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Date : 20020508

Dossier : IMM-1742-02

Référence neutre : 2002 CFPI 522

ENTRE :

                                                                 CHIEN QUYET TY

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Voici les motifs pour lesquels je rejette la requête présentée par le demandeur en vue d'obtenir une ordonnance sursoyant à l'exécution de son renvoi du Canada.

[2]                 M. Ty, un citoyen du Vietnam, a obtenu le droit d'établissement au Canada en octobre 1991 à titre de réfugié au sens de la Convention parrainé par le gouvernement.


[3]                 Le demandeur a témoigné qu'en novembre 1983, après avoir participé à une manifestation étudiante au Vietnam, il a été arrêté, accusé de complot contre le peuple vietnamien, qualifié de traître et envoyé dans un camp de rééducation au moyen de travaux forcés en attendant son procès. Dans ce camp, il était régulièrement battu par les gardiens. Avant de comparaître devant la justice, il s'est évadé et s'est enfui en Chine. En juillet 1988, il est retourné brièvement au Vietnam pour dire au revoir à sa famille et pour ramener en Chine avec lui celle qui est depuis devenue sa femme.

[4]                 Après son arrivée au Canada, M. Ty a été reconnu coupable de quatre infractions criminelles au cours de la période allant du mois d'août 1992 au mois de novembre 1994. Ces infractions consistaient en un vol de moins de 1 000 $, un vol de plus de 1 000 $, en la possession de biens obtenus par le crime de plus de 1 000 $ et de complot en vue de faire le trafic de cocaïne. Sa condamnation pour trafic de drogues lui a valu une peine d'emprisonnement de 43 mois.


[5]                 Au cours de l'automne et de l'hiver 1995, M. Ty a été avisé de l'intention des autorités de l'immigration de demander au ministre de formuler l'opinion qu'il constituait un danger pour le public au Canada au sens des paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). En réponse, l'avocat de M. Ty a, au nom de ce dernier, formulé des observations au sujet de l'avis de danger pour le public, et notamment au sujet des risques que courrait M. Ty s'il devait retourner au Vietnam d'après ce qu'il avait déjà vécu là-bas. Il a également parlé des conséquences de la condamnation du demandeur au criminel au Canada et de la situation qui existait au Vietnam, en particulier en ce qui concerne le sort réservé aux personnes qui y sont renvoyées.

[6]                 Le 23 janvier 1996, M. Ty a été informé qu'un avis de danger pour le public avait été formulé en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi et que cet avis lui enlevait son droit de faire appel devant la Section d'appel de l'immigration pour le cas où une mesure d'expulsion serait prise contre lui. M. Ty a introduit une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire pour contester l'avis de danger pour le public donné en vertu du paragraphe 70(5), mais la Cour a refusé de lui accorder l'autorisation demandée.

[7]                 En ce qui concerne la demande visant à obtenir l'avis de danger pour le public prévu au paragraphe 53(1), l'agent de réexamen a procédé à une évaluation du risque en réponse aux observations formulées par M. Ty au sujet des risques auxquels il serait exposé s'il devait retourner au Vietnam. L'agent de réexamen a recommandé au ministre d'exprimer l'opinion que M. Ty constituait un danger pour le public au Canada. Un directeur de recherche et de réexamen des cas a souscrit à ce rapport et à cette recommandation.

[8]                 En février 1996, le délégué du ministre s'est dit d'avis, en vertu de l'alinéa 53(1)a) de la Loi, que M. Ty constituait un danger pour le public. Aucune demande d'autorisation et de contrôle judiciaire n'a été présentée relativement à cette décision.


[9]                 Dans l'intervalle, une enquête a été ouverte par les services de l'Immigration pour déterminer si M. Ty était une personne visée au sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi. M. Ty avait obtenu une libération conditionnelle totale après avoir purgé 14 mois de sa peine, mais il était toujours détenu en vertu d'un mandat de l'Immigration lui enjoignant de se présenter à l'enquête des services de l'Immigration. Par la suite, cette enquête a été ajournée et M. Ty a été élargi.

[10]            L'enquête en matière d'immigration a de nouveau été remise à la demande de M. Ty en attendant qu'on lui donne accès aux pièces versées à son dossier d'immigration qu'il avait demandé de consulter en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

[11]            En mai 1996, un arbitre de l'immigration a conclu que M. Ty était une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi et une mesure d'expulsion a alors été prise contre lui. M. Ty a été débouté en octobre 1997 de l'appel qu'il avait interjeté en vertu de l'article 70 de la Loi devant la Section d'appel de l'immigration, qui s'est déclarée incompétente.


[12]            Par la suite, en novembre 1997, M. Ty a fait défaut de se présenter à son agent de libération conditionnelle de même qu'aux autorités de l'immigration. Il est demeuré en liberté jusqu'au 7 décembre 2001, date à laquelle il a été arrêté en vertu d'un mandat délivré contre lui à la suite de la violation des conditions de sa libération conditionnelle, de même qu'en vertu d'un mandat délivré par les autorités de l'immigration. Peu de temps après, sa libération conditionnelle a été révoquée et il a été écroué. La date de sa libération d'office a été fixée au 19 avril 2002.

[13]            En avril 2002, l'avocat de M. Ty a demandé aux autorités de l'immigration de suspendre toute démarche entreprise en vue de renvoyer M. Ty du Canada jusqu'à ce que soit tranchée la demande que ce dernier avait présentée en vue de faire réexaminer l'avis de danger pour le public ou, à titre subsidiaire, pour permettre à M. Ty de présenter d'autres observations au sujet de l'évaluation du risque.

[14]            Le 16 avril 2002, l'avocat de M. Ty a transmis à l'agent chargé du renvoi qui s'occupait du dossier de M. Ty une copie des observations déposées auprès du délégué du ministre en vue de demander le réexamen des avis de danger pour le public. L'avocat de M. Ty a demandé à l'agent chargé du renvoi d'exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi au motif que, si l'avis de danger pour le public devait être annulé à la suite du réexamen mais que M. Ty devait être renvoyé du Canada avant de pouvoir demander à la Section d'appel de l'immigration de rouvrir son appel, la Section d'appel risquerait alors de perdre sa compétence pour examiner l'affaire pour des motifs d'equity. L'avocat de M. Ty a également fait valoir que son client n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation du risque en bonne et due forme et il a demandé qu'on procède effectivement à une évaluation du risque.


[15]            L'agent chargé du renvoi a, dans l'affidavit qu'il a souscrit pour s'opposer à la requête en suspension, déclaré qu'en réponse à cette requête, il avait examiné tous les documents que l'avocat de M. Ty lui avait communiqués, mais qu'il avait décidé de ne pas surseoir à l'exécution des dispositions prises en vue du renvoi de ce dernier. L'agent chargé du renvoi a déclaré sous serment qu'il était d'avis qu'une évaluation du risque avait déjà été effectuée en 1996, et que le fonctionnaire qui avait procédé à cette évaluation avait tenu compte de l'expérience vécue par M. Ty au Vietnam et n'avait trouvé aucun élément d'information ou de preuve permettant de croire que le gouvernement vietnamien avait approché ou harcelé des membres de la famille de M. Ty pour savoir où il se trouvait ou encore que le gouvernement était toujours intéressé par lui. Le fonctionnaire qui avait procédé à l'évaluation du risque avait également tenu compte du fait qu'il n'y avait rien qui permettait de penser que les contrevenants étrangers qui avaient purgé leur peine à l'étranger seraient de nouveau traduits en justice ou punis pour de telles infractions à leur retour au Vietnam.

[16]            L'agent chargé du renvoi a déclaré sous serment qu'il souscrivait entièrement à cette évaluation et qu'il en était arrivé à la conclusion que, six ans après l'évaluation du risque, le gouvernement vietnamien serait encore moins intéressé à M. Ty.


[17]            L'agent chargé du renvoi a en outre déclaré sous serment que l'ambassade du Canada à Hanoï l'avait informé qu'elle surveillait de près la situation des Vietnamiens qui étaient renvoyés du Canada, et qu'il était peu probable que ceux qui revenaient au Vietnam aient des difficultés avec les autorités vietnamiennes, sauf dans le cas de ceux qui revenaient au Vietnam après avoir commis des crimes très graves dans ce pays. Aucun renseignement ou rapport n'avait été obtenu de l'ambassade canadienne au sujet des mauvais traitements infligés aux [Traduction] « nombreuses personnes expulsées du Canada qui ont été renvoyées au Vietnam après avoir été reconnues coupables de crimes au Canada » .

[18]            L'agent chargé du renvoi a par conséquent conclu que M. Ty avait déjà fait l'objet d'une évaluation du risque et qu'il n'existait aucune circonstance atténuante ou élément d'information permettant de penser que M. Ty s'exposerait à un risque sérieux d'être tué ou de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain s'il devait retourner au Vietnam.

[19]            C'est sur le fondement de ces éléments de preuve contenus au dossier que l'avocat de M. Ty a affirmé qu'il avait été démontré que la présente affaire soulevait une question sérieuse à trancher, que le demandeur risquait de subir un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients le favorisait.

[20]            J'ai rejeté la requête en sursis parce que l'avocat du demandeur ne m'a pas convaincue qu'il existe en l'espèce une question sérieuse à juger. Voici les raisons pour lesquelles j'en arrive à cette conclusion.


[21]            Premièrement, la demande principale est une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle l'agent chargé du renvoi a refusé de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi du demandeur tant que n'aurait pas eu lieu ce qu'il a appelé [Traduction] « une évaluation légale et en bonne et due forme du risque » . Comme le fait d'octroyer le sursis demandé aurait pour effet d'accorder au demandeur la réparation que l'agent chargé du renvoi lui a refusée, lui accordant ainsi le sursis qui a déjà été refusé, la Cour devait se livrer à un examen plus poussé du fond de l'affaire et tenir compte des chances de succès de la demande principale.

[22]            Deuxièmement, bien qu'il invoque l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, de la Cour suprême du Canada pour affirmer qu'il possède un droit constitutionnel à une évaluation du risque en conformité avec les principes posés dans l'arrêt Suresh, M. Ty avait déjà fait l'objet en 1996 d'une évaluation du risque qui était fondée sur l'examen des observations qui avaient été présentées en son nom et qui n'ont pas été contestées par voie de contrôle judiciaire.


[23]            La procédure qui a ensuite été suivie n'était peut-être pas parfaitement conforme à celle préconisée par la Cour suprême dans l'arrêt Suresh, mais M. Ty était parfaitement au courant des points litigieux qui devaient être abordés et il n'a pas démontré, dans le cadre de la présente requête, qu'on ne lui avait pas permis de participer valablement au processus décisionnel ayant conduit à l'évaluation du risque et à l'avis de danger pour le public, et il n'a pas démontré non plus qu'il avait subi un préjudice. Dans l'arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 2, au paragraphe 26, la Cour suprême a rejeté l'avis interjeté par M. Ahani relativement à l'avis de danger pour le public qui avait été formulé contre lui malgré le fait que la procédure recommandée dans l'arrêt Suresh n'avait pas été respectée, car la Cour était convaincue que M. Ahani avait été pleinement informé des éléments de preuve auxquels il devait répondre.

[24]            En troisième lieu, il est vrai que l'agent chargé du renvoi était incontestablement tenu d'examiner les risques auxquels s'exposait le demandeur dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 48 de la Loi (voir, par exemple les jugements Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (C.F. 1re inst.) et Man c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 629 (C.F. 1re inst.) et la jurisprudence qui y est citée), mais c'est bien ce qu'il a fait en l'espèce. Vu l'ensemble de la preuve qui m'a été soumise, il m'est impossible de conclure que l'agent chargé du renvoi a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive en se fondant sur l'évaluation du risque qui avait déjà eu lieu, de même que sur l'avis récent qu'il avait reçu de l'ambassade du Canada à Hanoï.


[25]            Finalement, et surtout, la loi ne reconnaît à un revendicateur le droit à une évaluation du risque qu'après qu'il ait satisfait à un « critère préliminaire en démontrant l'existence d'un risque qu'il soit soumis à la torture ou à un mauvais traitement semblable » . L'intéressé doit « établir prima facie qu'il pourrait risquer la torture s'il était expulsé » (voir l'arrêt Suresh, précité, au paragraphe 127).

[26]            Or, en l'espèce, cette preuve prima facie n'a été établie ni devant l'agent chargé du renvoi ni devant la Cour.

[27]            M. Ty a témoigné qu'il ignorait ce qu'il lui adviendrait s'il devait retourner au Vietnam. La demande de sursis qu'il a soumise à l'agent chargé du renvoi était fondée sur ce que j'appellerais des questions de procédure. Ainsi que le juge McKeown l'a écrit dans le jugement Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1307, au paragraphe 19, et j'abonde dans ce sens, l'agent chargé du renvoi est en droit de se fier sur ce que l'avocat du requérant juge être le facteur primordial justifiant le sursis. Le premier facteur qui a été cité à l'agent chargé du renvoi pour justifier le sursis était que si les avis de danger pour le public étaient annulés, M. Ty serait en mesure de demander le réexamen de son appel à la Section d'appel de l'immigration en demandant à celle-ci d'exercer son pouvoir discrétionnaire en equity. Le second facteur était qu'il n'y avait jamais eu ce qu'on avait appelé une [Traduction] « évaluation du risque en bonne et due forme » . Aucun élément de preuve convaincant n'a été invoqué au sujet des risques.


[28]            Les éléments de preuve soumis à la Cour pour le compte de M. Ty au sujet de la situation au Vietnam ne permettaient pas de conclure que les personnes se trouvant dans la même situation que lui risquent d'être torturées. Suivant les documents dont l'avocat de M. Ty a fait état dans son plaidoyer [Traduction] « les personnes qui retourneraient au Vietnam bénéficieraient d'un pardon complet pour avoir quitter le Vietnam illégalement, mais pourraient être poursuivies pour les crimes commis avant leur départ » . Cette explication concorde avec l'avis donné par les autorités de l'ambassade canadienne à Hanoï. Bien qu'on ait également cité à la Cour le Human Rights Watch Report de l'an 2000 dans lequel il est mentionné que des prisonniers non précisés incarcérés dans des prisons dont le nom n'a pas été indiqué ont fait état de [Traduction] « l'utilisation de chaînes, de cachots et de la torture » , les risques que M. Ty soit emprisonné étaient au mieux spéculatifs et avaient été pleinement examinés avant l'évaluation du risque.

[29]            Pour ces motifs, je ne suis pas convaincue qu'une question sérieuse a été soulevée.

[30]            Il découle de l'analyse qui précède que M. Ty n'a pas non plus réussi à démontrer qu'il risque de subir un préjudice irréparable.

[31]            La requête en sursis d'exécution est par conséquent rejetée.

                                                                                                                                  « Eleanor R. Dawson »     

                                                                                                                                                                 Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 8 mai 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :          IMM-1742-02

INTITULÉ:              CHIEN QUYET TY c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : 19 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :      8 mai 2002

COMPARUTIONS:

Darryl W. LarsonPOUR LE DEMANDEUR

Helen ParkPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Darryl W. LarsonPOUR LE DEMANDEUR

LARSON BOULTON SOHN STOCKHOLDER

Avocats

Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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