Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040420

Dossier : IMM-4507-03

Référence : 2004 CF 582

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2004

En présence de Madame la juge Mactavish

ENTRE :

                                                  GUNADASA DISSANAYAKAGE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Gunadasa Dissanayakage est un citoyen singhalais du Sri Lanka qui est âgé de 45 ans. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Dissanayakage n'était pas un réfugié au sens de la Convention, parce qu'il a été exclu en vertu de l'alinéa 1f)a) de la Convention sur les réfugiés, ayant participé à des crimes contre l'humanité commis par l'armée sri-lankaise. Il conteste aujourd'hui l'examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a donné lieu à la conclusion selon laquelle il ne serait pas exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka.

[2]                M. Dissanayakage allègue que la procédure suivie lors de son ERAR était viciée, parce qu'il n'a pas reçu copie du mémoire en réponse que l'agent d'ERAR avait fait parvenir au représentant du ministre chargé de rendre la décision connexe. Il ajoute que la conclusion selon laquelle il ne serait pas exposé à un risque aux mains des autorités sri-lankaises ou des TLET s'il était renvoyé au Sri Lanka était manifestement déraisonnable.

Les faits à l'origine du litige

[3]                M. Dissanayakage était un lutteur de compétition qui s'est joint à la force de l'air sri-lankaise afin de pouvoir poursuivre sa carrière à l'échelle internationale. Il était membre des forces aéroportées spéciales, qui se livraient à des actes illégaux extrajudiciaires. Il soutient que, même s'il a été témoin d'un certain nombre d'incidents de cette nature, il n'a été impliqué directement dans aucun d'eux.


[4]                En 1993, M. Dissanayakage est venu au Canada afin de participer au championnat de lutte du Commonwealth et aux championnats de lutte internationaux à titre de membre de l'équipe sri-lankaise. Après son arrivée au Canada, M. Dissanayakage a fait défection et a demandé le statut de réfugié, soutenant qu'il risquait d'être persécuté par les autorités sri-lankaises parce qu'il avait déserté la force de l'air et parce qu'il avait été témoin d'actes illégaux. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du demandeur, concluant que celui-ci avait participé à différents crimes contre l'humanité. La Cour fédérale a rejeté la demande qu'il avait déposée afin d'obtenir l'autorisation de faire réviser la décision de la Commission par voie de contrôle judiciaire.

[5]                M. Dissanayakage a alors présenté une demande d'examen des risques avant renvoi, à laquelle il a joint de longues observations écrites, des lettres d'appui et des renseignements volumineux au sujet de la situation qui règne au Sri Lanka. Un agent d'ERAR a subséquemment préparé une opinion défavorable datée du 15 janvier 2003, qui a ensuite été acheminée à l'avocat du demandeur afin qu'il la commente. L'avocat de M. Dissanayakage a répondu à l'intérieur du délai alloué et a contesté un certain nombre des conclusions qu'avait tirées l'agent d'ERAR. Il a également fourni d'autres documents concernant la situation qui règne actuellement au Sri Lanka.

[6]                Par la suite, M. Dissanayakage a reçu la décision dans laquelle le représentant du ministre a conclu que le demandeur n'était pas visé par l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 201, ch. 27. Par conséquent, la demande de protection qu'il avait déposée a été rejetée. Dans sa décision, le représentant du ministre a souligné qu'il avait examiné la demande d'ERAR de M. Dissanayakage, les documents à l'appui de cette demande, l'opinion de l'agent d'ERAR en date du 15 janvier 2003 ainsi qu'une « opinion supplémentaire » datée du 31 janvier 2003 que ce même agent a préparée. Cette « opinion supplémentaire » n'avait pas été communiquée à M. Dissanayakage.

[7]                La procédure à suivre lors d'un ERAR au sujet d'une personne qui a été exclue en vertu de l'alinéa 1f)a) de la Convention est régie par l'article 172 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et ses modifications. Selon M. Dissanayakage, le représentant du ministre a contrevenu à l'article 172 ainsi qu'à ses obligations en matière d'équité procédurale en tenant compte de l'opinion supplémentaire de l'agent d'ERAR. Par conséquent, dit-il, la décision devrait être annulée.

[8]                M. Dissanayakage ajoute que la conclusion du représentant du ministre selon laquelle il ne serait pas exposé au risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités était manifestement déraisonnable. M. Dissanayakage allègue qu'il risquait d'être torturé par les autorités sri-lankaises, parce que sa défection avait été entourée de beaucoup de publicité et avait embarrassé le gouvernement. Selon M. Dissanayakage, le représentant du ministre a présumé que le demandeur serait traité comme tout autre transfuge et n'a pas tenu compte des circonstances propres à son cas.

[9]                Enfin, M. Dissanayakage reproche au représentant du ministre d'avoir commis une erreur en omettant d'évaluer le risque auquel il serait exposé aux mains des TLET s'il était renvoyé au Sri Lanka. Le demandeur soutient qu'il ferait l'objet de représailles de la part des TLET, parce qu'il était membre d'un escadron dont on savait qu'il s'était livré à des actes de torture à l'endroit de membres des TLET et que le représentant du ministre n'a pas évalué correctement ce risque.


Questions en litige

[10]            M. Dissanayakage soulève trois questions à trancher dans la présente demande :

1.          Le représentant du ministre a-t-il violé les principes d'équité procédurale en examinant l'opinion supplémentaire de l'agent d'ERAR, étant donné que cette opinion n'avait pas été communiquée au demandeur et que celui-ci n'a pas eu la possibilité d'y répondre?

2.          Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur en omettant d'examiner correctement le risque de torture auquel le demandeur serait exposé aux mains des autorités sri-lankaises?

3.         Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur en omettant d'évaluer le risque auquel le demandeur serait exposé aux mains des TLET?

1.          Le représentant du ministre a-t-il violé les principes d'équité procédurale en examinant l'opinion supplémentaire de l'agent d'ERAR, étant donné que cette opinion n'avait pas été communiquée au demandeur et que celui-ci n'a pas eu la possibilité d'y répondre?

[11]            M. Dissanayakage allègue que l'article 172 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés a pour effet de codifier les principes d'équité que la Cour d'appel fédérale a énoncés dans des arrêts comme Haghighi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407. Selon M. Dissanayakage, l'article 172 renferme en soi un code régissant la procédure à suivre au cours du traitement des demandes d'ERAR présentées par des personnes exclues en vertu de l'alinéa 1f)a) de la Convention sur les réfugiés. Selon cette procédure, c'est la personne qui présente la demande d'ERAR qui a le dernier mot et l'agent d'ERAR n'est pas autorisé à présenter une opinion supplémentaire ou une réplique.

[12]            Pour sa part, le défendeur soutient que la note du 31 janvier 2003 de l'agent d'ERAR n'était pas une autre évaluation des risques, mais simplement un document ayant pour effet de confirmer que l'agent d'ERAR avait examiné les observations soumises par le demandeur et que celles-ci ne renfermaient aucun élément l'ayant incité à changer d'avis. En conséquence, le défendeur nie l'existence d'une obligation de communiquer la note à M. Dissanayakage ou du droit de celui-ci d'y répondre.

[13]            Étant donné que cette question concerne l'équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 174.

[14]            Je conviens avec M. Dissanayakage que l'article 172 du Règlement ne prévoie pas explicitement une évaluation supplémentaire ou une réplique. Cependant, je ne suis pas convaincue que la note du 31 janvier peut être considérée à bon escient comme une évaluation supplémentaire des risques. Même si le représentant du ministre a peut-être utilisé les mots « opinion supplémentaire » dans la décision relative à l'ERAR pour désigner la note, ce choix de termes n'est pas déterminant. Après avoir examiné attentivement les quatre paragraphes dont se compose la note, je suis convaincue qu'il s'agit simplement d'une lettre d'envoi.


[15]            Dans la note, l'agent d'ERAR explique le contexte entourant la demande de M. Dissanayakage en vue d'obtenir un examen des risques et précise qu'il joint une copie de son évaluation. L'agent envoie également une copie des observations de M. Dissanayakage et en donne un résumé. Le demandeur n'a pas fait valoir que le résumé comporte des énoncés ou interprétations erronés de sa position.

[16]            Dans sa note, l'agent d'ERAR confirme qu'il avait examiné les observations de M. Dissanayakage et souligne qu'aucun élément de celles-ci ne lui avait fait changer d'avis. Il répète les remarques formulées dans l'évaluation initiale, selon lesquelles le Sri Lanka a reconnu que l'armée avait commis des manquements aux droits de la personne et avait pris des mesures pour poursuivre les contrevenants. Il termine sa note en disant qu'il continuait à penser qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve indiquant que M. Dissanayakage serait exposé à un risque de torture important aux mains des TLET.

[17]            Je ne suis pas convaincue qu'il y a eu un manquement aux principes d'équité procédurale en l'espèce. Si l'agent d'ERAR avait fait allusion à de nouveaux faits ou arguments dans sa note, ma conclusion aurait peut-être été bien différente. Cependant, la note du 31 janvier 2003 ne comportait aucun élément nouveau et l'analyse de l'agent n'était nullement différente. Bref, il n'y avait tout simplement aucun élément nouveau auquel M. Dissanayakage aurait pu répondre.


[18]            En conséquence, j'estime qu'il n'était pas nécessaire de communiquer la note à M. Dissanayakage. À cet égard, je fais mien le raisonnement que Madame la juge Simpson a invoqué dans Tharmaseelan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 891.

La norme de contrôle applicable aux questions 2 et 3

[19]            Les deuxième et troisième questions que M. Dissanayakage a soulevées concernent les conclusions de fond de l'agent d'ERAR. Même s'il existe un certain débat dans la jurisprudence quant à la question de savoir si ces conclusions sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable[1], il n'est pas nécessaire que je tranche cette question, parce que ma conclusion serait la même indépendamment de la norme appliquée.

2.        Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur en omettant d'examiner correctement le risque de torture auquel le demandeur serait exposé aux mains des autorités sri-lankaises?

[20]            M. Dissanayakage soutient que le représentant du ministre a commis une erreur en présumant qu'il serait traité comme tout autre transfuge par les autorités sri-lankaises, ignorant de ce fait les circonstances inhabituelles de sa défection, qui a été entourée de beaucoup de publicité.


[21]            Un examen de la décision relative à l'ERAR ainsi que de l'opinion sur les risques ne permet pas de soutenir cette affirmation; en conséquence, je ne suis pas convaincue qu'une erreur a été commise à cet égard. Il appert clairement de l'opinion sur les risques que l'agent d'ERAR était conscient des arguments de M. Dissanayakage sur ce point et qu'il en a tenu compte, puisqu'il a souligné que le demandeur avait allégué qu'il [TRADUCTION] « ...serait sévèrement puni et peut-être exécuté en raison de l'embarras qu'il a causé au gouvernement de Sri Lanka en faisant défection au Canada alors qu'il faisait partie d'une délégation officielle en 1993 » . L'agent a conclu que la preuve dont il était saisi ne permettait pas d'affirmer que le gouvernement sri-lankais s'intéresserait encore à M. Dissanayakage quelque dix ans après la défection de celui-ci. Pour en arriver à cette conclusion, l'agent a choisi de ne pas accorder beaucoup d'importance à une lettre dans laquelle l'épouse de M. Dissanayakage indique que la force de l'air attend le retour du demandeur, concluant que cette lettre était intéressée. Il n'appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve.

3.        Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur en omettant d'évaluer le risque auquel le demandeur serait exposé aux mains des TLET?

[22]            M. Dissanayakage a soutenu qu'il risquait d'être torturé par les TLET, étant donné qu'il avait été membre d'un escadron dont on savait qu'il s'était livré à des actes de torture à l'endroit des membres de ceux-ci, et que ce risque n'avait nullement été examiné.

[23]            Encore une fois, le dossier ne permet pas de confirmer cette allégation. Cet argument est commenté de façon explicite et l'agent d'ERAR a conclu à l'insuffisance des éléments de preuve permettant de dire que les TLET s'intéresseraient encore à M. Dissanayakage relativement à des incidents survenus dix ans plus tôt.


Conclusion

[24]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de M. Dissanayakage est rejetée.

Certification

[25]            Mr. Dissanayakage propose deux questions à faire certifier. Je ne suis pas convaincue que l'une ou l'autre de ces questions est déterminante en l'espèce. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.          aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »            

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4507-03

INTITULÉ :                                                    GUNADASA DISSANAYAKAGE

                                                                                                                                           demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 30 mars 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    la juge Mactavish

DATE DES MOTIFS :                                   le 20 avril 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Stephen H. Gold                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)g



[1] Voir Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, où la jurisprudence portant sur cette question est commentée.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.