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Date : 20020819

Dossier : IMM-2769-01

Ottawa (Ontario), le 19 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                       NARAYAN LAL CHITRAKAR

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs déposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n'a été présentée.

                                                                                                                                                « F. Lemieux »                

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020819

Dossier : IMM-2769-01

Référence neutre : 2002 CFPI 888

ENTRE :

                                                       NARAYAN LAL CHITRAKAR

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Le demandeur Narayan Lal Chitrakar est un citoyen du Népal âgé de 31 ans. Il a quitté le Népal le 24 juillet 1999 et est arrivé au Canada le 22 août 1999. Le 10 mai 2001, la Section du statut de réfugié (le tribunal) a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Bien qu'il n'ait jamais été membre, le demandeur a participé aux activités du parti United People's Front (UPF). Créé en 1990 comme parti politique en bonne et due forme, l'UPF s'est scindé en deux factions en 1994, une violente et une pacifique. La faction violente de l'UPF s'est liée à l'expression politique du Parti communiste du Népal (PCN/maoïstes), une entité violente et militante.

[3]                 Le 13 février 1996, l'UPF et le PCN/maoïstes ont déclaré la Guerre populaire. Bon nombre d'atrocités ont alors été perpétrées contre la population civile.

[4]                 L'implication du demandeur dans l'UPF, qui date de 1991, s'est continuée après le lancement de la Guerre populaire. Il s'agissait de contributions financières.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]                 Le tribunal a conclu que le revendicateur n'était pas un réfugié, du fait qu'il était exclu de la définition d'un réfugié aux termes de l'alinéa a) de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) et du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui incorpore la Convention dans le régime juridique canadien, parce qu'il a appuyé l'UPF et participé à ses activités et qu'il a contribué financièrement à la Guerre populaire, bien qu'étant au courant des atrocités commises dans le cadre de cette guerre.


[6]                 Le tribunal est arrivé à cette conclusion pour les motifs suivants : 1) le témoignage du revendicateur, qui indique qu'il a participé activement aux activités de l'UPF; 2) le fait que de 1996 à 1998 le revendicateur a contribué à peu près 240 000 roupies à la Guerre populaire; 3) le fait que rien ne démontre que le revendicateur aurait tenté de se dissocier du parti avant 1998; et 4) le témoignage du revendicateur qui indique qu'il était au courant des activités du parti durant la Guerre populaire et qu'il acceptait les atrocités commises.

ANALYSE

1) Le manquement à l'obligation d'équité

[7]                 Avant de passer à l'analyse sur l'exclusion, il faut d'abord examiner la question de savoir si l'obligation d'équité a été respectée. Le demandeur soutient qu'il n'a pas eu l'occasion de se préparer adéquatement pour l'audience, du fait que l'avis d'intervention du ministre était vague et ne spécifiait pas quelle partie de la section F de l'article premier de la Convention était en cause. Je considère que cet argument n'est pas fondé.

[8]                 En vertu du sous-alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi, le ministre n'est pas obligé de préciser quelle partie de la section F de l'article premier de la Convention il veut invoquer. Cette disposition est rédigée comme suit :



69.1(5) Droit de se faire entendre - À l'audience, la section du statut :

69.1(5) Opportunity to be heard - At the hearing into a person's claim to be a Convention refugee, the Refugee Division

a) est tenue de donner :

(ii) au ministre, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger l'intéressé ou tout autre témoin et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi;

(a) shall give

(ii) the Minister a reasonable opportunity to present evidence and, if the Minister notifies the Refugee Division that the Minister is of the opinion that matters involving section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of this Act are raised by the claim, to question the person making the claim and other witnesses and make representations; and


[9]                 Dans l'arrêt Arica c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] A.C.F. no 670, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'avis du ministre était destiné à la Commission et non au revendicateur. De plus, la question consiste à savoir si le revendicateur savait à l'audience que la section F de l'article premier de la Convention était invoqué. Voici ce qu'a écrit le juge Robertson, au paragraphe 9 :

Compte tenu de ces faits, il appert que l'argument de l'appelant ne peut être retenu sur le fondement de l'insuffisance de l'avis du ministre. La question est vraiment de savoir si, lors de l'audience, l'appelant et son avocat ont pris connaissance du fait que l'alinéa de l'article 1F était en cause et ont agi en conséquence. Le dossier d'appel vient étayer une telle compréhension de l'affaire.


[10]            En l'instance, le demandeur savait avant la tenue de l'audience que le ministre allait intervenir. À l'audience, qui s'est tenue à deux dates différentes, soit les 8 novembre 2000 et 14 février 2001, on l'a informé que le ministre se fonderait sur les paragraphes a) et c). Après avoir reçu cette information, l'avocate du revendicateur a déclaré qu'ils étaient prêts à procéder et elle n'a pas demandé d'ajournement au motif qu'elle aurait été surprise ou qu'elle avait besoin de temps pour se préparer. Elle n'a pas demandé à présenter de la preuve à ce sujet, non plus qu'on lui aurait refusé ce droit.

[11]            L'attitude du revendicateur à ce momen-là est compréhensible étant donné qu'en l'instance les paragraphes a) et c) de la section F de l'article premier se recoupent et qu'il n'y avait aucune raison de croire qu'on aurait recours au paragraphe b), qui traite des crimes de droit commun.

2) L'exclusion

[12]            Le paragraphe 2(1) de la Loi porte que certaines personnes sont exclues de la définition de réfugié :


réfugié au sens de la Convention [...]

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

Convention refugee [...]

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


[13]            La section F de l'article premier de la Convention porte que :



F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.


[14]            Aux pages 7 et 8 de sa décision, le tribunal a conclu que l'UPF « prônait la perpétration d'actes qui portent atteinte aux droits de la personne » et que des crimes contre l'humanité avaient été commis durant la Guerre populaire.

[15]            La section F utilise les mots « raisons sérieuses de penser » pour qualifier le fardeau de la preuve qui incombe au ministre. Dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, à la page 311, le juge MacGuigan déclare ceci au nom de la Cour d'appel fédérale : « [l]es mots 'sérieuses raisons de penser' [...] ont pour effet de produire une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités » .


[16]            Dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, qui porte sur une affaire fondée sur l'alinéa 19(1)c.2) de la Loi, la Cour d'appel fédérale s'est rangée à la définition donnée par le juge de première instance des motifs raisonnables en tant que norme de preuve qui, tout en n'étant pas celle de la prépondérance des probabilités, dénote néanmoins « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . Dans l'arrêt Ramirez, précité, le juge MacGuigan a conclu, au paragraphe 6, qu'il n'y avait pas de différence de sens entre les mots « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables » et les mots « sérieuses raisons de penser » . Il a conclu que ces expressions dénotent un fardeau de la preuve moins élevé que celui de la prépondérance des probabilités.

[17]            L'objectif des alinéas a) et c) de la section F de l'article premier est donc d'exclure les personnes qui ont commis des crimes internationaux, ou qui en ont été les complices ou les associés.

[18]            Les questions posées en l'instance consistent à savoir si le demandeur a participé aux activités de l'UPF et s'il les a appuyées, ainsi que de savoir s'il était au courant de la nature des actes commis durant la Guerre populaire. Ce sont là des questions de fait. En vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour n'interviendra pas à moins que le tribunal n'ait tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve, une norme de contrôle qui est l'équivalent de celle de la décision manifestement déraisonnable.

[19]            Dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844, au paragraphe 85, le juge L'Heureux-Dubé écrit ceci, au nom de la Cour suprême du Canada :

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue ... Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve...


[20]            Un principe important en matière d'exclusion est que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne suffit pas pour invoquer la disposition d'exclusion. Dans l'arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298, au paragraphe 45, la Cour d'appel fédérale déclare ceci :

Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer la disposition d'exclusion; voir les arrêts Ramirez, à la page 317, et Laipenieks c. I.N.S., 750 F. 2d (1985) (9th Cir. 1985), à la page 1431. La règle générale connaît une exception lorsque l'existence même de l'organisation repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. L'appartenance à une force policière secrète peut être jugée suffisante pour que l'on puisse invoquer la disposition d'exclusion; voir l'arrêt Naredo et Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), 37 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), mais voir également l'arrêt Ramirez, aux pages 318 et suivantes. L'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par l'exception.

  

[21]            Dans l'arrêt Ramirez, précité, à la page 317, la Cour d'appel fédérale a conclu que la simple appartenance à une organisation impliquée dans des crimes contre l'humanité suffit lorsque l' « organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète » .

[22]            Le tribunal a reconnu que l'UPF était une organisation violente et a constaté qu'elle était liée aux maoïstes et à la Guerre populaire. Dans l'arrêt Rai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1163, le juge Nadon, alors à la Section de première instance, a refusé de décrire l'UPF comme une organisation visant principalement des fins limitées et brutales. Il écrit ceci, au paragraphe 16 :


Premièrement, soulignons que la preuve semble appuyer l'hypothèse selon laquelle l'UPF/la faction maoïste est une organisation dont l'existence même repose maintenant sur l'atteinte d'objectifs politiques par tout moyen jugé nécessaire. Je ne suis toutefois pas disposé à affirmer, à partir de la même preuve, que l'UPF/la faction maoïste est une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales. Il est significatif qu'au moment où le demandeur s'est joint à l'UPF, en 1991, ce parti était un acteur de la scène politique avec des représentants dûment élus. Ce n'est qu'en 1996 que le parti, allié avec la faction maoïste, a décidé d'employer d'autres moyens que les moyens démocratiques pour atteindre ses fins politiques.

[23]            Le demandeur a rallié l'UPF en 1991 et il a eu la même année la responsabilité du comité de la publicité électorale de sa circonscription. Il a participé activement aux activités du parti. Il a organisé de 20 à 30 rassemblements dans différents villages; a propagé l'idéologie et les politiques du parti; et a été autorisé par le parti à prendre la parole de 10 à 30 minutes au cours de ces rassemblements. Dans l'arrêt Chiau, précité, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la qualité de « membre » n'était limitée à une personne qui participait activement à des activités criminelles ou qui détenait une carte de membre et dont le nom apparaissait sur une liste de membres, mais que ce mot désignait simplement une personne qui « appartenait » à l'organisation criminelle en question.

[24]            Le demandeur a témoigné qu'il n'était pas membre de l'UPF et qu'il n'avait travaillé pour le parti qu'au cours de l'élection de 1991. Toutefois, dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1996) 205 N.R. 282, la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci : « Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. »

[25]            On peut exclure une personne qui a été complice des atrocités commises. Dans Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79, le juge Reed déclare ceci :

Je ne pense pas qu'il y ait litige concernant les principes énoncés dans ces trois décisions :

[...]

2. Le complice d'une infraction est tout aussi responsable de l'infraction que l'auteur de celle-ci. En conséquence, ne pourra obtenir le statut de réfugié, par application de la section F de l'article premier, celui dont on a des raisons sérieuses de penser qu'il a été complice d'une infraction internationale.

3. Le complice d'une infraction internationale doit y avoir participé personnellement et sciemment. La complicité dans la perpétration d'une infraction repose sur une intention commune.

Dans les décisions Ramirez, Moreno et Sivakumar, il est question du degré ou du type de participation qui constitue la complicité. Il ressort de ces décisions que la simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n'implique pas normalement la complicité. Par contre, lorsque l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment. Il découle également de cette jurisprudence que la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d'elle une complice. Mais sa présence, alliée à d'autres facteurs, peut impliquer sa participation personnelle et consciente.

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

[26]            En l'instance, c'est la contribution financière du demandeur à la Guerre populaire qui importe. Le tribunal a conclu que le revendicateur avait contribué des sommes importantes à la Guerre populaire et qu'il était au courant des violences commises et les acceptait.


[27]            De 1996 à 1998, le demandeur a contribué des sommes importantes au parti, versant 10 000 roupies par mois à la Guerre populaire durant ces deux ans. Ces sommes sont significatives si l'on considère qu'au Népal, le salaire moyen se situe entre 3 000 et 5 000 roupies par mois.

[28]            Au début de l'audience, le demandeur a modifié son FRP pour y inclure la notion de « contrainte » au sujet de sa contribution financière au parti. Dans son témoignage, il a affirmé avoir contribué suite à des menaces. Le tribunal a conclu que le changement en question visait à faire avancer sa revendication et donc que, sur ce point, le revendicateur n'était pas un témoin crédible ou digne de confiance. Au vu de cet élément de preuve, et d'autres, le tribunal a conclu que le revendicateur avait contribué volontairement.

[29]            Le demandeur s'est rendu en Inde par affaires à deux reprises (en mars 1995 et de décembre 1996 à janvier 1997), alors qu'il contribuait financièrement à la Guerre populaire. Le tribunal a déclaré, à la page 7 de sa décision, que « le revendicateur a expliqué que tant qu'il a contribué financièrement à la Guerre populaire, il a été en sécurité et que tant que son entreprise a bien fonctionné, il a eu avantage du point de vue financier à demeurer au Népal » . Rien ne démontre que le demandeur aurait tenté de se dissocier de l'UPF avant 1998.

[30]            Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181, le juge Reed déclare ceci, au paragraphe 41 : « Il ne fait aucun doute que le fait de contribuer au financement de crimes constitue un acte de complicité. » Le dossier démontre que le revendicateur était au courant de la commission de crimes contre l'humanité durant la Guerre populaire. Malgré cela, le tribunal a conclu que c'est volontairement qu'il a versé de fortes sommes d'argent au parti.

[31]            Le demandeur croyait au parti et il l'appuyait dans ses activités (dossier du tribunal, transcription de l'audience, p. 453-455, 461-462, 470-471).

Q.            Alors, vous avez cru au parti jusqu'à quand?

R.            1997.

-              D'accord.

Q.            Pardon, est-ce que cela veut dire que ce n'est qu'en 1997 que vous avez cessé de croire au parti?

R.            J'ai cessé de croire en eux à partir de 1997. Je n'ai plus rien eu à voir avec eux.

Q.            Alors, même lorsque vous contribuiez des sommes d'argent par suite de contrainte en 1996, vous croyiez toujours au parti?

R.            J'ai voté pour eux en 1991, alors je croyais au parti. J'ai cru qu'il allait faire quelque chose. Peut-être qu'il essaierait de faire du bien.

-              D'accord. Aux fins du dossier, monsieur, je note que vous n'avez pas répondu à la question. Vous voyez, monsieur, votre témoignage, comme mon collègue l'a mentionné plus tôt, la crédibilité de votre témoignage est très importante.

Q.            Maintenant, j'ai de la difficulté à comprendre que vous ayez répondu à Me Lessard qu'en 1997 vous croyiez toujours au parti. Ceci indique que vous croyiez toujours au parti durant la Guerre populaire en 1996. Est-ce bien ce que vous voulez dire, monsieur?


R.            Ce que je crois, pourquoi je crois en eux c'est qu'avant ils avaient dit qu'ils allaient faire la Guerre populaire de façon pacifique, pour ainsi régler le problème qui était sur la table sans terroriser les gens. Lorsqu'ils ont commencé à terroriser les gens et à les assassiner, j'ai cessé de croire en eux.

Q.            Mais alors que vous contribuiez des sommes d'argent à la Guerre populaire, vous croyiez toujours au parti selon votre témoignage. Vous voyez, monsieur, nous nous serions attendus que vous nous affirmiez avoir contribué ces sommes par suite de menaces et par contrainte, sans toutefois croire au parti. C'est ce qu'on aurait cru que vous alliez dire si, en fait, vous ne croyez pas aux objectifs de la Guerre populaire. Me comprenez-vous?

R.            Ce que je voulais dire c'est que je crois qu'ils ne devraient pas terroriser les gens et par contre régler les problèmes sur la table avec le gouvernement.

Q.            Donc, monsieur, ils vous terrorisaient dans l'intervalle depuis 1994, menaçant de vous tuer ainsi que les membres de votre famille. Bon, d'accord, pas en 1994 mais en 1996, mais vous avez continué à croire en eux jusqu'en 1997. C'est bien votre témoignage. Est-ce bien correct?

R.            Je leur ai donné de l'argent parce qu'ils ont menacé de le faire.

-              Merci.

[...]

-              Bon, monsieur, dans votre FRP, au motif 7, d'accord, vous avez écrit que comme la Guerre populaire s'est changée en guerre de guérilla en 1997-1998, d'accord, le fait de travailler pour le parti et de coopérer en tant que membre était assimilable au fait de tuer des innocents et d'aider ceux qui voulaient une guerre civile dans le pays, sans pourtant réformer le pays. Croyant cela, j'ai quitté le parti et je suis devenu indépendant... Attendez ma question s'il vous plaît. Je vous en prie, attendez ma question. Ce n'était qu'une déclaration. D'accord.

Q.            Donc, d'accord, corrigez-moi si je me trompe, mais cette déclaration dans votre FRP implique que vous étiez un membre de plein droit de l'organisation jusqu'en 1997 et que, jusqu'à cette date, vous travailliez pour le parti et coopériez avec eux. Pouvez-vous alors expliquer pourquoi ceci ne correspond pas du tout à votre témoignage à l'audience aujourd'hui?

R.            Oui, je le peux. Ce que je voulais dire à ce moment-là, c'est que jusqu'à cette période je contribuais de l'argent au parti. J'étais contraint de leur donner de l'argent. Donc, je leur en ai donné jusqu'à ce moment-là. Et je crois toujours à ce parti, pas tellement, mais un peu. Le fait que je sois membre veut dire que j'y crois. J'ai confiance en eux. C'est ça mon statut de membre. Je ne veux pas dire que je me suis coupé des membres.


Je me suis libéré parce qu'alors j'ai décidé de ne plus leur faire confiance, de ne plus croire au parti. Ils ne sont jamais allés discuter des questions qui étaient sur la table. Le gouvernement a ouvert la porte à des discussions au sujet de ces questions, mais ils n'ont pas suivi. C'est alors que j'ai décidé que ce parti était un parti terroriste. Après cela, j'ai cessé de croire au parti et de lui verser une contribution financière. C'est alors qu'ils ont commencé à me menacer.

Q.            Monsieur, vous venez de témoigner que vous avez cessé de leur donner de l'argent lorsque vous avez cessé de croire en eux. C'est ce que vous venez de dire.

R.            À partir de ce moment-là, j'aurais préféré qu'ils me tuent plutôt que de leur donner de l'argent.

Q.            Parce que vous avez cessé d'y croire, n'est-ce pas?

R.            Oui, j'ai cessé de croire en eux et je ne voulais plus avoir aucun lien avec eux, parce qu'ils étaient des terroristes.

[...]

Q.            Donc, pouvez-vous nous dire à partir du moment où la Guerre populaire a commencé, parce que vous avez dit que les maoïstes faisaient des bonnes choses et des mauvaises choses. À partir du moment où la Guerre populaire a commencé, pouvez-vous nous dire si vous croyiez que les maoïstes faisaient de bonnes choses. Et si c'est le cas, de quelles bonnes choses s'agissait-il?

R.            Oui, ils ont fait de bonnes choses. Un chef de village qui jetait le blâme sur des personnes parce qu'elles étaient maoïstes a été puni par les maoïstes. La personne qui a corrompu le budget du comité de développement du village, ils l'ont punie. Et puis, les maoïstes ont commencé à tuer des innocents et les espionnaient.

Q.            N'allez pas si rapidement, monsieur, parce que j'essaie de prendre des notes. Les maoïstes ont commencé à tuer certains d'entre eux, vous avez dit?

R.            Les maoïstes ont fait une bonne chose en tuant les personnes corrompues.

Q.            Ils ont ...

-              Pourriez-vous répéter cette phrase. Les maoïstes...

R.            Les maoïstes ont fait une bonne chose en tuant les personnes corrompues.


[32]            Au vu de mon examen de la transcription, je conclus que le tribunal pouvait tout à fait arriver aux conclusions suivantes : 1) que le revendicateur était au courant des atrocités commises par l'aile militante de l'UPF; 2) qu'il s'associait à l'objet de ces actes, qui constituent des crimes contre l'humanité; et 3) qu'il n'a pas cessé sa contribution financière aussitôt qu'il l'aurait pu. Dans les circonstances, la décision du tribunal était raisonnable et le demandeur doit être exclu en sa qualité de complice de crimes contre l'humanité durant la Guerre populaire.

[33]            Le contrôle judiciaire est rejeté. Aucune question à certifier n'a été présentée.

  

                                                                                                                                                « F. Lemieux »                  

                                                                                                                                                                 Juge                       

Ottawa (Ontario)

Le 19 août 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                            IMM-2769-01

INTITULÉ :                                        NARAYAN LAL CHITRAKAR c. MCI

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                   MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 7 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                        le 19 août 2002

   

COMPARUTIONS :

  

Mme Diane N. Doray                                                                      POUR LE DEMANDEUR

M. Guy Lamb                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

Mme Diane N. Doray                                                                      POUR LE DEMANDEUR

  

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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