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     Date : 19990203

     Dossier : T-2092-98

ENTRE

     JOHN TRUDGIAN,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Le demandeur a intenté une action en dommages-intérêts en se fondant sur le fait qu'il avait été renvoyé sans juste motif pendant qu'il participait à un programme d'instruction des cadets de la GRC. La défenderesse a présenté une requête par écrit en vue de faire radier l'action en invoquant plusieurs motifs à l'appui.

L'absence de cause d'action

[2]      Sa Majesté souligne qu'une action pour renvoi injustifié doit être fondée sur l'existence d'une relation employeur-employé. Dans sa défense, Sa Majesté déclare non seulement que le demandeur n'était pas un employé de l'État, mais aussi que la relation qui existait était régie par un contrat qui ne permet pas au demandeur d'invoquer une cause d'action fondée sur le renvoi injustifié. Toutefois, la défenderesse ne s'appuie pas sur ce motif pour affirmer que l'action devrait être radiée. En outre, il n'y a rien dans la documentation qui montre quelle était la nature du contrat en question, soit un accord de formation. La défenderesse signale plutôt un passage de la réponse dans lequel le demandeur reconnaît qu'il n'était pas un employé du gouvernement du Canada, mais qu'il participait plutôt au programme d'instruction des cadets de la défenderesse et qu'il se fonde sur la présumée résiliation illicite de ce contrat sans juste motif, sans préavis, sans qu'une procédure appropriée ait été suivie et, selon la déclaration, sans qu'il ait eu la possibilité de se défendre.

[3]      En réponse à l'argument de la défenderesse, à savoir qu'il n'était pas un employé de l'État, le demandeur soutient qu'il était un employé de la GRC et qu'il croyait peut-être erronément que de ce fait, il n'était pas un employé du gouvernement du Canada, comme il en est fait mention au paragraphe 2 de ses prétentions écrites.

[4]      La déclaration figurant dans la réponse, à savoir que le demandeur reconnaît qu'il n'était pas un employé du gouvernement du Canada, constitue un aveu. En l'espèce, il s'agit d'un aveu sur une question de droit. Or, pareil aveu peut être retiré n'importe quand, mais l'autorisation de le retirer devrait en général uniquement être accordée si l'aveu a été fait sans autorisation ou par erreur. Puisque, dans ce cas-ci, le critère qui s'applique à la radiation est rigoureux et que la radiation empêchera le demandeur de se présenter devant la Cour, je ne tiendrai pas compte d'un aveu qui a clairement été fait par erreur lorsque l'avocat de la défenderesse et M. Trudgian, qui agit pour son propre compte, plaidaient à contre-courant.

[5]      Le demandeur n'est peut-être pas un employé et le contrat qu'il a conclu avec la défenderesse à l'égard du programme d'instruction des cadets ne permet peut-être pas l'introduction d'une action fondée sur le renvoi injustifié, mais ne je dispose pas d'un nombre suffisant d'éléments montrant d'une façon claire et évidente que l'action ne peut pas être accueillie parce qu'il n'y a pas de cause d'action.

Le défaut de compétence

[6]      La défenderesse soutient que la Cour n'a pas compétence pour entendre une affaire de renvoi injustifié et cite à cet égard trois arrêts, sans toutefois donner d'explications particulières dans ses brèves prétentions écrites.

[7]      Premièrement, l'avocat cite la décision Pacific Western Airlines Ltd. c. La Reine, [1980] 1 C.F. 86, de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire-là, les demanderesses étaient respectivement propriétaire et locataire d'un avion qui s'était écrasé au sol et avait été détruit. L'action était intentée contre un grand nombre de défendeurs, notamment des préposés de l'État, le constructeur de l,avion et certains de ses employés ainsi que la ville de Cranbrook et ses employés. Le juge de première instance ([1979] 2 C.F. 476) avait fait remarquer que la Cour avait compétence à l'égard de la Reine du chef du Canada, mais non à l'égard des autres parties. La Cour d'appel était d'accord. En l'espèce, il n'y a rien dans les documents de Sa Majesté qui explique en quoi cette décision est pertinente ou pourquoi elle s'applique. Je ne comprends pas pourquoi la décision est pertinente en l'espèce.

[8]      La défenderesse cite ensuite la décision Arsenault et al. c. La Reine et al. (1996), 131 D.L.R. (4th) 105, dans laquelle une action avait été intentée devant la Cour fédérale contre Sa Majesté et contre trois médecins qui étaient des préposés de l'État. Il s'agissait de savoir si l'action devait être radiée. Dans l'affaire Arsenault, la compétence, en ce qui concerne la Couronne, dépendait de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, ce qui n'est pas ici le cas. En outre, en l'espèce, aucune demande n'est présentée contre des défendeurs individuels. Encore une fois, je ne vois pas en quoi cette affaire est pertinente.

[9]      La dernière décision que Sa Majesté cite à l'appui de la thèse selon laquelle la Cour n'a pas compétence pour entendre une action intentée contre elle, et ce, que cette action soit de nature contractuelle ou de nature délictuelle, est la décision Gracey c. Société Radio-Canada, [1991] 1 C.F. 739. Monsieur le juge Rouleau a suivi les décisions habituelles en matière de compétence, et notamment les arrêts ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752. Dans l'affaire Gracey, il s'agissait de savoir si la Cour avait compétence à l'égard de Radio-Canada. Monsieur le juge Rouleau a conclu que le fait qu'une action avait été intentée contre un organisme national de radiodiffusion et une société fédérale ne suffisait pas pour donner compétence à la Cour à moins que le recours exercé ne soit prévu par la Loi sur la radiodiffusion ou par la Loi sur la responsabilité de l'État. Le principe énoncé dans l'arrêt Miida Electronics peut bien s'appliquer et j'examinerai cet arrêt, mais encore une fois, je ne vois pas en quoi la décision Gracey c. Société Radio-Canada a quelque chose à voir avec la radiation de l'action que M. Trudgian a intentée contre la Reine.

[10]      La défenderesse cite ensuite les arrêts Miida Electronics (supra) et McNamara Construction (Western) Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, à l'appui de la thèse selon laquelle [TRADUCTION] " dans les actes de procédure, il n'est fait mention d'aucun ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale ". Je suppose que Sa Majesté, en l'espèce, concède que la Cour a compétence en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale afin de satisfaire au premier élément des exigences énoncées dans l'arrêt Miida Electronics lorsqu'il s'agit de déterminer si la Cour fédérale a compétence, mais allègue que pour une raison ou une autre la deuxième exigence n'est pas satisfaite. Pour que la Cour fédérale ait compétence, les exigences suivantes doivent être satisfaites :

         1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.                 
         2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.                 
         3. La loi invoquée dans l'affaire doit être " une loi du Canada " au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle .                 

[11]      La compétence voulue est conférée à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, mais cela ne suffit pas. Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Miida Electronics, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. La Cour suprême a examiné la question dans l'arrêt McNamara (supra) aux pages 659 et suivantes. Dans cet arrêt-là, la Cour a signalé que les règles de droit fédérales existantes peuvent inclure la common law. Dans l'arrêt McNamara, la Cour a ensuite cité, à la page 662, l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Limitée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054, en soulignant que le simple fait pour Sa Majesté d'être partie au contrat sur lequel l'action est fondée ne satisfait pas à l'exigence relative à l'existence de règles de droit fédérales, mais que :

         [l]a situation est différente si la responsabilité de la Couronne est en cause car il existe des règles de common law en matière de responsabilité contractuelle et de non-responsabilité délictuelle de la Couronne, règles cependant considérablement modifiées par la législation.                 

Le présent litige porte sur la responsabilité de l'État. Je ne crois pas qu'il soit clair, évident et indubitable que l'action sera rejetée pour le motif que le deuxième critère énoncé dans l'arrêt Miida Electronics n'a pas été satisfait.

[12]      J'en arrive à la troisième exigence énoncée dans l'arrêt Miida Electronics, à savoir que l'affaire doit être fondée sur une loi du Canada au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'agit là d'une simple thèse avancée par la défenderesse. En réponse, je ne puis que citer un passage de Hogg on Liability of the Crown, Carswell, 1989 :

         [TRADUCTION]                 
         À une exception près, et cette exception n'est pas importante, la Loi sur la responsabilité de l'État et la Loi sur la Cour fédérale confèrent à la Cour fédérale du Canada une compétence exclusive sur les procédures engagées contre la Couronne fédérale. (page 268)                 

Ce commentaire, au sujet de la compétence exclusive que possède la Cour fédérale sur les actions intentées contre la Couronne fédérale, a été rédigé en 1989 et, bien sûr, il n'y est pas tenu compte des réformes effectuées en 1992, par suite desquelles la compétence concurrente est devenue la norme et la compétence exclusive l'exception : je citerai ici l'article 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Hogg cite ensuite l'arrêt Quebec North Shore Paper (supra) et l'exigence voulant que les affaires dont la Cour fédérale est saisie soient régies par les lois du Canada, mais il signale ensuite qu'à cause de cette exigence, les demandes présentées contre des préposés de l'État, des mandataires, des codéfendeurs et des tiers et les demandes reconventionnelles présentées par Sa Majesté posent des problèmes. Dans ce cas-ci, la demande a uniquement été présentée contre Sa Majesté. À mon avis, la défenderesse n'a donc pas établi d'une façon claire, évidente et indubitable que l'action ne peut pas être accueillie en raison du défaut de compétence.

Conclusion

[13]      Le critère qui s'applique à la radiation d'une action, que ce soit par suite de l'absence d'une cause d'action raisonnable ou d'un défaut de compétence, n'est pas facile à satisfaire. Le défendeur qui demande la radiation doit démontrer qu'il est clair, évident et indubitable que l'action sera rejetée, bref, qu'il s'agit d'une action futile. Compte tenu des documents présentés, la défenderesse n'a pas satisfait à ce critère en l'espèce.

[14]      Cela ne veut pas pour autant dire que le demandeur aura gain de cause, car l'affaire n'est pas facile à trancher. De fait, le demandeur aurait peut-être dû envisager de se prévaloir de la procédure de règlement des griefs, puis, s'il n'était toujours pas satisfait, demander le contrôle judiciaire. Toutefois, telle n'est pas la question.

[15]      Étant donné que la requête de la défenderesse est rejetée, les dépens seraient habituellement adjugés au demandeur. Cependant, dans ce cas-ci, le demandeur agit pour son propre compte. Je ne puis donc pas lui adjuger les dépens. Toutefois, je peux lui accorder ses débours, que je fixe à 50 $, lesquels seront payables lorsque l'affaire sera close.

     (Sgd.) " John A. Hargrave "

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 février 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2092-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOHN TRUDGIAN

                     c.

                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION

DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE, en date du 3 février 1999

ARGUMENTATION ÉCRITE :

John Trudgian              pour le demandeur

Curtis Workun              pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada


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