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Date : 20040616

Dossier : IMM-9767-03

Référence : 2004 CF 873

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 16 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                                   CUI WAN SU

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 18 novembre 2003 dans laquelle l'agente d'immigration J. Lawrence a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires qu'a faite la demanderesse à partir du Canada.


[2]                La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine (la RPC). Elle est entrée au Canada le 9 novembre 1998. Le même jour, une mesure d'exclusion a été prise contre elle. Malgré cela, la demanderesse est restée au Canada, où elle a rencontré M. Bo Wei Zhou. Le 15 novembre 2001, le couple s'est marié. Le 18 décembre 2001, la demanderesse a demandé à être exemptée de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Le 7 février 2003, la demanderesse et son mari ont eu un garçon qu'ils ont appelé Alex.

[3]                La présente affaire soulève deux questions :

1.          L'agente d'immigration a-t-elle omis de tenir compte de l'intérêt supérieur du fils de la demanderesse?

2.          L'agente d'immigration a-t-elle tenu compte à tort des facteurs d'établissement?

[4]                Il est maintenant bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux demandes CH est la décision raisonnable (Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817; Ek c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 680).

Question 1:      L'agente d'immigration a-t-elle omis de tenir compte de l'intérêt supérieur du fils de la demanderesse?

[5]                La demanderesse soutient que l'agente Lawrence n'a pas tenu compte de l'effet négatif qu'aurait son retour en RPC sur son fils, et plus particulièrement des liens émotifs qui existent entre une mère et son enfant, et qu'elle a commis une erreur en concluant que son mari pourrait s'occuper seul de l'enfant.


[6]                En outre, la demanderesse prétend que l'agente n'a pas tenu compte des effets que pourraient avoir sur son fils la politique de l'enfant unique en RPC. Plus particulièrement, la demanderesse allègue que si Alex retourne avec elle en RPC, il n'obtiendra pas automatiquement la citoyenneté chinoise parce qu'il est né au Canada. En tant qu' « enfant illégal » ( « black child » ), soit un enfant né sans autorisation préalable, il se verrait privé de nombreux services sociaux, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation.

[7]                Enfin, la demanderesse prétend que, conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'intérêt de son fils doit être la considération primordiale dans l'analyse de l'agente.

[8]                Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), aux paragraphes 4 et 5, le juge Décary a décrit l' « intérêt supérieur de l'enfant » comme suit :

On détermine l' « intérêt supérieur de l'enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l'enfant si son parent n'était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l'enfant, soit advenant le renvoi de l'un de ses parents du Canada, soit advenant qu'elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l'étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d'une même médaille, celle-ci étant l'intérêt supérieur de l'enfant.

L'agente n'examine pas l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l'examen de l'agente repose sur la prémisse - qu'elle n'a pas à exposer dans ses motifs - qu'elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l'intérêt supérieur de l'enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d'implicite, il faut se rappeler que l'agente est saisie d'un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l'occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Il va de soi que l'agente doit examiner attentivement ces raisons précises. [Non souligné dans l'original.]

[9]                Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême a jugé que l'intérêt supérieur de l'enfant, bien que pertinent, n'était pas un facteur déterminant quant à une analyse CH. Plus particulièrement, elle a conclu au paragraphe 75 :

[...] le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants.

[Non souligné dans l'original.]

[10]            Dans l'arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 2, le juge Décary s'est penché également sur le poids relatif qui devrait être accordé à l'intérêt supérieur de l'enfant :

Premièrement, les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée le 21 novembre 2002, CSC 29221), étayent la proposition selon laquelle l'intérêt supérieur de l'enfant constitue un facteur important auquel on doit accorder un poids considérable. L'arrêt Legault établit de plus que l'intérêt supérieur de l'enfant ne revêt pas un caractère déterminant quant à la question du renvoi que doit trancher le ministre. En conséquence, dans la mesure où ils peuvent donner l'impression que le facteur de l' « intérêt supérieur de l'enfant » devrait bénéficier d'une certaine priorité ou prépondérance, les termes « considération primordiale » contenus à l'article 3, paragraphe 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] (voir le par. 33 des motifs de mon collègue) devraient être interprétés avec circonspection. (Je suppose, uniquement aux fins de la présente discussion, que le renvoi d'un parent est assimilable à une « décision [...] qui concerne [...] les enfants » au sens de l'article 3, paragraphe 1 de la Convention, laquelle, comme l'a souligné mon collègue, a été ratifiée par le Canada mais n'a pas été adoptée dans le droit interne.)

[11]            En l'espèce, j'estime que l'agente Lawrence a fait un examen soigné et détaillé de l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse. En particulier, elle a noté ce qui suit :

·            La séparation d'une mère de son fils, quoique temporaire, serait difficile;

·            Les deux parents assument un rôle dans l'éducation de leur fils;


·            On n'a soumis aucun élément de preuve indiquant que le père ne pourrait pas prendre d'autres dispositions pour la garde de l'enfant si la mère était à l'extérieur du pays et qu'il était au travail;

·            La preuve qu'a soumise la demanderesse quant aux difficultés que rencontrent les enfants « hors plan » en Chine n'est pas pertinente parce qu'elle vise les deuxièmes enfants;

·            La demanderesse a de la famille en Chine qui pourrait les aider, elle et son fils, à s'intégrer ou à se réintégrer à la société de la RPC; et

·            Le mari de la demanderesse pourrait continuer à subvenir à leurs besoins à partir du Canada si la demanderesse devait faire une demande de visa à l'extérieur du pays.

[12]            La preuve contenue dans le dossier du tribunal relativement aux « enfants illégaux » n'est pas concluante et l'agente a tiré une conclusion raisonnable sur la base de cette preuve lorsqu'elle a affirmé dans sa décision :

[traduction] J'ai connaissance des renseignements et des éléments de preuve présentés par la demanderesse et son avocate relativement aux enfants hors plan ou « illégaux » . Je note toutefois, comme je l'ai fait précédemment, que la majeure partie de ceux-ci concerne les enfants nés en RPC. L'enfant de la demanderesse est né au Canada. Il ne s'agit donc pas d'un enfant dans la même situation que ceux visés par les éléments d'information soumis. Une bonne partie de ce qui est contenu dans les éléments d'information soumis, ainsi que dans la preuve documentaire accessible au public, s'applique aux deuxièmes enfants. Comme je l'ai dit précédemment, le fils de la demanderesse semble être enfant unique. Il ne s'agit donc pas d'un enfant dans la même situation que ceux visés par les éléments d'information soumis. Il est clair que, si la demanderesse décidait d'emmener son fils en RPC, elle pourrait avoir à payer pour que celui-ci aille à l'école et bénéficie de soins médicaux. Les sources consultées n'indiquent pas clairement que la demanderesse aurait à payer une amende pour l'enfant hors plan auquel elle a donné naissance, car, comme je l'ai dit précédemment, le fils de la demanderesse est né au Canada et la majeure partie des éléments d'information soumis vise les enfants nés en RPC.

[13]            Compte tenu des faits susmentionnés et des extraits précités des arrêts Baker et Hawthorne, il est clair que l'agente a agi conformément à l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Question 2 :     L'agente d'immigration a-t-elle tenu compte à tort des facteurs                            d'établissement?

[14]            La demanderesse prétend que l'agente Lawrence a commis une erreur en interprétant de façon défavorable le fait qu'elle ne travaillait pas hors du foyer, particulièrement en raison du fait qu'elle s'occupait à temps plein de son enfant et qu'elle avait un mariage traditionnel. De plus, elle soutient que cette interprétation est illogique compte tenu du fait que l'agente a reconnu que le mari de la demanderesse était en mesure de subvenir aux besoins de la famille et qu'il y subvenait dans les faits.

[15]            Dans ses motifs contenus à la page 70 du dossier de la demanderesse, l'agente d'immigration a conclu :

[traduction] La demanderesse n'a pas mentionné avoir travaillé ou étudié au Canada, et elle n'a fourni aucun renseignement indiquant qu'elle avait fait du bénévolat ou qu'elle avait participé à des activités communautaires en se joignant, par exemple, à des organisations communautaires, sociales ou religieuses. La demanderesse soutient qu'elle désire s'occuper de sa famille au Canada et chercher du travail plus tard.


[16]            Le Guide de l'immigration - Traitement des demandes au Canada, chapitre 5, section 11.2, prévoit précisément que les agents d'immigration doivent tenir compte de facteurs tels les antécédents d'emploi stable du demandeur, une constante de saine gestion financière au Canada, la participation du demandeur à des activités communautaires ou de bénévolat et le fait que le demandeur a entrepris des activités, telles que des études, qui témoignent de son intégration à la société canadienne.

[17]            Il était donc loisible à l'agente de tenir compte du degré d'établissement de la demanderesse au Canada, y compris du fait qu'elle n'avait jamais travaillé, étudié, fait de bénévolat ou participé à des organisations communautaires, sociales ou religieuses pendant qu'elle était au Canada. L'agente n'a pas commis d'erreur en tenant compte de cet ensemble de facteurs dans sa décision.

[18]            Compte tenu du caractère raisonnable de la décision de l'agente relativement aux deux arguments de la demanderesse, la présente demande sera rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

« K. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9767-03

INTITULÉ :                                                    CUI WAN SU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 16 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

                                                                                   

Laura Valdez                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Sandra Weafer                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura Valdez                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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