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Date : 20040809

 

Dossier : IMM-5776-03

 

Référence : 2004 CF 1094

 

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY‑LAMER

 

 

ENTRE :

                                       ROLANDO DANIEL VILLEGAS FERNANDEZ

                                           ROLANDO JAVIER VILLEGAS SOLDAN

                                            TERESA VIOLETA VILLEGAS ROLDAN

                                               ABEL MATIAS VILLEGAS ROLDAN

                                                    SANDRA VIOLETA VILLEGAS

                                            EVELINA ANALIA VILLEGAS ROLDAN

                                                   DIEGO SEBASTIAN VILLEGAS

                                                                                                                                          demandeurs

 

 

                                                                             et

 

 

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 


[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon la définition donnée respectivement aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Rolando Javier Villegas Soldan (le demandeur principal) est accompagné par son père, sa mère et ses quatre frères et soeurs. Les demandeurs sont des citoyens de l’Argentine qui prétendent craindre avec raison d’être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social, à savoir la famille.

 

[3]               Les demandeurs fondent leur demande de protection sur les expériences vécues par le demandeur principal en tant que membre d’un groupe social, à savoir les jeunes pris pour cibles par un gang de jeunes désirant les recruter, gang affilié à la mafia de la police à Mendoza en Argentine.

 

[4]               Le 4 avril 2001, le demandeur principal a été abordé par des membres du gang qui lui ont demandé de prendre part à leurs activités criminelles dans le quartier. Lorsqu’il leur a dit qu’il ne voulait pas se joindre à eux, ils l’ont battu et menacé, et lui ont volé sa bicyclette.

 


[5]               Dans la soirée du 16 mai 2001, le demandeur principal se rendait au magasin avec son ami quand les mêmes membres du gang l’ont arrêté et lui ont demandé s’il avait accepté de se joindre à eux. Lorsqu’il a répondu non, un des membres du gang a essayé de le tuer d’un coup de feu, mais l’a raté et a plutôt blessé son ami au visage. Le demandeur principal et son père ont signalé l’incident à la police. La police n’a pas fait enquête sur l’incident, disant qu’elle ne pouvait rien faire parce que les membres du gang étaient mineurs. Les demandeurs ont été menacés par les membres du gang depuis qu’ils les ont dénoncés à la police.

 

[6]               Le 17 mai 2001, le demandeur principal a été abordé par des membres du gang qui lui ont mis un pistolet sur le front en lui disant de disparaître parce qu’il les avait dénoncés à la police. Ils ont appuyé sur la détente, mais celle‑ci s’est coincée et le coup n’est pas parti. Le demandeur principal a été sauvagement battu et est resté chez sa grand‑mère par la suite.

 

[7]               Le 11 juin 2001, le demandeur principal et son père ont fui l’Argentine en passant par le Chili et les États‑Unis d’Amérique (les É.‑U.). Ils sont tous deux arrivés au Canada le 12 juin 2001 et ils ont revendiqué le statut de réfugiés. Six mois plus tard, soit le 1er décembre 2001, la mère du demandeur principal et les quatre autres enfants ont quitté l’Argentine en passant par le Chili, l’Équateur et les États‑Unis. Ils sont arrivés au Canada le 7 décembre 2001 et ont revendiqué le statut de réfugiés.

 


[8]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’ils n’avaient pas établi qu’ils ne pouvaient se prévaloir de la protection de l’État et qu’ils n’avaient pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de leur allégation suivant laquelle il y avait une possibilité raisonnable ou sérieuse qu’ils soient persécutés en Argentine aujourd’hui. Chose plus importante encore, la Commission a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) raisonnable en Argentine. Plus particulièrement, la Commission n’a trouvé aucun élément de preuve objectif à l’appui de l’allégation du demandeur suivant laquelle sa famille et lui seraient pris pour cibles par les membres du gang dans d’autres parties du pays. De plus, la Commission a conclu qu’eu égard à l’ensemble des circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour la famille de chercher refuge à Buenos Aires.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI raisonnable en Argentine. Je ne suis pas d’accord. Il incombe aux demandeurs de prouver qu’ils ne disposent d’aucune PRI dans leur pays de résidence, et l’existence d’une PRI raisonnable met en doute le bien‑fondé de leur demande : voir Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) et Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).

 

[10]           Cependant, en l’espèce, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation suivant laquelle le gang de jeunes posté à Mendoza avait des liens ailleurs en Argentine. Je suis donc convaincue qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs auraient une PRI à Buenos Aires, qui est une grande ville au sujet de laquelle il n’existe aucune preuve objective que le gang y exercerait ses activités.

 


[11]           Je suis également convaincue qu’il était loisible à la Commission de conclure qu’« il ne serait pas déraisonnable, eu égard à toutes les circonstances, que la famille y cherch[e] refuge [à Buenos Aires] ». Comme l’a fait ressortir le juge Létourneau dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 164, la Cour a placé la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable parce que, selon ce qu’il affirme, « [i]l ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » (paragraphe 15). Dans le même jugement, le juge Létourneau a mis en garde contre toute tentative de baisser la barre :

[16]         Il y a au moins deux motifs qui font qu’il est important de ne pas baisser la barre. Premièrement, comme notre Cour l’a dit dans Thirunavukkarasu [à la page 599], la définition de réfugié au sens de la Convention exige que «les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays». En d’autres mots, ce qui fait qu’une personne est un réfugié au sens de la Convention, c’est sa crainte d’être persécutée par son pays d’origine quel que soit l’endroit où elle se trouve dans ce pays. Le fait d’élargir ou de rabaisser la norme d’évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié: on devient un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.

 

 

 

[12]           À mon avis, la question de savoir si la demanderesse Teresa était en mesure de vendre sa maison n’était pas un facteur ayant assez de poids pour que soit franchi le seuil élevé établi relativement au volet du caractère raisonnable du critère de la PRI. En conséquence, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur en se demandant si sa famille et lui avaient une PRI raisonnable dans d’autres parties de l’Argentine.

 


[13]           De plus, je conclus que la Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité parce qu’elle n’était pas tenue d’interroger le demandeur sur les déclarations faites au point d’entrée. Les notes d’entrevue font partie de la preuve documentaire et la Commission peut s’appuyer sur celles‑ci dans son appréciation de la demande du demandeur.

 

[14]           Par conséquent, la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a tranché la présente affaire, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[15]           L’avocat du demandeur a demandé que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Un commissaire de la CISR qui entend une demande d’asile est‑il tenu d’examiner le contexte de l’entrevue entre l’agent d’immigration et le demandeur pour que ce dernier ait la possibilité de répondre aux réserves du commissaire relativement à cette preuve, avant que le commissaire ne se fonde sur ces déclarations dans son examen de la deuxième partie du critère de l’arrêt Rasaratnam, critère qui permet de déterminer s’il existe une PRI?

 

[16]           Il n’y a pas lieu de certifier cette question, parce qu’il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale. La Cour ne certifiera donc pas la question.

 

                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5776-03

 

INTITULÉ :                                                   ROLANDO DANIEL VILLEGAS FERNANDEZ ET AL.

c.

MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 AOÛT 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 AOÛT 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Alvaro J. Carol                                     POUR LES DEMANDEURS

 

Aviva Basman                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alex Billingsley                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocat

2040, rue Younge

Pièce 200

Toronto (Ontario)

M4S 1Z9

 

Morris Rosenberg                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 


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