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Date : 20001204


Dossier : T-1235-00

OTTAWA (Ontario) le 4 décembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY


ENTRE :


FRIENDS OF POINT PLEASANT PARK, association constituée

en personne morale et Iain Taylor, Allan Robertson, Philip Pacy,

     demandeurs

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur

     VU la demande présentée par les demandeurs en vue du contrôle judiciaire et de l'annulation de l'Avis d'élimination donné par un inspecteur en vertu de l'art. 27 du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95-212, à la Municipalité régionale de Halifax, le 14 juin 2000, relativement aux arbres qui sont infestés ou susceptibles d'être infestés par le longicorne brun de l'épinette (tetropium fuscum (Fabr.)) (LBÉ), portant que tous les arbres du Parc Point Pleasant, dans la municipalité, qui sont infestés ou susceptibles de l'être doivent être remis à un inspecteur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'ACIA) pour être abattus, incinérés et leurs souches détruites;

     VU la procédure d'injonction interlocutoire du 15 août 2000 à l'occasion de laquelle le juge O'Keefe, de notre Cour, a statué que certains des demandeurs dans l'instance avaient la qualité requise pour présenter une demande d'injonction interlocutoire et que cette injonction devait être prononcée pour interdire l'abattage d'arbres dans le Parc jusqu'à l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire;

     APRÈS l'audition de la demande tenue à Halifax le 14 novembre 2000, lors de laquelle l'avocat à la fois de la société appelante, alors constituée en personne morale, et des particuliers demandeurs, ainsi que l'avocat du procureur général défendeur ont été entendus et la Cour a mis l'affaire en délibéré;

     ET APRÈS avoir examiné les arguments alors présentés, la Cour ayant tiré les conclusions suivantes :

i)      le processus suivi par l'ACIA aux fins de consultation et d'examen de la nature du risque associé à la présence du LBÉ au Parc Point Pleasant, sous le régime de la Loi sur la protection des végétaux, L.C. 1990, ch. 22 et de son Règlement d'application, n'a pas porté atteinte au droit à l'équité procédurale que la loi confère aux demandeurs;

ii)      l'inspecteur qui a donné l'Avis d'élimination n'était pas tenu d'attendre que l'analyse du risque phytosanitaire (ARP) soit achevée conformément à l'art. 3 du Règlement avant de prendre une mesure en vertu de l'art. 27;
iii)      la norme de contrôle applicable aux décisions prises par le ministre ou un inspecteur en vertu de l'art. 27 du Règlement, DORS/95-212, portant soit qu'un parasite existe, soit qu'une chose est infestée ou susceptible de l'être, est la norme du caractère raisonnable, exprimée dans les conditions fixées par cet article selon lesquelles une telle décision doit s'appuyer sur des « motifs raisonnables » ;
iv)      la norme de contrôle applicable à une décision quant à la mesure à prendre en vertu du Règlement, tel l'Avis d'élimination donné en l'espèce, est la norme du caractère manifestement déraisonnable;
v)      en l'espèce, la décision portant que le LBÉ existe dans les arbres du Parc était étayée rationnellement par la preuve dont disposait l'inspecteur au moment où l'Avis d'élimination a été donné et cette décision était raisonnable; de plus, la décision de donner l'Avis n'était pas manifestement déraisonnable eu égard aux circonstances.

ORDONNANCE

     LA COUR STATUE QUE :

1.      La demande est rejetée.
2.      En conséquence, l'injonction prononcée le 15 août 2000 par le juge O'Keefe est levée.
3.      Le défendeur a droit à ses dépens, dont le montant sera établi par entente entre les parties; à défaut d'entente, les dépens du défendeur seront taxés conformément à la colonne III du Tarif B des Règles de la Cour, déduction faite des dépens relatifs à la requête en levée de l'injonction présentée par le défendeur, mais rejetée avec dépens en faveur des demandeurs sans égard à l'issue de la cause, et des dépens du défendeur relativement à la demande d'intervention présentée par la Nova Scotia Forest Product Association, entendue et rejetée le 8 novembre 2000.






« W. Andrew MacKay »

JUGE

Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



Date : 20001206


Dossier : T-1235-00



ENTRE :


FRIENDS OF POINT PLEASANT PARK, association constituée

en personne morale et Iain Taylor, Allan Robertson, Philip Pacy,

     demandeurs

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKAY


[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant l'annulation d'un Avis d'élimination donné le 14 juin 2000 par Greg Cunningham, un inspecteur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'ACIA), sous le régime de la Loi sur la protection des végétaux, L.C. 1990, ch. 22 et de son règlement d'application.

[2]          L'Avis d'élimination est adressé à la Municipalité régionale de Halifax, en sa qualité de locataire d'un bien appartenant au gouvernement du Canada, et lui enjoint d'éliminer les arbres qui sont infestés ou soupçonnés d'être infestés par le longicorne brun de l'épinette (tetropium fuscum (Fabr.)), (LBÉ) dans le parc historique de Point Pleasant (le Parc), un parc public naturel boisé de 75 hectares situé dans la municipalité.

[3]          Les demandeurs affirment que l'Avis d'élimination commande la destruction de dix mille épinettes rouges dans le parc Point Pleasant au plus tard le 30 novembre 2000, de sorte qu'environ un quart de la forêt de conifères du parc serait détruite. Comme le souligne le défendeur, l'Avis d'élimination n'exige pas qu'un nombre donné d'arbres soient détruits. Selon les estimations du nombre d'arbres touchés, et la couverture médiatique de ces estimations, il se peut que dix mille arbres soient infestés, et le nombre d'arbres qui devraient être abattus à des fins d'éradication a été plus tard estimé à environ cinq mille arbres vivants; toutefois, l'Avis d'élimination exigeait simplement que la municipalité abatte et incinère les arbres infestés ou soupçonnés de l'être, sans fixer un nombre précis.

[4]          L'Avis d'élimination est adressé à la Municipalité régionale de Halifax et dit notamment ce qui suit :

[Traduction] Je vous avise par les présentes que les choses dont l'emplacement et la description figurent dans le présent avis sont [...] parasitées ou susceptibles de l'être... Par conséquent, nous vous enjoignons par les présentes, en vertu du paragraphe 27(1) du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95-212, d'éliminer les choses dont l'emplacement et la description figurent dans le présent avis uniquement en suivant les modalités suivantes et au lieu suivant.
Modalités d'élimination :
Remettre à un inspecteur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) pour abattage, incinération et élimination des souches par l'ACIA, tous les arbres qui sont infestés ou soupçonnés d'être infestés par le longicorne brun de l'épinette (Tetropium Spp.).

Lieu d'élimination :

Parc Point Pleasant, Municipalité régionale de Halifax (Nouvelle-Écosse).

De plus, les choses dont l'emplacement et la description figurent dans le présent avis doivent être éliminées au plus tard le jeudi 30 novembre 2000, et personne ne doit déplacer les choses dont l'emplacement et la description figurent dans le présent avis, sauf avec l'autorisation écrite d'un inspecteur et en conformité avec un certificat de déplacement délivré en vertu de l'article 45 du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95-212.



Emplacement des choses :

Situées au Parc Point Pleasant

Canton ou paroisse : Municipalité régionale de Halifax

Comté :      Halifax

Province :      Nouvelle-Écosse


[5]          Au moment où la demande de contrôle judiciaire a été déposée, Friends of Point Pleasant Park était une association non constituée en personne morale. Depuis, l'association a été constituée en une société qui a pour objet de protéger et de soutenir le parc Point Pleasant. Les particuliers demandeurs sont des résidents de la municipalité qui ont accès au parc et qui l'utilisent. Au moins un des demandeurs s'est déjà vu reconnaître, par le juge O'Keefe, la qualité requise pour présenter une requête en injonction interlocutoire en l'espèce et le défendeur n'a pas contesté par la suite la qualité des autres demandeurs.

Questions et ordonnances préliminaires touchant la procédure

[6]          La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 13 juillet 2000 et, le 31 juillet 2000, les demandeurs ont sollicité une injonction interlocutoire. Cette injonction a été accordée le 15 août 2000 par mon collègue le juge O'Keefe, pour des motifs prononcés en date du 21 août 2000. Dans son ordonnance accordant l'injonction, la Cour a notamment ordonné ce qui suit :

[Traduction]
2.      LA COUR INTERDIT au défendeur, représentant le ministre de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire du Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments, de prendre toute nouvelle mesure en exécution de l'Avis d'élimination donné par un inspecteur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments en date du 14 juin 2000 et adressé à la Municipalité régionale de Halifax relativement au parc Point Pleasant, et interdit notamment l'abattage, l'incinération, l'enlèvement ou la destruction par d'autres moyens de nouveaux arbres au parc Point Pleasant en vertu de cet avis.
3.      LA COUR STATUE EN OUTRE que la présente ordonnance (injonction interlocutoire) demeurera en vigueur jusqu'à ce que la Section de première instance de la Cour tranche la présente demande de contrôle judiciaire de façon définitive, sous réserve du paragraphe 4 de la présente ordonnance.
4.      LA COUR STATUE EN OUTRE que les demandeurs qui ont présenté la demande de contrôle judiciaire agiront rapidement pour mettre la demande de contrôle judiciaire en état et l'inscriront pour audition le plus tôt possible. Si les demandeurs ne se conforment pas au présent paragraphe de l'ordonnance, le défendeur pourra demander à la Cour de lever l'injonction au motif que les demandeurs n'ont pas agi de bonne foi quant à la mise en état de la demande de contrôle judiciaire ou n'ont pas agi de façon à faire entendre la demande de contrôle judiciaire le plus tôt possible.

[7]          Par la suite, le procureur général, défendeur, a présenté une requête en date du 20 septembre 2000 sollicitant la levée de l'injonction interlocutoire au motif que les demandeurs n'avaient pas agi rapidement comme le leur avait ordonné le juge O'Keefe. J'ai rejeté cette requête oralement à la fin d'une audition tenue à Halifax, le 18 octobre 2000. À ce moment, les demandeurs avaient déposé leur dossier de demande et avaient demandé qu'une date d'audition soit fixée. Je n'étais pas convaincu qu'il était possible d'affirmer que, dans les quelque soixante jours suivant le prononcé de l'ordonnance du juge O'Keefe, les demandeurs n'avaient pas agi rapidement. J'ai prononcé une ordonnance rejetant la requête du défendeur. Selon moi, l'affaire ne se comparaît pas à l'affaire Ciba-Geigy Canada Limited c. Novapharm Limited, [1998] 2 C.F. 527, 77 C.P.R. (3d) 428, 141 F.T.R. 95 (1re inst.) qu'invoquait le procureur général, défendeur, et dans laquelle la Cour a levé une injonction interlocutoire qui avait été accordée dans une action où aucune preuve n'établissait que le demandeur avait pris quelque mesure que ce soit pour faire avancer l'affaire et la mener jusqu'au procès pendant une période d'environ trois ans. J'estimais frivole d'entendre la requête du défendeur à une étape aussi précoce et j'ai adjugé les dépens relatifs à la requête et à l'audition en faveur des demandeurs, sans égard à l'issue de l'instance.

[8]          Par la suite, le 8 novembre 2000, j'ai entendu par téléphone et rejeté dans une ordonnance une demande présentée au nom de la Nova Scotia Forest Products Association en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir dans l'instance, en vertu de la règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998). Selon moi, les observations présentées par l'intervenante éventuelle à l'audition de la demande de contrôle judiciaire, qui devaient être axées sur les conséquences économiques néfastes de la propagation de l'insecte considéré comme un parasite aux forêts de la Nouvelle-Écosse, n'aideraient pas à la prise d'une décision concernant les questions soumises à la Cour dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Lors de cette audition, l'avocat de Friends of Point Pleasant Park n'a pas rejeté la thèse que la propagation non contrôlée du LBÉ aux forêts de la province aurait des conséquences économiques néfastes importantes, mais cette question n'est évidemment pas en cause en l'espèce.


Les dispositions législatives pertinentes

[9]          La Loi précise l'objet qu'elle vise et définit le terme « parasite » .


2. The purpose of this Act is to protect plant life and the agricultural and forestry sectors of the Canadian economy by preventing the importation, exportation and spread of pests and by controlling or eradicating pests in Canada.


3. In this Act,


"pest" means any thing that is injurious or potentially injurious, whether directly or indirectly, to plants or to products or by-products of plants, and includes any plant prescribed as a pest;

2. La présente loi vise à assurer la protection de la vie végétale et des secteurs agricole et forestier de l'économie canadienne en empêchant l'importation, l'exportation et la propagation de parasites au Canada et en y assurant la défense contre ceux-ci ou leur élimination.

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« parasite » En plus des végétaux désignés comme tel par règlement, toute chose nuisible - directement ou non - ou susceptible de l'être, aux végétaux, à leurs produits ou à leurs sous-produits.

[10]          Les principales dispositions réglementaires en cause sont les suivantes :

3. Where, after a pest risk assessment, the Minister or an inspector believes on reasonable grounds that a thing is a pest, or a thing or place is or could be infested or constitutes or could constitute a biological obstacle to the control of a pest, and the Minister determines that, in the circumstances, it is necessary and cost-justifiable to take pest control measures, an inspector shall, as appropriate in the circumstances for the purpose of eradicating the pest or preventing its spread, take one or more of the actions that the inspector is authorized to take under the Act or any regulation or order made thereunder.


3. Lorsque le ministre ou l'inspecteur, à la suite d'une analyse du risque phytosanitaire, a des motifs raisonnables de croire qu'une chose soit est un parasite, soit est parasitée ou susceptible de l'être, qu'un lieu est infesté ou susceptible de l'être ou que la chose ou le lieu constitue ou peut constituer un obstacle biologique à la lutte antiparasitaire et lorsque le ministre établit que, compte tenu des circonstances, des mesures de la lutte antiparasitaire sont nécessaires et justifiables quant aux coûts, l'inspecteur prend une ou plusieurs des mesures que la Loi ou ses textes d'application l'autorisent à prendre et qui sont indiquées dans les circonstances pour l'élimination des parasites ou pour la prévention de leur propagation.

27. (1) Where the Minister or an inspector believes on reasonable grounds that a thing is a pest, is or could be infested or constitutes or could constitute a biological obstacle to the control of a pest, any inspector may require the owner or person having the possession, care or control of the thing to dispose of it.



(2) A requirement under subsection (1) shall be communicated by sending or personally delivering a notice in writing to the owner or other person, and the notice shall specify the manner of disposition and may specify the place of disposition and the date by which the disposition shall be completed.

. . .

27(1) Lorsque le ministre ou l'inspecteur a des motifs raisonnables de croire qu'une chose soit est un parasite, soit est parasitée ou susceptible de l'être, soit encore constitue ou peut constituer un obstacle biologique à la lutte antiparasitaire, l'inspecteur peut exiger de son propriétaire ou de la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins qu'il en dispose, notamment par destruction.

(2) L'exigence visée au paragraphe (1) est communiquée par envoi ou remise en mains propres d'un avis écrit au propriétaire ou à l'autre personne concernée. Cet avis précise les modalités de disposition et peut spécifier le lieu de la disposition et la date à laquelle elle doit être terminée.

. . .

La demande de contrôle judiciaire et les questions soulevées
[11]          J'examinerai maintenant le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance annulant l'Avis d'élimination et une réparation connexe. Plusieurs moyens ont été invoqués en termes généraux dans la demande initiale du 13 juillet 2000, mais lors de l'audition, certains seulement ont été plaidés dans le mémoire additionnel des faits et du droit des demandeurs et dans la plaidoirie orale de leur avocat. Les présents motifs portent sur ces derniers moyens et sur les questions qu'ils soulèvent, qui ont été débattus à l'audition.
[12]          Ces questions, telles que proposées par les demandeurs, sont les suivantes :
     1)      L'ACIA a-t-elle enfreint les règles d'équité procédurale en donnant l' « avis d'élimination de dix mille arbres du parc Point Pleasant » sans
         (i)      aviser convenablement les usagers du parc de son intention de donner pareil ordre;
         (ii)      divulguer la preuve prise en considération;
         (iii)      permettre la présentation d'observations devant l'ACIA avant que celle-ci rende sa décision?
     2)      Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision rendue par le ministre ou un inspecteur en vertu des articles 3 et 27 du Règlement sur la protection des végétaux?
     3)      L'ACIA a-t-elle respecté les exigences de l'art. 3 du Règlement?
     4)      L'ACIA a-t-elle satisfait à la condition qu'il existe des « motifs raisonnables » établie par les art. 3 et 27 du Règlement?
[13]          Le défendeur soulève deux questions préliminaires. Premièrement, l'Avis d'élimination, je le répète, ne précise pas le nombre d'arbres qui doivent être abattus et incinérés. Deuxièmement, il soutient que la troisième question énoncée plus haut n'était pas incluse dans la demande initiale déposée le 13 juillet 2000 et que la Cour n'en est donc pas saisie régulièrement. Je constate que la demande initiale ne mentionne pas expressément l'art. 3 du Règlement, mais les moyens qui y sont exposés comportent une allégation selon laquelle [Traduction] « l'ACIA a agi sans compétence parce qu'elle a agi sans avoir de motifs raisonnables, contrairement à ce qu'exige la loi. » Cette allégation exprime un aspect de l'argument toujours invoqué par les demandeurs selon lequel l'Avis en cause a été donné sans compétence parce qu'au moment où il a été donné aucune analyse du risque phytosanitaire (ARP) n'avait été achevée conformément à l'art. 3 du Règlement. Les demandeurs estiment qu'il s'agissait d'une condition préalable à toute mesure prise par un inspecteur en vertu de l'art. 27.
[14]          Selon moi, la Cour a été saisie de cette question, non seulement par l'argumentation des demandeurs, mais aussi parce que le juge O'Keefe en parle comme de la question sérieuse et réglable par voie judiciaire soumise à la Cour dans ses motifs prononcés en date du 21 août 2000 à l'appui de l'injonction interlocutoire qu'il a accordée en l'espèce. Elle figurait dans le mémoire des faits et du droit versé dans le dossier des appelants déposé le 27 septembre 2000. Sa présentation à l'audition du 14 novembre n'a pas pris le défendeur au dépourvu.
[15]          Les Règles de la Cour ont pour objet d'éviter qu'une partie soit prise au dépourvu, et cela vaut particulièrement pour l'alinéa 301e), qui exige que l'avis de demande contienne « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable » . Je crois que les Règles atteignent leur but en l'espèce et je n'ai pas l'intention, dans les circonstances, de refuser de trancher la question soulevée par les demandeurs simplement parce que la demande initiale ne mentionnait pas l'art. 3 du Règlement. Enfin, la question soulevée par les demandeurs est importante parce que, exprimée en d'autres termes, elle exigerait qu'une ARP soit achevée conformément à l'art. 3 avant la prise de toute mesure en vertu de l'art. 27 ou d'une autre disposition du Règlement.
[16]          Avant d'examiner les questions soulevées, il convient de passer en revue les efforts déployés par les personnes intéressées, d'abord, pour identifier le LBÉ et, ensuite, pour analyser le risque qu'il présente pour le Parc et sa propagation éventuelle au-delà des limites du Parc. On situera ainsi le contexte général dans lequel les demandeurs affirment qu'il existe peu de preuve pour étayer la décision de donner l'Avis en cause.
[17]          Le résumé suivant est tiré des affidavits déposés au nom du défendeur par l'inspecteur Greg Cunningham et par M. Jarvis Mawhinney, qui est directeur du réseau des programmes, Produits végétaux, Région de l'Atlantique, de l'ACIA et président du Groupe de travail sur le longicorne brun de l'épinette, un groupe consultatif constitué par l'ACIA et chargé de lui fournir des conseils, notamment d'ordre scientifique et opérationnel, concernant la nécessité d'éradiquer le longicorne brun de l'épinette de la Nouvelle-Écosse. Je constate que les auteurs des affidavits n'ont pas été contre-interrogés.
[18]          Le LBÉ est originaire de régions d'Europe et d'Asie où il attaque normalement les épinettes affaiblies, sous l'effet d'un stress, mortes ou abattues et où il peut aussi attaquer des pins, des sapins, des mélèzes et des feuillus. Lorsque sa présence a été confirmée au Parc Point Pleasant, la Municipalité régionale de Halifax est devenue le seul endroit de toutes les régions boisées d'Amérique du Nord où l'on sait que le LBÉ existe. On a fait état de certaines preuves de la contamination du bois par ce coléoptère dans deux autres villes portuaires du Canada, mais on n'a jamais signalé l'existence de l'insecte même ailleurs sur le continent.
[19]          Ce n'est que récemment que les fonctionnaires de l'ACIA ont commencé à s'occuper de la présence du LBÉ dans le Parc de Point Pleasant. En septembre 1999, le Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada, a annoncé que le LBÉ avait été identifié de façon préliminaire comme présent dans le Parc. Cette identification était en partie fondée sur le nouvel examen de certains spécimens recueillis dans le cadre d'une étude menée en 1990 dans le Parc et qui avaient été identifiés à l'origine comme des scolytes indigènes de la Nouvelle-Écosse, mais qui se sont avérés en 1999 être des spécimens de LBÉ. Par la suite, le Service des forêts, de concert avec l'ACIA et le ministère des Richesses naturelles de la Nouvelle-Écosse, ont poursuivi l'inspection et la recherche sur le terrain dans le Parc, ainsi que de la recherche en laboratoire sur des sections d'arbres, ou des boulons de bois, prélevés dans le parc, qui ont été étudiés dans les laboratoires du service des forêts à Fredericton. En février 2000, cette recherche avait produit environ 43 LBÉ, par incubation, à partir des boulons de bois. Des experts du module Évaluation des risques phytosanitaires canadien, de l'ACIA, à Ottawa, ont ensuite confirmé que les spécimens étaient bien des longicornes bruns de l'épinette, c'est-à-dire des LBÉ.
[20]          Dans la période s'échelonnant entre le mois de mars et le mois d'août 2000, lorsque M. Mawhinney a signé son affidavit, un nombre non spécifié de spécimens vivants de LBÉ ont été découverts dans le Parc. On dit que des arbres apparemment infestés présentent des symptômes externes, tels des écoulements de résine le long du tronc et des trous de sortie des adultes de forme ovale à ronde d'environ 4 mm de diamètre dans l'écorce. À partir notamment de ces symptômes externes et des réseaux de tunnels d'alimentation situés immédiatement sous l'écorce des arbres, on a conclu que le LBÉ s'attaquait à des épinettes rouges saines dans le Parc.
[21]          Les scientifiques de l'ACIA et du Service canadien des forêts ont consulté des scientifiques d'Europe et des États-Unis. Le module Évaluation des risques phytosanitaires de la Division des Sciences de l'ACIA a achevé, comme on le lui avait demandé le 28 mars, une ébauche pour commentaires d'une Évaluation [ou analyse] du risque phytosanitaire (ARP), conforme à la norme d'évaluation des risques phytosanitaires établie par l'Organisation nord américaine pour la protection des plantes (NAPPO), dans le but de fournir un fondement reconnu pour la gestion générale du risque visé par le Règlement, en l'occurrence, le risque associé à la présence de LBÉ dans le Parc.
[22]          En se fondant sur cette ébauche, la désignation du LBÉ comme parasite et les rapports et opinions scientifiques émanant de chercheurs fédéraux et provinciaux, M. Cunningham, en sa qualité d'inspecteur au sens de la Loi, a donné, le 30 mai 2000, un Avis d'interdiction de déplacer, en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi, à la Municipalité régionale de Halifax, visant tous les arbres et toutes les parties d'arbres ainsi que tous les LBÉ, peu importe leur stade d'évolution. L'Avis interdit de déplacer les choses spécifiées de leur emplacement dans le Parc.
[23]          Le 31 mai 2000, une deuxième ébauche pour commentaires de l'ARP a été achevée; elle estimait, tout comme la première ébauche, que la cote globale d'évaluation du risque que présentait le LBÉ comme parasite était « moyenne » . À la fin du mois de mai, l'ACIA a entamé une étude intensive sur le terrain dans la région de Halifax entourant le Parc et plusieurs arbres situés à l'extérieur du Parc ont été considérés infestés.
[24]          Le 6 juin 2000, le Groupe de travail sur le LBÉ a tenu sa première réunion et s'est rencontré régulièrement par la suite, au moins jusqu'à la date de l'affidavit de M. Mawhinney, soit le 9 août 2000. Ce groupe est composé de représentants d'organismes fédéraux et provinciaux, de l'industrie du bois d'oeuvre, du comité consultatif de l'Atlantique sur les ravageurs exotiques, de la Municipalité régionale de Halifax et du Comité consultatif du parc Point Pleasant. Le 6 juin, le Groupe de travail a conseillé notamment que les études sur le terrain se poursuivent et que les arbres infestés soient éliminés de façon à éradiquer le LBÉ. Actuellement, la méthode la plus efficace d'atteindre ce résultat consiste à abattre les arbres touchés et à les détruire par incinération.
[25]          Du 8 au 10 juin 2000, le ministère des Richesses naturelles de la Nouvelle-Écosse a effectué une étude indépendante sur les conifères du Parc. L'ébauche du rapport de cette enquête, intitulée Point Pleasant Park Forest Health Survey, conclut que près du tiers des épinettes rouges vivantes, soit environ 5 900 arbres sur 18 000, étaient attaquées par le LBÉ et que le nombre d'épinettes rouges sur pied mortes s'élevait à environ 3 700 dans le Parc. De plus, il s'avérait nécessaire de poursuivre l'enquête concernant certains arbres, dont des épinettes blanches, des épinettes de Norvège et des pins blancs.
[26]          Le 14 juin 2000, M. Cunningham a donné l'Avis d'élimination en cause.
[27]          Le 26 juin 2000, le module Évaluation des risques phytosanitaires a rendu publique la version définitive de l'ARP. Elle attribue au risque la cote globale « élevée » et conclut que le LBÉ correspond à la définition d'un ravageur justiciable de quarantaine au Canada qui présente un risque justifiant l'application du règlement pour le contrôler ou l'éradiquer. Bien que le rapport souligne que de l'information supplémentaire pourrait, au fur et à mesure qu'elle sera recueillie, entraîner une modification de la cote d'évaluation du risque, il [traduction] « recommande l'éradication de l'infestation connue dans le parc Point Pleasant à Halifax pour prévenir une dispersion accrue de l'insecte au Canada. » Cette version définitive de l'ARP a été analysée avant sa publication par des réviseurs d'organismes fédéraux, des gouvernements provinciaux de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique et par des scientifiques des universités de l'Illinois et Dalhousie.
[28]          Après que l'Avis d'élimination a été donné à la Municipalité, l'ACIA a confirmé que le LBÉ attaquait les épinettes blanches saines, une espèce qu'on trouve partout en Amérique du Nord. Au début du mois de juin, on a commencé à donner des Avis d'interdiction de déplacer et des Avis d'élimination à de nombreux propriétaires de terrains privés à Halifax, sur lesquels on avait découvert des arbres infestés ou on soupçonnait que des arbres étaient infestés pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles des avis avaient été donnés à la municipalité concernant le Parc.
[29]          Le 13 juillet, des contrats ont été donnés pour l'abattage et l'incinération de tous les arbres infestés. L'abattage a débuté le 20 juillet 2000, sur les terrains situés à l'extérieur du Parc, et le 31 juillet 2000, dans le Parc. On estime que 750 arbres avaient été abattus dans le Parc au moment où M. Mawhinney a signé son affidavit, le 9 août. Une injonction interlocutoire prononcée par mon collègue le juge O"Keefe le 15 août 2000 interdit l'abattage de nouveaux arbres dans le Parc jusqu'à l'issue de la présente demande.
[30]          En plus des préoccupations des secteurs public et privé locaux quant au risque associé au LBÉ, M. Mawhinney fait mention dans son affidavit des obligations internationales qui incombent au Canada en vertu de la Convention internationale pour la protection des végétaux de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture et relativement à l'Organisation nord américaine pour la protection des plantes (NAPPO) regroupant le Canada, le Mexique et les États-Unis.
[31]          Les particuliers demandeurs et les membres de l'association demanderesse qui s'intéressent au Parc ont demandé, en grande partie en vain, de l'information aux organismes gouvernementaux ainsi qu'au Groupe de travail sur le LBÉ et à ses membres à partir de la fin mai 2000, lorsque les médias locaux ont commencé à parler de l'inquiétude grandissante causée par le LBÉ dans le Parc. Les représentants du gouvernement ou du Groupe de travail, invités à rencontrer les membres intéressés de l'association à la fin juin n'ont pas répondu à cette invitation et certains particuliers demandeurs, qui sont des scientifiques, n'ont pas été satisfaits de l'information scientifique fournie lors de la séance publique tenue par les représentants de l'État pour débattre des questions concernant le programme d'éradication de LBÉ.
[32]          J'examinerai maintenant les questions soulevées par les demandeurs.
L'équité procédurale du processus préalable à l'Avis d'élimination
[33]          Les demandeurs soutiennent que le processus utilisé pour donner l'Avis d'élimination ne satisfaisait pas à la norme d'équité procédurale applicable. Ils affirment essentiellement qu'ils avaient, en leur qualité de membres du public qui utilisent le Parc depuis longtemps, parmi lesquels se trouvent des propriétaires de terrains situés en bordure ou près du Parc, le droit de recevoir un avis avant que la décision soit prise et que l'ACIA aurait dû donner un avis public de son intention, fournir une information complète, y compris l'information scientifique qu'elle a prise en considération, et donner aux membres du public intéressés la possibilité d'exprimer des commentaires.
[34]          Les demandeurs font valoir que la Cour devrait inférer que l'ACIA, une entité constituée par une loi, a des obligations légales, alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose expressément pareille obligation procédurale à cet organisme. Ils affirment que la Cour devrait inférer ces obligations par analogie avec la jurisprudence concernant l'aménagement du territoire par des organismes publics, du moins en ce qui concerne les propriétaires de terrains sur les intérêts desquels on peut raisonnablement s'attendre qu'une décision de réviser le zonage des terrains avoisinants ait des effets négatifs. Selon eux, un autre courant jurisprudentiel, concernant les décisions rendues par des autorités publiques sur la fermeture d'écoles, étaye aussi la reconnaissance d'obligations implicites en matière d'équité procédurale dans des situations analogues à celle des demandeurs.
[35]          Les causes en matière d'équité procédurale portant sur des décisions d'aménagement du territoire, dans lesquelles un préavis était requis et le tribunal a déduit que les propriétaires de terrains avoisinants touchés devaient avoir l'occasion d'être entendus, sont notamment les décisions suivantes : Wiswell v. Winnipeg (Greater), [1965] R.C.S. 512 (Q.L.) dans laquelle le créancier de l'obligation était une association de quartier; Harvie v. Calgary Regional Planning Commission (1978), 94 D.L.R. (3d) 49 (Q.L.) (Div. appel, C.S. Alb.) dans laquelle le créancier de l'obligation était le propriétaire d'un terrain adjacent; Norman v. Port Moody (City), [1995] B.C.J. no 2695 (C.S.), appel rejeté [1996] B.C.J. no 2642 (C.A.) (Q.L.) dans laquelle il a été établi que la municipalité avait, envers le public, une obligation de divulgation complète de l'information avant une audience publique sur la modification proposée d'un règlement concernant les marais de la collectivité. Dans une affaire analogue, Crestpark Realty c. Canada (Directeur général, Aides et voies navigables), [1987] 1 C.F. 577 (1re inst.) (Q.L.), la cour a inféré une obligation d'équité procédurale, y compris l'obligation de fournir la possibilité de présenter des points de vue opposés, avant la délivrance d'un permis pour la construction d'un pont et d'une chaussée en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1970, ch. N-19.
[36]          De même, les tribunaux ont conclu à l'existence d'une obligation d'équité procédurale envers les parents opposés ou susceptibles de s'opposer à la fermeture d'une école, consistant essentiellement à leur fournir l'occasion d'être entendus, avant la prise de la décision de fermer l'école dans les affaires Elliot v. Burin Peninsula School District No. 7, [1998] N.J. no 128 (C.A. T.-N.) (Q.L.), et Pytka v. Halifax District School Board, [1993] N.S.J. no 287 (C.A. N.-É.) (Q.L.).
[37]          L'avocat de la Couronne plaide que, dans les causes susmentionnées invoquées par les demandeurs, le décideur devait prendre une décision de politique fondée sur des facteurs socio-économiques, car il s'agissait de décisions de nature législative ou quasi judiciaire, et non de décisions administratives fondées sur une preuve scientifique comme en l'espèce. Il s'agit peut-être d'une distinction de forme, mais elle ne règle pas la question soulevée, parce qu'une décision de nature administrative peut, dans certaines situations, commander une certaine équité procédurale. Dans la décision B.C. Landscape and Nursery Assoc. c. P.G. du Canada, numéro du greffe T-2000-99, 20 juillet 2000 (C.F. 1re inst.), au par. 36, mon collègue, le juge Gibson, a examiné des observations présentées par des pépiniéristes qui prétendaient que la décision prise par le ministre en vertu de la Loi de remplacer un programme d'éradication de la spongieuse nord-américaine par un programme de contrôle de ce ravageur aurait des conséquences négatives pour leur industrie et qu'ils auraient dû être consultés au préalable. Voici ce que le juge Gibson a dit au sujet de cette prétention :
[36]      [...] je suis d'avis que les principes d'équité procédurale et de justice naturelle ne constituent qu'un seuil préliminaire très bas en ce qui a trait à l'obligation de consulter des intervenants comme les requérantes pour en arriver à des décisions semblables à celles qui ont été prises en l'espèce et qui sont, de par leur nature, très discrétionnaires. L'obligation d'un ministre de l'État de consulter des intervenants comme les requérantes en l'espèce pour en arriver à une décision semblable aux décisions sous examen, lesquelles sont très discrétionnaires, est principalement politique et non judiciaire. En l'absence d'une règle de droit énonçant un devoir de consultation, cette obligation incombe aux politiciens et n'est pas soumise au contrôle des tribunaux.
[38]          En l'espèce, l'association demanderesse n'existait pas avant que l'Avis d'élimination soit donné. Les propriétaires de terrains adjacents au Parc, qualité que les particuliers demandeurs Taylor et Robertson affirment avoir, auraient pu être identifiés et il aurait été possible de leur donner l'occasion d'exprimer des commentaires avant que l'Avis soit donné, mais les autres usagers du Parc n'auraient pu prendre connaissance d'une mesure éventuelle que par des avis affichés dans des secteurs du Parc accessibles au public ou par des annonces publiques. Or, le dossier révèle que les personnes qui s'intéressent au Parc et à son bien étaient au courant, grâce aux médias, à la fin mai et au début juin du fait que le LBÉ avait été identifié dans le Parc et qu'il était possible que des arbres soient abattus pour contrôler ce ravageur. L'affidavit du député Howard Michael Epstein, représentant la circonscription de Halifax Chebucto, est accompagné de coupures de presse qui parlent de cette situation, à la fin mai et au début juin 2000; ces coupures mentionnent la décision imminente de l'ACIA quant à savoir si des arbres seront abattus dans le Parc. Les médias ont aussi fait état, avant le 1er juin, de points de vue divergents sur les mesures à prendre. Le Dr Taylor, demandeur, affirme dans son affidavit que, malgré son absence du Canada, il a appris vers le 26 mai 2000, à l'occasion d'une conversation téléphonique avec sa conjointe, que le LBÉ avait été identifié dans le Parc et que l'ACIA envisageait d'abattre un grand nombre d'arbres dans le Parc et ailleurs.
[39]          Je partage l'opinion du juge Gibson selon laquelle les exigences en matière d'équité procédurale fixent un seuil préliminaire très bas en l'espèce en ce qui concerne l'obligation de consulter les parties intéressées avant le 14 juin. Selon le dossier en l'espèce, il est clair qu'il a été pleinement satisfait à cette obligation en ce qui concerne la municipalité et son comité consultatif du Parc, ainsi que les représentants de l'industrie, qui ont tous été inclus dans le Groupe de travail sur le LBÉ. De plus, les demandeurs en l'espèce et d'autres personnes se trouvant dans la même situation, qui n'ont pas participé au processus formel qui a mené à la décision, ne pouvaient pas ignorer au début juin la présence du LBÉ dans le Parc et le fait que l'ACIA déciderait bientôt des mesures à prendre à cet égard.
[40]          Les demandeurs se plaignent de ne pas avoir pu obtenir d'information sur le fondement scientifique de la décision de l'ACIA avant ou même après le 14 juin. L'ACIA pourrait bien prendre au sérieux leurs plaintes à cet égard. Bien que je ne sois pas d'accord pour dire que l'Agence avait l'obligation juridique, avant de donner l'Avis d'élimination, de fournir la preuve scientifique sur laquelle elle se fondait pour agir, dans notre société démocratique il est essentiel que le public ait accès à l'information sur laquelle se fondent les mesures prises par l'État pour que la population les comprenne. Cela est peut-être aussi important aujourd'hui qu'en juin, si l'ACIA donne suite à son intention d'éradiquer le LBÉ dans le Parc.
[41]          En dépit de ce principe de saine administration publique, je ne suis pas convaincu que l'ACIA a manqué à une obligation légale envers les demandeurs dans le processus suivi en l'espèce. Certes, ce processus aurait pu être plus ouvert et les demandes d'information auraient pu être traitées plus efficacement, mais rien n'a empêché l'expression de points de vue, d'opinions et de questions et des efforts ont été faits pour y répondre en partie. Je suis d'avis que le processus n'a pas enfreint les principes d'équité procédurale en l'espèce.
La conformité à l'art. 3 du Règlement
[42]          Les demandeurs font valoir que l'art. 3 du Règlement, interprété correctement, exige qu'une analyse du risque phytosanitaire soit achevée avant que le ministre ou un inspecteur prenne une mesure en vertu de l'art. 27. En l'espèce, l'ARP n'a été achevée qu'une fois l'Avis d'élimination donné et les ébauches à des fins de discussion connues avant le 14 juin ne respectaient pas les exigences de l'art. 3.
[43]          L'avocat de la Couronne affirme que l'inspecteur a agi en l'espèce uniquement en vertu de l'art. 27, qu'il n'est pas tenu de se conformer au préalable à l'art. 3 et que, si l'achèvement de l'ARP a été entrepris, comme toute autre mesure aurait pu être prise en vertu du règlement, au même moment que l'Avis, c'est par coïncidence et non parce que cette mesure était considérée comme une condition préalable établie par la loi.
[44]          Je suis persuadé qu'il faut retenir plutôt l'interprétation du Règlement proposée par le défendeur, parce qu'elle donne effet à l'intention qu'avait le législateur en édictant la Loi. Le Règlement prévoit différentes mesures que peuvent prendre le ministre ou un inspecteur s'ils ont des motifs raisonnables de mettre une chose en quarantaine, d'ordonner la transformation ou le traitement d'une chose ou d'un lieu, d'interdire ou de restreindre l'utilisation d'un lieu infesté, d'interdire ou de restreindre une activité à l'égard d'une chose, de disposer d'une chose ou de traiter ou nettoyer un navire qui doit recevoir du grain ou un produit du grain. Toutes ces mesures ont pour but de protéger la santé, la sécurité et le bien-être économique du Canada. Les circonstances peuvent être très différentes d'une situation à l'autre et l'urgence d'une mesure requise par un parasite perçu ou soupçonné varie. L'impossibilité de prendre une mesure sans qu'une analyse du risque phytosanitaire soit achevée conformément à l'article 3 réduirait la marge de manoeuvre, du moins quant au moment de la prise d'une mesure jugée nécessaire. Si le législateur avait eu cette intention, on s'attendrait que l'obligation de terminer une analyse du risque phytosanitaire comme condition préalable à la prise d'une mesure soit prévue expressément dans la Loi, ce qui n'est pas le cas. La Loi ne fait pas mention d'une analyse du risque phytosanitaire, mais elle prévoit qu'un inspecteur peut prendre une mesure s'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'une chose importée au Canada est un parasite ou est susceptible d'être parasitée ou s'il soupçonne qu'un lieu est infesté par un parasite qu'il estime susceptible de se propager. De plus, le Règlement dit expressément qu'une ARP constitue condition préalable à la prise d'une mesure en vertu de l'art. 32, ainsi que de l'art. 3, mais non en ce qui concerne toute autre mesure autorisée par une autre disposition.
[45]          Selon moi, l'art. 3 du Règlement établit un fondement pour la prise de toutes les mesures autorisées par le ministre ou un inspecteur en vertu de la Loi ou du Règlement sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence de motifs raisonnables autres que l'ARP justifiant ces mesures, mais les obligations imposées par l'art. 3 d'effectuer une analyse du risque phytosanitaire et que le ministre établisse que des mesures de la lutte antiparasitaire sont nécessaires et justifiables quant aux coûts ne constituent pas des conditions préalables à la prise d'une mesure par l'inspecteur en vertu de plusieurs dispositions du Règlement et, en l'occurrence, en vertu de l'art. 27. En d'autres termes, l'inspecteur agissait dans les limites de son pouvoir délégué en vertu de l'art. 27 lorsqu'il a donné l'Avis d'élimination, dans la mesure où il avait des motifs raisonnables de croire que le LBÉ est un parasite ou que les arbres du Parc sont parasités ou susceptibles de l'être. Dans ces circonstances, il peut exercer son pouvoir sans effectuer au préalable une ARP en vertu de l'art. 3.
[46]          Je souligne, à titre incident, qu'en l'espèce, bien qu'une ARP n'ait pas été achevée au moment où l'Avis d'élimination a été donné, une ARP confirmant que le LBÉ est un parasite et recommandant son éradication a bel et bien été achevée le 26 juin 2000, soit plus d'un mois avant que l'abattage des arbres dans le Parc soit entrepris en vertu de l'Avis d'élimination.
La norme de contrôle
[47]          Le défendeur invoque la décision B.C. Landscape and Nursery Association, précitée, dans laquelle le juge Gibson a statué que la norme de contrôle applicable aux décisions prises par les inspecteurs en vertu de la Loi et du Règlement est celle du caractère manifestement déraisonnable. Il soutient que c'est la norme qu'il convient d'appliquer en l'espèce.
[48]          Les demandeurs font valoir, pour leur part, en s'appuyant sur les arrêts Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 817, que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable simpliciter.
[49]          En l'espèce, l'art. 27 du Règlement, sur lequel s'appuyait les mesures prises par l'inspecteur, exige qu'il ait « des motifs raisonnables de croire qu'une chose soit est un parasite, soit est parasitée ou susceptible de l'être [...] » Il fait donc entrer en jeu une norme de preuve, celle des « motifs raisonnables » , que mon collègue le juge Dubé a définie dans l'affaire Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642, à la p. 658, en affirmant qu'elle :
[...] exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.
À mon avis, par application de l'article 27, l'appréciation de la preuve à l'appui de la décision portant soit qu'un parasite existe soit qu'une chose est infestée ou susceptible de l'être doit être effectuée selon le critère du caractère raisonnable et une certaine preuve, répondant à la définition énoncée par le juge Dubé, doit exister à l'appui de cette décision.
[50]          La décision de l'inspecteur concernant la mesure à prendre, en l'occurrence la décision de donner et d'exécuter un Avis d'élimination, est de nature discrétionnaire et implique l'exercice de son jugement à la lumière de la preuve connue selon laquelle soit un parasite existe soit une chose est infestée ou susceptible d'être infestée et de la preuve du risque qui peut y être associé. Cette décision en est une envers laquelle la Cour doit faire preuve de retenue, à moins qu'elle soit manifestement déraisonnable, en ce sens qu'il n'existe pas de preuve pour l'appuyer. C'est la norme utilisée par le juge Gibson dans B.C. Landscape and Nursery Association pour évaluer la décision en cause dans cette affaire concernant la mesure à prendre.
Les motifs raisonnables requis pour l'application de l'art. 27
[51]          Les demandeurs soutiennent qu'il n'existe aucune preuve que 10 000 arbres sont infestés dans le Parc. Toutefois, comme nous l'avons vu, ce n'est pas ce que prescrit l'Avis d'élimination. L'Avis dit en fait que les arbres du Parc qui sont infestés par le LBÉ ou susceptibles de l'être doivent être éliminés par abattage, incinération et remise des souches à l'ACIA.
[52]          À mon avis, la délivrance de l'Avis d'élimination n'était pas manifestement déraisonnable. Des éléments de preuve établissaient, le 14 juin 2000, que le LBÉ existait dans le Parc et que des arbres étaient infestés par ce ravageur ou susceptibles de l'être. Madame Angelopoulos, Ph.D., une éminente entomologiste sur laquelle les demandeurs semblent s'appuyer, a reconnu la présence du LBÉ dans le Parc, lorsqu'elle a été contre-interrogée relativement à son affidavit.
[53]          L'inspecteur qui a donné l'avis précise dans un affidavit la preuve ou l'information dont il a tenu compte lorsqu'il a pris sa décision. Il s'agit notamment des éléments suivants :
     - les ébauches d'évaluation du risque phytosanitaire en date du 19 et du 31 mai 2000;
     - les résultats de l'étude intensive effectuée sur le terrain par l'ACIA à partir du mois de mai 2000 aux extrémités sud et ouest de Halifax, à l'extérieur du Parc;
     - la désignation du LBÉ comme parasite;
     - les résultats de l'opinion scientifique fournie par les scientifiques fédéraux et provinciaux désignés de l'ACIA, du Service canadien des forêts et du ministère des Richesses naturelles de la Nouvelle-Écosse, dont un docteur en entomologie et des scientifiques qui s'intéressent à l'évaluation des risques phytosanitaires;
     - les résultats de l'incubation en laboratoire de sections d'arbres prélevées dans le Parc en 1999 qui avaient produit, en février 2000, 43 spécimens de LBÉ éclos à partir de larves se trouvant dans les échantillons;
     - la présence de spécimens de coléoptères vivants découverts dans le Parc après le mois de mars 2000;
     - les résultats des consultations auprès de scientifiques en Europe et aux États-Unis;
     - l'information et les conseils issus de la réunion du Groupe de travail sur le LBÉ tenue le 6 juin 2000.
[54]          Selon moi, il est clair qu'il n'existait pas que de vagues soupçons, mais des éléments de preuve à l'appui de la conviction de l'inspecteur qu'il existait une possibilité sérieuse que des arbres du Parc Point Pleasant soient infestés par le LBÉ ou susceptibles de l'être. La preuve était plus étoffée que l'admettent les demandeurs. Ils affirment que la preuve scientifique se limitait, en juin 2000, à seulement 17 spécimens de LBÉ recueillis en 1990, mais identifiés seulement en 1998, et à 43 spécimens qui ont émergé sous forme de coléoptères adultes des boulons de bois conservés en laboratoire pendant quelques mois. La preuve de l'infestation des arbres que les demandeurs n'ont pas considérée ne se limite pas aux trous et aux écoulements de résine constatés à l'extérieur des arbres. Elle comprend aussi des évaluations et des opinions de nombreux scientifiques et représentants de l'industrie et de la municipalité.
[55]          La conviction de l'inspecteur que le LBÉ existait dans les arbres du Parc s'appuyait sur des motifs raisonnables. La décision de donner l'Avis d'élimination ne doit pas être annulée, car elle n'est pas manifestement déraisonnable.
Conclusions
[56]          Je résume mes conclusions. Le processus suivi par l'ACIA sous le régime de la Loi et du Règlement n'a pas porté atteinte au droit à l'équité procédurale que la loi confère aux demandeurs. L'inspecteur qui a donné l'Avis d'élimination n'était pas tenu d'attendre qu'une analyse du risque phytosanitaire soit achevée conformément à l'art. 3 du Règlement. Il est clair que la condition selon laquelle l'inspecteur devait avoir des motifs raisonnables de croire que le LBÉ est un parasite et qu'il existe dans les arbres du Parc a été remplie compte tenu de l'information et de la preuve dont l'inspecteur disposait le 14 juin 2000. La norme de contrôle de la décision de l'inspecteur de donner l'Avis d'élimination est la norme du caractère manifestement déraisonnable. La décision de donner l'Avis d'élimination n'était pas manifestement déraisonnable.
[57]          Compte tenu de ma dernière conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. En conséquence, l'injonction prononcée le 15 août 2000 est levée.
[58]          Le défendeur ayant demandé les dépens, je lui adjuge ses dépens, dont le montant sera établi par entente entre les parties; à défaut d'entente, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du Tarif B des Règles de la Cour, déduction faite des dépens relatifs à la requête en levée de l'injonction présentée par le défendeur, mais rejetée avec dépens en faveur des demandeurs sans égard à l'issue de la cause, et des dépens du défendeur relativement à la demande d'intervention présentée par la Nova Scotia Forest Product Association.         




                                 « W. Andrew MacKay »
     JUGE
OTTAWA (Ontario)
6 décembre 2000



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-1235-00     
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Friends of Point Pleasant Park, association non constituée en personne morale, et Iain Taylor, Allan Robertson, Philip Pacy c. Le procureur général du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)     
DATE DE L'AUDIENCE :          le 14 novembre 2000     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :              6 décembre 2000     


ONT COMPARU :

Me Ronald Pink, c.r.                  POUR LES DEMANDEURS

Me Gordon Forsyth

Me Michael Donovan                  POUR LE DÉFENDEUR

Me Kathleen McManus


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pink Breen Larkin                  POUR LES DEMANDEURS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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