Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051117

Dossier : IMM-2660-05

Référence : 2005 CF 1553

Montréal (Québec), le 17 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

CHITANHU TAWANDA EUSTACE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise une décision en date du 30 mars 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Chitanhu Tawanda Eustace (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Zimbabwe âgé de 21 ans. Vers la fin d'avril 2004, il a été arrêté par la milice du ZANU-PF (Zimbabwe African National Union Patriotic Front) pour avoir menti en disant qu'il avait fait son service militaire.

[3]                 Le ZANU-PF a emmené le demandeur dans un camp militaire, où il a été privé de nourriture, battu et torturé pendant huit jours. Il est parvenu à s'enfuir avec quelques autres détenus. Il est retourné chez lui, puis s'est installé chez sa grand-mère. La milice du ZANU-PF l'a retrouvé et elle les a battus, lui et sa grand-mère. Des voisins sont venus à leur rescousse, mais la grand-mère du demandeur est morte un mois plus tard.

[4]                 À la suite de ces événements, le père du demandeur a fait le nécessaire pour que son fils quitte le pays. Ce dernier a obtenu un faux passeport du Botswana et est parti pour le Canada, où il est arrivé le 14 août 2004, quatre jours après avoir quitté le Zimbabwe. Il a présenté une demande d'asile dès son arrivée en sol canadien à l'aéroport.

QUESTION EN LITIGE

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

ANALYSE

[5]                 Il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance relèvent particulièrement de la compétence de la Commission, et par conséquent l'intervention de la Cour n'est justifiée que si ces conclusions sont tout à fait déraisonnables (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, paragraphe 4 (C.A.F.)). La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la Commission et à son évaluation de la crédibilité est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[6]                 Un des moyens qu'emploie couramment la Commission pour évaluer la crédibilité consiste à comparer la preuve du demandeur à trois étapes différentes du processus de demande d'asile : les notes prises au point d'entrée; la déclaration contenue dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP); le témoignage verbal à l'audience (Rruka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 605, [2004] A.C.F. no 745, paragraphe 10).

[7]                 En l'espèce, le tribunal a tiré sa principale conclusion défavorable concernant la crédibilité en se basant sur les notes au point d'entrée. Selon le FRP et le témoignage, le demandeur a été détenu et torturé parce qu'il avait refusé de faire son service militaire. Il n'y a aucune indication à cet effet dans les notes prises au point d'entrée, ce qui constitue une omission sérieuse. Le demandeur soutient que la Commission n'aurait pas dû tirer une conclusion défavorable des notes parce qu'il a donné une explication raisonnable des incohérences soulevées par les notes. Il a expliqué que l'omission était due à son état d'esprit à ce moment-là et au fait que les agents d'immigration de l'aéroport ne lui ont posé aucune question sur les problèmes qu'il avait eus au Zimbabwe.

[8]                 Le demandeur se reporte aux affaires récentes Samarakkodije c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 301, [2005] A.C.F. no 371 et Sawyer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 935, [2004] A.C.F. no 1140, où la Cour a eu à décider si la Commission avait commis une erreur en mettant en doute la crédibilité du demandeur sur la base d'omissions dans les notes prises au point d'entrée.

[9]                 Le demandeur fait valoir que l'information contenue dans les décisions précitées montre comment se déroulent véritablement les entrevues d'admissibilité menées par les agents d'immigration et qu'il est vraisemblable qu'un agent d'immigration ne pose pas de questions à un demandeur d'asile sur ses affirmations proprement dites. Aux yeux du demandeur, le fait que l'agent d'immigration n'ait pas posé de questions sur la détention et la persécution justifie l'absence de mention dans les notes prises au point d'entrée. Par conséquent, le demandeur avance qu'il ne faudrait pas arriver à une conclusion défavorable relativement à la crédibilité parce que les allégations de torture et de détention ne figurent pas dans les notes.

[10]            Dans ses motifs, la Commission a tenu compte de l'explication fournie par le demandeur, mais a décidé que les notes prises au point d'entrée étaient quand même fiables. À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en formulant cette conclusion. Il est bien établi qu'un tribunal peut tirer une conclusion défavorable des divergences entre les déclarations consignées dans les notes prises au point d'entrée et le contenu du témoignage ultérieur. Dans la décision Parnian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 96 F.T.R. 142, le juge Wetston a déclaré ceci au paragraphe 10 :

Étant donné que j'ai conclu que les notes prises au point d'entrée avaient été à juste titre déposées devant la Commission, et compte tenu du fait que les principales conclusions concernant la crédibilité se fondent sur les incompatibilités entre ces notes prises au point d'entrée et les renseignements contenus dans le formulaire de renseignements personnels du requérant, de même que dans sa déposition, je suis d'avis qu'il n'existe aucun fondement justifiant l'intervention de la Cour relativement aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité.

[11]            Le juge Blanchard fait écho à cette opinion dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 767, [2005] A.C.F. no 959, au paragraphe 23 :

La jurisprudence indique que des divergences entre la déclaration au point d'entrée et le témoignage d'un demandeur sont suffisantes pour justifier une conclusion de non-crédibilité lorsqu'elles portent sur des éléments centraux d'une demande : Nsombo c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 648, IMM-5147-03; Shahota c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1540; Neame c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 378.

[12]            Dans la décision Sava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 356, [2005] A.C.F. no 445, le juge von Finckenstein fait état de la position de la Cour au sujet d'omissions dans les entrevues menées au point d'entrée pour les questions de persécution. Le raisonnement présenté ci-dessous pourrait facilement s'appliquer à la présente affaire.

En second lieu, bien qu'il soit vrai que dans le jugement Sawyer, précité, la demande avait été accueillie en partie parce que la Commission avait interprété à l'encontre du demandeur son défaut de produire une photo à l'entrevue tenue au point d'entrée, cette décision ne permet pas de conclure que les omissions constatées à l'entrevue tenue au point d'entrée ne peuvent pas être retenues contre le demandeur. Dans un cas comme celui-ci où le demandeur affirme qu'il est apolitique et ne parle pas de persécution à l'entrevue qu'il subit au point d'entrée pour ensuite formuler des allégations détaillées de persécution lors de son entrevue et dans son FRP, la Commission a certainement le droit de tirer des conclusions défavorables d'une telle omission.

[13]            Ce raisonnement a été confirmé par le juge Blanchard dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (précité), au paragraphe 26, qui porte sur l'omission de questions essentielles :

Je ne peux non plus accepter la prétention du demandeur selon laquelle il n'a pas mentionné spécifiquement le Falun Gong aux agents d'immigration parce qu'ils n'y ont pas fait allusion ou référence. Les transcriptions de l'audience devant la Commission démontrent clairement que le demandeur avait compris que l'agent lui demandait s'il avait une association avec des groupes quelconques. Il a omis d'indiquer le Falun Gong. Il est donc raisonnable que la Commission ait tiré une inférence négative du témoignage du demandeur sur une question essentielle à sa demande d'asile.

[14]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il ne disait pas la vérité à l'audience à cause de réponses peu claires aux questions posées. Je ne peux pas être d'accord sur cette affirmation du demandeur. Il est bien établi que la Commission peut fonder sa conclusion relative à la crédibilité sur le comportement du demandeur à l'audience et sur sa capacité de répondre aux questions de manière claire et cohérente (Tong c. Canada (Secrétaire d'État) [1994] A.C.F. no 479, paragraphe 3).    

[15]            Le demandeur prétend qu'il était déraisonnable de la part de la Commission de mettre en doute sa détention et son évasion du camp national du service jeunesse. Plus précisément, il avance que la Commission a commis une erreur en ne faisant mention d'aucun des documents présentés, qui confirment les conditions répressives en vigueur au camp de formation. Sur ce dernier point, je souscris à l'argument du défendeur selon lequel les conditions existant au camp de formation ne sont pas pertinentes étant donné que la Commission ne croyait pas de toute façon que le demandeur avait été détenu et torturé par le ZANU-PF. Le demandeur n'a pas établi de corrélation entre les faits particuliers de l'espèce et la preuve documentaire qui fait état des conditions existant au camp. De plus, je constate que le demandeur n'a pas démontré que la décision de la Commission de ne pas croire qu'il a été détenu et torturé était manifestement déraisonnable.

[16]            Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de ses demandes antérieures de visa canadien. Même si la Commission n'était pas fondée à prendre en considération les demandes antérieures de visa, ce fait est sans conséquence compte tenu de la plupart de ses autres conclusions défavorables quant à la crédibilité et à la vraisemblance. Les demandes de visa n'ont pas été un facteur déterminant dans la décision de la Commission, car d'autres indices, plus probants, soulevaient des doutes sur la crédibilité du demandeur.

[17]            Le demandeur prétend que la Commission a commis des erreurs de fait en ce qui concerne le manque d'information qu'il a dit avoir sur la demande d'asile de son frère au Canada. Il ressort clairement de la transcription de l'audience que la Commission faisait état dans sa décision de l'affirmation du demandeur selon laquelle il ne savait pas ce que son frère avait fait ou vécu au Zimbabwe pour justifier une demande d'asile au Canada. La Commission a trouvé étrange que le demandeur, en présentant une demande de visa de visiteur en 2001, ne connaisse pas les motifs de la demande d'asile de son frère, présentée en 2000. Je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreurs de fait sur cette question.

[18]            La Commission a trouvé suspect que le demandeur n'a pas cherché à voir un médecin pour les tortures auxquelles il aurait été soumis. Le demandeur avance l'argument que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de son explication à ce sujet. Comme l'indique la décision Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 87, [2004] A.C.F. no 188 au paragraphe 11 :

Lorsque la norme de contrôle est, comme en l'espèce, celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement - même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable. Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve.

[19]            À la lecture de la transcription et de la description éloquente des tortures et des punitions que le demandeur aurait subies, je ne trouve pas les conclusions de la Commission déraisonnables. En outre, le demandeur ne m'a pas persuadé que la conclusion de la Commission concernant le fait qu'il n'a pas cherché à voir un médecin n'est pas justifiable sur la foi de la preuve produite.

[20]            Il ressort de l'examen du dossier, y compris de la transcription de l'audience même, que la preuve du demandeur présentait de nombreuses incohérences. Bien que celui-ci ait tenté de résoudre ces incohérences, il n'en demeure pas moins que l'ensemble du témoignage n'est pas crédible.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

            Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lucie Boisvenue, trad.a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2660-05

INTITULÉ :                                       

CHITANHU TAWANDA EUSTACE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 27 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                              LE 17 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Paquette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.