Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050208

Dossier : IMM-6088-04

Référence : 2005 CF 202

Calgary (Alberta), le 8 février 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                       SHU XU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Le demandeur, M. Shu Xu, est un citoyen de la République populaire de China (RPC) qui affirme craindre avec raison d'être persécuté par les autorités chinoises parce qu'il est un adepte du Falun Gong. M. Xu est entré au Canada le 21 novembre 2002. Dans une décision datée du 25 juin 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande présentée par le demandeur. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

ANALYSE

[2]         Le demandeur et le défendeur conviennent tous les deux que lorsque des questions de crédibilité et de conclusion de faits se posent, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable (Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 300 (1re inst), paragraphe 5; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphes 55 et 56). La question en l'espèce consiste tout simplement à savoir si la décision était manifestement déraisonnable parce qu'elle aurait été prise de façon abusive ou arbitraire ou prise sans tenir compte des éléments de preuve.

[3]         Dans sa décision, la Commission déclare que « [l]es principaux éléments de la demande soulèvent de sérieux doutes quant à la crédibilité de l'intéressé » . À l'appui de sa position, elle soulève les points suivants :

a.                    le demandeur est entré au Canada avec un faux passeport mais il a par la suite présenté un passeport de la RPC, valide jusqu'au 31 octobre 2004;


b.                   le demandeur a parlé dans son témoignage d'un incident survenu en 2000 au cours duquel il a été détenu pendant 24 heures et au cours duquel la police lui a enjoint de signer un document mentionnant qu'il ne pratiquerait plus le Falun Gong; lorsqu'il a refusé, on lui a cassé un doigt. Il n'a fait aucune mention de cet incident dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP);

c.                    lorsqu'on lui a demandé lors de l'entrevue initiale avec l'agent d'immigration s'il avait déjà été arrêté, le demandeur a répondu par la négative, puis il a parlé de cet incident au cours duquel il a été détenu par la police en 2000.

d.                   comme le demandeur prétend qu'il est un « pivot » du mouvement Falun Gong et qu'il est connu par la police, il est invraisemblable que lui et sa famille ne furent pas la cible de harcèlement de la part de la police.

e.                    s'appuyant sur certains éléments de preuve documentaire, la Commission a jugé que le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait en RPC.

[4]         Je vais examiner tour à tour chacune de ces conclusions.

Le passeport


[5]         La première question dont j'ai pris note est celle du passeport. La Commission en parle au milieu d'un paragraphe traitant de la preuve documentaire mais elle n'explique pas pourquoi il s'agissait d'un problème. Je me demande si la Commission en a tenu compte dans son raisonnement, et le cas échéant, de quelle manière elle en a tenu compte. Alors qu'il a voyagé muni d'un faux passeport, on ne parle pas de son identité, laquelle a été acceptée par la Commission, ni de sa crédibilité, laquelle portait principalement sur des contradictions apparentes dans son témoignage oral ainsi que dans son témoignage écrit. Si la Commission a estimé que le fait de ne pas avoir montré son véritable passeport avait miné sa crédibilité, elle aurait dû le dire et expliquer pourquoi.

L'absence de mention dans le FRP ainsi que lors de l'entrevue au point d'entrée de l'incident et de la détention survenus en 2000

[6]         Lorsque la Commission lui a demandé d'expliquer pourquoi il avait omis de parler de l'incident survenu au poste de police dans son FRP, le demandeur a affirmé que [Traduction] « la chose la plus importante s'est produite après » . Le demandeur renvoie aux événements du 17 octobre 2002, alors que les membres du Bureau de la sécurité publique ont découvert que lui et dix autres personnes étaient des adeptes du Falun Gong. Le demandeur s'est enfui mais deux membres du groupe furent arrêtés.


[7]         L'incident avec la police s'est produit au début de l'année 2000, alors que les événements impliquant le Bureau de la sécurité publique, lesquels ont amené le demandeur à quitter la RPC, ne se sont pas produits avant 2002. Le demandeur souligne à juste titre qu'il n'est pas nécessaire que le FRP énonce intégralement la prétention du demandeur du statut de réfugié (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 455, paragraphe 10). Et comme dans la décision Li, précitée, il n'y a pas vraiment de contradiction en l'espèce entre le récit mentionné dans le FRP du demandeur et son témoignage oral.

[8]         La Commission souligne dans ses motifs que le demandeur s'est fait demander s'il avait déjà été accusé d'un crime ou condamné à une amende. Il est mentionné dans les motifs que la réponse à cette question a été « non » . Il n'est pas mentionné dans les motifs que le demandeur a également affirmé ce qui suit : [Traduction] « En Chine, on n'a pas besoin d'un mandat pour vous arrêter [...] la police se promène pour voir quelles sont les personnes qui pratiquent le Falun Gong [...] et elle arrête ces personnes. Elle n'a pas besoin d'un mandat » .

[9]         Quant à savoir si la Cour doit intervenir, il convient de citer les propos suivants tenus par le juge Denault au paragraphe 11 de la décision Li, précitée :

En ce qui concerne la seconde contradiction relevée par le tribunal, soit la peur d'être arrêté ou d'être envoyé dans un camp de travail, même si, personnellement, j'estime que la conclusion du tribunal a été un peu sévère, (au cours de son témoignage, le demandeur ne semblait honnêtement pas faire la distinction entre une arrestation, un emprisonnement et un camp de travail, même lorsqu'il a été interrogé par le tribunal et son propre avocat), il serait exceptionnel pour la Cour de modifier une conclusion de fait tirée par le décideur.

[10]      La situation en l'espèce est similaire; bien que je n'aurais pas rejeté l'explication donnée par le demandeur, il n'était pas manifestement déraisonnable que la Commission la rejette.


L'absence de harcèlement de l'épouse

[11]       J'arrive maintenant au point soulevé par la Commission, laquelle a affirmé que, alors que le demandeur prétend qu'il est un « pivot » du mouvement Falun Gong et qu'il est connu de la police, il est invraisemblable que lui et sa famille n'aient pas été victimes de harcèlement de la part de la police.

[12]       La preuve documentaire soumise à la Commission étayait cette conclusion d'invraisemblable. Même si elle était datée de 2002, aucune preuve documentaire contraire récente ne figurait au dossier. Il n'était pas déraisonnable de la part de la Commission de se fier à cette preuve ou de tirer la conclusion d'invraisemblance qu'elle a tirée.

Les adeptes du Falun Gong rapatriés

[13]       Je constate que la Commission, à aucun moment, ne mentionne si oui ou non elle accepte que le demandeur soit, en fait, un adepte du Falun Gong. Ayant conclu que le demandeur est un ressortissant de la RPC, les documents sur la situation dans le pays étayent la position qu'un citoyen de la RPC qui pratique le Falun Gong, comme adepte émérite ou comme simple adepte, est exposé à des risques. La Commission a déclaré ce qui suit dans ses motifs :

Depuis que l'État a interdit le mouvement en 1999, le seul fait de croire aux bienfaits de la discipline (et, depuis janvier 2002, sans même qu'on ne se livre sur la place publique à la défense de la doctrine) a suffi pour subir des sanctions, depuis la perte de son emploi jusqu'à l'emprisonnement [Non souligné dans l'original]


[14]       Bien que la Commission souligne que « l'État ne maltraite généralement pas les rapatriés, à moins que les personnes en cause n'aient été expulsées vers la Chine plus d'une fois » , cela ne règle pas le cas de la situation dans laquelle pourrait se retrouver le demandeur s'il était déporté - c'est-à-dire être un membre pratiquant du Falun Gong qui vit en RPC - s'il était déporté. La Commission a également renvoyé à une preuve documentaire concernant les adeptes du Falun Gong qui retournent en RPC et qui auraient participé activement au mouvement alors qu'ils se trouvaient à l'étranger. Ce n'est pas là l'essence de la prétention du demandeur. Le demandeur craint plutôt de retourner en RPC en raison du fait qu'il a pratiqué le Falun Gong alors qu'il se trouvait en RPC et non pas lorsqu'il se trouvait au Canada. La Commission aurait pu rejeter le témoignage du demandeur qu'il était un adepte du Falun Gong alors qu'il se trouvait en RPC ou elle aurait pu conclure qu'il n'était pas connu des autorités comme étant un adepte du Falun Gong. Elle n'a pas tiré ces conclusions. Par conséquent, je conclus que, la Commission, ayant accepté le témoignage du demandeur selon lequel il était un adepte du Falun Gong en RPC, était tenue d'évaluer les risques auxquels il serait exposé s'il retournait en RPC. Le défaut de l'avoir fait porte un coup fatal à sa décision.

CONCLUSION


[15]       En conclusion, j'estime que la décision ne devrait pas être maintenue. Je ne tire pas cette conclusion en me fondant sur les conclusions relatives à la crédibilité. Même s'il est très difficile de suivre le raisonnement de la Commission, on peut y voir une certaine rationalité, si faible soit-elle. La Commission a toutefois omis d'évaluer le fondement de la revendication du demandeur. En d'autres mots, la Commission n'a pas examiné si, en tant qu'adepte du Falun Gong alors qu'il se trouvait en RPC, il serait exposé à des risques à son retour en RPC. Cela constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[16]       Aucune des parties n'a proposé de question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l'affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour nouvelle décision.

2.          Aucune question de portée générale ne soit certifiée.

                                                                                                                  « Judith A. Snider »     

         Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

                                                                                                                                               


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                               

DOSSIER :                                                             IMM-6088-04

INTITULÉ :                                                            SHU XU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 8 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ET ORDONNANCE :                                          LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                          LE 8 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Richard M. Bennett                                                   POUR LE DEMANDEUR           

Camille Audain                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard M. Bennett                                                   POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)                                                                      

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                           


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.