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                                                                                                                           Dossier : T-1638-03

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 471

ENTRE :

                                                             JACOB A. KRAHN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                          L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire. Dans son avis de demande initial, le demandeur a indiqué qu'il cherchait à obtenir l'ordonnance suivante :

[traduction ]

que la défenderesse examine les calculs du demandeur visant les retenues salariales, la TPS et le versement de ces sommes, qu'elle les compare avec ses propres calculs, et qu'elle avise le demandeur de quelle manière elle est arrivée à la conclusion qu'il y avait encore un solde dû. Une ordonnance visant une comptabilisation.


[2]                  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur cherche à obtenir les ordonnances suivantes :

[traduction ]

1.              que le ministre du Revenu national réexamine et recalcule les retenues salariales et les intérêts dus par Super Save Glass & Car Care Ltd. à la lumière de la conclusion du juge Beaubier [...].

                                                                       

* * * * * * * * * *

3.              Subsidiairement, une ordonnance prescrivant que le ministre du Revenu national réexamine et recalcule les retenues salariales dues, à la lumière des observations présentées par le demandeur aux pages 40 à 42 de l'affidavit de Jacob A. Krahn. [...]

[3]                Je ne sais pas exactement quelle décision d'un agent ou d'un tribunal fédéral on me demande de contrôler, ni quelle réparation on me demande d'accorder.

Faits

[4]                Le demandeur et son épouse sont les administrateurs de Westbank U-Haul and Rentals Ltd., aussi connue sous le nom de Super Save Glass & Care Ltd. (la compagnie), qui a omis de remettre à la défenderesse, soit l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), une partie des retenues d'impôt prélevées sur la paye des employés entre 1993 et 1996. L'ADRC a fait parvenir des cotisations à la compagnie, mais n'a pu recouvrer les sommes exigées. Le 9 février 1999, l'ADRC a signifié un avis de cotisation au demandeur et à son épouse, les tenant responsables du paiement des sommes dues. Les avis de cotisation se chiffraient à 9 416,41 $.



[5]                Le demandeur et son épouse ont interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt (CCI). Dans une décision en date du 23 novembre 2000, le juge Beaubier de la CCI a conclu que le demandeur et son épouse étaient responsables à titre d'administrateurs de la compagnie et a rejeté les appels visant la cotisation en date du 9 février 1999, qui se chiffrait à 9 416,41 $. Le demandeur affirme maintenant, dans le cadre de son argumentation, que son épouse et lui avaient demandé à la CCI [traduction] « une renonciation aux intérêts et aux pénalités » . Autrement dit, à son avis, ils n'avaient pas interjeté appel de la cotisation de février 1999, si bien que cette cotisation n'a pas été confirmée par la CCI. Étant donné qu'il n'avait pas inclus les avis d'appel dans la documentation qui m'a été soumise, j'ai demandé qu'on me les présente. Par la suite, il a soumis à la Cour un avis d'appel et la transcription de l'audience devant la CCI. L'avis d'appel ne renferme aucune indication laissant croire que les appels visaient [traduction] « une renonciation aux intérêts et aux pénalités » . L'avis d'appel n'est pas très clair, mais semble avoir trait à des discussions et une prétendue entente avec l'ADRC en vue de retirer les cotisations visant le demandeur et son épouse à titre d'administrateurs de la compagnie, parce que le demandeur avait convaincu l'ADRC de l'existence de circonstances atténuantes, soit l'état de santé du demandeur et d'autres problèmes qui l'avaient empêché d'exercer une diligence raisonnable à titre d'administrateur de la compagnie en veillant à ce que les retenues salariales prélevées de ses employés soient remises à l'ADRC. Une lecture de la transcription confirme que, d'après le juge Beaubier, la question en litige est de savoir s'il était approprié que les cotisations visent le demandeur et son épouse à titre d'administrateurs de la compagnie. Dans l'exposé de ses motifs, il a déclaré que [traduction] « les appelants ont interjeté appel des cotisations découlant de la responsabilité des administrateurs aux termes de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu » . Il précise que la cotisation visée par l'appel est celle en date du 9 février 1999 et il achève l'exposé de ses motifs en déclarant que [traduction] « les appels sont rejetés » . Le demandeur et son épouse n'ont pas fait appel de la décision de la CCI. Cette formulation de la question en litige par le juge de la CCI est, de toute évidence, compatible avec la compétence de ce tribunal, qui n'englobe pas la [traduction] « renonciation aux intérêts et aux pénalités » , mais se limite aux appels concernant les cotisations ou à l'audition de certains renvois.

[6]                Depuis, le demandeur a effectué divers paiements liés à sa dette fiscale, mais les intérêts ont continué de s'accumuler sur les impôts, pénalités et intérêts impayés. Ce qui demeure en litige maintenant est la somme que doit le demandeur à la défenderesse. Le demandeur a déclaré à la Cour qu'il avait versé environ 1 000 $ de plus que ce qu'il devait. Dans un affidavit en date du 4 février 2004, Shawna Stang de la Division du recouvrement des recettes de l'ADRC a déclaré que la compagnie ou le demandeur devait encore 6 014,08 $ en retenues salariales non remises.

Analyse

[7]                Essentiellement, le demandeur fait valoir que, selon son expérience, l'ADRC a tendance à faire des erreurs de comptabilité et il demande seulement que j'ordonne à l'ADRC de revoir les calculs ayant trait à son compte.


[8]                L'avocat de la défenderesse fait valoir que la Cour n'est pas compétente pour entendre un tel contrôle judiciaire. Il avance qu'il s'agit en fait d'une contestation de la cotisation en date du 9 février 1999 et que cette cotisation a fait l'objet d'un appel devant la CCI. Puisque cet appel a été rejeté, et qu'aucun appel de cette décision n'a été interjeté devant la Cour d'appel fédérale, la Cour ne peut entendre une autre contestation de la cotisation sous la forme d'un contrôle judiciaire. D'autre part, il avance que s'il ne s'agit pas d'une contestation de la cotisation et que si, de ce fait, la Cour est compétente pour examiner les mesures de recouvrement ou d'exécution prises par l'ADRC, alors aucune erreur susceptible de contrôle n'a été démontrée.

[9]                D'après la jurisprudence et la loi, il est clair qu'une cotisation fiscale ne peut être contestée que devant la Cour de l'impôt, et que la décision de cette dernière est sujette à un appel devant la Cour d'appel fédérale : voir Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] C.T.C. 352 (C.A.); Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 (C.A.F.); et Gagné c. Ministre du Revenu national, [2003] 2 C.T.C. 213 (1re inst.). Dans la décision Optical Recording Corp., la Cour d'appel fédérale a rajouté qu'il ne pouvait y avoir de contrôle judiciaire, aux termes de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales visant les « mesures de recouvrement prises pour l'exécution [...] » d'une cotisation qui, par ailleurs, doit être tenue pour valide. Toutefois, dans la décision récente Gagné, le juge Rouleau a examiné la légalité des mesures d'exécution prises à la suite de cotisations valides et a conclu que de telles mesures étaient légales.


[10]            Il est clair d'après l'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales qu'on ne peut autoriser un contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de cette Loi lorsqu'une loi du Parlement prévoit expressément la possibilité d'interjeter appel d'une décision ou d'une ordonnance rendue par une commission ou un tribunal fédéral devant, entre autres, la Cour d'appel fédérale. Aux termes de l'article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la CCI a la compétence initiale exclusive d'entendre les appels ou les renvois en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il est clair qu'une cotisation en vertu de cette Loi peut être portée en appel uniquement devant la Cour de l'impôt, et que la décision de cette dernière peut être portée en appel uniquement devant la Cour d'appel fédérale.

[11]            Si, en l'espèce, le demandeur ne conteste pas la cotisation en date du 9 février 1999, et s'il fait valoir uniquement que les événements survenus depuis cette cotisation et sa confirmation par la Cour canadienne de l'impôt englobaient des décisions en matière de recouvrement ou d'exécution entachées du genre d'erreurs susceptibles de révisions aux termes de l'article 18.1, alors il pourrait s'avérer difficile d'affirmer que le contrôle judiciaire d'une telle décision n'est jamais possible. Si c'est la mesure d'exécution, et non la cotisation, qui est contestée, il est clair que le contribuable ne peut procéder à cette contestation au moyen de la procédure habituelle devant la CCI. Par conséquent, la Cour devrait être disposée à examiner la possibilité d'un recours relativement à une mesure officielle qui n'est pas susceptible d'être révisée par la CCI. Par exemple, la Cour entend des demandes de contrôle judiciaire visant l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, aux termes du paragraphe 223(3.1), relativement à la renonciation aux intérêts et aux pénalités, une question que la CCI ne peut examiner : voir Sharma c. Canada (2001), 206 F.T.R. 40; MacKay c. Canada, [2002] 2 C.T.C. 130; et Case c. Canada, [2004] A.C.F. no 1026.


[12]            Je suis d'avis que, en l'espèce, le demandeur procède en fait à une contestation parallèle de la cotisation qui a déjà été examinée par la CCI. Tel que signalé ci-dessus, il demande une ordonnance à l'endroit du ministre du Revenu national afin que ce dernier « réexamine et recalcule les retenues salariales et les intérêts dus » , soit à la lumière de son interprétation de la décision de la CCI, soit à la lumière de ses propres résultats comptables. Pour ce qui est de cette dernière possibilité, il m'invite à accepter les chiffres établis par son comptable, annexés dans son affidavit. Quand on examine ces chiffres, il est clair qu'il s'agit d'un recalcul des retenues salariales et des intérêts dus par la compagnie qui remonte à 1992, plus de six ans avant la cotisation du 9 février 1999, une cotisation déjà confirmée par la CCI. Il est clair que les chiffres sont plutôt incompatibles avec la décision de la CCI puisqu'on constate que, d'après les résultats comptables du demandeur, ce dernier devait seulement 4 804,32 $ en date du 31 janvier 1999. Neuf jours plus tard, l'avis de cotisation lui était signifié, indiquant une somme exigible de 9 416,41 $; la Cour canadienne de l'impôt allait par la suite confirmer cette cotisation. Par conséquent, il semble manifeste que le demandeur désire rouvrir cette cotisation, qu'il faut maintenant considérer comme définitive.


[13]            J'ai également examiné s'il y avait eu en l'espèce une décision en matière de recouvrement ou d'exécution qui serait susceptible d'une révision fondée sur les motifs exposés à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Aucun excès de compétence ou erreur de droit n'a été signalé. Il m'a semblé que le demandeur prétend peut-être que les calculs par l'ADRC de la dette impayée tomberait sous le coup du paragraphe 18.1(4), du fait qu'ils seraient fondés sur une « conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose » . En supposant qu'il s'agit de la question soulevée (sans décider que tel est le cas), je ne pourrais conclure qu'une telle erreur a été commise. L'affidavit de Shawna Stang de l'ADRC, présenté par la défenderesse en l'espèce, rend compte de son examen des dossiers de l'Agence et de la façon dont on a calculé le solde impayé. L'affidavit comporte aussi plusieurs lettres, feuilles de calcul et relevés de compte que l'ADRC a fait parvenir au demandeur pour lui expliquer de quelle façon elle avait établi ce solde. De son côté, le demandeur a présenté un bref affidavit qui, outre le fait de contester l'exactitude de la décision de la CCI, ne fait qu'annexer une lettre de son propre comptable - j'ai fait référence à cette lettre précédemment - portant sur la période du 31 octobre 1992 au 14 janvier 2004 et ne correspondant pas à la cotisation du 9 février 1999 que la CCI a déjà confirmée.

[14]            Compte tenu des circonstances, on ne peut affirmer que l'ADRC a tiré sa conclusion concernant le solde impayé « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose » . Même en supposant qu'un contrôle judiciaire pourrait avoir lieu, aucun motif le justifiant n'a été établi.

Décision

[15]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée avec dépens. Auparavant, le demandeur a présenté une requête de jugement sommaire liée à la présente affaire, pour laquelle la défenderesse a préparé une documentation considérable. On n'a pas donné suite à cette requête, sauf pour quelques questions de procédure. Les dépens devaient suivre l'issue de la cause. La défenderesse a demandé que la Cour en tienne compte et qu'elle fixe, à titre de dépens à acquitter à la défenderesse, une somme globale de 2 500,00 $. J'estime que, dans les circonstances, la somme de 2 000,00 $ serait raisonnable et je rendrai une ordonnance à cet effet..


                                                                                                                                    « B.L. Strayer »          

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1638-03

INTITULÉ :                                        JACOB A. KRAHN c. AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

DATE DES MOTIFS :                       LE 8 AVRIL 2005

COMPARUTIONS

Jacob A. Krahn                                                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

John Gibb-Carsley                                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jacob A. Krahn

Vancouver (Colombie-Britannique)                                                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

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