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                                                                                                                                           Date : 20020813

                                                                                                                             Dossier : IMM-2955-01

                                                                                                            Référence neutre: 2002 CFPI 853

MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 13 AOÛT 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

ANTHONY WILLIAMS

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 14 juin 2001 par laquelle l'agent chargé de l'expulsion Margaret Danby (l'agent chargé de l'expulsion) a refusé la demande présentée par le demandeur en vue de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Il vit au Canada illégalement depuis qu'il a prolongé sans autorisation son séjour au Canada après avoir obtenu un visa de visiteur en 1981.

[3]                 Une mesure d'interdiction de séjour a été prise contre lui et a été signée par lui le 30 septembre 1993. Il a été sommé de quitter le Canada dans les 30 jours.

[4]                 Le demandeur a fait fi de cette mesure d'interdiction de séjour et est demeuré illégalement au Canada.

[5]                 Un avis de convocation portant la date du 8 juin 1999 a été envoyé à trois (3) adresses distinctes où l'on savait que le demandeur avait vécu.

[6]                 L'avis de convocation précisait que des dispositions devaient être prises en vue de son départ du Canada et qu'une entrevue aurait lieu un mois plus tard, le 8 juillet 1999.

[7]                 Le demandeur n'a pas obtempéré à l'avis de convocation et ne s'est jamais présenté à son entrevue. En conséquence, un mandat d'arrestation a été décerné contre lui le 14 août 2000.

[8]                 Le demandeur a été détenu par la police le 15 mai 2001.


[9]                 Lors de la révision des motifs de sa détention, le 25 mai 2001, le demandeur a déclaré à l'arbitre qu'il était disposé à acheter lui-même son billet d'avion et qu'il donnerait suite à la mesure d'expulsion dont il faisait l'objet en quittant le Canada dans les deux (2) semaines suivantes. Il s'est engagé à présenter un billet d'avion aux autorités de l'immigration dans les cinq (5) jours de sa remise en liberté.

[10]            Encore une fois, le demandeur n'a pas tenu promesse et a continué à demeurer au Canada illégalement.

[11]            Par lettre datée du 14 juin 2001, l'agent chargé de l'expulsion a refusé de reporter à plus tard l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur.

[12]            Par ailleurs, le 14 juin 2001, le demandeur a présenté une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire qu'il a envoyée par courrier recommandé.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]            L'article 48 de la Loi sur l'immigration (la Loi) porte sur l'exécution des mesures :

48. Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent.

48. Subject to sections 49 and 50, a removal order shall be executed as soon as reasonably practicable.

   

QUESTIONS EN LITIGE

  

[14]            1.         L'agent chargé de l'expulsion a-t-elle commis une erreur en refusant de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur?

2.         La note de service écrite le 23 septembre 1999 par le directeur de l'Exécution de la loi, M. Reinhard Mantzel, a-t-elle eu pour effet d'entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé de l'expulsion?

  

ANALYSE

1.         L'agent chargé de l'expulsion a-t-elle commis une erreur en refusant de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur?

  

[15]            Non, l'agent chargé de l'expulsion n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a décidé de ne pas surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur.

Limites du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé de l'expulsion

[16]            Il est de jurisprudence constante que la fixation de la date d'expulsion est une question que notre Cour peut réviser. Cette révision ne peut toutefois avoir lieu que pour des motifs très limités, compte tenu du fait que le pouvoir discrétionnaire qu'exerce l'agent chargé de l'expulsion est fort restreint.


[17]            Dans le jugement de principe Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon était saisi du cas d'une demanderesse qui, comme le demandeur en l'espèce, était une citoyenne de la Jamaïque. Dans l'affaire Simoes, la demanderesse avait présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance sursoyant à l'exécution de la mesure d'expulsion qui avait été prise contre elle jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue au sujet de sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ou jusqu'à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit jugée. Voici ce que le juge Nadon a déclaré au sujet de la question du sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire :

[par. 12] À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face [voir note 7]. Ainsi, en l'espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l'agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l'enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n'avait pas terminé son année scolaire.

[13] En ce qui concerne les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui sont en instance, à coup sûr, le fait que pareille demande ne soit toujours pas réglée n'empêche pas l'exécution d'une mesure de renvoi valide [voir note 9]. Comme le juge Noël l'a avec raison fait remarquer : « Décider autrement reviendrait en fait à permettre aux demandeurs de surseoir automatiquement et unilatéralement à l'exécution de mesures de renvoi valablement prises en déposant la demande appropriée et ce, selon leur volonté et à leur loisir. Cette conséquence n'est certainement pas celle visée par le législateur. »

[18]            Dans le jugement Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 295 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier a déclaré :


[par. 45] En l'instance, la mesure dont on demande de différer l'exécution est une mesure que le ministre a l'obligation d'exécuter selon la Loi. La décision de différer l'exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la Loi. Cette justification doit se trouver dans la Loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l'autoriser à ne pas respecter l'article 48 de la Loi. Vu l'obligation qui est imposée par l'article 48, ainsi que l'obligation de s'y conformer, il y a lieu de faire grand état à l'encontre de l'octroi d'un report de la disponibilité d'une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu'on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d'une obligation imposée par la Loi. Pour ce motif, je serais plutôt d'avis qu'en l'absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire qui n'est pas fondée sur des menaces à la sécurité d'une personne ne peut justifier un report, parce qu'il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi.

[19]            Cette notion a récemment été confirmée de nouveau par le juge Pelletier dans le jugement Rettegi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 194 (C.F. 1re inst.), où il déclare :

[par. 12] Je n'ai pas l'intention de reprendre ici l'analyse que j'ai faite dans la décision Wang c. Canada, [2001] A.C.F. no 295, CFPI 148, où j'ai estimé notamment qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas un motif justifiant un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi, sauf peut-être dans les circonstances décrites par mon collègue M. le juge Nadon dans la décision Simoës c. Canada (2000), Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), qui portait sur une demande CH pendante déposée en temps opportun.

[20]            Par ailleurs, les Lignes directrices ministérielles intitulées Chapitre IP 5 - Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH), précisent ce qui suit, à la section 3.2 :

Les personnes visées par une mesure de renvoi qui présentent une demande CH avec les frais appropriés sont en droit d'obtenir une décision, mais il n'y a aucune exigence de surseoir l'ordre de renvoi. Par conséquent, pour s'assurer d'avoir la décision CH avant son renvoi, la personne doit présenter sa demande assez longtemps à l'avance. Dans le cas où l'évaluation ne sera pas terminée à la date prévue du renvoi, on fait savoir au demandeur que :

·    sa demande CH sera examinée après son renvoi

·    il sera informé par écrit quand la décision sera rendue, et

·    si sa demande est acceptée et qu'il s'avère admissible, il pourra être réadmis au Canada (voir la section 9.10 - Décision favorable après le renvoi)

(Non souligné dans l'original.)


[21]            Il est donc incontestable que l'agent chargé de l'expulsion a un pouvoir discrétionnaire restreint en matière de sursis à l'exécution des mesures de renvoi. L'article 48 de la Loi précise dans les termes les plus nets que l'agent chargé de l'expulsion est légalement tenu d'exécuter la mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent » . De surcroît, le fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ait été présentée ne constitue pas une raison suffisante pour justifier de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi.

[22]            Je conclus, eu égard aux circonstances de la présente espèce, que l'agent chargé de l'expulsion a agi de façon raisonnable lorsqu'elle a décidé de ne pas surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion prise contre le demandeur, compte tenu du fait que la demande que ce dernier avait présentée sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire n'avait été déposée que le 14 juin 2001.

2.                      La note de service écrite le 23 septembre 1999 par le directeur de l'Exécution de la loi, M. Reinhard Mantzel, a-t-elle eu pour effet d'entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé de l'expulsion?

[23]            Non, les directives données par le directeur de l'Exécution de la loi, M. Reinhard Mantzel dans sa note de service n'ont pas eu pour effet d'entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé de l'expulsion.


[24]            Le demandeur estime que la note de service en question a d'une façon ou d'une autre entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé de l'expulsion. Je ne suis pas de cet avis. Le contenu de la note de service est tout à fait conforme à la jurisprudence sur la nature du pouvoir discrétionnaire en matière de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi.

[25]            Voici les extraits pertinents de la note de service que M. Reinhard Mantzel, directeur de l'Exécution de la loi pour la région de l'Ontario, a écrite aux gestionnaires régionaux pour la région de l'Ontario, aux gestionnaires des services opérationnels pour la région de l'Ontario, au CELTM, aux gestionnaires des audiences et aux CIC de Niagara Falls, Windsor et Ottawa :

[TRADUCTION] On a signalé à mon attention l'existence d'une certaine confusion au sujet du facteur temporel dont il est tenu compte lorsqu'il s'agit de surseoir à l'exécution des mesures de renvoi prises contre des revendicateurs qui invoquent des raisons d'ordre humanitaire. En l'occurrence, il y aurait automatiquement sursis à l'exécution des mesures de renvoi lorsque la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est pendante depuis au moins six mois. Je tiens à signaler qu'il n'existe pas de telle règle de six mois.

Les agents devraient toujours se rappeler que le Ministère est tenu, aux termes de l'article 48 de la Loi sur l'immigration, d'exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent. Il arrive à l'occasion, dans des circonstances inusitées ou exceptionnelles, qu'il y ait lieu de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue au sujet d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Compte tenu de la quantité considérable de demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui sont soumises aux CIC locaux de la région de l'Ontario, il faut compter environ un an pour que ces cas soient évalués et décidés. En conséquence, le fait de surseoir automatiquement à l'exécution des mesures de renvoi en attendant qu'une décision ait été prise relativement à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aura inévitablement pour effet de miner et de diminuer l'efficacité des mesures d'application de la loi de l'immigration, d'autant plus que les agents chargés du renvoi doivent composer avec plusieurs autres contraintes administratives, notamment en ce qui concerne l'obtention de titres de voyage et la durée de validité limitée de ces documents et compte tenu également des questions de responsabilité des transporteurs aériens, des coûts de détention, des frais supplémentaires entraînés par le renvoi s'il faut faire de nouvelles réservations de billets d'avion, etc.

[...]


Sauf dans des circonstances exceptionnelles où un sursis peut être justifié en attendant qu'une décision ait été prise au sujet de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, les renvois devraient être exécutés selon la procédure habituelle. Toutes les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui sont pendantes seront examinées même si l'intéressé est expulsé. Si une entrevue personnelle est jugée nécessaire, cette entrevue peut avoir lieu à un bureau des visas.

[26]            La note de service du directeur de l'Exécution de la loi est tout à fait conforme à la jurisprudence en ce qui concerne la nature du pouvoir discrétionnaire. Le directeur y cite même le texte de l'article 48 de la Loi.

[27]            La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[28]            L'avocat du demandeur a suggéré la certification de la question suivante :

Quelle est la portée ou la nature du pouvoir discrétionnaire qu'exerce un agent chargé du renvoi lorsqu'il examine une demande présentée par une personne faisant l'objet d'une mesure d'expulsion valide en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure prise contre elle en rapport avec une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire non encore tranchée?

[29]            Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse là d'une question grave de portée générale. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

  

                                                                                           « Pierre Blais »                   

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20020813

Dossier : IMM-2955-01

ENTRE :

                             ANTHONY WILLIAMS

                                                                                    demandeur

                                               - et -

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  

                                                                                                                                                     


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2955-01

INTITULÉ :                                        ANTHONY WILLIAMS

                                                                              - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              31 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                      13 août 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Lorne Waldman                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Me Ann Margaret Oberst                                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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