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Date : 20010420

Dossier : T-690-00

Référence neutre : 2001 CFPI 366

ENTRE :

                                                       NATURE'S PATH FOODS INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                             LA COMPAGNIE QUAKER OATS DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                                           intimée

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vue d'obtenir que l'enregistrement canadien de marque de commerce no LMC500,621 de l'intimée relatif à la marque de commerce HONEY PUFFS soit radié en application du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (et ses modifications) [ci-après la Loi sur les marques de commerce ou simplement la Loi].

[2]                 Il ressort de la preuve que la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS est employée depuis longtemps par la demanderesse et ses prédécesseurs en titre. La question en litige consiste à savoir si cette preuve invalide l'enregistrement de l'intimée.


FAITS

[3]                 La demanderesse, Nature's Path Foods Inc., est une société dûment constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Les principaux bureaux et établissement de la demanderesse sont situés à Delta (Colombie-Britannique). La demanderesse fabrique des denrées alimentaires, y compris des céréales pour petit déjeuner.

[4]                 En 1992, Kraft Canada Inc. et Lifestream Natural Foods Ltd., entreprises exploitées à titre de société en nom collectif faisant affaire sous la raison sociale de Lifestream Natural Foods, ont commencé à employer la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS en liaison avec des céréales pour petit déjeuner et des aliments de grignotage dérivés de céréales.

[5]                 Le 24 février 1992 et le 15 avril 1992, la société en nom collectif a présenté des demandes en vue d'obtenir l'enregistrement des marques de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS et MULTI-GRAINS SOUFFLÉS AU MIEL, respectivement, sur le fondement de l'emploi projeté. Selon le registraire des marques de commerce, les demandes ont été réputées abandonnées le 26 février 1996 et le 30 janvier 1996, respectivement.

[6]                 Par un acte de cession daté du 6 mars 1995, la société en nom collectif a cédé à Lifestream Natural Foods (1995) Inc. la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS ainsi que l'achalandage attaché à celle-ci. Le 1er mars 1998, Lifestream Natural Foods (1995) Inc. et Nature's Path Foods Inc. ont fusionné pour donner naissance à la demanderesse.


[7]                 La demanderesse a fourni des éléments de preuve établissant des ventes de céréales pour petit déjeuner en liaison avec la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS. Il s'agit de ventes réalisées soit par la demanderesse elle-même soit par ses prédécesseurs en titre depuis au moins 1992. La demanderesse distribue son produit partout au Canada, à l'exception des provinces maritimes. Elle commercialise son produit par l'entremise de grandes chaînes d'épiceries et de magasins d'aliments naturels et biologiques.

[8]                 L'intimée, La Compagnie Quaker Oats du Canada Limitée, est propriétaire de la marque de commerce HONEY PUFFS, enregistrée sous le numéro LMC500,621 en liaison avec des [TRADUCTION] « céréales pour petit déjeuner » .

[9]                 Le 18 août 1997, l'intimée a présenté une demande afin d'enregistrer la marque de commerce HONEY PUFFS sur le fondement de l'emploi proposé. L'intimée a poursuivi sa demande sans incident, et la marque de commerce a été enregistrée le 15 septembre 1998.

[10]            L'intimée affirme qu'elle emploie la marque de commerce HONEY PUFFS en liaison avec des céréales pour petit déjeuner depuis janvier 1998 en Ontario et depuis janvier 1999 dans l'ensemble du Canada. Les éléments de preuve produits par l'intimée révèlent l'existence de ventes appréciables et croissantes. L'intimée a elle aussi recours à des grandes chaînes d'épiceries, dont certaines sont mentionnées par la demanderesse, pour commercialiser son produit.


QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Les thèses invoquées par les parties soulèvent trois questions :

           La demanderesse ou ses prédécesseurs en titre employaient-ils la marque de commerce HONEY PUFFS ou MULTIGRAIN HONEY PUFFS?

           L'intimée avait-elle le droit d'enregistrer sa marque de commerce HONEY PUFFS compte tenu de l'emploi antérieur, par la demanderesse, d'une marque de commerce qui causerait de la confusion?

           La marque de commerce de l'intimée, HONEY PUFFS, permettait-elle de distinguer les marchandises de cette dernière à n'importe quel moment pertinent?

          

THÈSES DES PARTIES

           Demanderesse

[12]            La demanderesse fait valoir qu'elle-même et ses prédécesseurs en titre emploient la marque de commerce HONEY PUFFS depuis au moins 1992.

[13]            Elle soutient que la marque de commerce de l'intimée ne permettait à aucun moment pertinent de distinguer ses marchandises. Selon elle, la marque de commerce de l'intimée créait et crée toujours de la confusion avec une marque de commerce qu'elle employait et emploie encore au Canada et qu'elle n'a pas abandonnée. La demanderesse invoque le paragraphe 17(1) et l'alinéa 18(1)b) de la Loi.


[14]            La demanderesse prétend en outre que l'intimée n'était pas autorisée à enregistrer sa marque de commerce. Elle affirme qu'à la date de la demande présentée par l'intimée, la marque de commerce de cette dernière créait de la confusion avec une marque de commerce qu'elle-même employait antérieurement au Canada. La demanderesse se fonde à cet égard sur le paragraphe 16(3) et l'article 18 de la Loi.

           Intimée

[15]            L'intimée allègue que la demanderesse et ses prédécesseurs en titre n'ont jamais employé la marque de commerce HONEY PUFFS, mais qu'ils ont plutôt toujours employé la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS.

[16]            Suivant l'intimée, les deux marques des parties sont dépourvues d'un caractère distinctif inhérent, sont descriptives et se composent de termes de la langue courante. L'intimée avance en outre que les marques des parties ne créent pas de confusion l'une avec l'autre si on les examine dans leur intégralité.

[17]            L'intimée fait également valoir que sa marque de commerce demeure distinctive. Elle affirme que ses ventes sont importantes, nationales et en voie de progression, tandis que celles de la demanderesse seraient régionales, périclitantes et n'équivaudraient qu'à une fraction des siennes. Selon l'intimée, la présence sur le marché de la demanderesse est insuffisante pour priver sa propre marque de commerce de son caractère distinctif.


ANALYSE

[18]            Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce confère à la Cour fédérale la compétence exclusive de radier une marque de commerce.

[19]            La Cour doit d'abord se prononcer sur une question d'ordre préliminaire. En effet, la Loi prévoit que seule « une personne intéressée » peut introduire une instance en radiation d'une marque de commerce en application du paragraphe 57(1). Or, sont assimilées à une personne intéressée les personnes dont les droits risquent d'être restreints par un enregistrement. À mon avis, l'enregistrement de la marque de commerce de l'intimée pourrait bien avoir une incidence sur la portée des droits afférents à la marque de commerce de la demanderesse. Par conséquent, la demanderesse est une « personne intéressée » qui peut valablement saisir la Cour de la demande visée en l'espèce.

[20]            L'inscrivant bénéficie d'une présomption selon laquelle l'enregistrement de sa marque de commerce est valide : Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128, à la page 134 (C.F. 1re inst.). Il appartient donc à la partie opposante de montrer que l'enregistrement devrait être radié : Golden Happiness Bakery Ltd. c. Goldstone Bakery & Restaurant Ltd. (1994), 76 F.T.R. 52, au paragraphe 12.

           Question 1 : Marque de la demanderesse


[21]            La demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve établissant qu'elle-même ou ses prédécesseurs en titre aient jamais employé une marque de commerce autre que la marque MULTIGRAIN HONEY PUFFS avant 1997. L'expression HONEY PUFFS ne s'est jamais trouvée dissociée du terme MULTIGRAIN avant 1997. Toutefois, en 1997, la demanderesse a changé l'emballage de son produit. Même si la demanderesse a continué d'appeler son produit MULTIGRAIN HONEY PUFFS, les termes HONEY PUFFS sont pour la première fois apparus seuls dans le texte se trouvant sur l'emballage. Cependant, l'affidavit de M. R. Patrizio, contrôleur de la demanderesse, est muet sur la date à laquelle on aurait effectué ce changement. Par conséquent, rien dans la preuve ne permet de savoir si cette modification a eu lieu avant le 18 août 1997, date pertinente pour décider si l'intimée avait ou non le droit d'enregistrer sa marque de commerce. Les éléments de preuve relatifs à la période pertinente établissent l'usage de la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS. À mon sens, il ressort de la preuve que le terme MULTIGRAIN vise à modifier l'expression HONEY PUFFS. Le mot MULTIGRAIN est destiné à être lu avec les termes HONEY PUFFS. L'intimée signale avec raison que l'emballage de la demanderesse présente l'expression « Ways to enjoy Multigrain Honey Puffs » . En outre, les factures que la demanderesse a déposées pour établir l'emploi de ses produits portent la mention « MULTIGRN HP » .

[22]            Selon moi, avant la date pertinente, la demanderesse et ses prédécesseurs en titre n'employaient pas la marque de commerce HONEY PUFFS, mais plutôt la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS.


[23]            Cette opinion est confirmée par la cession des marques de commerce mise en preuve par la demanderesse pour établir la chaîne de titres afférente à sa marque de commerce. En fait, ce document constate la cession à la demanderesse de la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS et de l'achalandage attaché à celle-ci. Il n'a pas pour effet de céder la marque de commerce HONEY PUFFS.

[24]            Cela étant dit, la preuve déposée par la demanderesse montre que la demanderesse et ses prédécesseurs en titre emploient la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS depuis longtemps. La cession mise en preuve transfère valablement à la demanderesse le titre afférent à cette marque ainsi que le droit de l'employer. La Cour doit néanmoins se demander si les droits de la demanderesse à l'égard de la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS ont une incidence sur le droit de l'intimée d'enregistrer la marque de commerce HONEY PUFFS ou sur le caractère distinctif de celle-ci.

           Question 2 : Absence d'un droit à l'enregistrement

[25]            La demanderesse soutient que l'intimée n'était pas autorisée à enregistrer sa marque de commerce puisqu'à la date de la demande, cette marque créait de la confusion avec la marque de commerce de l'intimée qui était antérieurement employée au Canada.

[26]            À l'appui de ce moyen, la demanderesse invoque les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce.



16. (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n'ait créé de la confusion:

                a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne; [...]

17. (1) Aucune demande d'enregistrement d'une marque de commerce qui a été annoncée selon l'article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu'une personne autre que l'auteur de la demande d'enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d'établir qu'il n'avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l'annonce de la demande du requérant.

16. (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the wares or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

                (a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person; [...]

17. (1) No application for registration of a trade-mark that has been advertised in accordance with section 37 shall be refused and no registration of a trade-0mark shall be expunged or amended or held invalid on the ground of any previous use or making known of a confusing trade-mark or trade-name by a person other than the applicant for that registration or his predecessor in title, except at the instance of that other person or his successor in title, and the burden lies on that other person or his successor to establish that he had not abandoned the confusing trade-mark or trade-name at the date of advertisement of the applicant's application.


[27]            Le paragraphe 6(2) de la Loi sur les marques de commerce donne la définition suivante du terme confusion :


6. (2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

6. (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.


[28]            Les facteurs à prendre en considération pour décider si la marque de commerce crée de la confusion sont énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi :



6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :                  a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

                b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

                c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

                d) la nature du commerce;

                e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

6.(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

                (a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

                (b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

                (c) the nature of the wares, services or business;

                (d) the nature of the trade; and

                (e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


[29]            Lorsqu'on apprécie le risque de confusion, il faut tenir compte de la première impression dans l'esprit d'un consommateur moyen susceptible d'acheter les marchandises en question et n'ayant qu'un souvenir vague et imparfait de la première marque de commerce : Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614, aux pages 621 et 622 (C.A.); Baylor University c. Governor and Co. of Adventurers Trading into Hudson's Bay (2000), 8 C.P.R. (4th) 64, à la page 74 (C.A.F.).

[30]            Comme il est mentionné plus haut, la date pertinente en ce qui a trait à ce moyen de contestation est celle de la demande d'enregistrement visant la marque de commerce de l'intimée, c.-à-d. le 18 août 1997 (paragraphe 16(3) de la Loi sur les marques de commerce).

[31]            La demanderesse affirme que, compte tenu de la forte ressemblance entre les marchandises et les voies commerciales des parties, d'une part, et du degré considérable de ressemblance entre leurs marques, d'autre part, la marque de commerce de l'intimée crée de la confusion avec la marque de la demanderesse.


[32]            L'intimée prétend que, pour déterminer si deux marques de commerce causent de la confusion, il faut les examiner dans leur intégralité. On ne doit pas disséquer les marques de commerce en leurs différentes composantes : Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, à la page 426 (C.A.F.).

[33]            Selon l'intimée, le premier mot ou la première syllabe d'une marque de commerce est habituellement l'élément le plus important au regard du caractère distinctif. En l'espèce, les premiers mots des marques de commerce des parties, qui sont différents, servent à distinguer ces marques l'une de l'autre : Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, à la page 188 (C.F. 1re inst.).


[34]            L'intimée fait en outre remarquer que les deux éléments de sa marque de commerce, « HONEY » et « PUFFS » , sont couramment utilisés dans les marques de commerce enregistrées par des tiers et les demandes présentées par ces derniers relativement à des céréales. Elle soutient que, dans ce genre de situation, les consommateurs feront la distinction entre les produits en raison des différences subtiles qui existent entre les marques. Ce serait particulièrement le cas lorsque les négociants adoptent des termes de la langue courante et que les marques consistent, en tout ou en partie, en des mots qui donnent une description des marchandises liées à la marque [Walt Disney Productions c. Fantasyland Hotel Inc. (1994), 56 C.P.R. (3d) 129 (B.R. Alb.), conf. (1996), 67 C.P.R. (3d) 444 (C.A. Alb.)] et où les marques concurrentes ne présentent que peu ou pas de caractère distinctif inhérent [Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. et al. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.)].

[35]            En l'espèce, l'application des critères prévus au paragraphe 6(5) donne lieu aux observations suivantes :

Caractère distinctif inhérent - Comme il a déjà été signalé, l'intimée allègue que les marques des parties présentent des éléments descriptifs couramment employés au sein du secteur visé. Je conviens qu'aucune des marques des parties ne possède un caractère distinctif inhérent appréciable.

Durée de l'usage - La marque de la demanderesse est utilisée de façon continue depuis 1992. En comparaison, l'intimée n'emploie sa marque que depuis 1998, et seulement depuis 1999 à l'échelle nationale, et ne l'utilisait pas du tout à la date pertinente en l'espèce, soit la date de la demande de l'intimée. Ce fait joue en faveur de la demanderesse.


Genre de marchandises - Lorsque des marques concurrentes sont analogues, la similitude des marchandises portant ces marques constituera un facteur important pour apprécier la question de la confusion : Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Assn. (2001), 9 C.P.R. (4th) 51, à la page 59 (C.A.F.). Les parties vendent des céréales pour petit déjeuner concurrentes. L'intimée a tenté d'établir une distinction entre la marque de ses céréales pour petit déjeuner et celle des céréales pour petit déjeuner de la demanderesse en affirmant que la seconde vise le marché des aliments diététiques, alors que son propre produit vise le marché des céréales pour petit déjeuner de consommation courante. À mon avis, cette distinction subtile contribue très peu à différencier les marchandises des parties. Les céréales pour petit déjeuner ne sont pas le genre de produits qui suscitent une réflexion approfondie de la part des consommateurs : Park Avenue, précité, à la page 429. Les parties offrent des produits sensiblement analogues et se font directement concurrence sur le marché.


Nature du commerce - Lorsque des marques concurrentes sont similaires, le fait que les marchandises portant ces marques soient distribuées par le truchement du même genre de magasins ou de moyens de commercialisation constitue un facteur important dans l'appréciation du risque de confusion : Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 68, à la page 74 (C.F. 1re inst.). Les deux parties distribuent leurs produits par l'intermédiaire de grandes chaînes d'épiceries, bien que la demanderesse vendent également ses céréales pour petit déjeuner à des magasins d'aliments naturels. De fait, la preuve révèle que les parties ont à tout le moins recours à certains distributeurs communs, soit Overwaitea et Oshawa Food Group. Leurs voies commerciales sont donc pratiquement identiques. En outre, les deux parties ciblent la même catégorie d'acheteurs, à savoir les consommateurs qui préfèrent les céréales pour petit déjeuner préemballées. Bien qu'on laisse entendre que la demanderesse cible également les clients qui s'approvisionnent auprès de magasins d'aliments naturels, rien ne permet de penser qu'elle s'intéresse exclusivement à ce genre de consommateurs. Compte tenu de la nature des produits vendus par les parties et de l'attention que les consommateurs prêteront à cet achat, le chevauchement des voies commerciales des parties et de leurs distributeurs actuels revêt une importance certaine.


Degré de ressemblance - La marque de commerce de la demanderesse, MULTIGRAIN HONEY PUFFS, incorpore la totalité de la marque de commerce de l'intimée, HONEY PUFFS. L'intimée signale avec raison que le premier élément d'une marque de commerce constitue la partie la plus importante de la marque, et que les deux marques diffèrent à cet égard. Cependant, j'estime que l'importance du premier élément de la marque de la demanderesse est quelque peu atténuée en l'espèce. Même s'il faut examiner la marque dans son intégralité, il est néanmoins possible d'en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public : Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.), au paragraphe 34. Lorsque les marques des parties comportent des caractéristiques communes, mais que les différences servent à prédominer sur ces caractéristiques, la possibilité de confusion sera mince : Foodcorp Ltd. c. Chalet Bar B Q (Canada) Inc. (1982), 66 C.P.R. (2d) 56, à la page 73 (C.A.F.). Or, c'est l'effet contraire qui se produit en l'espèce. Dans la marque de la demanderesse, le mot « MULTIGRAIN » modifie l'expression « HONEY PUFFS » . Bien que la marque de la demanderesse ait peu de caractère distinctif inhérent, ce qui la distingue découle de ce dernier élément et non du premier mot que comporte la marque. À vrai dire, les consommateurs pourraient bien estimer que les différences entre les marques ajoutent à la confusion au lieu de l'éliminer : voir, p. ex., Cartier Men's Shops Ltd. c. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 68, à la page 73 (C.F. 1re inst.). Il est fort possible que les consommateurs aient l'impression que les produits des parties consistent en la forme « multigrain » et « ordinaire » de la même céréale. Compte tenu de la situation, le degré de ressemblance entre les marques est considérable.

Autres faits de l'espèce - L'intimée signale que la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve établissant l'existence d'un cas concret de confusion. Je conviens qu'il aurait été préférable que la demanderesse produise à tout le moins certains éléments de preuve en ce sens. Voir, p. ex., Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.F.). Il ne serait toutefois pas approprié, compte tenu du dossier de la preuve déposé en l'espèce, d'inférer de l'absence d'une confusion réelle qu'il n'y a pas de possibilité de confusion, et encore moins que la confusion n'aurait pas été vraisemblable à la date pertinente : Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, à la page 422 (C.F. 1re inst.), conf. [2000] A.C.F. no 2090 (QL) (C.A.).


[36]            À la lumière de l'ensemble de la preuve produite au dossier et de tous les faits de l'espèce, y compris les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, j'estime que la demanderesse a réussi à établir l'existence, à la date pertinente, d'un risque de confusion entre sa marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS et la marque de commerce HONEY PUFFS de l'intimée. Outre le degré élevé de ressemblance entre les marques de commerces, le fait que les produits et les voies commerciales des parties se chevauchent et que les consommateurs de ces produits soient en partie les mêmes montrent l'existence d'un risque de confusion. Tout simplement, les parties se font directement concurrence. Selon moi, il ressort de la preuve que le consommateur moyen de céréales pour petit déjeuner ayant un souvenir vague ou imparfait de la marque de la demanderesse, MULTIGRAIN HONEY PUFFS, aurait, à la date pertinente, probablement confondu la marque de l'intimée, HONEY PUFFS, avec celle de la demanderesse en ce qui a trait à la première impression.

           Question 2 : Absence de caractère distinctif

[37]            La demanderesse allègue que l'enregistrement de l'intimée est invalide puisque la marque de cette dernière ne permettait pas, et ne permet toujours pas, de distinguer ses marchandises. Voici le texte de l'alinéa 18(1)b) de la Loi :


18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants:

[...]

                b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;

18. (1) the registration of a trade-mark is invalid if

[...]

                (b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, [...]


[38]            La date pertinente pour exercer le recours prévu à l'alinéa 18(1)b) de la Loi est celle de l'introduction de la présente demande : Patou (Jean) Inc. c. Luxo Laboratories Ltd. (1998), 158 F.T.R. 16, au paragraphe 12.

[39]            L'article 2 de la Loi sur les marques de commerce définit ainsi le terme « distinctive » , relativement à une marque de commerce :


celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them.



[40]            L'existence d'un caractère distinctif est une question de fait : White Consolidated Industries, Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 94, aux pages 109 et 110 (C.F. 1re inst.). Pour être distinctive, une marque de commerce doit remplir trois conditions : (1) la marque et les marchandises doivent avoir un lien entre elles; (2) le « propriétaire » de la marque doit faire usage de ce lien dans la fabrication et la vente de ses marchandises; et (3) ce lien doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses marchandises de celles des autres : Philip Morris Incorporated c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254, à la page 270 (C.F. 1re inst.), conf. (1987),17 C.P.R. (3d) 237 (C.A.F.) et (1987),17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.).

[41]            La demanderesse affirme que la marque de commerce HONEY PUFFS ne permettait pas et ne permet toujours pas de distinguer les marchandises de l'intimée compte tenu de l'usage antérieur de cette marque par la demanderesse et ses prédécesseurs en titre. Lorsque plus d'une partie emploie une marque de commerce, on ne peut qualifier cette dernière de distinctive :

Étant donné que le caractère distinctif d'une marque est attaché, entre autres choses, à sa source de fabrication, lorsqu'une marque est attachée à plus d'une source, elle ne peut avoir de caractère distinctif.

Moore Dry Kiln Co. of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc.(1976), 30 C.P.R. (2d) 40, à la page 49 (C.A.F.).


[42]            Toutefois, la question ne peut être tranchée aussi facilement que le prétend la demanderesse. En effet, la preuve révèle qu'avant 1997, la demanderesse et ses prédécesseurs en titre ont employé la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS et non HONEY PUFFS. La preuve montre également que la marque de commerce HONEY PUFFS a, dans une certaine mesure, été employée séparément du terme MULTIGRAIN depuis 1997. La Cour doit donc se demander si la marque de commerce de l'intimée, HONEY PUFFS, est distinctive à la lumière de l'usage non contesté et de longue date de la marque de commerce MULTIGRAIN HONEY PUFFS.

[43]            L'intimée admet qu'à la date pertinente, elle vendait son produit sous la marque de commerce HONEY PUFFS depuis deux ans. Elle signale qu'elle vend ses céréales partout au Canada, tandis que la demanderesse ne paraît pas vendre les siennes dans les Maritimes, et qu'elle vend en outre trois fois plus de céréales que la demanderesse. Les ventes de l'intimée vont croissant tandis que celles de la demanderesse périclitent. L'intimée conclut donc que les ventes de la demanderesse sont insuffisantes pour affaiblir le caractère distinctif de sa marque de commerce. De surcroît, l'intimée avance que la demanderesse n'a présenté aucune preuve de confusion réelle en vue d'étayer sa prétention voulant que la marque de commerce de l'intimée ne soit pas véritablement distinctive.


[44]            La preuve concernant la date pertinente différente dont il faut tenir compte dans le cadre de l'analyse du caractère distinctif ne change rien à ma conclusion selon laquelle il existe un risque de confusion entre les marques des parties. En fait, les éléments de preuve présentés par la demanderesse à l'appui de l'emploi postérieur à 1997 de la marque de commerce HONEY PUFFS, sans le terme MULTIGRAIN, renforce cette conclusion. Le risque de confusion entre les marques des parties est toujours présent. Compte tenu de cette conclusion, la marque de l'intimée ne peut satisfaire à la troisième condition du critère touchant le caractère distinctif qui est énoncé dans l'arrêt Philip Morris Incorporated c. Imperial Tobacco Ltd. et al., précité. Le lien entre les marchandises et la marque de commerce de l'intimée ne permet pas à cette dernière de distinguer ses marchandises de celles des autres. Par conséquent, la marque de l'intimée était dépourvue de caractère distinctif à la date pertinente.

[45]            La présente demande est accordée avec dépens. La marque de commerce HONEY PUFFS sera biffée du registre des marques de commerce.

                                                                     « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 avril 2001.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-690-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Nature's Path Foods Inc. c. La Compagnie Quaker Oats du Canada Limitée

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 28 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS LE 20 AVRIL 2001 PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER.

ONT COMPARU :

Paul Smith                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Anthony Prenol                                                     POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Smith Intellectual Property Law                                POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Blake Cassels Graydon LLP                                             POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)

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