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Date : 20020927

Dossier : IMM-5527-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1013

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                  KEWAL SINGH et GURDEV KAUR

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration qui vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 7 novembre 2001, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur et à son épouse.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur principal est né le 12 septembre 1942 et son épouse, le 1er janvier 1943. Les deux demandeurs sont des citoyens de l'Inde de religion sikh.

[3]                 Les demandeurs vivaient avec leurs deux fils, Gurcharanjit et Daljit, et leur famille respective dans le village de Ballowal.

[4]                 Le demandeur principal allègue que la police a fait irruption dans sa maison pensant y trouver son fils Gurcharanjit. Celui-ci était recherché parce qu'il était un membre du parti Akali Dal Mann et qu'il était soupçonné d'être un militant séparatiste par la police du Pendjab. L'autre fils du demandeur principal, Daljit, a été violemment battu au cours de cet incident. Il a ensuite disparu.

[5]                 Le 10 septembre 1998, le demandeur principal a été arrêté et torturé par la police qui voulait ainsi le forcer à révéler où se trouvaient ses fils. Il a été libéré après avoir versé un pot-de-vin.

[6]                 Les demandeurs ont déménagé à Ludhiana en novembre 1998, puis à Patiala en avril 1999 et enfin à Pilibhit, en Uttar Pradesh, en août 1999. Ils ont ainsi pu échapper à la police.

[7]                 L'ami qui hébergeait les demandeurs leur a fait savoir qu'ils devaient partir de chez lui pour des raisons de sécurité, et il leur a suggéré de quitter le pays.

[8]                 Les demandeurs ont pris contact avec un agent, qui a obtenu de faux documents pour eux et les a accompagnés au Canada.

[9]                 Les demandeurs prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait des opinions politiques qui leur sont attribuées et de leur appartenance à deux groupes sociaux, à savoir les sikhs et leur famille.

QUESTION EN LITIGE

[10]            La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables concernant la crédibilité pour des motifs arbitraires ou sans tenir compte de manière appropriée de la preuve dont elle disposait?

ANALYSE

[11]            Non, la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant des conclusions défavorables concernant la crédibilité pour des motifs arbitraires ou sans tenir compte de manière appropriée de la preuve dont elle disposait.


Crédibilité du demandeur

[12]            La Commission avait des doutes au sujet de la crédibilité du demandeur principal en raison de certaines omissions, incohérences et contradictions. Par exemple, elle a tiré la conclusion suivante à la page 2 de sa décision :

Considérant les invraisemblances constatées dans la version du revendicateur et compte tenu de la preuve documentaire, le tribunal conclut que le témoignage du revendicateur n'est pas crédible.

et à la page 4 :

D'autres anomalies ont miné la crédibilité du revendicateur, à savoir le moyen utilisé pour obtenir ses documents, la raison pour laquelle il n'avait pas sa carte de repas, les voyages effectués alors que les revendicateurs ignoraient les noms, la date de naissance et l'adresse indiqués dans leur passeport, etc.

[13]            La Commission peut tenir compte des incohérences ou des contradictions contenues dans le témoignage d'un revendicateur du statut de réfugié. Ainsi, la Cour a écrit, dans l'arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.F.) :

S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe n'habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure à l'absence de crédibilité.

(Non souligné dans l'original)

[14]            La Commission peut rendre une décision défavorable concernant la crédibilité d'un revendicateur puisque l'évaluation de la crédibilité constitue l'essentiel de sa compétence de juge des faits.


Préférence accordée à la preuve documentaire

[15]            La Commission a comparé la preuve testimoniale du demandeur avec la preuve documentaire et a préféré cette dernière. Comme elle n'a pas considéré que le témoignage du demandeur principal était convaincant, il était loisible à ses membres de lui préférer la preuve documentaire. La Commission a écrit, à la page 4 de sa décision :

Le tribunal a également examiné la preuve documentaire en l'espèce, en particulier les certificats médicaux P-5 et P-6 qui sont établis en fonction de la version des revendicateurs et ne sont aucunement vérifiés par un médecin. Considérant le manque de crédibilité des revendicateurs en l'espèce, le tribunal n'accorde aucune valeur probante à ces documents.

[non souligné dans l'original]

[16]            Dans l'affaire Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (1re inst.), M. le juge Rouleau a affirmé :

[para 15] Enfin, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du requérant. Les membres de la Commission sont « les maîtres à bord » , et il leur appartient d'apprécier les éléments de preuve qui leur sont présentés. En l'espèce, ils ont accueilli le témoignage du requérant, mais ils ont choisi d'accorder davantage d'importance à la preuve documentaire.

[non souligné dans l'original]

[17]            Dans l'affaire Danailov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (1re inst.), Mme le juge Reed a dit ce qui suit au sujet des certificats médicaux :

En ce qui concerne les arguments relatifs aux conclusions du tribunal sur la crédibilité, j'ai lu la transcription et la décision du tribunal avant d'entendre les prétentions des avocats. Ayant eu l'avantage d'entendre celles-ci, la seule conclusion qui s'impose est que la décision du tribunal était tout à fait justifiée compte tenu de la preuve dont il avait été saisi. Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.

[non souligné dans l'original]


[18]            En outre, dans l'affaire Madahar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1614 (1re inst.), une question a été soulevée quant à la preuve médicale soumise à la Commission. La Cour a fait référence à la décision Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1682 (1re inst.), où M. le juge Pinard a conclu :

Les commentaires qui précèdent suffisent pour rejeter la demande, mais je voudrais aussi traiter du rejet, par la Commission, de la preuve médicale du requérant. Àmon sens, il était loisible àla Commission de le faire car il a étéconclu que les faits qui sous-tendaient les rapports en question n'étaient pas dignes de foi.

[non souligné dans l'original]

[19]            La Commission a estimé que la preuve documentaire était digne de foi et l'a préférée au témoignage du demandeur principal. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que la Commission a la compétence voulue pour préférer certains éléments de preuve à d'autres.

Protection de l'État

[20]            La Commission était d'avis que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l'État. Elle a écrit, à la page 2 de sa décision :

Il ne peut par ailleurs se rallier aux allégations des revendicateurs, à savoir qu'ils ne pourraient obtenir la protection de leur pays, en cas de besoin, se basant sur la décision rendue dans Ward.

  

[21]            Dans l'arrêt Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 2021 (C.A.F.), Mme le juge Desjardins et MM. les juges Marceau et Stone ont statué :

[para 13] Il est maintenant établi, à la suite de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, que l'incapacité de l'État de protéger les citoyens est une partie intégrante de la notion de réfugié au sens de la Convention, particulièrement au regard des mots « [crainte] justifiée » . C'est au demandeur qu'il incombe de prouver cette incapacité. Le juge La Forest a souligné dans Ward qu' « en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur » . Sauf aveu de la part de l'État qu'il ne peut assurer la protection, le demandeur doit « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État » de le protéger.

[non souligné dans l'original]

Changement de la situation au Pendjab

[22]            La Commission a fait allusion au changement de la situation survenu au Pendjab à la page 2 de sa décision :

Aucun de ces documents, pas plus que les autres documents consultés, ne mentionne que des incidents comme ceux que les revendicateurs ont décrits surviennent encore aujourd'hui.

  

[23]            Cette question a été examinée dans l'affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 25 (1re inst.), où M. le juge Lutfy (tel était alors son titre) a statué :

Le Tribunal, à mon avis, a reçu une preuve suffisante pour y appuyer sa décision concernant le changement de situation en Inde. Le dossier comporte aussi des éléments de preuve contraire sur la même question, y compris des lettres de la famille du requérant l'avertissant de ne pas retourner en Inde. Cependant, il n'appartient pas àla Cour de déterminer si une conclusion différente pouvait être tirée de l'analyse de cette même preuve. Àmon avis, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la façon dont le Tribunal en est venu àsa décision.

[non souligné dans l'original]

  

[24]            Par conséquent, j'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur en tenant compte du changement de la situation survenu au Pendjab pour prendre sa décision.

Statut de réfugié du fils du demandeur principal, Gurcharanjit Singh

[25]            Le demandeur principal fait valoir que, comme son fils Gurcharanjit s'est vu reconnaître le statut de réfugié au Canada en 1998, le statut de réfugié devrait lui être accordé puisqu'il affirme lui aussi être victime de persécution.

[26]        Le fait que le statut de réfugié au sens de la Convention a été accordé à une personne ne signifie pas qu'il le sera également à d'autres membres de sa famille puisque la détermination du statut de réfugié se fait au cas par cas. M. le juge Nadon (tel était alors son titre) a écrit ce qui suit à ce sujet dans la décision Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) :

[para 8] Le fait de simplement prouver que sa soeur avait été déclarée réfugiée ne porte pas beaucoup de poids puisque les membres de la Section qui ont rendu cette décision l'ont rendue compte tenu des faits au dossier.

[non souligné dans l'original]

[27]            J'estime que la Commission n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


                                                                     ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

     

                   « Pierre Blais »                     

Juge

     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5527-01

INTITULÉ :                                                    KEWAL SINGH et GURDEV KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                          Le 25 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :                                    

Styliani Markaki                                                                             POUR LES DEMANDEURS

Daniel Latulippe                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki                                                                             POUR LES DEMANDEURS

4, rue Notre-Dame est, bureau 902

Montréal (Québec)

Daniel Latulippe                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

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