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Date : 20050426

Dossier : T-2262-03

Référence : 2005 CF 567

Ottawa (Ontario), le mardi 26 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE ÉLÉANOR R. DAWSON

ENTRE :

BRENDA BEACOCK

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e Supp.) (la Loi)1 confère au ministre du Revenu national (le ministre) un pouvoir discrétionnaire lui permettant de renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable en application de cette loi, ou de l'annuler en tout ou en partie. Mme Beacock demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre de refuser sa demande de renoncer aux intérêts qu'elle doit en vertu de la Loi. Sa responsabilité à l'égard desdits intérêts résulte des erreurs relevées dans ses livres comptables par suite d'une vérification fiscale effectuée pour les années d'imposition 1998 et 1999.

[2]                La lettre par laquelle Mme Beacock a été avisée de la décision négative expose les motifs de ladite décision dans les termes suivants :

[traduction] L'appréciation des faits de la présente affaire n'a pas démontré que le paiement de l'intégralité de la créance était de nature à vous causer des difficultés financières. Vous disposez de sommes importantes dans des fonds communs de placement ainsi qu'un avoir net. Les membres de la famille ont cotisé environ 32 000 $ à leur REER au cours des deux dernières années. Pour une personne, éprouver des difficultés financières signifie manquer des choses essentielles à la vie, telles l'alimentation, l'habillement et le logement.

En outre, en ce qui a trait à l'erreur de tenue de livre que vous alléguez, les dispositions d'équité prévoient que le contribuable est responsable des actions de tiers tels les comptables.


[3]                La Cour fait preuve d'une grande déférence à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Dans Sharma c. M.R.N., 2001 DTC 5360, le juge Pelletier, alors membre de notre Cour, après avoir examiné les facteurs se rapportant à l'analyse pragmatique et fonctionnelle, a conclu que la norme de contrôle devant s'appliquer au pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.2) de la loi était celle du caractère manifestement déraisonnable de la décision. Dans Cheng c. Canada (2001), 213 F.T.R. 85, mon collègue le juge Gibson a adopté cette analyse en ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Me fondant sur ces précédents, je suis d'avis que la norme de contrôle applicable à la présente décision est la norme de la plus haute déférence, soit celle du caractère manifestement déraisonnable. À ce titre, la Cour ne peut intervenir que si elle estime que le décideur a agit de mauvaise foi, n'a pas tenu compte de faits pertinents, a pris en considération des faits non pertinents ou encore lorsqu'il a contrevenu à la loi d'une quelconque manière. La Cour n'est pas autorisée à simplement substituer sa décision à celle du ministre.

[4]                Malgré l'importante déférence due aux décisions de cette nature, j'ai conclu qu'en l'espèce le décideur n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents et a pris en considération des facteurs non pertinents qui font que sa décision est manifestement déraisonnable et doit être annulée.   


[5]                Plus particulièrement, en concluant que le versement des intérêts sur la dette n'était pas de nature à entraîner des difficultés financières, le décideur s'est fondé sur le fait que Mme Beacock « [dispose] de sommes importantes dans des fonds communs de placement ainsi qu'un avoir net » . Bien qu'il soit exact que Mme Beacock possédait des fonds communs de placement et un avoir net, les renseignements financiers qu'elle a fournis faisaient état de dettes importantes et d'un passif supérieur à l'actif. Ce fait n'a pas été pris en considération dans la décision, dans le « résumé de compte » ou dans le « mémoire de décision » qui a conduit à la décision. En ne prenant apparemment pas en considération le passif du contribuable et en s'en tenant uniquement à son actif, le décideur n'a pas tenu compte de faits se rapportant aux difficultés.

[6]                De même, l'avocat du ministre a été incapable dans son argumentation orale d'expliquer en quoi le fait que « les membres de la famille » aient cotisé à un REER au cours de la période de deux ans ayant précédé la décision était pertinent quant à la situation de la contribuable. (En toute justice pour le procureur, sa tâche n'a pas été facilitée par le défaut du ministre de produire un dossier du tribunal.) En l'absence de toute forme d'explication, je conclus qu'en prenant en considération la situation financière des « membres de la famille » , sans plus de précision, le décideur a tenu compte de faits non pertinents.

[7]                Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[8]                Les frais suivent habituellement l'issue de la cause. Étant donné que Mme Beacock se représente elle-même, elle n'a droit à aucuns frais d'avocat. Elle a toutefois droit aux débours, que je fixe à 100 $ pour les frais de photocopie et de dépôt.


ORDONNANCE

[9]                EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du ministre communiquée par lettre en date du 31 octobre 2003 est annulée. La demande de renonciation aux intérêts présentée par Mme Beacock est renvoyée à un autre représentant du ministre pour réexamen.

2.          Le défendeur est condamné aux débours, qui sont fixés à 100 $.

Eleanor R. Dawson

______________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

1 Paragraphe 220(3.1):



220(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


               

                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2262-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Brenda Beacock c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                12 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DATE :                                                26 avril 2005

COMPARUTIONS :

Brenda Beacock                                    POUR LA DEMANDERESSE

Personnellement

Victor Caux                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS AU DOSSIER :

Personnellement                                     POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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