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     IMM-3443-96

ENTRE

     ANATOLI FEDOROV VASSILIEV,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

et

ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

     Le requérant sollicite un bref de certiorari annulant la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la "SSR") a conclu, le 21 août 1996, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ainsi qu'une ordonnance déférant l'affaire à la SSR pour nouvelle audition de sa revendication. À l'ouverture de l'audience qui a eu lieu devant la Cour à Ottawa, le présent juge a fait remarquer que c'était lui qui accordait l'autorisation, et il a offert aux parties et en particulier à l'intimé la possibilité de se faire entendre par un juge différent, mais l'avocat de l'intimé a refusé l'offre.

     En l'espèce, la SSR a de fait interprété d'une façon erronée les faits dont elle disposait et elle a donc commis une erreur de droit.

     L'audience devant la SSR a eu lieu le 5 mars et le 7 mai 1996. Le revendicateur a eu la folie ou la malchance de ne pas se faire représenter par un avocat. Un interprète qui connaissait le russe a agi et a assisté à l'audience devant la SSR.

     Le tribunal a conclu que le témoignage du requérant était digne de foi (dossier de la demande (ci-après appelé le DD) : page 9). [TRADUCTION] : "Par conséquent," a dit le tribunal, "il s'agit uniquement de savoir si la persécution alléguée par le revendicateur [le requérant] a quelque chose à voir avec les motifs énoncés dans la définition de "réfugié au sens de la Convention"."

     Le tribunal a conclu aux faits suivants :

     [TRADUCTION]         
         Dans l'ancienne Union soviétique, le revendicateur travaillait comme électrotechnicien et conduisait des véhicules à moteur lourds à Pétersbourg et dans les environs. En octobre 1990, il est allé travailler chez "Ventor", société qui faisait partie du comité exécutif régional de Pétersbourg, ou de l'administration régionale. Ventor assurait la liaison avec les petites entreprises. Le comité exécutif appliquait les règles et règlements établis par l'administration nationale à l'égard des petites entreprises commerciales. Le comité exécutif a organisé une union de petites entreprises pour exercer un contrôle sur ces dernières. Le revendicateur a expliqué que c'était la façon dont les fonctionnaires du parti communiste, dans l'ancien régime soviétique, pouvaient s'ingérer dans les nouvelles entreprises indépendantes axées sur le marché de la nouvelle Russie et les contrôler. En décembre 1990, le revendicateur était secrétaire du bureau de direction des comités. Il a déclaré que c'était ainsi que le parti communiste pouvait arriver à contrôler et à influencer dans une certaine mesure l'expansion et le travail des petites entreprises dans le pays.         
         Le comité exécutif a ensuite organisé l'Association russe des petites entreprises, qui contrôlait toutes les petites entreprises de la Russie. Le revendicateur a déclaré qu'il s'était rendu compte pour la première fois à quel point les politiciens étaient impitoyables et malhonnêtes dans les tentatives qu'ils faisaient pour contrôler les petites entreprises qui venaient d'être créées. Il a dit qu'on avait décidé à l'avance qui comblerait les postes de direction au sein de l'ARPE. Les élections étaient organisées. Des membres de la famille de membres puissants du comité exécutif local ont illégalement été élus pour combler les charges vacantes. On n'a pas autorisé les médias à assister aux réunions. La salle de réunion était surveillée par la police. Tous les candidats qui devaient être élus ont de fait été choisis pour occuper des charges au sein de l'ARPE. Ainsi, le chef du service des petites entreprises du comité exécutif régional de Pétersbourg est devenu président de l'ARPE.         
         Le revendicateur, qui était autrefois chauffeur de camion et ouvrier en électricité, a été nommé directeur adjoint de l'ARPE. Il a affirmé avoir tenté à plusieurs reprises de démissionner, mais que ses tentatives avaient échoué. Il a déclaré s'être rendu compte qu'aux yeux de l'ARPE, il en savait trop. Il a dit que l'ARPE avait essayé de le forcer à transmettre des pots-de-vin versés à des fonctionnaires du gouvernement par des personnes d'affaires, ce qu'il avait refusé de faire, comme il l'a déclaré devant le tribunal. Toutefois, cela n'a pas empêché ses patrons de faire du chantage, a-t-il affirmé.         
         Le revendicateur a déclaré avoir démissionné en mars 1991, à un moment où la direction de l'ARPE était absente; sur les conseils d'un haut fonctionnaire, il s'est installé ailleurs. Quelques jours plus tard, "Russia", qui était une entreprise d'État, l'a embauché. Il a vite été nommé directeur commercial. Il organisait le travail à la Bourse de Pétersbourg. Il formait les courtiers et organisait le travail auprès de banques. Il a découvert que plusieurs dirigeants politiques du comité exécutif étaient devenus cadres supérieurs dans des banques et à la Bourse, où ils touchaient des salaires mensuels.         
         Le revendicateur a déclaré qu'un ancien collègue, à l'ARPE, Youri Malykhin, avait communiqué avec lui pour lui demander de blanchir de l'argent par l'entremise de sa nouvelle entreprise. Le revendicateur a affirmé avoir refusé de le faire; on lui avait conseillé de s'aligner. Le lendemain, le revendicateur avait pris place dans une voiture avec le directeur général de "Russia". La police a arrêté la voiture. Le revendicateur a été accusé de conduite en état d'ébriété même s'il ne conduisait pas la voiture et même s'il n'avait consommé aucune boisson alcoolique. On a laissé partir le directeur général et le chauffeur. Le revendicateur a passé quatre heures au poste de police; on lui a enlevé tous les documents commerciaux qui étaient en sa possession et, lorsqu'il a demandé ce qui n'allait pas, on lui a répondu : "Vous le savez bien."         
         Le revendicateur est retourné au poste de police le lendemain, soit le 21 juin 1991, sur les conseils du directeur général, pour aller chercher ses documents. Le directeur général lui a également demandé de songer à quitter l'entreprise. La police lui a dit qu'on ne l'avait jamais vu auparavant et qu'on ne savait rien au sujet des documents. La police du district ne l'a pas non plus aidé.         
         Le revendicateur a déclaré qu'à la suite de ces événements, on l'avait envoyé dans la région de Tiraspol, en Moldavie, pour établir une maison de courtage. Il a affirmé que la situation, à cet endroit, était dangereuse à ce moment-là; lorsqu'il a réussi à retourner à Pétersbourg, il a accusé son supérieur d'avoir délibérément mis sa vie en danger en l'envoyant à cet endroit. Le revendicateur a dit qu'après un voyage d'affaires qu'il avait effectué au Kirghizstan, il avait été rétrogradé au rang de commis; il touchait le salaire minimum. (Dans son témoignage oral, le revendicateur a déclaré ne jamais avoir touché une rémunération élevée et ne pas avoir économisé d'argent ou ne pas en avoir économisé beaucoup.)         
         Le revendicateur a déclaré qu'en février 1992, il était dans la voiture du directeur adjoint lorsque deux hommes portant des uniformes noirs et des vestes antiballes ont fracassé le pare-brise et ont pulvérisé du gaz lacrymogène dans la voiture, puis sont partis. Le directeur adjoint était sorti de la voiture lorsque les deux hommes sont revenus et l'ont gravement battu. Le revendicateur a déclaré qu'on l'avait amené à l'hôpital et que le lendemain ses agresseurs étaient revenus et avaient promis qu'il mourrait dans son lit, là où il était. Puis, ils sont partis.         
         La police est revenue le lendemain et a dit qu'on l'avait informée que le revendicateur voulait retirer sa plainte et dire que ses blessures résultaient d'un accident. Le revendicateur a dit à la police qu'il ne se souvenait de rien. Peu de temps après, la mère du revendicateur lui a rendu visite et lui a dit qu'on lui avait conseillé de lui rendre visite pour lui faire ses adieux parce qu'il allait être tué. Le revendicateur a produit des documents et des rapports médicaux se rapportant à l'agression.         
         Le revendicateur a déclaré que, le 25 mars 1992, des amis étaient venus de Moscou et l'avaient ramené avec eux et qu'il était resté chez eux jusqu'au mois de juin 1993. Le revendicateur a affirmé que, ce mois-là, il était retourné à Pétersbourg, où il avait de nouveau eu un autre accident de voiture sans que ce soit sa faute. Il a dit qu'il avait pu cacher ses allées et venues jusqu'au mois d'octobre 1993. À ce moment-là, a-t-il dit, il a obtenu une indemnité du tribunal pour la perte de son véhicule et, à l'aide du produit, il a lancé une nouvelle entreprise. Il a eu un autre accident de voiture dans lequel il a été blessé. Toutefois, cette fois-là, il a pu partir.         
         Le revendicateur a déclaré qu'il s'était alors installé à Vorkuta, près de Pétersbourg, pour des raisons de sécurité. Sa mère lui a dit au téléphone que son appartement avait été saccagé. Le revendicateur a affirmé avoir essayé d'obtenir une nouvelle identité, mais ne pas avoir réussi à en obtenir une. Il a déclaré qu'il était retourné à Pétersbourg en janvier 1995, et qu'il voulait absolument quitter le pays. Le revendicateur s'est ensuite installé en Biélorussie, mais avant de partir, un agent de police local bienveillant l'a informé que ses anciens associés connaissaient déjà son adresse en Biélorusie.         
         Le revendicateur a déclaré s'être rendu compte qu'il devait s'enfuir. Il a dit qu'il savait alors qu'il ne pouvait s'attendre à être protégé par la police ou par quelqu'un d'autre. Il a déclaré avoir vendu certains effets personnels et être parti à la fin du printemps 1995 pour venir au Canada.         
         Dans son témoignage oral, le revendicateur a expliqué que des titres de postes qui semblent officiels comme le poste de directeur adjoint, de secrétaire de direction, de directeur, etc., ne voulaient rien dire, et qu'on les employait autant pour s'annoncer que pour indiquer ce qu'on faisait réellement. Ainsi, il déclare avoir été désigné comme spécialiste des techniques de fabrication, alors qu'en fait il n'avait jamais rien fabriqué.. Il a déclaré qu'en général, pendant la période de transition qui a suivi la fin de l'Union soviétique, il se déplaçait d'un bout à l'autre du pays, dans l'exercice de ses fonctions, pour agir comme agent de liaison entre l'ARPE et ses petites entreprises affiliées. Il communiquait à celle-ci les règles et règlements, des renseignements et des messages du comité exécutif, et il communiquait au comité les demandes de renseignements et les problèmes soulevés par les petites entreprises clientes. Il a affirmé qu'il agissait uniquement comme messager et non comme patron.         

(DD, pages 5 à 9)

     Les points sur lesquels l'avocat du revendicateur s'est concentré dans la demande de contrôle judiciaire ont changé entre le moment où l'avis de requête introductif d'instance a été déposé (par l'avocat) en septembre 1996 et celui où l'exposé des points d'argumentation a été déposé (en personne) en octobre 1996. L'avocat de l'intimé a fait des remarques à ce sujet lors de l'audience qui a eu lieu devant cette cour en mai 1997, mais le changement de position du requérant n'invalide pas pour autant sa demande, sur ce point du moins.

     Dans sa demande, le revendicateur met maintenant l'accent sur les plaintes qu'il a à formuler à l'endroit de la SSR, à savoir que lui, qui agissait pour son propre compte, sans avocat et par l'entremise d'un interprète, n'a pas eu une possibilité raisonnable a) de faire des observations à l'appui de sa revendication et b) de présenter une preuve à l'appui de la revendication.

     Quant au premier moyen mentionné en a), l'avocat a donné plusieurs exemples; il y a dans le dossier des exemples se rapportant tant au moyen invoqué en a) qu'à celui qui est invoqué en b), à la page 0000330 et aux pages suivantes. On mentionne d'une seule haleine des observations et la preuve parce qu'il semble que le revendicateur lui-même n'ait pas facilement pu faire la distinction entre les deux. L'utilité et la valeur des avocats n'est jamais aussi évidente que dans un cas comme celui-ci. Le revendicateur a essayé d'expliquer à la SSR que, bien qu'aux yeux des Canadiens, il semble que les communistes soviétiques n'exercent plus de pouvoirs étatiques en Russie, ce n'est qu'une illusion et que, dans son cas, il a été leur victime.

     À un moment donné pendant l'interrogatoire du revendicateur, l'agente chargée de la revendication (l'"ACR") a demandé au revendicateur d'offrir une réponse parce que cela n'avait pas été demandé sous la forme d'une question, ce qu'il a fait, à la page 0000338 :

     [TRADUCTION]

     *** L'argent que j'ai apporté avec moi au Canada provenait d'une habitation que j'avais vendue ... un appartement ou autre chose.         
     Je ne puis me présenter comme étant un homme d'affaires, parce qu'avant de partir pour me rendre à mon ... le jour où j'ai quitté la Russie, je vivais dans une pièce de l'appartement avec un voisin. Je louais une chambre et je possédais une voiture qui n'aurait pu être vendue que pour 500 $. Après mon départ, les personnes qui me persécutaient l'ont endommagée ou l'ont saccagée. C'est tout l'argent dont je puis vous parler. S'il est possible de dire que je suis un homme d'affaires russe, c'est ainsi que vivent les hommes d'affaires en Russie. Mais je ne puis me présenter comme un homme d'affaires         
     LE COMMISSAIRE PRÉSIDANT L'AUDIENCE
     D'accord, cela met fin à l'interrogatoire. J'ai une demande à faire à l'ACR. Avez-vous des observations à faire?         
     L'AGENTE CHARGÉE DE LA REVENDICATION (au commissaire présidant l'audience) :         
     Eh bien, je crois que j'aimerais simplement dire que le tribunal devrait examiner avec soin la définition de "réfugié". Comme je l'ai dit lors de l'interrogatoire, le tribunal devrait se demander si la revendication satisfait à l'un des cinq motifs énoncés dans la définition.         

(page 0000338)


     R.      Puis-je poser une question?         
     LE COMMISSAIRE PRÉSIDANT L'AUDIENCE (à la personne concernée) :         
     Q.      Un instant je vous prie.         

(page 0000339)

[Une discussion à laquelle le revendicateur n'a pas pris part a ensuite eu lieu entre les commissaires et l'ACR.]

     LE COMMISSAIRE PRÉSIDANT L'AUDIENCE (à la personne concernée)         
     Q.      D'accord. Vous aviez-quelque chose à dire?         
     R.      Je crains qu'en ce qui concerne les événements récents, les faits ne sont pas suffisamment énoncés. Si vous voulez obtenir des renseignements additionnels, je puis vous parler de la persécution dont j'ai été victime. En d'autres termes, cette version particulière a été rédigée lorsque je venais d'arriver au Canada et on m'avait demandé d'en dire le moins possible.         
     Q.      Qui vous a dit cela?         
     R.      L'interprète, dans le bureau de M. Fine. J'ai uniquement ... j'ai parlé des principaux événements de ma vie.         
     Q.      C'est ce qu'il faut faire, parler des principaux événements de sa vie. Le tribunal estime que cela suffit ... les faits ... maintenant, après une demi-journée d'audience, au cours de laquelle nous avons pu discuter entre nous de la décision à rendre.         

(page 0000340)

         Je vous remercie d'avoir comparu à l'audience ce matin. Vous venez tout juste de faire plusieurs déclarations à titre d'observations finales et je me demande simplement si vous avez quelque chose à ajouter ... avez-vous quelque chose d'autre à dire?         
     R.      Vous avez dit que cela n'était pas réellement nécessaire, mais je peux vous raconter toute l'histoire depuis le début.         
     R.      Eh bien, nous ... parlons-nous d'avant 1990? Je parle à titre officieux.         
     LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)         
     Q.      Vous nous avez donné beaucoup de détails dans votre Formulaire de renseignements personnels. Et en fait , à vrai dire, vous avez fourni beaucoup plus de renseignements que ce n'est le cas dans bien d'autres formulaires que nous voyons.         
         Le tribunal n'hésite pas à dire qu'il comprend les faits saillants de votre vie qui sont à l'origine de votre revendication du statut de réfugié au Canada et nous sommes en mesure de comprendre de quoi il en ressort d'après ce que vous avez écrit et ce que vous nous avez dit.
     Mon collègue et moi devons maintenant examiner votre cas en vue de rendre notre décision. Lorsque nous arriverons à une décision, nous vous en ferons part par écrit. Si vous déménagez, il est donc important que vous mettiez le bureau au courant de votre nouvelle adresse. Merci.         

(page 0000341)

     Entendre le revendicateur, qui n'était pas représenté et qui parlait le russe, n'aurait pas tué les commissaires. Nous savons tous que la SSR est occupée, mais si le revendicateur avait vraiment dépassé les bornes en se répétant, le tribunal aurait pu l'arrêter et, ce qui est particulièrement important, en consignant la chose au dossier.

     Parmi les faits dont le tribunal aurait bien pu avoir connaissance, des faits notoires dont cette cour a connaissance, il y a le fait que le président Boris Eltsine ne contrôle pas la Douma, et encore moins un réseau de bureaux et d'agents corrompus, qui ont en horreur les idéalistes ou les personnes honnêtes ordinaires qui essaient d'agir honnêtement. Des bandits ont agressé et battu le revendicateur pendant qu'il accompagnait le directeur dans sa voiture, mais ils ne s'en sont pas pris au directeur cette fois-là. Lorsque les persécuteurs dirigent des organismes d'État impunément, parce que c'est ainsi que se passent les choses, la SSR devrait se demander encore une fois si la définition de "réfugié" s'applique au revendicateur (Ward , [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 717 ainsi qu'aux pages 746 et 747).

     Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, la SSR a commis une erreur en concluant que M. Vassiliev n'avait pas exprimé d'opinions politiques en refusant de transmettre des pots-de-vin (DD, page 6) et de blanchir de l'argent (DD, page 7).

     Il a souvent été jugé que refuser de participer à une activité criminelle, bien que cela soit louable, ce n'est pas exprimer une opinion politique. À cet égard, la conclusion de la Commission ne s'écarte pas des arrêts récents de cette cour, dans lesquels il a été conclu que s'opposer à une activité criminelle en soi, ce n'est pas exprimer une idée politique. Ainsi, cette cour a examiné des cas dans lesquels on avait dénoncé des trafiquants de drogue [Munoz c. MCI (IMM-1884-95) (22 février 1996) et Suarez c. MCI (IMM-3246-96) (29 juillet 1996)]. Le cas dont la Cour est ici saisie est différent. Les faits auxquels la SSR a conclu montrent que, dans ce cas-ci, les activités criminelles sont répandues dans tout l'appareil étatique. S'opposer aux actes criminels, c'est s'opposer aux autorités étatiques. Compte tenu de ces faits, il est clair qu'il n'existe pas de distinction entre l'aspect de lutte contre le crime et les aspects idéologiques ou politiques, en ce qui concerne la crainte qu'a le revendicateur d'être persécuté. On ne nierait jamais que refuser de voter parce que les élections sont organisées constitue l'expression d'une opinion politique. Pourquoi devrait-il en être autrement en ce qui concerne le refus de M. Vassiliev de participer à un régime corrompu? M. Vassiliev a exprimé une opinion politique tout aussi valable et les remarques que Monsieur le juge La Forest a faites dans l'arrêt Ward s'appliquent. Cette erreur à elle seule est suffisante pour déférer cette décision pour nouvel examen, mais la SSR a également commis une erreur en évaluant la protection fournie par l'État et la possibilité de refuge intérieur.

     Que voulait dire le tribunal, lorsque le commissaire qui présidait l'audience a fait la remarque suivante, qui est consignée à la page 0000289 :

     [TRADUCTION]         
     Vous n'avez pas d'avocat. Par conséquent, il n'y a en fait personne ici aujourd'hui qui puisse vous poser des questions visant à établir les faits fondamentaux de votre revendication. Toutefois, nous ne nous préoccupons pas tant des événements qui se sont produits tels qu'ils ont été relatés dans votre récit, en ce qui concerne les agressions et vos allées et venues et ainsi de suite, que de ... nous voulons que des questions soient posées au sujet de ce que nous appelons une PRI, une possibilité de refuge intérieur. Y a-t-il d'autres régions de la Russie où vous pourriez vivre plus ou moins en sécurité?         

Le revendicateur a clairement dit qu'il fondait sa revendication sur ses opinions politiques et sur son appartenance à un groupe social, une fois qu'il a été mis fin au régime soviétique.

     Lorsqu'on lui a demandé pourquoi ses persécuteurs s'intéresseraient maintenant à lui, voici ce que le revendicateur a répondu :

     [TRADUCTION]         
     R.      C'est là que la politique entre en ligne de compte. En 1992, 1993 et 1994, ils craignaient que je sois au courant des renseignements ou que je connaisse des renseignements ... des renseignements importants. À un moment donné, j'étais dans une certaine mesure prêt à révéler ces renseignements parce que ma vie était menacée par ces gens. Et j'essayais de le faire, mais tous les renseignements de l'État [sic] et toutes les autorités étatiques qui étaient censées me protéger étaient liés ou associés au pouvoir direct.         

(page 0000327)

À la suite de cette réponse, l'ACR a fait un monologue dans lequel elle diminuait l'importance de la réponse donnée par le revendicateur. L'assertion du revendicateur selon laquelle les anciens communistes occupent des postes partout au sein du gouvernement ainsi qu'au sein de l'Association russe des petites entreprises, son employeur, a pour ainsi dire été laissée en suspens, comme on le constate à la page 0000335.

     La police était apparemment de mèche avec les persécuteurs corrompus (DD, page 31 et pages suivantes). À la page 36 du dossier, le revendicateur dit qu'il a quitté Pétersbourg pour s'installer dans un village, en Biélorussie, mais qu'un ami qui était agent de police lui avait dit que tout le monde connaissait déjà sa nouvelle adresse.

     Le revendicateur devrait se voir accorder une nouvelle audience devant un tribunal composé de membres différents.

     L'avocat de l'intimé a proposé la certification de la question suivante :

     [TRADUCTION]         
     La question de savoir si la SSR est obligée de tenir compte de la preuve concernant la capacité de l'État de fournir une protection, ou du fait que le revendicateur ne veut pas se réclamer de la protection de l'État, lorsqu'il est en premier lieu conclu qu'il n'existe aucun lien entre la façon dont le revendicateur a été traité dans son pays d'origine et les motifs lui permettant de revendiquer le statut de réfugié.         

     La Cour refuse de certifier cette question. De toute évidence, le tribunal qui conclurait d'abord à l'absence de lien, avant que tous les éléments de preuve valables soient présentés, tirerait ses conclusions prématurément. Tous les éléments de preuve valables doivent d'abord avoir été présentés à la SSR pour qu'elle puisse tirer des conclusions.


     Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

Ottawa (Ontario)

Le 4 juillet 1997                          Francis C. Muldoon


ORDONNANCE

     Il est fait droit à la demande que Monsieur A.F. Vassiliev a présentée en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision que la SSR a rendue le 21 août 1996 dans le dossier A-95-00598; la dite décision est annulée et la demande est déférée pour nouvel examen devant un tribunal composé de membres différents, ce dernier devant, entre autre choses, tenir compte des éléments énoncés dans les motifs susmentionnés de la Cour.

     "F.C. Muldoon"

     Juge

Traduction certifiée conforme     

     C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-3443-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ANATOLI FEDOROV VASSILIEV
                         c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 5 mai 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      du juge Muldoon en date du 4 juillet 1997

ONT COMPARU :

     Michael Bossin,                      pour le requérant

     R. Jeff Anderson,                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Community Legal Sevices                  pour le requérant

     Ottawa (Ontario)

     George Thomson                      pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada

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