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Date : 20001205

Dossier : T-1052-99

ENTRE :

                           REWATI RAMAN UPADHYAYA

                                                                                     demandeur

                                                    et

                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                        défendeur

                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de M. Frederick L. Ringham, président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le comité d'appel), par laquelle ce dernier a rejeté l'appel présenté par le demandeur en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la Loi).


[2]    L'appel du demandeur portait sur la nomination de M. Brian Kenefick au poste de gestionnaire, Services d'inspection, Direction de la sécurité maritime, Transports Canada. En rejetant l'appel, M. Ringham a conclu que l'interprétation des termes « expérience... à titre d'expert maritime » par le jury de sélection était raisonnable et qu'en conséquence, il ne pouvait trouver aucun motif qui justifierait son intervention.

[3]    Selon le jury de sélection, l'expérience du candidat heureux, M. Kenefick, suffisait à le qualifier en tant que personne qui avait l'expérience exigée à titre d'expert maritime. Le demandeur ne partageait pas cet avis et c'est pourquoi il a interjeté appel au comité d'appel. Devant le comité d'appel, il a soutenu que M. Kenefick ne rencontrait pas les exigences de la norme de sélection. Il a ajouté que les normes établies pour la certification et pour l'expérience contrevenaient à la Loi sur la gestion des finances publiques. Par conséquent, selon le demandeur, le jury de sélection avait commis une erreur en évaluant les qualités de M. Kenefick. Aux paragraphes 4 et 5 de son mémoire, le demandeur résume son interprétation des arguments présentés par les deux parties devant le comité d'appel :

[traduction]


4.             Devant le comité d'appel, le Ministère a soutenu que le candidat heureux avait l'expérience requise parce qu'il avait une expérience d'enquêteur sur les accidents. Que le jury de sélection a défini les termes « expert maritime » comme comprenant l'examen des navires, non seulement dans le cadre d'une inspection mais aussi pour assurer le respect des règlements, l'état des réparations, la reconfiguration, l'assurance et la cause des accidents - une action qui de son avis était une interprétation raisonnable et cohérente avec les fonctions du poste. Aucune description de tâches de son ancien poste n'a été présentée en preuve à l'appui de ces déclarations et, par conséquent, le président du comité d'appel a admis l'interprétation du Ministère bien qu'elle n'ait été appuyée d'aucune preuve. De plus, même si le curriculum vitae du candidat heureux établissait qu'il avait une expérience d'enquêteur sur les accidents, ils n'ont jamais indiqué comment les fonctions du poste auraient pu être remplies par les candidats ayant cette expérience et non la qualification officielle détenue par les autres candidats. Or, le candidat heureux était le seul à ne pas avoir cette qualification. Les motifs écrits du président du comité d'appel ne présentent pas de façon complète les arguments présentés à l'audience par le représentant du demandeur, puisqu'il a déclaré clairement que le candidat heureux était le seul candidat qui n'avait pas l'expérience requise et qu'une exception avait été faite par le jury de sélection pour reconnaître son expérience passée.

5.             Le demandeur a déclaré que le candidat heureux n'avait pas l'expérience requise comme expert maritime et qu'il n'avait jamais été nommé officiellement, comme c'était le cas des autres candidats et comme la description de poste l'exigeait. Le comité d'appel n'a pas tenu compte de ce fait et il a rejeté l'appel du demandeur. Le demandeur considère que le comité d'appel a commis une erreur en acceptant l'interprétation du Ministère qui élargit les qualités requises pour le poste. Ce faisant, le comité d'appel a confirmé l'élargissement des qualités et commis une erreur de droit. La décision du comité d'appel n'énonce pas clairement si au vu de la preuve, le candidat heureux répondait aux exigences du poste. Le comité d'appel ne dit rien à ce sujet.

De plus, le comité d'appel a fait une exception pour le candidat heureux, puisque tous les autres candidats devaient avoir, et avaient en fait, de l'expérience en tant qu' « experts maritimes » . Ceci équivalait à un élargissement des qualités requises pour le poste par rapport à ce qu'on avait indiqué à l'origine dans la description de poste. Le demandeur considère que ceci est manifestement déraisonnable et que le comité d'appel a commis une erreur en acceptant cette interprétation. Dans sa décision, le comité d'appel reconnaît même qu'on a procédé à une réinterprétation des qualités fixées à l'origine. Que le comité d'appel a commis une erreur en déclarant qu'il n'était pas nécessaire d'examiner de quelle façon les qualités pouvaient être déduites de la description de poste, voilà qui est incorrect. C'est le travail du comité d'appel de s'assurer que les gestes posés par le jury de sélection respectent le principe du mérite. Comment un comité d'appel peut-il déclarer que des gestes qui ne correspondent pas au devoir du jury de sélection respectent le principe du mérite?

[4]                Comme je l'ai déjà indiqué, M. Ringham n'a pas accepté les prétentions du demandeur et il a rejeté l'appel. Un bref exposé des faits nous aidera à mieux comprendre la question en litige.

[5]                La Direction de la sécurité maritime de Transports Canada a tenu un concours interne à l'automne de 1998, afin de doter le poste de gestionnaire - Services d'inspection (TI-08) à Vancouver. La date limite pour présenter sa candidature était fixée au 25 septembre 1998.


[6]                Les qualités requises pour le poste étaient décrites à l'avis de concours comme suit :

Diplôme d'études secondaires ou équivalence approuvée par la CFP (notamment un agencement acceptable d'études, de formation et/ou d'expérience ou une note satisfaisante à un examen d'équivalence d'études secondaires approuvé par la CFP). Certificat de mécanicien de marine, première classe, valide sur des navires canadiens. Au moins 5 années d'expérience récente à titre d'expert maritime. Expérience de la gestion.

[7]                L'Énoncé de qualités du poste décrit de la façon suivante l'expérience requise pour présenter sa candidature :

EXPÉRIENCE : Au moins 5 années d'expérience à titre d'expert maritime. Expérience de la gestion.

[8]                Le rapport du jury de sélection en date du 20 novembre 1998 indique que trois candidats se sont qualifiés pour le poste. Le rapport les classe comme suit, dans l'ordre du mérite :

1. Brian Kenefick

2. Geoff Seddon

3. R. Raman Upadhyaya (le demandeur en l'instance).

[9]                Étant le candidat qui était au premier rang, M. Kenefick a été placé sur la liste d'admissibilité et nommé au poste de gestionnaire, Services d'inspection.


[10]            Le demandeur a fait appel de la nomination de M. Kenefick en vertu de l'article 21 de la Loi. Comme je l'ai mentionné plus haut, le demandeur a soutenu devant le comité d'appel que M. Kenefick ne satisfaisait pas aux normes de sélection et que le jury de sélection avait commis une erreur en évaluant ses qualités.

[11]            La question à trancher en l'instance est celle de savoir si le jury de sélection a raisonnablement interprété l'Énoncé de qualités, et si le comité d'appel a raisonnablement utilisé l'Énoncé de qualités, lorsqu'ils ont conclu que M. Kenefick avait l'expérience requise pour le poste. Plus particulièrement, la question est de savoir si M. Kenefick avait l'expérience requise d' « au moins 5 années d'expérience récente à titre d'expert maritime » .

[12]            Le paragraphe 21(1) de la Loi est rédigé comme suit :


21.(1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

21.(1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.



[13]            Dans l'arrêt Monique Charest c. Procureur général du Canada et autre, [1973] C.F. 1217, la Cour d'appel fédérale a énoncé clairement que le droit d'appel en vertu de l'article 21 existe pour empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite. À la page 1221 des motifs, le juge Pratte, pour la Cour d'appel, déclare ceci :

[...] Or, il est important de voir que c'est également dans le but d'assurer le respect du principe de la sélection au mérite que l'article 21 accorde un droit d'appel aux candidats qui n'ont pas été reçus à un concours. Lorsqu'un candidat malheureux exerce ce droit, il n'attaque pas la décision qui l'a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l'article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d'être faite en conséquence du concours. Si l'article 21 prévoit un droit d'appel, ce n'est donc pas pour protéger les droits de l'appelant, c'est pour empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite.

[14]            Par conséquent, le devoir du comité d'appel était de s'enquérir si la sélection de M. Kenefick aux fins d'une nomination était contraire au principe du mérite.

[15]            En examinant la décision du comité d'appel, je suis convaincu que la norme appropriée de contrôle dans un cas comme celui-ci, où la contestation de la décision du comité d'appel ne soulève pas de question de droit ou de compétence, fait que la Cour doit exercer un haut niveau de retenue judiciaire face au décideur. Dans Boucher et McBride c. Canada (Procureur général) [1998] J.C.F. no 1557, le juge McKeown déclare ceci, aux pages 2 et 3 de ses motifs :

7.             De nombreux arguments ont été invoqués au sujet de la norme de contrôle à appliquer en l'espèce. À mon avis, en ce qui concerne les conclusions de fait, la norme se trouve à un bout du spectre - c'est-à-dire que la Cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit faire preuve d'énormément de retenue à l'égard de pareilles conclusions. Par contre, les conclusions relatives aux erreurs de droit se trouvent à l'autre bout du spectre et sont traitées avec moins de retenue. Toutefois, compte tenu des conclusions que j'ai tirées, il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel la norme de contrôle a une grande importance.


[16]            La question dans Boucher, comme en l'instance, consiste à savoir s'il y a lieu d'intervenir dans la décision d'un comité d'appel portant sur la sélection pour une nomination faite par un jury de sélection.

[17]            Je note ici que l'une des questions soulevées par le demandeur devant le comité d'appel visait à déterminer si les normes établies pour la certification et l'expérience respectaient la Loi sur la gestion des finances publiques. M. Ringham a conclu que c'était le cas. Comme cette question n'a pas été soulevée ni plaidée devant moi, je ne m'y arrêterai pas.

[18]            La partie pertinente de la décision de M. Ringham se trouve aux pages 4 et 5 de ses motifs, et elle est rédigée comme suit :

[traduction]

Motifs et dispositif

Je me range à l'interprétation donnée par le jury de sélection de la phrase « expérience... à titre d'expert maritime » , savoir qu'elle comprend l'expérience du candidat heureux dans la conduite d'examens de navires impliqués dans des accidents afin d'en déterminer les causes et d'identifier les facteurs qui y ont contribué. Cette interprétation est raisonnable et il n'y a pas de raison de la contester. Bien que le demandeur a fourni une certaine preuve que l'expression « expert maritime » peut avoir dans le Ministère le sens général d'une personne qui a fait l'objet d'une nomination en tant qu'inspecteur de navire à vapeur, M. Kosanovich a témoigné que cette expression n'était pas toujours utilisée de façon aussi restrictive. Deuxièmement, le Ministère n'aurait pas à adopter cette signification usuelle même si elle existait, puisque le demandeur et le Ministère ont tous les deux présenté une preuve qui indique que l'expression « expert maritime » peut aussi décrire des personnes qui travaillent dans d'autres domaines. C'est le Ministère qui doit interpréter l'énoncé de qualités, et son approche qui consiste à examiner l'expérience réelle de travail des demandeurs plutôt que leurs titres formels ne peut qu'aller dans le sens d'une application du principe du mérite.

Je ne partage pas l'avis du demandeur que l'expression « expert maritime » est une qualification professionnelle. Si le rédacteur avait voulu n'admettre que les personnes nommées en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, il aurait pu le faire facilement.

[19]            Comme on le voit dans le passage précité, M. Ringham n'a pas accepté l'argument du demandeur qui portait que l'expression « expert maritime » correspondait à une qualification professionnelle, savoir celle des personnes nommées en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, notamment comme inspecteurs de navire à vapeur.

[20]            Je partage tout à fait l'avis de M. Ringham que l'interprétation donnée par le jury de sélection à l'expression « expert maritime » est raisonnable. Selon moi, ce serait donner un sens trop restrictif aux mots « expert maritime » que d'accepter l'interprétation du demandeur. Le comité d'appel a accepté la preuve du ministère des Transports, y compris le témoignage d'un des membres du jury de sélection, M. George Kosanovich, qui a décrit la nature du travail des experts maritimes. Le ministère des Transports a déclaré que le travail des experts maritimes comprenait l'examen des navires non seulement dans le cas d'une inspection, mais aussi pour assurer le respect des règlements, l'état des réparations, la reconfiguration, l'assurance et la cause des accidents. À la page 4 de ses motifs, M. Ringham résume le témoignage de M. Kosanovich comme suit :

[traduction]


Le Ministère a appelé à témoigner un des membres du jury de sélection, M. George Kosanovich. On lui a demandé d'expliquer comment on avait examiné le dossier du candidat heureux au vu de l'exigence d'une expérience de cinq ans comme expert maritime. Il a expliqué qu'il y avait plusieurs disciplines comprises dans l'expertise maritime, y compris l'électricité, la coque, les machines, et les aspects nautiques. Il a présenté un résumé de trois pages de ces divers aspects. Ce document a été préparé par le Ministère il y a plusieurs années, dans un but qui n'avait rien à voir avec le concours actuel, et on y trouve une explication du travail de l'expert maritime. Il a déclaré que les inspecteurs du Bureau de la sécurité des transports sont fort respectés et qu'ils devaient avoir une expérience étendue de plusieurs des aspects de l'expertise maritime et non seulement d'une seule, comme c'est souvent le cas des experts maritimes du Ministère. Les inspecteurs du Bureau de la sécurité des transports sont considérés avoir le pas sur son propre personnel lorsqu'il s'agit d'enquêter sur un accident maritime. Il a travaillé personnellement sur plusieurs enquêtes avec le candidat heureux, enquêtes qui mettaient en cause des millions de dollars.

[21]            Comme je l'ai déjà dit, l'interprétation du jury de sélection ne peut certainement pas être qualifiée de déraisonnable.

[22]            La deuxième question à laquelle je dois répondre consiste à savoir si M. Kenefick était qualifié, c'est-à-dire s'il satisfaisait aux exigences de l'Énoncé de qualités au titre de l'expérience.

[23]            L'expérience de travail de M. Kenefick est relatée dans sa demande d'emploi et notamment à la page 2, où il relie directement son expérience de travail au poste qu'il postule. Il y déclare entre autres qu'il a six ans et demi d'expérience comme enquêteur au Bureau de la sécurité des transports. Il déclare aussi qu'en tant qu'enquêteur, il a régulièrement examiné des navires afin de déterminer les causes de l'accident sur lequel il devait enquêter et les facteurs ayant contribué.


[24]            Devant le comité d'appel, M. Kosanovich a témoigné que les enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports avaient besoin, aux fins de leur travail, d'avoir une expérience de bon nombre de disciplines comprises dans l'expertise maritime. Il a de plus témoigné qu'il avait travaillé avec M. Kenefick sur plusieurs enquêtes mettant en cause des millions de dollars. Selon moi, le curriculum vitae de M. Kenefick vient aussi appuyer la conclusion du jury de sélection qu'il était qualifié pour le poste qu'il postulait. En conséquence, il y avait à mon avis une preuve abondante devant le comité d'appel qui justifiait sa conclusion que le jury de sélection avait correctement évalué l'expérience de travail de M. Kenefick.

[25]            Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée avec dépens au défendeur.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                                   JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 5 décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              T-1052-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             REWATI RAMAN UPADHYAYA c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 23 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE NADON

EN DATE DU :                                   5 décembre 2000

ONT COMPARU

M. Rewati Raman Upadhyaya                           POUR LE DEMANDEUR

M. J. Sanderson Graham                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Rewati Raman Upadhyaya                           POUR LE DEMANDEUR

Delta (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20001205

Dossier : T-1052-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 DÉCEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE :     M. LE JUGE NADON

ENTRE :

                           REWATI RAMAN UPADHYAYA

                                                                                     demandeur

                                                    et

                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                        défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens au défendeur.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                                   JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

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