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Date : 20050516

Dossier : IMM-6276-04

Référence : 2005 CF 696

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY              

ENTRE :

                                                JEYAMOHAN GOBALASINGAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Jeyamohan Gobalasingam a acquis le statut de réfugié au Canada en 1988 après avoir fui la guerre civile au Sri Lanka. Il a décidé de retourner dans ce pays en 1989, pensant que la Force indienne de maintien de la paix avait rétabli l'ordre.


[2]                M. Gobalasingam a été contraint de travailler pour les Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE) à divers moments au cours des années 1990, tout comme son frère et son père. Il a aussi été arrêté et battu par l'armée srilankaise, qui le soupçonnait d'être membre des LTTE. En 2003, Il a décidé de revenir au Canada après que les LTTE eurent fait pression sur lui pour qu'il joigne leurs rangs. Il a refusé, et a eu peur qu'à cause de cela les LTTE ne s'en prennent à lui. Il s'est caché à Colombo pendant trois semaines avant de quitter le pays.

[3]                Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la nouvelle demande d'asile de M. Gobalasingam. Le tribunal n'a pas cru à une partie du récit des événements de M. Gobalasingam, et a conclu que ce dernier aurait pu vivre sans danger à Colombo. M. Gobalasingam fait valoir que la Commission l'a traité injustement et s'est trompée en concluant qu'il avait, à Colombo, une possibilité de refuge intérieur (PRI). Il me demande maintenant d'ordonner la tenue d'une nouvelle audition.

[4]                Je souscris aux arguments de M. Gobalasingam et je me dois d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Questions en litige

1.          La Commission a-t-elle traité injustement M. Gobalasingam en se fondant sur les connaissances spécialisées qu'elle a sur le Sri Lanka, sans l'en aviser ou sans lui donner la possibilité de répondre?


2.          L'analyse que la Commission a faite de la PRI a-t-elle été influencée par sa conclusion au sujet de la crédibilité?

II. Analyse

1. La Commission a-t-elle traité injustement M. Gobalasingam en se fondant sur les connaissances spécialisées qu'elle a au sujet du Sri Lanka, sans l'en aviser ou sans lui donner la possibilité de répondre?

[5]                M. Gobalasingam a témoigné qu'on lui a demandé de joindre les LTTE en 2003. La Commission a dit douter que M. Gobalasingam aurait pu vivre au nord du Sri Lanka durant les 14 années précédentes sans être recruté. Elle a déclaré que [traduction] « toute personne qui a eu affaire à des revendications d'hommes tamouls provenant du nord du Sri Lanka et qui lirait les présents motifs n'ajouterait pas foi à l'allégation du demandeur d'asile » . Il semble évident que la Commission s'est fondée sur sa propre expertise en concluant qu'il ne fallait pas croire M. Gobalasingam sur ce point.

[6]                Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 prescrivent ce qui suit à l'article 18 :


Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

Avis aux parties

18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre -- si celui-ci est présent à l'audience -- et leur donne la possibilité de :

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

Refugee Protection Division Rules,SOR/2002-228

Notices to the Parties

18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to

(a) make representations on the reliability and use of the information; and

(b) give evidence in support of their representations.

[7]                Ne pas respecter cette disposition constitue un manquement à la justice naturelle, et exige habituellement la tenue d'une nouvelle audition : Gramshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 878, [2004] A.C.F. n º 1072 (C.F.) (QL); Tariq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 404, [2005] A.C.F. n º 502 (C.F.) (QL).

[8]                Sans concéder entièrement ce point, le défendeur fait valoir que toute erreur de la part de la Commission était peu importante, car cette dernière a conclu de façon indépendante que M. Gobalasingam aurait pu vivre sans danger à Colombo. Il ajoute que, comme il s'agissait là d'un motif tout à fait distinct pour rejeter la demande de M. Gobalasingam, il est possible de faire abstraction de n'importe quelle erreur que la Commission a pu avoir commise au sujet de l'utilisation de ses connaissances spécialisées : Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n º 949 (C.A.) (QL).


[9]                Il convient donc de se demander si le fait que la Commission a enfreint l'article 18 des Règles a eu un effet quelconque sur son analyse de la PRI. Dans l'affirmative, la décision de la Commission doit être rejetée. Dans la négative, elle doit être confirmée.

2. L'analyse que la Commission a faite de la PRI a-t-elle été influencée par sa conclusion au sujet de la crédibilité?

[10]            La Commission a décidé que les Tamouls risquaient fort peu d'être persécutés à Colombo. Elle a conclu en particulier qu'il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité que M. Gobalasingam soit recruté par les LTTE à Colombo.

[11]            Cependant, la Commission n'a pas traité de la crainte de M. Gobalasingam que les LTTE le trouve et le punisse pour ne pas s'être joint à eux en 2003. Elle n'a pas tenu compte non plus du témoignage de M. Gobalasingam selon lequel celui-ci, craignant les représailles des LTTE, avait vécu caché à Colombo pendant trois semaines en 2003.

[12]            Vraisemblablement, la Commission n'a pas pris cette preuve en compte, ayant conclu plus tôt que M. Gobalasingam n'avait pas été recruté par les LTTE. Cependant, comme je l'ai mentionné, cette conclusion a été tirée en violation de l'article 18 des Règles.

[13]            Je ne puis donc dire que l'analyse de la PRI que la Commission a effectuée était tout à fait indépendante de sa conclusion au sujet de la crédibilité. En conséquence, comme la Commission n'a pas observé l'article 18 des Règles, il est nécessaire de tenir une nouvelle audition devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Aucune des deux parties ne m'a soumis une question de portée générale à certifier, et aucune n'est formulée.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la tenue d'une nouvelle audition est ordonnée.

2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »          

Juge      

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6276-04

INTITULÉ :                                        JEYAMOHAN GOBALASINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 10 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                       LE 16 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg                           POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart Guthrie              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LORNE WALDMAN & ASSOCIATES

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)                                 POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR


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