point tant pour l'expérience, que pour la profession » . L'agent des visas ne précise pas dans cette lettre de refus, non plus que dans son affidavit, les motifs non plus que les fondements de cette conclusion. La demanderesse soutient que les souvenirs de l'agent des visas étaient erronés dans son affidavit, fait sous serment plus d'un an après l'entrevue, quant à la teneur de celle-ci ou, subsidiairement, que l'agent a enjolivé son récit afin d'étayer sa conclusion. En fait, l'agent des visas n'a pas même énoncé de conclusion, tel qu'il est allégué dans son affidavit, quant à l'absence des aptitudes attendues d'un spécialiste des ventes techniques selon la CNP-6221.


[41]            La demanderesse affirme, en outre, qu'aucun élément de preuve au dossier ne révèle que l'agent des visas lui a fait part d'inquiétudes au sujet de son expérience non plus que de son désir de ne pas reconnaître celle-ci de même que les lettres de référence fournies par son employeur, ni encore qu'il lui a donné l'occasion de dissiper pareilles inquiétudes.

[42]            Bien qu'il y ait au dossier pas moins de deux confirmations d'emploi et d'attributions, de même que la déposition corroborante d'un tiers, soit l'employeur éventuel au Canada, rien ne démontre au dossier que l'agent des visas a communiqué avec cet employeur quant aux attributions de la demanderesse dans le cadre de son emploi occupé de longue date.

[43]            La demanderesse affirme en outre que rien au dossier ne peut servir de fondement au rejet par l'agent des visas des lettres de référence et à sa dénégation de l'expérience acquise de la demanderesse, pourtant attestée par ces lettres et de nombreuses autres façons. Il est d'ailleurs expressément mentionné dans les notes du STIDI que les lettres de référence étaient en règle.

[44]            La demanderesse soutient que les lettres de référence fournies par son employeur satisfont bel et bien aux critères énoncés dans la CNP-6221 pour les spécialistes des ventes techniques.

[45]            La demanderesse prétend, par suite, que l'agent des visas a commis une erreur de droit en ne lui attribuant aucun point d'appréciation tant pour le facteur de la profession que pour celui de l'expérience.

[46]            La demanderesse soutient en outre, de manière subsidiaire, qu'était manifestement déraisonnable, inéquitable et non étayée en droit, en fait non plus que par la preuve dont il disposait la conclusion de l'agent des visas selon laquelle elle n'avait pas acquis l'expérience requise. La demanderesse soutient, plus particulièrement, que la conclusion de l'agent quant à son expérience professionnelle ne respecte pas le critère de la décision raisonnable simpliciter, établi dans Muliadi c. Canada, [1986] 2 C.F. 205, relativement à l'obligation d'équité procédurale. L'agent des visas aurait dû fractionner les attributions pour départager lesquelles avaient été et lesquelles n'avaient pas été exercées par la demanderesse plutôt que de dénier à celle-ci toute expérience en bloc. L'agent aurait dû en outre vérifier la véracité des lettres de référence ou demander des précisions à cet égard à l'employeur ou à la demanderesse (Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205; Cheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. n ° 1872; Kapustynska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 170; Kaushal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 15; Rekhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1587; Israfil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 654; Sharma c. Canada, dossier de la première demande; Chaudhary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 764; Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1140; Janmohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 491).

[47]            La demanderesse soutient plus avant que l'agent des visas a manqué à une obligation d'équité procédurale lui incombant en n'informant ni la demanderesse ni son employeur de la dénégation de son expérience professionnelle et du rejet des lettres de référence de l'employeur, et en ne lui fournissant pas l'occasion de dissiper ses inquiétudes (Hamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1157 (1re inst.) ; Kouhta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1143 (1re inst.); Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 289 (1re inst.); Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 317 (1re inst.); Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1532 (1re inst.); Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1985 (1re inst.); Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 819 (1re inst.)).

[48]            La demanderesse soutient finalement, relativement à la question ici en jeu, que le refus de l'agent des visas se fondait sur son opinion selon laquelle elle ne pourrait s'acquitter des fonctions du poste offert au Canada. Cette opinion erronée a porté une atteinte fatale à la demande. Elle a donné lieu à une violation d'obligation d'équité procédurale, comme l'agent n'a pas informé la demanderesse de sa position au sujet des lettres de référence, ni ne lui a donné l'occasion de clarifier ou d'étayer sa position à elle. Advance Fasteners, en outre, ne s'est pas vu offrir l'occasion de confirmer son intention d'embaucher la demanderesse ou d'en expliquer le motif, alors que celle-ci maîtrise le français et non pas l'anglais.


Facteur 4 - profession

[49]            La demanderesse soutient qu'on doit attribuer des points à l'égard du facteur professionnel (facteur 4) a) lorsqu'un requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le Canada, établies dans la CNP, b) qu'il a exercé un nombre substantiel des principales fonctions établies dans la CNP, dont les fonctions essentielles, et c) qu'il est prêt à exercer au Canada.

[50]            La demanderesse prétend qu'aux fins d'évaluer les points à attribuer quant aux conditions d'accès à la profession pour un spécialiste des ventes techniques, l'agent des visas aurait dû recourir à la CNP comme celle-ci précise devoir l'être. On décrit expressément, à la page ix de l'Introduction de la CNP, la façon dont il y a lieu d'utiliser la section des conditions d'accès à la profession :

Conditions d'accès à la profession

Cette section décrit les conditions d'accès à ce groupe de base.

[...]

Quelques professions ont des exigences bien définies. Pour d'autres, soit qu'il n'existe aucun consensus, soit qu'il puisse exister un éventail d'exigences acceptables. Afin de refléter ces variations dans le marché du travail, cette section décrit les conditions d'accès à la profession en utilisant la terminologie suivante :

« ... est exigé » (pour indiquer une exigence précise);

« ... est habituellement exigé » (pour indiquer que les employeurs exigent habituellement, mais pas nécessairement, que les candidats répondent aux exigences);

« ... peut être exigé » (pour indiquer que certains employeurs peuvent exiger que les candidats répondent aux exigences, mais sur une base moins fréquente).

Classification nationale des professions, page ix

[51]            La demanderesse soutient satisfaire à la première partie du critère puisque l'agent des visas était convaincu qu'elle respectait les exigences en matière d'études énoncées au facteur 1, annexe I, du Règlement sur l'immigration.


[52]            Comme second élément du facteur 4, il est nécessaire qu'un demandeur ait exercé un nombre substantiel des principales fonctions énoncées dans la CNP. Dans son affidavit, la demanderesse déclare avoir travaillé comme spécialiste des ventes techniques pendant dix ans et que l'une de ses fonctions principales consistait à rencontrer des clients, existants et éventuels, de son employeur actuel en vue de leur vendre des produits techniques de ce dernier. Il est manifeste, à la lecture de la lettre de refus et des notes du STIDI de l'agent des visas, qu'a compté pour beaucoup l'opinion personnelle de l'agent selon laquelle, principalement parce qu'elle maîtrisait le français et non l'anglais, la demanderesse n'avait guère de chance de succès dans son emploi éventuel au Canada chez Advance Fasteners. L'agent des visas s'était formé cette opinion sans se renseigner le moindrement auprès de l'employeur éventuel au Canada et sans tenir compte de l'information communiquée par la demanderesse. L'agent des visas semble n'avoir accordé aucun poids au désir et à la décision de l'employeur éventuel au Canada de prendre la demanderesse à son service, à l'agrément de l'offre d'emploi par Immigration Canada, au lien étroit entre l'emploi actuellement occupé au Liban par la demanderesse et son emploi éventuel au Canada, à la clientèle en partie québécoise de l'entreprise au Canada et au fait que la connaissance d'une seule langue officielle est requise pour un requérant (la demanderesse maîtrise le français et a une bonne connaissance de l'anglais). La demanderesse prétend que l'agent des visas a commis une erreur en examinant sa faculté d'adaptation prospective pour évaluer le respect des conditions d'accès à la profession. Elle prétend que l'agent a aussi commis une erreur en ne lui accordant aucun point en regard de ces conditions, bien qu'il semble avoir reconnu dans les notes du STIDI qu'elle avait travaillé comme spécialiste des ventes techniques.

[53]            La demanderesse ajoute que l'agent des visas s'est fié sur ses propres suppositions et opinions plutôt que de poser des questions à la demanderesse sur son emploi ou de passer en revue ses documents (Haughton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 421 (1re inst.)).

[54]            Le troisième élément du facteur 4, c'est qu'un demandeur doit être prêt à exercer sa profession au Canada. La demanderesse s'est vu offrir au Canada un emploi de spécialiste des ventes techniques dans l'entreprise de ses frères, offre qu'elle a accepté de façon préliminaire. La demanderesse a communiqué ce renseignement à l'agent des visas avant l'entrevue, d'abord de manière informelle puis par la remise de copies de la demande officielle présentée dans le cadre du programme concernant les entreprises familiales (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 1742 (1re inst.)).


[55]            La demanderesse affirme, pour ces motifs, qu'elle satisfait aux trois éléments du facteur 4 : elle respecte les conditions d'accès à la profession, elle a exercé un nombre substantiel des fonctions principales de celle-ci et elle a fourni à l'agent des visas la preuve de son intention d'exercer la profession au Canada en lui communiquant des renseignements sur l'offre d'emploi qu'elle a reçue.

Facteur 5 - emploi réservé

[56]            La demanderesse soutient que, pour ce qui est de ce facteur, dix points sont attribués à un requérant si, de l'avis de l'agent des visas :

a)          le requérant a, au Canada un emploi réservé qui offre des perspectives de durée raisonnablement bonnes et des conditions de travail et un salaire de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents pour qu'ils exercent et continuent d'exercer l'emploi en question,

b)          le fait d'employer le requérant au Canada ne nuira pas aux possibilités d'emploi des citoyens canadiens ni des résidents permanents résidant au Canada, et

c)          le requérant pourra probablement obtenir des autorités l'autorisation nécessaire pour l'emploi en question.

[57]            Dix points sont aussi attribués si, de l'avis de l'agent des visas :

a)          le requérant possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée et est disposé à le faire,


b)          l'emploi dans cette profession désignée offre des perspectives de durée raisonnablement bonnes et des conditions de travail et un salaire de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents pour qu'ils exercent et continuent d'exercer l'emploi en question, et

c)          le requérant pourra probablement obtenir des autorités l'autorisation nécessaire pour exercer un emploi dans cette profession désignée.

[58]            Le Guide sur les carrières énumère les critères devant être pris en compte dans le cas d'offres d'emploi faites à des membres de la famille. La demanderesse affirme que l'agent des visas n'a pas pris en compte la plupart de ces critères lorsqu'il a évalué si on pouvait vraisemblablement s'attendre à ce qu'elle acquière, dans un délai raisonnable, les aptitudes requises pour l'emploi, de spécialiste des ventes techniques, qu'on lui a offert. La demanderesse soutient particulièrement que l'agent des visas a trop mis l'accent sur sa connaissance moindre de l'anglais et qu'il n'a accordé aucun poids, ou très peu, notamment à l'agrément de l'offre d'emploi par l'entreprise familiale, au fait que celle-ci compte des clients francophones, aux similitudes entre les activités de cette société et de celles de l'entreprise au Liban où la demanderesse exerce actuellement son emploi, à la bonne connaissance de l'anglais qu'a la demanderesse et à sa maîtrise du français, au fait que toute la famille immédiate de la demanderesse réside au Canada et aux précédents voyages de celle-ci dans notre pays.


[59]            La demanderesse soutient que l'agent des visas a commis une erreur de droit et a manqué aux règles de justice naturelle et aux obligations d'équité procédurale en décidant, en toute connaissance de cause, de n'accorder aucun poids à l'offre d'emploi par l'entreprise familiale avant de prendre sa décision relativement à la demande de la demanderesse. Il n'a à ce titre attribué aucun point d'appréciation, tant pour le facteur de l'emploi réservé que pour celui de la personnalité.

[60]            La demanderesse soutient aussi, notamment, qu'en semblant la pénaliser parce qu'elle ne maîtrise pas l'anglais, alors qu'elle maîtrise le français, l'agent des visas enfreint les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Facteur 9 - personnalité

[61]            L'article 8 et l'annexe I du Règlement sur l'immigration prescrivent, qu'en vue d'attribuer le nombre approprié d'unités d'appréciation en regard du facteur de la personnalité, l'agent des visas doit évaluer si le requérant est en mesure de réussir son installation au Canada, d'après sa faculté d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative et son ingéniosité. Selon la demanderesse, l'agent des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte, ou trop peu, de ses liens familiaux importants au Canada, des fonds et actifs considérables à sa disposition en vue de son installation, de ses aptitudes dans l'une et l'autre langue officielle et de ses voyages antérieurs au Canada.


[62]            La demanderesse affirme que l'agent des visas (en ne lui attribuant aucun point d'appréciation pour ce facteur) s'est fondé sur ce qu'il estimait être l'incapacité de la demanderesse de s'acquitter des exigences de l'emploi offert, plutôt que sur une incapacité de s'acquitter des exigences du marché général du travail. L'offre d'emploi dans l'entreprise familiale est un facteur distinct à prendre en compte, ce qu'a d'ailleurs fait l'agent des visas, et c'est une erreur que de prendre en compte ce facteur de nouveau en regard du critère de la personnalité (Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 845 (1re inst.); Mou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 108 (1re inst.); Ho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1845 (1re inst.)).

[63]            La demanderesse ajoute qu'il était manifestement déraisonnable de ne lui attribuer aucun point pour ce facteur et que cela dénotait une partialité injustifiée à son encontre, compte tenu de tous les éléments jouant en sa faveur.

[64]            Selon la demanderesse, l'agent des visas ne lui a accordé aucun point pour le facteur personnalité en raison de la prise en compte d'éléments déjà considérés pour d'autres facteurs. Cela était manifestement déraisonnable et inéquitable et sans fondement en fait ou en droit ni étayé par la preuve dont l'agent disposait (Ayub (précitée) et Janmohamed (précitée)).

[65]            La demanderesse ajoute qu'était aussi manifestement déraisonnable et inéquitable et sans fondement en fait ou en droit ni étayée par la preuve dont l'agent des visas disposait sa conclusion portant qu'elle n'était pas une immigrante prospective mais plutôt un parent porteur.

[66]            La demanderesse affirme que l'agent des visas a commis une erreur de droit en recourant à ses propres critères, plutôt qu'à ceux énoncés dans la CNP, la Loi sur l'immigration et son règlement d'application, pour tirer les conclusions qui ont été les siennes.

[67]            La demanderesse affirme que l'agent des visas a aussi commis une erreur de droit et de fait pour un autre motif en ne lui attribuant aucun point pour le facteur de la personnalité. C'est que l'agent ne pouvait pas conclure de manière raisonnable au « plan économique » , étant donné ses antécédents de travail, la présence de sa famille au Canada, l'argent et les actifs disponibles aux fins de son installation et l'offre d'un emploi au Canada, que la demanderesse ne pouvait pas s'établir avec succès au Canada (Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 R.C.S. 725).

[68]            Comme dernier argument sur ce point, la demanderesse affirme que l'agent des visas a commis une erreur de droit en prenant en compte pour une deuxième fois, lorsqu'il a examiné le facteur personnalité, son rejet de l'offre de l'emploi dans l'entreprise familiale. Le souci de l'agent des visas en regard de ce facteur, en effet, semble découler principalement de l' « inaptitude » pressentie de la demanderesse à exercer l'emploi projeté au Canada.


La preuve

[69]            La demanderesse fonde chacune de ses prétentions sur la preuve manifeste présentée à l'agent des visas et au dossier des faits suivants :

a.              la demanderesse a déjà visité deux fois le Canada;

b.              la demanderesse dispose de ressources financières de plus d'un demi-million de dollars canadiens, sous forme de dépôts en banque au Canada et au Liban ainsi que de biens réalisables au Liban;

c.              la demanderesse est une veuve et tous les membres de sa famille immédiate, hormis ses enfants à charge, résident au Canada - ce qui comprend sa mère et ses trois frères;

d.              chacun des frères de la demanderesse travaille pour son propre compte au sein d'une entreprise viable;

e.              la maîtrise du français de la demanderesse et ses aptitudes en anglais;

f.               l'intention explicite de la demanderesse de résider et de travailler au Canada;

g.              l'intention explicite des enfants de la demanderesse de venir vivre au Canada;

h.              la demanderesse s'est vu offrir un emploi au Canada et l'offre a été agréée par Développement des ressources humaines Canada;

i.               le rejet par l'agent des visas de l'offre d'emploi faite par l'entreprise du frère de la demanderesse, Advance Fasteners, malgré la confirmation réitérée de l'entreprise de son intention d'embaucher la demanderesse et malgré l'obtention par l'entreprise de l'agrément de l'offre par Développement des ressources humaines Canada, à titre d'offre d'emploi au sein d'une entreprise familiale;

j.               l'opinion de l'agent des visas, qu'il a imposée comme fondement de sa décision, quant aux aptitudes requises pour exercer l'emploi chez Advance Fasteners, en ce qui concerne particulièrement la maîtrise immédiate de l'anglais et l'expérience acquise auprès d'une clientèle d'importantes entreprises.

[70]            La demanderesse affirme, en bref, que toute personne raisonnable aurait conclu qu'elle avait pleinement l'intention d'immigrer au Canada et d'y demeurer.


Langue

[71]            La demanderesse réitère que l'agent des visas a commis une erreur de droit en tenant compte plus d'une fois de ses aptitudes en anglais, soit pour les facteurs de la langue, de la personnalité ainsi que de l'emploi réservé.

[72]            La demanderesse ajoute que l'insistance de l'agent des visas sur la nécessité d'aptitudes en anglais, plutôt qu'en français, dans la ville de Toronto est contraire à la Loi sur l'immigration, à son règlement d'application ainsi qu'à la Charte des droits et libertés.

Nombre requis de points d'évaluation

[73]            La demanderesse soutient qu'en tant que parente aidée à qui l'on a fait une offre d'emploi dans une entreprise familiale, le nombre d'unités requis est de 70 et non de 65 tel que l'agent des visas l'a mentionné. La demanderesse affirme en outre avoir droit à 10 points pour l'offre d'emploi reçue d'Advance Fasteners (Guide - Traitement des demandes à l'étranger, chapitre 5, nombre voulu de points - points supplémentaires et appendice B - demandes relatives aux entreprises familiales).


Défendeur

Argument préliminaire

[74]            La demanderesse a demandé qu'on reconnaisse peu de force probante à l'affidavit de l'agent des visas, du fait qu'il n'a pas été soumis à contrôle au moyen d'un contre-interrogatoire. La demanderesse a fait des déclarations au soutien de cette prétention mais elle n'a pas déposé de nouvel affidavit à l'appui. La Cour n'est donc pas valablement saisie de ces assertions non étayées, selon le défendeur, et elle ne devrait pas les prendre en compte. Le défendeur pourrait répondre de façon détaillée aux prétentions de la demanderesse, mais il ne soumettra pas de réponse sur le fond du fait que la Cour n'est pas valablement saisie de la preuve de la demanderesse. Il y aurait lieu, par ailleurs, de reconnaître pleine valeur probante à l'affidavit de l'agent des visas.

Norme de contrôle judiciaire

[75]            Le pouvoir qu'a l'agent des visas de délivrer un visa est de nature purement administrative. Il a également un caractère discrétionnaire.

[76]            La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires d'agents des visas à l'égard de demandes d'immigration est toujours celle que la Cour suprême du Canada a énoncée dans Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 (motifs du juge McIntyre) :


C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8.

Se reporter également à

Abbas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1949 (1re inst.); Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1766 (1re inst.); Burdziak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1742 (1re inst.)

Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1451 (1re inst.); Milovanova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1353 (1re inst.)

Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1198 (1re inst.)

[77]            La Cour d'appel fédérale, en outre, s'est prononcée spécifiquement sur la question de la norme de contrôle appropriée pour l'évaluation du facteur expérience. Dans Lim, la Cour d'appel a statué que la question de savoir si une personne possédait ou non les compétences requises pour exercer une profession constitue une pure question de fait, du ressort de l'agent des visas. La Cour fédérale n'interviendra pas dans la mesure où l'agent a bien examiné la question appropriée et où sa conclusion n'était pas manifestement déraisonnable (Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.)).


Fardeau de preuve incombant à la demanderesse

[78]            En vertu du paragraphe 8(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'y être admis ne contreviendrait pas à cette loi ni à ses règlements.


8. (1) Charge de la preuve - II incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Burden of proof - Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


[79]            À l'égard de toutes les catégories, par conséquent, un requérant doit soumettre tous les faits et documents pertinents à l'appui de sa demande. La Cour a statué, à de nombreuses reprises, dans le sens de la prétention du défendeur, ainsi :

Il est de jurisprudence constante que c'est à la partie requérante qu'il incombe de convaincre pleinement l'agent des visas de l'existence de tous les éléments positifs de sa demande. En conséquence, dès lors que l'agent des visas n'agit pas de façon injuste et qu'il ne commet pas d'erreur de droit manifeste au vu du dossier pour en arriver à sa décision (en tenant compte par exemple de facteurs étrangers non contenus dans la définition de la CCDP), sa décision a droit à un degré élevé de déférence de la part du Tribunal (voir le jugement Hajariwala c. Canada, [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.).

Cai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 55 (1re inst.)

Rani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 1102 (1re inst.)

[80]            Le défendeur est d'avis qu'en l'espèce, la principale question en litige concerne une pure question de fait ainsi que l'appréciation de la preuve par l'agent des visas.


Évaluation en tant que spécialiste des ventes techniques

[81]            Tel qu'il l'a mentionné dans ses notes du STIDI et dans son affidavit, l'agent des visas ne pouvait conclure - en se fondant sur les réponses à l'entrevue de la demanderesse - que celle-ci avait les compétences requises d'une spécialiste des ventes techniques ni qu'elle avait acquis de l'expérience dans l'exercice de cette profession.

1) Facteur professionnel

[82]            Il est prévu à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978 qu'un requérant doit avoir exercé les fonctions principales de la profession en cause établies dans la CNP :

4. (1) Des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession :

[...]

b) pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions, dont les fonctions essentielles;

[83]            Pour se voir attribuer des points pour le facteur professionnel, ainsi, un requérant doit avoir exercé un nombre substantiel des fonctions principales de la profession visée et non simplement un certain nombre de ces fonctions (Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 1093 (1re inst.); Elijah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1437 (1re inst.)).

[84]            La demanderesse n'a pas démontré à l'entrevue qu'elle avait exercé un nombre substantiel des principales fonctions établies pour la profession de spécialiste des ventes techniques. L'agent des visas est tenu d'appliquer le Règlement sur l'immigration. Il n'a donc pas commis d'erreur en n'attribuant aucun point pour le facteur professionnel.

2) Expérience

[85]            La demanderesse n'a pas réussi à démontrer la moindre erreur commise par l'agent des visas dans l'appréciation de l'expérience acquise en tant que spécialiste des ventes techniques. Tel qu'il ressort de ses notes du STIDI et de son affidavit, l'agent des visas a, avant de conclure qu'elle n'avait pas acquis l'expérience requise comme spécialiste des ventes techniques, examiné la totalité de l'information fournie par la demanderesse à l'appui de sa demande. Le fait qu'elle ait vendu de la marchandise dans un magasin ne suffisait pas pour démontrer l'expérience dans les ventes techniques (Règlement sur l'immigration, annexe I, facteurs 3 et 4; Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 60 (1re inst.); Verma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 136 (1re inst.); Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 435 (1re inst.); Luthra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 633; Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1050 (1re inst.).


3) Absence d'erreur dans l'évaluation du facteur personnalité

[86]            La demanderesse n'a démontré l'existence d'aucune erreur de fait ou de droit dans l'évaluation par l'agent des visas du facteur personnalité. Rien n'indique que l'agent n'a pas tenu compte d'éléments dont il disposait. D'après la preuve soumise, plutôt, l'agent estimait que la demanderesse n'avait pas la motivation, la faculté d'adaptation et l'esprit d'initiative requis pour l'attribution de points pour le facteur personnalité. Or, l'appréciation des points à attribuer pour cette catégorie doit faire l'objet d'une grande déférence (Kompanets c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 726 (1re inst.); Ataullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 936 (1re inst.)).

4) Absence d'entorse à la justice naturelle

[87]            La demanderesse n'a pu démontrer que l'agent des visas avait enfreint des principes de justice naturelle lors de l'entrevue. L'agent des visas n'était tenu de poser la moindre question à la demanderesse. C'est cette dernière qui avait le fardeau de démontrer qu'elle satisfaisait aux critères d'admission. L'agent n'avait à communiquer à la demanderesse aucun sujet d'inquiétude à des fins de commentaire (Yu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 176 (C.F.1re inst.); Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1532 (1re inst.); Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1091 (1re inst.)).


[88]            Quant à l'argument de la demanderesse selon lequel trop peu de motifs étaient consignés aux notes du STIDI pour que soit justifiée l'appréciation de l'agent au sujet de l'expérience acquise, le défendeur soutient que la demanderesse était tenue de demander à l'agent de motiver davantage sa décision avant d'alléguer l'insuffisance des motifs (Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, [2000] A.C.F. n ° 1217 (C.A.)).

ANALYSE

[89]            La demanderesse a soulevé toute une gamme de questions et elle a demandé à la Cour d'examiner la Décision sous plusieurs angles. La manière dont l'agent a apprécié les facteurs professionnel et de l'expérience constitue, toutefois, l'élément central de la Décision et est décisoire aux fins du présent contrôle.

[90]            L'affidavit du 22 avril 2004 (l'entrevue s'est déroulée aux environs du 9 février 2003) de l'agent des visas laisse voir que ce dernier était très conscient de l'importance de son approche face aux antécédents professionnels de la demanderesse au Liban :

[traduction]


J'ai fait passer une entrevue à la demanderesse et j'ai discuté avec elle de ses antécédents professionnels et de son expérience acquise. Comme il est mentionné dans les notes du STIDI, la demanderesse m'a dit qu'en 1994, de secrétaire et adjointe administrative qu'elle était, elle est devenue une spécialiste des ventes techniques. Je lui ai demandé quelles étaient ses fonctions dans ce dernier poste. Elle a répondu qu'elle avait à vendre de l'outillage de quincaillerie. Elle n'a pu démontrer qu'elle exerçait des fonctions allant au-delà de fonctions administratives ou d'un commis. J'étais disposé à croire qu'elle était commis aux ventes générales, mais non une spécialiste des ventes techniques tel qu'elle l'a déclaré. Elle a soutenu avoir travaillé comme vendeuse d'outils et, comme il en est fait état dans les notes du STIDI, elle a présenté une lettre dans ce sens. Elle n'a toutefois pu démontrer plus avant ses antécédents professionnels. Elle s'en est tenue plutôt à des généralités sur le travail dans la vente.

[91]            L'agent des visas affirme donc que, par suite de l'entrevue, il a pu s'assurer que la demanderesse était commis aux ventes générales et était disposé à le croire, mais non pas qu'elle avait acquis l'expérience d'une spécialiste des ventes techniques prévue à la CNP-6221. C'est là aussi la raison pour laquelle l'agent n'a attribué aucun point pour les facteurs professionnel et de l'expérience.

[92]            La demanderesse déclare dans son propre affidavit qu'elle se considérait être une spécialiste des ventes techniques au Liban et que l'agent n'a pas suffisamment tenu compte de la preuve qu'elle a présentée à cet égard.

[93]            L'agent des visas déclare ce qui suit à ce sujet dans les notes du STIDI :

[traduction]

Elle a commencé à travailler comme secrétaire et adjointe administrative en 1991. En 1994, elle est devenue une spécialiste des ventes techniques. Ce qu'elle fait essentiellement, c'est vendre de l'outillage de quincaillerie. Elle travaille pour une entreprise oeuvrant dans ce secteur.


[94]            On ne retrouve donc pas dans les notes du STIDI la claire distinction que l'agent établit dans son affidavit entre un commis à l'administration et une spécialiste des ventes techniques. Tel que l'affidavit de l'agent permet de le constater, on peut expliquer une décision de manière parfaitement convaincante en seulement quelques lignes et il est bien dommage (étant donné le temps et les ressources requis pour un contrôle judiciaire) qu'on n'ait pas inclus dans la Décision même pareille explication convaincante.

[95]            Un élément essentiel de la preuve présentée à l'agent par la demanderesse au sujet de ses antécédents de travail (et les parties conviennent que l'agent en a été saisi) consistait en une lettre fournie par Nabhan Trading Hardware and Tools, l'employeur au Liban, confirmant les dix années de service de la demanderesse au sein de l'entreprise et décrivant de manière assez détaillée ses fonctions pendant cette période et l'expérience alors acquise.

[96]            Dans cette lettre, on désigne la demanderesse en tant que spécialiste des ventes techniques et on précise qu'elle exerçait des fonctions fort pertinentes pour satisfaire aux critères de la CNP-6221.

[97]            Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l'agent était tenu de donner son aval à cette lettre et sa teneur. L'objet de l'entrevue était de permettre à l'agent des visas de s'assurer que la demanderesse avait véritablement les antécédents de travail déclarés être les siens par elle-même et par son employeur.

[98]            Il était loisible à l'agent, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de privilégier ce qu'il avait lui-même appris à l'entrevue plutôt que les déclarations de la demanderesse et de son employeur.


[99]            La conclusion finale de l'agent sur le sujet est cependant tellement catégorique - « Selon ce que j'ai constaté, vous n'avez acquis aucune expérience professionnelle et je ne vous ai donc accordé aucun point tant pour l'expérience, que pour la profession » - et si contraire aux renseignements figurant dans la lettre de l'employeur que l'agent aurait dû faire état de cette divergence et fournir à la demanderesse l'occasion de dissiper à ses inquiétudes à ce sujet. Il aurait dû, qui plus est, en traiter dans sa Décision.

[100]        Il ressort clairement de l'affidavit de l'agent que la distinction entre un commis des ventes générales et une spécialiste des ventes techniques était un élément absolument essentiel de la Décision qu'il a prise. Il a malgré tout choisi de ne pas l'exprimer clairement dans la Décision ou dans les notes du STIDI. Or, il y a lieu de traiter de questions d'une telle importance dans la Décision.


[101]        Bien que la demanderesse ait le fardeau de démontrer qu'elle réunit les conditions requises pour entrer au Canada, cela ne dispense pas l'agent de l'obligation d'agir équitablement. Notre Cour a déclaré à de nombreuses reprises que, même si un décideur n'est pas tenu de se reporter explicitement à chacun des éléments de preuve dont il a été saisi et qui tendent à réfuter une conclusion de fait qu'il a tirée, ni d'analyser chacun de ceux-ci, « cela dépend beaucoup de la pertinence et de la force de la preuve ainsi que de l'importance pour la décision finale relative au fait auquel se rapporte la preuve » , pour reprendre les termes du juge Rouleau dans Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1518 (1re inst.).

[102]        En l'espèce, l'agent aurait dû faire clairement état dans la Décision ou les notes du STIDI des motifs du rejet de la description par l'employeur des antécédents de travail et des responsabilités de la demanderesse au Liban, et il aurait dû fournir à celle-ci l'occasion de dissiper ses inquiétudes à cet égard. Ne pas l'avoir fait constituait une erreur qui donne lieu à révision.

[103]        La Cour ne peut se prononcer quant à savoir, dans le cas où cela aurait été fait, si la décision eût été ou non la même. Pour ce motif, l'affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen à un autre agent des visas. Celui-ci devra permettre à la demanderesse de fournir des détails sur l'ensemble de ses antécédents professionnels pertinents au Liban, et lui faire part de tout sujet d'inquiétude quant au fait qu'elle ne satisfait pas aux critères de la catégorie appropriée de la CNP. L'agent devra également examiner s'il convient ou non que la demanderesse obtienne des points d'évaluation additionnels pour les facteurs de la profession et de l'expérience, de même que ceux de l'emploi réservé et de la personnalité, en raison de tout élément appris dans le cadre du nouvel examen.

[104]        Ce n'est pas à dire que le résultat final différera nécessairement d'une manière quelconque des conclusions tirées dans la décision sous examen, mais la demanderesse et la Cour doivent pouvoir constater que la preuve pertinente a été dûment examinée et que la demanderesse s'est vu offrir l'occasion de dissiper toute inquiétude et incohérence d'importance.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-3780-03

INTITULÉ :                                        SIHAM GEDEON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 15 juin 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Monsieur le juge Russell

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          Le 14 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Charlotte Janssen                                                           Pour la demanderesse

Catherine Vasilaros                                                        Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charlotte Janssen                                                          Pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Catherine Vasilaros                                                        Pour le défendeur

Ministère dela Justice - Bureau régional de l'Ontario

130, rue King Ouest, bureau 3400,

Casier postal 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.