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Date : 20051129

Dossier : T-624-05

Référence : 2005 CF 1610

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

TROY CONSTANTINEAU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) a refusé la demande de remise en semi-liberté accélérée de Troy Constantineau; l'appel subséquent interjeté par le demandeur devant la Section d'appel de la CNLC a également été rejeté. La Section d'appel a jugé que le dossier de la CNLC contenait suffisamment de renseignements pour établir qu'il existe des motifs raisonnables de croire que s'il est remis en liberté, M. Constantineau risque vraisemblablement de commettre une infraction accompagnée de violence avant la date d'expiration de son mandat d'incarcération.

[2]                M. Constantineau a saisi la Cour d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel, au motif que la Section d'appel aurait commis une erreur en accordant trop de valeur à des allégations selon lesquelles il aurait agressé et menacé son ancienne conjointe de fait. M. Constantineau nie la véracité de ces allégations qui figurent dans un rapport de police versé au dossier de la CNLC. En outre, M. Constantineau affirme que compte tenu du dossier dont disposait la Section d'appel, cette dernière a commis une erreur en concluant qu'il risquait « vraisemblablement » de commettre une infraction avant la date d'expiration de sa sentence.

[3]                Pour les motifs exposés ci-après, je suis d'avis que la Section d'appel n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour dans le dossier de M. Constantineau. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Contexte

[4]                M. Constantineau a été condamné à deux reprises en tant que mineur pour agression, écopant d'une peine d'emprisonnement de 30 jours et de 90 jours respectivement, en 1992 et en 1996. La dernière condamnation concerne une agression contre sa petite amie de l'époque.

[5]                Le 16 mai 2003, M. Constantineau a été reconnu coupable de méfait, de ne pas s'être présenté en cour, de méfait à l'égard d'un bien de moins de 5 000 $, de non-respect d'un engagement et de non-respect des conditions d'un engagement imposées par l'agent responsable. Pour ces infractions, M. Constantineau a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans et 13 jours.

[6]                À l'époque, M. Constantineau faisant également l'objet de chefs d'accusation pour menaces et agression contre son ancienne conjointe de fait. Cette dernière ayant omis de comparaître lors du procès, ces chefs d'accusation ont été retirés.

[7]                Lors de l'imposition de sa sentence, il a été convenu que M. Constantineau participerait à un programme de prévention de la violence familiale. En janvier 2005, M. Constantineau a fait appel à la procédure d'examen expéditif de sa demande de remise en liberté conditionnelle. Au soutien de sa demande d'examen, l'agent de libération conditionnelle de M. Constantineau a pris les mesures nécessaires pour que ce dernier soit admis dans une maison de transition à Kingston, dès sa libération, où il pourrait suivre un programme de prévention de la violence familiale hors établissement.

[8]                La CNLC a refusé la procédure d'examen expéditif de la demande de remise en liberté de M. Constantineau, jugeant qu'il représentait toujours un risque élevé de violence à l'égard de ses partenaires féminines, qu'il devait participer à un programme intensif de prévention de la violence familiale et qu'il avait démontré un flagrant mépris des conditions qui lui avaient été imposées dans le passé.

           

[9]                La Section d'appel de la CNLC a confirmé cette décision, jugeant que le dossier contenait suffisamment de renseignements pour établir qu'il existe des motifs raisonnables de croire que M. Constantineau risque vraisemblablement de commettre une infraction accompagnée de violence avant la fin de sa sentence.

           

Questions en litige

[10]            M. Constantineau soutient que la Section d'appel n'a pas respecté son obligation d'équité en s'appuyant sur les allégations contenues dans le rapport de police alors que M. Constantineau nie la véracité de ses allégations.

[11]            M. Constantineau soutient également que la Section d'appel a commis une erreur en concluant qu'il risque « vraisemblablement » de commettre une infraction accompagnée de violence, compte tenu de la preuve au dossier.

Textes de loi pertinents

[12]            Avant d'examiner les arguments soulevés par M. Constantineau, il est nécessaire de bien comprendre les principes qui régissent la CNLC et la Section d'appel, dans l'exercice de leur compétence en matière de libérations conditionnelles. Ces principes sont énoncés aux articles 102, 125 et 126 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), 1992, ch. 20; les dispositions pertinentes de ces articles sont libellées comme suit :

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d'avis qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

125. (2) Le Service procède, au cours de la période prévue par règlement, B l'étude des dossiers des délinquants visés par le présent article en vue de leur transmission B la Commission pour décision conformément B l'article 126.

(3) L'étude du dossier se fonde sur tous les renseignements pertinents qui sont normalement disponibles, notamment :

a) les antécédents sociaux et criminels du délinquant obtenus en vertu de l'article 23;

b) l'information portant sur sa conduite pendant la détention;

c) tout autre renseignement révélant une propension B la violence de sa part.

126. (1) La Commission procède sans audience, au cours de la période prévue par règlement ou antérieurement, B l'examen des dossiers transmis par le Service ou les autorités correctionnelles d'une province.

(2) Par dérogation B l'article 102, quand elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, la Commission ordonne sa libération conditionnelle totale.

(3) Si elle est convaincue du contraire, la Commission communique au délinquant ses conclusions et motifs.

(4) La Commission transmet ses conclusions et motifs B un comité constitué de commissaires n'ayant pas déjà examiné le cas et chargé, au cours de la période prévue par règlement, du réexamen du dossier.

(5) Si le réexamen lui apporte la conviction précisée au paragraphe (2), le comité ordonne la libération conditionnelle totale du délinquant.

(6) Dans le cas contraire, la libération conditionnelle totale est refusée, le délinquant continuant toutefois d'avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5).

(7) Pour l'application du présent article, une infraction accompagnée de violence s'entend du meurtre ou de toute infraction mentionnée B l'annexe I; toutefois, il n'est pas nécessaire, en déterminant s'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant en commettra une, de préciser laquelle.

126.1 Les articles 125 et 126 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, B la procédure d'examen expéditif visant B déterminer si la semi-liberté sera accordée au délinquant visé B l'article 119.1.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

           

125. (2) The Service shall, at the time prescribed by the regulations, review the case of an offender to whom this section applies for the purpose of referral of the case to the Board for a determination under section 126.

(3) A review made pursuant to subsection (2) shall be based on all reasonably available information that is relevant, including:

(a) the social and criminal history of the

offender obtained pursuant to section 23;

(b) information relating to the performance and

behaviour of the offender while under sentence; and

(c) any information that discloses a potential for

violent behaviour by the offender.

126. (1) The Board shall review without a hearing, at or before the time prescribed by the regulations, the case of an offender referred to it pursuant to section 125.

(2) Notwithstanding section 102, if the Board is satisfied that there are no reasonable grounds to believe that the offender, if released, is likely to commit an offence involving violence before the expiration of the offender's sentence according to law, it shall direct that the offender be released on full parole.

(3) If the Board does not direct, pursuant to subsection (2), that the offender be released on full parole, it shall report its refusal to so direct, and its reasons, to the offender.

(4) The Board shall refer any refusal and reasons reported to the offender pursuant to subsection (3) to a panel of members other than those who reviewed the case under subsection (1), and the panel shall review the case at the time prescribed by the regulations.

(5) Notwithstanding section 102, if the panel reviewing a case pursuant to subsection (4) is satisfied as described in subsection (2), the panel shall direct that the offender be released on full parole.

(6) An offender who is not released on full parole pursuant to subsection (5) is entitled to subsequent reviews in accordance with subsection 123(5).

(7) In this section, "offence involving violence" means murder or any offence set out in Schedule I, but, in determining whether there are reasonable grounds to believe that an offender is likely to commit an offence involving violence, it is not necessary to determine whether the offender is likely to commit any particular offence.

126.1 Sections 125 and 126 apply, with such modifications as the circumstances require, to a review to determine if an offender referred to in subsection 119.1 should be released on day parole.

[13]            Maintenant que le régime prévu par la loi a été défini, j'examinerai les arguments soulevés par M. Constantineau.

           

La Section d'appel a-t-elle omis de respecter l'obligation d'équité en s'appuyant sur les allégations contenues dans le rapport de police, alors que M. Constantineau nie la véracité de ces allégations?

[14]            La question de savoir si la Section d'appel a omis de respecter l'obligation d'équité envers M. Constantineau doit être examinée selon la norme de la décision correcte : Canada (Procureur général) c. Coscia, [2005] A.C.F. n ° 607, 2005 CAF 132, au paragraphe 33.

[15]            Compte tenu de la preuve au dossier, je ne suis pas convaincue que la CNLC et la Section d'appel ont agi de manière inéquitable en ce qui concerne la preuve en cause. Il est évident que les préoccupations à l'égard de la propension à la violence de M. Constantineau ont été soulevées devant lui, lors de l'audience devant la CNLC, et qu'il a pleinement eu l'occasion de fournir une réponse à l'encontre de ces préoccupations. De fait, rien ne laisse entendre en l'espèce que le demandeur a été pris par surprise ou qu'il n'a pas eu pleinement l'occasion de s'expliquer concernant les allégations.

[16]            Comme le demandeur l'a reconnu devant la Cour, la Section d'appel était habilitée à prendre en compte les allégations non prouvées dans le rapport de police. Ce que le demandeur conteste, c'est la valeur que la Section d'appel a accordé à ces allégations. Je ne vois pas en quoi cela constituerait un manquement à l'obligation d'équité procédurale; je rejetterai donc cet aspect de la demande de M. Constantineau.

[17]            La question de savoir si la Section d'appel a commis ou non une erreur en accordant une grande valeur aux allégations contenues dans le rapport de police sera examinée dans les paragraphes qui suivent.

La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en jugeant que M. Constantineau risquait « vraisemblablement » de commettre une infraction accompagnée de violence, compte tenu du dossier dont elle disposait?     

[18]            N'oublions pas que même si la Section d'appel entend les « appels » des délinquants, les motifs d'appel sont essentiellement les mêmes que pour une demande de contrôle judiciaire : Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, 2002 CAF 384, au paragraphe 6. Même si, en théorie, la Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, alors que la Section d'appel a confirmé la décision de la CNLC, la Cour est éventuellement tenue de vérifier que la décision de la CNLC est conforme à la loi : Cartier, précité, au paragraphe 10.

[19]            En ce qui concerne la norme de contrôle applicable, les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si la décision de la Section d'appel doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision manifestement déraisonnable. Il est toutefois inutile de trancher cette question en l'espèce car je suis convaincue que la décision de la Section d'appel peut résister à l'examen le plus strict de la norme de la décision raisonnable.

[20]            Les critères relatifs à l'examen expéditif d'une demande de semi-liberté sont définis à l'article 126 de la LSCMLC. Le paragraphe 126(2) précise que la CNLC peut faire droit à la procédure d'examen expéditif de la demande de semi-liberté si elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence, s'il est remis en liberté.

[21]            Les parties conviennent que la CNLC n'est pas liée par les règles strictes de la preuve et qu'elle est autorisée à prendre en compte les rapports de police et tout autre renseignement pertinent concernant le risque que représente le délinquant : Latham c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n ° 1911, 2004 CF 1585, aux paragraphes 13 à 15. Voir également Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, aux paragraphes 25 à 30.    

[22]            En l'espèce, les allégations contenues dans le rapport de police sont celles de l'ancienne conjointe de fait de M. Constantineau. Bien que ce dernier nie avoir frappé cette femme à la figure, il reconnaît qu'il y a eu de nombreux conflits dans leur relation. Il admet que son comportement n'était [traduction] « définitivement pas normal » et qu'il lui est souvent arrivé d'être incapable de maîtriser sa colère, de donner des coups de pied, de hurler et de crier à tue-tête. M. Constantineau a également reconnu avoir brisé un pare-brise de voiture alors qu'il était en colère et avoir fait un trou dans le mur avec son poing, à une autre occasion. M. Constantineau a reconnu qu'il lui est arrivé au moins une fois d'avoir [traduction] « définitivement perdu le contrôle » .

[23]            M. Constantineau a aussi admis qu'il a souvent omis de respecter les conditions imposées par la Cour de se tenir loin de son ancienne conjointe de fait, reconnaissant qu'il avait fait l'objet de 16 chefs d'accusation pour le non-respect de ces conditions. Il a été incapable de fournir la moindre explication sur ce sujet et il a reconnu que compte tenu de son comportement dans le passé, la CNLC pouvait raisonnablement douter de sa capacité à respecter les conditions dont pourrait être assortie sa remise en liberté.

[24]            Au vu de cette preuve, la CNLC a jugé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Constantineau risque vraisemblablement de commettre une infraction accompagnée de violence, s'il est libéré.            

[25]            L'argument de M. Constantineau voulant que la CNLC ait présumé à tort que le demandeur avait commis l'agression et proféré les menaces alléguées contre son ancienne conjointe de fait n'est tout simplement pas justifié par le contenu du dossier. La conclusion de la CNLC est fondée, dans une large mesure, sur les propres aveux de M. Constantineau. À mon avis, la CNLC pouvait raisonnablement parvenir à la décision qu'elle a prise et je ne vois aucun motif justifiant que la Cour intervienne dans la décision de la Section d'appel et annule la décision de la CNLC.

Conclusion                                                                                                                  

[26]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-624-05

INTITULÉ :                                        TROY CONSTANTINEAU c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le lundi 28 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        La juge Anne Mactavish

DATE DES MOTIFS :                       Le 29 novembre 2005

COMPARUTIONS:

John Dillon

POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JOHN DILLON

Kingston (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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