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Date : 20050705

Dossier : IMM-287-05

Référence : 2005 CF 945

Edmonton (Alberta), le 5 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

SLIMAN MOREB, RABIA MURAB, HADIA MURAB,

MARYO MURAB, FADIA MOREB, ISA MOREB,

HAYA MOREB et TALA MOREB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Contexte

[1]         Les demandeurs, des citoyens d'Israël, sont des chrétiens arabes qui prétendent avoir été persécutés par les Druzes dans leur village de Rama, dans le district de Haïfa, à cause de leurs croyances religieuses.


[2]         En décembre 1996, un groupe de Druzes ont arrêté la camionnette des demandeurs et se sont mis à frapper dans les vitres avec des barres de fer et des bâtons. Ils ont battu les occupants, blessant Rabia Murab d'un coup de tournevis. L'agression a été signalée à la police. Une semaine plus tard, les demandeurs ont reçu des appels téléphoniques de personnes qui menaçaient de les tuer. Ils croient que ces appels provenaient des Druzes qui avaient intercepté leur camionnette.

[3]         En juin 1997, Rabia et son beau-frère ont été battus brutalement par des Druzes armés de couteaux et de bâtons. Rabia a reçu cinq coups de couteau et son beau-frère a été frappé avec une barre de fer. Cet incident a aussi été signalé à la police, mais celle-ci n'a rien fait.

[4]         En mai 2002, Rabia et Moris se sont fait injurier et cracher dessus par des Druzes. Encore une fois, Rabia a signalé l'incident à la police, mais celle-ci n'a pris aucune mesure. Le lendemain soir, les Druzes ont lancé une grenade à main sur des réservoirs de gaz naturel situés près de la maison des demandeurs, ce qui a provoqué une explosion et un incendie. La police a été appelée, mais n'a rien fait. La famille a continué de recevoir des menaces de mort par téléphone ainsi que dans la rue. Les demandeurs ont ensuite reçu une facture de 8 000 shekels du service des incendies.


[5]         En février 2003, Moris, Sliman et Rabia ont été interceptés et battus brutalement par des Druzes. Ce soir-là , des Druzes ont tiré des coups de feu sur la maison des parents du demandeur et ont lancé un projectile sur leur église. Trois religieuses ont été blessées. Les demandeurs croient que la police ne donne pas suite à leurs plaintes parce qu'il y a des Druzes parmi les policiers. Une semaine après cet incident, cinq autocars pleins se sont rendus à Jérusalem pour protester contre l'incapacité de la police de protéger les citoyens et sa réticence à le faire.

[6]         Plusieurs des demandeurs ont été hospitalisés pendant un certain nombre de jours à la suite des différentes agressions. Après un séjour à l'hôpital en 2003, Rabia s'est installé chez un parent à Peqin pendant un mois et demi. Il pensait que sa famille pourrait stablir dans cette ville dont la population est composée en majeure partie de chrétiens, mais, en juin 2003, des Druzes ont attaqué le village avec des mitrailleuses et des couteaux.

[7]         Les demandeurs croient qu'il existe un accord en vertu duquel des Druzes servent dans l'armée israélienne, de sorte qu'ils sont des alliés du gouvernement israélien. Ils affirment que 65 grenades ont été lancées par des Druzes sur des maisons appartenant à des chrétiens à Rama au cours des deux dernières années. Et c'est sans parler des projectiles et des bombes placés dans les automobiles de chrétiens.

[8]         Les demandeurs sont arrivés au Canada en mai et en juin 2003 et ont demandél'asile le 11 juillet suivant.

Décision contestée

[9]         La Commission :


- a conclu que l'identité des demandeurs en tant que ressortissants d'Israël avait été établie et que Rabia était un témoin coopératif. La Commission n'a pas mis en doute son récit des agressions commises par les Druzes. Elle a aussi reconnu que les Druzes avaient plusieurs fois attaqué différentes régions chrétiennes;

- a admis que les demandeurs avaient été maltraités par des Druzes à Rama, mais a indiqué qu'ils avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Tel-Aviv-Yafo (Jaffa);

- a considéré qu'elle ne disposait d'aucun renseignement objectif digne de foi démontrant que les demandeurs seraient persécutés à l'extérieur de Rama ou seraient poursuivis dans une autre région. La Commission a fait remarquer que, si les Druzes formaient un groupe organisé à lchelle nationale, les médias parleraient de leurs activités;

- a constaté que les lois d'Israël garantissent la liberté de culte et que les chrétiens sont aussi protégés juridiquement contre la persécution. Elle a aussi souligné qu'un chrétien avait été élu juge de la Cour suprême;

- a fait remarquer que, dans de nombreuses sociétés, les divers groupes qui les composent font l'objet de traitements différents et que les personnes qui jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécution. Des mesures qui restreignent le droit de gagner sa vie, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement sont de la nature de la persécution. Or, il n'y avait aucune preuve de telles mesures en l'espèce;


- a constaté que les demandeurs étaient en bonne santé, qu'ils avaient voyagédans le passé, qu'ils étaient instruits et qu'ils possédaient diverses compétences. Les demandeurs n'avaient pas démontré qu'il existait des motifs sérieux de croire qu'ils seraient exposés au risque dtre soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités et, à titre subsidiaire, la Commission a conclu qu'ils avaient une PRI viable à Tel-Aviv-Yafo (Jaffa).

Questions en litige

[10]       Les demandeurs prétendent :

1.         qu'ils n'ont pas eu droit à une audience équitable devant la Commission car celle-ci n'a jamais parlé de l'existence d'une PRI à Tel-Aviv-Yafo;

2.         que la Commission a commis une erreur en ne concluant pas que la discrimination institutionnalisée constituait de la persécution;

3.         que la Commission a commis une erreur en préférant la preuve documentaire au témoignage de Rabia même si celui-ci était crédible.

Norme de contrôle

[11]      Les parties ne contestent pas que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique à la PRI (voir Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263), ainsi qu'aux questions relatives à l'appréciation de la preuve (voir Umba c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).


Analyse

Question 1 : La Commission était-elle tenue de donner aux demandeurs la possibilitéde répondre à sa suggestion selon laquelle Tel-Aviv-Yafo pouvait constituer une PRI?

[12]      Les demandeurs prétendent qu'aucune ville pouvant constituer une PRI ntait indiquée sur le Formulaire d'examen initial que la Commission leur a remis. En outre, la Commission a dit, au début de l'audience, qu'elle considérait Jérusalem et Nazareth comme des PRI possibles. Elle n'a jamais demandé aux demandeurs si Tel-Aviv-Yafo serait une PRI raisonnable. Pourtant, elle a rejeté les demandes pour ce motif.

[13]      Selon le dossier, la présidente de l'audience a dit ce qui suit :

[traduction] Nous étudierons également la question de savoir si ltat peut vous protéger en Israël et s'il y a un endroit sûr où vous pourriez déménager, s'il y a une possibilité de refuge intérieur. Peut-être seriez-vous en sécurité à Nazareth ou à Jérusalem.

(Dossier du tribunal, p. 885)

[14]      La Cour d'appel a dit ce qui suit dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), aux paragraphes 8 et 9 :

[P]uisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention. [...]

Cela dit, toutefois, on ne peut s'attendre à ce que le demandeur de statut soulève la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ni à ce qu'on puisse simplement déduire de la demande elle-même la prétention que cette possibilité est inexistante. La question doit être expressément soulevée lors de l'audience par l'agent d'audience ou par la Commission, et le demandeur doit avoir l'occasion d'y répondre en présentant une preuve et des moyens. (Non souligné dans l'original)


[15]       Il ne fait aucun doute qu'une personne qui demande l'asile doit être un réfugié d'un pays et non d'une région. La Cour d'appel a toutefois statué clairement qu'un demandeur doit avoir la possibilité de faire valoir son point de vue sur cette question. Lchange suivant a eu lieu à l'audience :

[traduction]

LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE : Et pourriez-vous vivre en sécurité dans une région plus grande, dans une plus grande ville, là où vivent de nombreux chrétiens? Selon la preuve documentaire, il semble y avoir de grandes organisations de chrétiens à Nazareth et à Jérusalem.

[...]

LE DEMANDEUR : Il y a des problèmes plus graves à Nazareth, de nombreux problèmes plus graves.

[...]

LE DEMANDEUR : Des problèmes parmi les sectes.

[...]

LE DEMANDEUR : Ces problèmes sont importants, et il y a de nombreux problèmes parmi les chrétiens et les musulmans en (INAUDIBLE). Et il y a un problème à chaque vendredi. Je veux (INAUDIBLE) où je peux me sentir bien, et non à un endroit où il y a des problèmes.

(Dossier du tribunal, p. 906 et 907)

[16]       Lchange suivant a eu lieu entre le demandeur et son avocat :

MONSIEUR YU :

Q. Comment sont les relations entre les Druzes et les chrétiens à , disons, Jérusalem et Nazareth?

R. Il n'y a pas de Druze à Nazareth et à Jérusalem. Les Druzes représentent un pourcentage très, très minime de la population. Mais le problème, c'est que s'il y a un problème avec un chrétien (INAUDIBLE) le problème est avec tous les Druzes. Et ils essaient constamment de se venger de toute personne qui se trouve sur leur chemin. Peu importe où cette personne se trouve dans cet État car celui-ci est très petit. Ce que je veux dire, c'est que (INAUDIBLE) les Druzes sont comme une grande famille en Israël.

Q. Donc, si les Druzes ne sont pas nombreux à - je veux seulement être clair - s'il n'y a pas beaucoup de Druzes à Nazareth ou à Jérusalem, pourquoi ne seriez-vous pas en sécurité dans ces villes?


R. Parce que Nazareth est située à une demi-heure et Jérusalem, à deux heures. Ils peuvent retrouver n'importe qui s'ils le veulent.

Q. À quelle distance se trouve Nazareth?

R. À une demi-heure.

M. YU : Bien. Et Jérusalem est à deux heures, c'est bien ce que vous avez dit?

L'INTERPRÈTE : À deux heures.

MONSIEUR YU :

Q.     Je crois que vous avez dit plus tôt qu'ils font partie des problèmes plus graves opposant les chrétiens et les musulmans à Nazareth. J'aimerais que vous nous en disiez plus au sujet des problèmes que les chrétiens ont avec les musulmans dans cette ville.

R.          Ils sont considérés comme des problèmes religieux.

Q.          Pouvez-vous nous donner des exemples des problèmes qu'ils ont?

R.         Oui.

Q.          Nous vous écoutons.

R.          Par exemple, les musulmans ont construit une mosquée en face d'une église à Nazareth - et cette église est très importante. Un problème est survenu en raison de la construction de la mosquée en face de l'église et est devenu de plus en plus grave.

Q.          À votre connaissance, y a-t-il eu des affrontements violents entre les deux groupes?

R.          Oui. Certaines personnes se seraient retrouvées à l'hôpital.

Q.         Et à Jérusalem, y avait-il des problèmes entre les chrétiens et les musulmans?

R.         Je ne suis pas vraiment au courant de ce qui se passe dans cette ville. [...]

(Dossier du tribunal, p. 911 et 913)


[17]       Il ressort clairement de ce qui précède que le demandeur a eu la possibilité de faire valoir son point de vue sur la question de la PRI. Cette question était signalée dans le Formulaire d'examen initial, et elle a été soulevée au début de l'audience par la présidente. Malheureusement, celle-ci en a parlé d'une manière qui laisse croire que Jérusalem et Nazareth étaient les seules PRI envisagées. Le dossier présenté au tribunal montre que la discussion a porté uniquement sur ces deux villes. Il n'a jamais été question de Tel-Aviv-Yafo.

[18]       La présidente de l'audience aurait dû soulever la question de la PRI de manière générale sans préciser aucune ville ou mentionner Tel-Aviv-Yafo si elle avait l'intention de prendre cette ville en considération. Elle ne l'a pas fait et, après l'audience, elle a parlé seulement de Tel-Aviv-Yafo (vraisemblablement après avoir examinéla preuve documentaire). Elle aurait dûdonner aux demandeurs la possibilité de produire des éléments de preuve concernant cette ville.

[19]       Comme la présidente ne l'a pas fait, les demandeurs n'ont pas eu « l'occasion [de] répondre [à la question de la PRI] en présentant une preuve et des moyens » , comme l'exige Rasaratnam, précité. La présidente a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle.

[20]       Ayant donné raison aux demandeurs en ce qui concerne la question 1, je n'ai pas à examiner les deux autres questions qu'ils ont soulevées.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision rendue par la Commission le 29 décembre 2004 soit annulée et que l'affaire lui soit renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-287-05

INTITULÉ:                                                           SLIMAN MOREB ET AUTRES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 5 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                         LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                         LE 5 JUILLET 2005

COMPARUTIONS:

Simon K. Yu                                                          POUR LES DEMANDEURS

Camille Audain                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Simon K. Yu                                                          POUR LES DEMANDEURS

Edmonton (Alberta)

John H. Sims                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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