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Date : 20051108

Dossier : T-585-05

Référence : 2005 CF 1511

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

MICHELLE COLLIER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agissait au départ d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d'une juge de la citoyenneté. Au début de l'audience, il a été décidé, avec le consentement des parties, que l'affaire serait entendue comme un appel. Une juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse, aux termes des paragraphes 5(1) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi). Elle a jugé que la demanderesse ne répondait pas à la condition de résidence du paragraphe 5(1) de la Loi et a conclu que l'intention qu'avait la demanderesse de jouer au volleyball professionnel indiquait qu'elle n'avait pas les liens avec le Canada qu'exigeait le paragraphe 5(4) de la Loi pour obtenir la citoyenneté.

[2]                La demanderesse, Michelle Collier, est une citoyenne brésilienne de 25 ans et une résidente permanente du Canada. Elle est arrivée au Canada le 18 juin 1999. Ses parents et ses deux frères sont arrivés quelques jours avant elle, le 23 mai 1999. Ses deux frères ont obtenu depuis la citoyenneté et sa mère a présenté une demande de citoyenneté. Son père travaille comme ingénieur civil pour les Nations Unies et se trouve à l'heure actuelle à l'étranger.

[3]                La demanderesse a étudié de 1998 à 2002 à l'Université de la Floride du Sud grâce à une bourse de volleyball. Elle a obtenu des permis de retour pour résident permanent pendant qu'elle se trouvait à l'étranger.

[4]                Depuis qu'elle a obtenu son diplôme de cette université en 2002, la demanderesse a pratiqué le volleyball professionnel en Hollande, à Porto Rico et en Grèce. Elle s'est également entraînée, pendant deux à trois semaines, avec l'équipe féminine nationale de volleyball du Canada au cours de l'été 2003. L'équipe nationale lui a suggéré de demander la citoyenneté, pour qu'elle puisse jouer pour le Canada au niveau national.

[5]                La demanderesse a demandé la citoyenneté le 19 septembre 2003.

[6]                La juge de la citoyenneté a examiné le dossier de la demanderesse et a constaté que la demanderesse était loin de remplir la condition prévue au par. 5(1) de la Loi. La juge de la citoyenneté a alors examiné la question de savoir si la demanderesse se trouvait dans une situation particulière et inhabituelle de détresse au sens du par. 5(4) de la Loi, qui se lit ainsi :

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne; le ministre procède alors sans délai à l'attribution.

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

[7]                La juge de la citoyenneté a examiné les six facteurs énoncés dans Koo (Re) (1re inst.), [1993] 1 C.F. 286, et elle a conclu que la demanderesse avait des liens plus étroits avec sa carrière de joueuse professionnelle de volleyball qu'avec le Canada. Voici les facteurs exposés dans la décision Koo (au par. 10) :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) dans l'arrêt Koo, quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[8]                La juge de la citoyenneté a noté qu'il n'existait pas au Canada de ligue de volleyball professionnel et a conclu que la carrière choisie par la demanderesse - joueuse de volleyball professionnelle - l'emportait sur les facteurs qui militaient en faveur de l'octroi de la citoyenneté.

[9]                J'estime que la juge de la Citoyenneté a commis une erreur dans l'évaluation des facteurs énumérés dans Koo, précité, à un point tel que la décision de la juge de la citoyenneté est déraisonnable et doit être cassée. Les deux considérations principales sont i) la nature de ses absences, qui sont clairement temporaires, et ii) l'omission de la part du juge de la citoyenneté d'identifier un pays de référence avec lequel la demanderesse a des liens plus étroits qu'elle n'en a avec le Canada (un choix de carrière ne constitue pas un pays de référence suffisant). Pour illustrer les erreurs commises, je vais procéder moi-même à une analyse conforme à la décision Koo et montrer pourquoi la décision doit être cassée.

1) La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

[10]            La réponse à la première question n'est ni favorable, ni défavorable à la demanderesse. Elle a été absente temporairement du Canada un certain nombre de fois, pour pratiquer le volleyball professionnel. Elle a obtenu des permis de retour pour résident permanent correspondant aux périodes passées à l'étranger. Les permis de retour pour résident permanent sont prévus par le par. 328(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés qui se lit ainsi :

328. (1) La personne qui était un résident permanent avant l'entrée en vigueur du présent article conserve ce statut sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

328. (1) A person who was a permanent resident immediately before the coming into force of this section is a permanent resident under the Immigration and Refugee Protection Act.

Permis de retour pour résident permanent

Returning resident permit

(2) Toute période passée hors du Canada au cours des cinq années précédant l'entrée en vigueur du présent article par la personne titulaire d'un permis de retour pour résident permanent est réputée passée au Canada pour l'application de l'exigence relative à l'obligation de résidence prévue à l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pourvu qu'elle se trouve comprise dans la période quinquennale visée à cet article.

(2) Any period spent outside Canada within the five years preceding the coming into force of this section by a permanent resident holding a returning resident permit is considered to be a period spent in Canada for the purpose of satisfying the residency obligation under section 28 of the Immigration and Refugee Protection Act if that period is included in the five-year period referred to in that section.

Permis de retour pour résident permanent

Returning resident permit

(3) Toute période passée hors du Canada au cours des deux années suivant l'entrée en vigueur du présent article par la personne titulaire d'un permis de retour pour résident permanent est réputée passée au Canada pour l'application de l'exigence relative à l'obligation de résidence prévue à l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pourvu qu'elle se trouve comprise dans la période quinquennale visée à cet article.

(3) Any period spent outside Canada within the two years immediately following the coming into force of this section by a permanent resident holding a returning resident permit is considered to be a period spent in Canada for the purpose of satisfying the residency obligation under section 28 of the Immigration and Refugee Protection Act if that period is included in the five-year period referred to in that section.

[11]            Pour les fins de la résidence, les jours passés à l'étranger par le titulaire d'un permis de retour pour résident permanent ne sont pas considérés comme des journées passées à l'étranger pour ce qui est de la condition de résidence de l'art. 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il est vrai que les permis de retour pour résident permanent ne sont pas juridiquement applicables aux demandes de citoyenneté, mais je ne vois aucune raison pour ne pas considérer qu'un permis de retour pour résident permanent ne peut être pris en compte comme facteur factuel concernant la nature des absences (aspect que je vais aborder sous le facteur no 5 de la décision Koo).

2) Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

[12]            La famille immédiate de la demanderesse réside au Canada. Ses deux frères sont citoyens et sa mère a présenté une demande de citoyenneté. Son père travaille pour les Nations Unies mais sa résidence permanente se trouve au Canada. Ce facteur est clairement favorable à la demanderesse pour ce qui est de l'application du par. 5(4) de la Loi. La juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte comme elle l'aurait dû de la résidence de la famille immédiate de la demanderesse.

3) La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

[13]            La forme de la présence physique de la demanderesse montre clairement que cette dernière revient dans son pays, le Canada. Les absences de la demanderesse, qui sont clairement de nature temporaire, n'indiquent pas qu'il existe un lien ou une attache avec un lieu particulier; elle a étudié aux États-Unis et a voyagé par la suite en Hollande, à Porto Rico et en Grèce pour jouer au volleyball. Elle revient chez elle pour vivre avec sa famille, entre ses contrats de volleyball, et pour les vacances. Son comportement indique clairement que le Canada est son pays. Si la demanderesse avait la possibilité de jouer pour l'équipe féminine nationale de volleyball du Canada, il est certain que le nombre des jours pendant lesquels elle est physiquement présente au Canada augmenterait. Le fait que le Canada n'ait pas de ligue professionnelle de volleyball ne permet pas de conclure que la demanderesse a des liens plus étroits avec un autre pays que le Canada. Son comportement indique clairement que, lorsqu'elle retourne au Canada, elle revient dans son pays et n'est pas en visite. Le troisième facteur de l'arrêt Koo est donc favorable à la demanderesse.

4) Quelle est l'étendue des absences physiques - lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables?

[14]            Le quatrième facteur semble être défavorable à la demanderesse; ses absences physiques sont manifestement de longue durée. Il y a toutefois lieu de tenir compte de deux facteurs atténuants : i) les absences ne montrent pas l'existence d'un lien important avec un pays particulier (de référence) autre que le Canada et ii) la demanderesse était titulaire d'un permis de retour pour résident permanent pendant ses absences. Il est vrai qu'un permis de retour de résident permanent n'a pas une influence déterminante sur une demande de citoyenneté, mais j'estime que le permis peut être un facteur à considérer pour apprécier le nombre des jours d'absence, selon le critère de la décision Koo. Je considère que le quatrième facteur est neutre en l'espèce, compte tenu des deux facteurs atténuants.

5) L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (p. ex., avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

[15]            Le cinquième facteur est clairement favorable à la demanderesse. Les études qu'elle a faites à l'Université de la Floride du Sud sont manifestement visées par la formulation de la cinquième question, tout comme son emploi temporaire (contrats de volleyball) qui l'ont amenée à se rendre dans divers lieux et pays. Les absences de la demanderesse sont clairement temporaires et le cinquième facteur milite en faveur d'une décision favorable aux termes du par. 5(4) de la Loi.

6) Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[16]            Le sixième facteur illustre clairement l'erreur dominante qu'a commise la juge de la citoyenneté lorsqu'elle a examiné la demande de citoyenneté présentée par la demanderesse. Pour rendre une décision défavorable à la demanderesse en se fondant sur le sixième facteur, la juge de la Citoyenneté devait identifier un pays de référence avec lequel la demanderesse avait des liens plus étroits qu'avec le Canada.

[17]            Dans Koo, la juge Reed a noté, au par. 12 :

Je ne suis pas convaincue que la qualité de la période de résidence qui est exigée pour satisfaire aux conditions de la Loi sur la citoyenneté permet une interprétation analogue. À mon sens, pour qu'une période d'absence physique soit considérée comme une période de résidence au sein du pays afin d'obtenir la citoyenneté, la qualité des attaches de la personne en question avec le pays doit montrer la primauté ou le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qui peuvent exister avec un autre pays).

[18]            En l'espèce, la juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse avait un lien plus important avec sa carrière de joueuse professionnelle de volleyball qu'avec le Canada. La carrière de la demanderesse est un élément pertinent aux termes du cinquième facteur de l'arrêt Koo pour ce qui est de la nature de ses absences, mais sa carrière n'est pas un facteur pertinent pour évaluer l'existence d'un lien important. Comme madame la juge Reed l'a noté dans Koo, la demanderesse doit démontrer qu'elle possède avec le Canada des liens qui sont plus importants que ceux qu'elle a avec n'importe quel autre lieu ou pays. En l'espèce, la juge de la Citoyenneté a commis une erreur dominante lorsqu'elle a évalué le lien qu'entretenait la demanderesse avec sa carrière par rapport à celui qu'elle avait avec le Canada; la juge de la Citoyenneté n'a pas identifié de pays de référence.

[19]            Compte tenu de la façon dont j'ai interprété les facteurs de la décision Koo dans la présente affaire, je suis convaincu que la décision rendue contre la demanderesse doit être cassée. L'affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour que la demande soit examinée conformément aux motifs exposés dans la présente ordonnance.

ORDONNANCE

L'appel est accueilli et l'affaire renvoyée à un autre juge de la Citoyenneté pour nouvel examen, en tenant compte des présents motifs de l'ordonnance.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-585-05

INTITULÉ :                                        MICHELLE COLLIER

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 31 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 8 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Sylvia Valdman

POUR LA DEMANDERESSE

Tatiana Sandler

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

451, avenue Daly

Ottawa (Ontario)

K1N 6H6

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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