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Date : 20011102

Dossier : IMM-120-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1194

ENTRE :

                                                   LAKHWINDER SINGH DHILLON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision en date du 13 décembre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Les deux questions en litige sont les suivantes : 1) la Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des trois documents qui corroboraient le point central de la revendication du demandeur? 2) la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[3]                 La Commission a tiré les conclusions suivantes :

[Traduction] Le témoignage du revendicateur était truffé de contradictions, d'omissions et de divergences, minant ainsi sa crédibilité et sa prétendue crainte justifiée d'être persécuté.

[4]                 La Commission a notamment signalé que, lorsqu'il avait été interrogé au sujet des pièces du ministre qui démontraient qu'il avait demandé le statut d'immigrant au Canada en 1996, le demandeur avait d'abord déclaré que c'était ses parents qui avaient fait cette demande, pour ensuite reconnaître que c'était lui qui l'avait présentée. Il ressortait également de ces documents qu'il avait été mécanicien pendant deux mois et demi, malgré le fait qu'il prétendait l'avoir été pendant huit ans. À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure qu'il y avait des contradictions dans les explications fournies par le demandeur au sujet de l'auteur de la demande. Il n'est cependant pas certain que la Commission a eu raison de se fonder sur un appel téléphonique fait à une personne de bureau de l'employeur qui a affirmé que le demandeur n'y avait travaillé que pendant deux mois et demi.

[5]                 La Commission a également conclu que le demandeur cherchait à dissimuler ses véritables intentions en ne mentionnant pas dans sa demande d'immigration qu'il avait déjà soumis une demande. Là encore, on ne sait pas avec certitude si le demandeur était tenu de faire état d'une demande d'immigration antérieure pour répondre à la question no 37 de son FRP


[6]                 La Commission a également conclu que, lorsqu'on lui avait d'abord demandé pourquoi il était parti de son village, le demandeur avait déclaré qu'il était seul et sans ressources. Interrogé de plus près par l'avocat de la partie adverse, il a fini par parler des démêlés qu'il avait eus avec la police, ce qui a amené la Commission à estimer que ses intentions se rattachaient davantage à des questions d'immigration. Il était loisible à la Commission de tirer une telle conclusion.

[7]                 La Commission a tiré une autre conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur après l'avoir interrogé au sujet des problèmes qu'il avait eus en Inde. Le demandeur avait répondu que ces problèmes se rapportaient au présumé appui que son frère avait donné à des militants. Il n'a rien répondu lorsqu'on lui a fait remarquer qu'il était question dans son FRP du meurtre d'un prêtre et du fait que son frère était mort en 1987. Le demandeur a en outre affirmé qu'il avait peur de la police parce que des policiers avaient tué son frère et que la police affirmait qu'il avait des liens avec des terroristes parce qu'il avait hébergé des terroristes chez lui et leur avait fourni de l'argent. Vu l'ensemble de la preuve, il était effectivement loisible à la Commission de tirer la conclusion suivante :

[Traduction] [...] cette contradiction mine sérieusement la crédibilité du revendicateur. Qui plus est, le tribunal conclut qu'il est invraisemblable qu'au cours de l'année 2000, la police aurait persécuté le revendicateur à cause de son frère, qui était mort en 1987.


[8]                 Le demandeur convient que les conclusions que la Commission a tirées au sujet de l'entrevue que les fonctionnaires canadiens de l'immigration lui ont fait subir au point d'entrée étaient bien fondées. Les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité contiennent des erreurs, mais je suis incapable de dire que, dans l'ensemble, les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité du demandeur étaient déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour. Il faut toutefois examiner ces conclusions en rapport avec l'omission de la Commission de faire état de trois documents déterminés.

[9]                 Le demandeur a témoigné qu'il avait été arrêté et emmené par des agents au poste de police où il avait été torturé à trois reprises. Ces événements se sont produits le 22 octobre 1996, le 31 décembre 1997 et le 23 août 1999. La Commission n'a pas traité de ces questions, vraisemblablement en raison de sa conclusion que la crédibilité du demandeur avait été ébranlée. Il y a cependant trois éléments de preuve documentaire qui appuient dans une certaine mesure les déclarations du demandeur.

[10]            Le sarpanch (chef du village) de son village a envoyé une lettre datée du 21 juin 2000 dans lequel il déclare notamment ce qui suit :

[Traduction]

5. Lakhwinder Singh Dhillon et les membres de sa famille sont des membres respectés de la collectivité sikh. Ni lui ni les membres de sa famille n'ont jamais été mêlés à un conflit ou aidé quelqu'un qui y était mêlé.

6. La police du Pendjab lui a faussement imputé des liens avec des militants. Il a été détenu illégalement et torturé. Avec d'autres membres de mon panchayat et certaines personnes respectables de la région, je suis personnellement intervenu et j'ai obtenu sa remise en liberté. Il a été accusé à tort d'avoir appuyé des militants et d'avoir eu des rapports avec ceux-ci et son frère Harinder Singh a également été tué par la police lors d'un coup monté.

7. Il est toujours recherché par la police.

8. Je crains que Lakhwinder Singh Dhillon ne soit tué par la police s'il doit retourner en Inde.


Bien qu'une partie de ces propos constituent de toute évidence du ouï-dire, cette lettre renfermait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la Commission d'en tenir compte. On trouve par ailleurs à la page 101 du dossier authentique du tribunal une lettre dans laquelle un médecin de l'hôpital local du village déclare avoir soigné le demandeur.

[Traduction] [...] pour ses blessures internes et externes et pour des brûlures multiples du 25-10-96 au 29-10-96, du 4-1-98 au 10-1-98 et du 28-8-99 au 5-9-99.

Ces dates coïncident avec les événements relatés par le demandeur. La Commission n'a pas mentionné cette lettre non plus.

[11]            Il y a lieu de signaler une troisième lettre écrite par un médecin de Lasalle (Québec), qui a déclaré ce qui suit, après avoir examiné certaines cicatrices :

[Traduction] En conclusion, les cicatrices susmentionnées pourraient être reliées aux raclées et à la torture qu'il affirme avoir subies en Inde entre 1996 et 1999. Son examen clinique ne serait donc pas incompatible avec ses allégations.

[12]            Le juge Evans a abordé la question des éléments de preuve portant sur les questions centrales en litige dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 1425 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 15, 16 et 17, où il déclare ce qui suit :

15. La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.


16. Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

17. Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'il passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

À mon avis, les trois documents semblent appuyer la version des faits donnée par le demandeur et, bien qu'ils ne fussent pas nécessairement concluants, ces documents devaient être examinés par la Commission conformément aux motifs du juge Evans. Je signale que, dans le jugement Thanni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] F.C.J. No. 1323 (C.F. 1re inst.), le juge Tremblay-Lamer a abondé dans le sens du juge Evans, tout comme le juge en chef adjoint Lutfy l'a fait dans le jugement Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] F.C.J. No. 1925 (C.F. 1re inst.), où il déclare, au paragraphe 8 :

[...] Il incombe au tribunal de ne pas omettre de tenir compte, dans ses motifs de décision, de la preuve documentaire qui est directement liée aux allégations de l'intéressé : Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 531 (QL) (C.A.).

Le juge Lutfy a également cité et approuvé les propos du juge Evans.

[13]            À mon avis, le défaut de la Commission d'examiner les trois documents en question constitue une erreur justifiant l'annulation de sa décision. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 13 décembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue de nouveau sur l'affaire et qu'il rende une nouvelle décision.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20011102

Dossier : IMM-120-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 NOVEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. P. McKEOWN

ENTRE :

                         LAKHWINDER SINGH DHILLON

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 13 décembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue de nouveau sur l'affaire et qu'il rende une nouvelle décision.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                    IMM-120-1

INTITULÉ :                              Lakhwinder Singh Dhillon c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    16 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :           2 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Me Lorne Waldman                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Me Leena Jaakkimainen                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Waldman & Associates                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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