Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050512

Dossier : IMM-3758-04

Référence : 2005 CF 663

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

MAINAH MAZHANDU

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         La demanderesse, Mme Mainah Mazhandu, est une citoyenne du Zimbabwe qui a obtenu le statut de réfugiée au Canada en juin 2002. En septembre 2002, elle a présenté une demande de résidence permanente qui incluait sa fille, à titre de « membre de la famille qui l'accompagne » . Après avoir présenté la demande, la demanderesse a rencontré puis a épousé, le 31 mai 2003, Kwabena Koranteng, un citoyen du Ghana et un demandeur d'asile débouté au Canada. En janvier 2004, la demanderesse a tenté de modifier sa demande de manière à inclure son époux à titre de membre de la famille qui l'accompagne. Cette demande a été rejetée dans une lettre datée du 16 mars 2004. La raison donnée par l'agent d'immigration était que la demande devait comporter les noms des membres de la famille au moment de sa présentation initiale, comme le prévoit l'alinéa 10(2)a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]         La Cour doit déterminer s'il est interdit à la demanderesse, en vertu de l'alinéa 10(2)a) du Règlement ou pour un autre motif, de modifier sa demande de résidence permanente afin d'y inclure un autre membre de sa famille.

[3]         La question à trancher en est une d'interprétation législative. Par conséquent, la norme de contrôle qui s'applique est celle de la décision correcte.

Dispositions législatives

[4]         Il faut en toute logique commencer par examiner les dispositions législatives pertinentes.

[5]         La demanderesse, à titre de demanderesse d'asile accueillie, est visée par le paragraphe 21(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 (LIPR), qui prévoit :


(2) ¼ ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre - sauf dans le cas d'une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d'une catégorie réglementaire - dont l'agent constate qu'elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu'elle n'est pas interdite de territoire pour l'un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

(2) . . . a person whose application for protection has been finally determined by the Board to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, . . . becomes . . . a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection 36(1) or section 37 or 38.

[6]         La forme de la demande à soumettre est décrite à l'article 10 du Règlement. Les exigences énoncées aux paragraphes 10(1) et (2) ont trait au type de renseignements demandés, tels que les noms et adresses, et au paiement des droits applicables. La liste au paragraphe 10(2) est assez longue et détaillée. Point particulièrement pertinent, l'alinéa 10(2)a) prévoit que la demande doit comporter « les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d'immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l'accompagnent ou non » (non souligné dans l'original). En vertu de l'alinéa 10(2)d), la demande doit également comporter une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets.

[7]         Le paragraphe 10(3) du Règlement précise que la demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l'accompagnent.

[8]         Pour plus de détails sur le processus applicable aux réfugiés au sens de la Convention, il convient d'examiner la Section 5 -Personne protégée : résidence permanente du Règlement. Le délai est précisé au paragraphe 175(1) du Règlement. Cette disposition prévoit :


175. (1) Pour l'application du paragraphe 21(2) de la Loi, la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent doit être reçue par le ministère dans les cent quatre-vingts jours suivant la décision de la Commission ou celle du ministre visées à ce paragraphe.

175. (1) For the purposes of subsection 21(2) of the Act, an application to remain in Canada as a permanent resident must be received by the Department within 180 days after the determination by the Board, or the decision of the Minister, referred to in that subsection.

[9]         Les dispositions concernant les membres de la famille sont exposées à l'article 176 :

176. (1) Membre de la famille - La demande de séjour au Canada à titre de résident permanent peut viser, outre le demandeur, tout membre de sa famille.

(2) Délai d'un an - Le membre de la famille d'un demandeur visé par la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent de ce dernier et qui se trouve hors du Canada au moment où la demande est présentée obtient un visa de résident permanent si :

a)       d'une part, il présente une demande à un agent qui se trouve hors du Canada dans un délai d'un an suivant le jour où le demandeur est devenu résident permanent;

b)      d'autre part, il n'est pas interdit de territoire pour l'un des motifs visés au paragraphe (3).

(3) Interdiction de territoire - Le membre de la famille qui est interdit de territoire pour l'un des motifs visés au paragraphe 21(2) de la Loi ne peut obtenir de visa de résident permanent ou devenir résident permanent.

176. (1) Family Members -- An applicant may include in their application to remain in Canada as a permanent resident any of their family members.

(2) One-year time limit -- A family member who is included in an application to remain in Canada as a permanent resident and who is outside Canada at the time the application is made shall be issued a permanent resident visa if

(a)     the family member makes an application outside Canada to an officer within one year after the day on which the applicant becomes a permanent resident; and

(b)     the family member is not inadmissible on the grounds referred to in subsection (3).

(3) Inadmissibility -- A family member who is inadmissible on any of the grounds referred to in subsection 21(2) of the Act shall not be issued a permanent resident visa and shall not become a permanent resident.

[10]       Le régime qui est établi prévoit que la personne qui demande la résidence permanente et tous les membres de sa famille doivent faire l'objet d'un contrôle avant d'obtenir le statut de résident permanent.


Analyse

[11]       La question de savoir si la demanderesse peut modifier sa demande de manière à inclure son nouveau mari n'est pas abordée expressément dans le texte des dispositions législatives pertinentes. Il n'y a aucune disposition qui permet d'ajouter un membre de la famille, ni aucune disposition qui prive un demandeur de ce droit. Aucune des parties n'a invoqué des précédents se rapportant à cette question. Je dois donc partir des principes fondamentaux d'interprétation législative.

[12]       La démarche à suivre dans l'interprétation législative a été décrite par le juge Iacobucci qui a dit qu'il faut lire les termes des dispositions législatives dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S 27, paragraphe 21, citant Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983)).


[13]       Le cadre législatif impose un délai clair au demandeur. La demande de résidence permanente doit être présentée dans un délai de 180 jours. En l'espèce, la demanderesse a respecté ce délai. Si elle avait présenté sa demande après l'expiration du délai, elle ne pourrait invoquer les dispositions du paragraphe 22(2) de la LIPR parce que sa demande n'aurait pas été faite « en conformité avec les règlements » . Toutefois, la demande n'incluait et ne pouvait pas inclure son mari, car la demanderesse ne s'est mariée que douze mois après lchéance fixée dans le Règlement. Il s'agit de déterminer si les membres de la famille sont assujettis au même délai de 180 jours. Dans la négative, il aurait fallu permettre à la demanderesse de modifier sa demande afin d'inclure son nouveau mari. Si les membres de la famille qui s'ajoutent sont assujettis au délai, le mari de la demanderesse ne peut pas être inclus.

[14]       La demanderesse affirme qu'il n'est pas question dans la loi de la possibilité de modifier une demande et que je devrais donc interpréter la LIPR et le Règlement d'une manière qui permette les modifications. Je ne conviens pas avec la demanderesse que le Règlement est complètement muet à ce sujet. Bien qu'il n'y ait aucune disposition explicite dans la LIPR ou le Règlement qui permette ou qui interdise l'ajout de membres de la famille, la question est abordée indirectement d'une certaine façon. Comme cela est indiqué plus haut, le paragraphe 10(3) du Règlement prévoit que la demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l'accompagnent. Une interprétation possible et raisonnable de cette disposition est qu'il s'agit d'une disposition créant une présomption. Autrement dit, un membre de la famille est considéré comme un demandeur aux fins de la demande de résidence permanente parce que son nom est inscrit dans le formulaire. Si on examine la question de cette façon, la personne ajoutée, qui devient un « demandeur » du fait de son ajout au formulaire, doit également se conformer au délai de 180 jours.


[15]       Cette interprétation s'accorde avec la pratique de Citoyenneté et Immigration Canada (le ministère) exposée dans le guide intitulé « PP 4 Traitement des demandes du statut de résident permanent présentées au Canada par des personnes protégées » . Le paragraphe 9.4 (Recevabilitéde la demande des membres de la famille) précise que « des membres de leur famille peuvent être ajoutés à la demande pourvu que cet ajout soit fait avant l'expiration de la période réglementaire [...] » . Suivant la politique du ministère, il est possible de modifier la demande de manière à ajouter des membres de la famille jusqu l'expiration du délai de 180 jours. Bien que ce guide n'ait pas force de loi et ne puisse pas contredire une disposition législative expresse, il est utile pour l'interprétation avancée par le défendeur de souligner que le manuel n'est pas incompatible avec une interprétation raisonnable du Règlement.

[16]       Quand on interprète des dispositions législatives qui ne sont pas parfaitement claires, il convient de vérifier si l'une ou l'autre des interprétations possibles soulève des difficultés de principe. Pendant la plaidoirie, j'ai demandé à l'avocat du défendeur s'il y a avait une raison de principe qui sous-tendait le délai de 180 jours imposé par le ministère relativement à l'ajout de personnes. La seule raison qui lui est venue à l'esprit avait trait à des problèmes d'ordre opérationnel. Il faut examiner le dossier de tous les membres de la famille avant d'accorder le statut de résident permanent à une personne protégée. L'ajout de membres après le délai de 180 jours retarderait l'admission du demandeur pendant lvaluation de ces membres. Il se peut que, pendant cette période d'attente, les autorisations de sécurité et les attestations médicales cessent d'avoir effet, si bien qu'il faudrait recommencer. La demanderesse fait valoir que le choix de subir cette attente devrait lui appartenir et ne devrait pas constituer une raison de restreindre ses droits.


[17]       Bien que les problèmes d'ordre opérationnel ne constituent pas l'argument le plus convaincant pour restreindre l'ajout de membres de la famille, ils sont sans doute pertinents. La Cour reçoit fréquemment des demandes d'ordonnances de mandamus de la part de demandeurs frustrés qui désirent obtenir une décision du ministère dans un délai raisonnable. L'ajout de membres de la famille une fois amorcé le processus d'approbation aurait certainement pour effet de ralentir ce processus. Non seulement faudrait-il plus de temps pour mener à bien le traitement de la demande de la demanderesse, mais tous les futurs demandeurs du statut de résident permanent pourraient subir des conséquences parce que les ressources du ministère seraient consacrées au réexamen de demandeurs dont les attestations ne sont plus valides à la suite de l'ajout de nouveaux membres de la famille. Les agents d'immigration consacreraient de nombreuses heures à refaire des vérifications. Ainsi, bien que je puisse convenir que la demanderesse devrait pouvoir décider d'allonger ou non le processus plus long ou de le rendre plus complexe, je souligne également que son choix aurait vraisemblablement des effets sur le niveau de service assuré à l'ensemble des demandeurs. Je signale qu'un des objectifs de la LIPR est d'atteindre les objectifs fixés pour l'immigration par la prise de normes uniformes et l'application d'un traitement efficace (alinéa 3(1)f)). L'interprétation prônée par la demanderesse aurait sans doute pour effet d'allonger le délai de traitement pour la demanderesse et, vraisemblablement, d'allonger les délais de traitement en général.


[18]       La demanderesse affirme que le formulaire de demande - Partie M, Autre déclaration - prévoit la possibilité de modifications à la demande. Dans cette partie du formulaire, la demanderesse déclare que « si mes réponses aux questions du présent formulaire devaient être modifiées avant que me soit accordé le statut de résident permanent, je signalerai les changements nécessaires à Citoyenneté et Immigration Canada » . À mon avis, il y a une différence importante entre modifier un formulaire pour changer des renseignements fournis précédemment et modifier un formulaire pour ajouter un membre de la famille qui deviendrait par la suite un résident permanent du fait de la situation du demandeur initial. Quoi qu'il en soit, cette disposition dans la partie « Autre déclaration » a trait aux « questions du présent formulaire » qui sont énoncées à la partie L du formulaire, et non à la section B du formulaire où le demandeur donne la liste des membres de sa famille au Canada et précise s'ils sont visés dans la demande.

[19]       Un autre point à examiner en l'espèce est celui de savoir s'il serait interdit au mari de la demanderesse de présenter à partir du Canada une demande de statut de résident permanent. À titre de demandeur d'asile débouté, il ne peut plus emprunter cette voie pour obtenir l'admission au Canada. Toutefois, l'impossibilité pour la demanderesse d'ajouter son mari dans sa demande n'exclut pas qu'il puisse devenir résident permanent. Une fois acceptée à titre de résidente permanente, la demanderesse peut présenter une demande en vue de parrainer son mari. De plus, en vertu de l'article 25 de la LIPR, son mari peut présenter à partir du Canada une demande de résidence fondée sur des considérations d'ordre humanitaire. Le mari de la demanderesse dispose de ces solutions de rechange pour demander la résidence permanente au Canada, et celles-ci n'auraient pas pour effet de perturber le processus amorcé pour la demanderesse et sa fille ou les opérations du ministère. Ainsi, l'un des objectifs énoncés de la LIPR, soit la réunification des familles (LIPR alinéa 3(1)d)), peut être atteint grâce à ces solutions de rechange.

[20]       Pour conclure, je crois que l'interprétation préférable de ces dispositions législatives est que tous les membres de la famille doivent être inclus dans la demande de résidence permanente d'un demandeur ou être inclus dans les 180 jours qui suivent la détermination du statut de réfugié. En résumé, cette interprétation :

_     donne effet à l'ensemble de la loi;


_     est raisonnable sur le plan des principes;

_     ne va pas à l'encontre de l'objectif énoncé dans la LIPR de veiller à la réunification des familles au Canada, étant donné que le mari de la demanderesse dispose de deux autres moyens de devenir résident permanent du Canada.

[21]       Pour ces motifs, je conclus que la décision de l'agent d'immigration était correcte et que la présente demande devrait être rejetée.

[22]       Étant donné que la présente question n'a pas fait auparavant l'objet d'une décision de la Cour, chacune des parties a proposé une question à certifier. Cette question est la suivante :

La demande de résidence permanente présentée au Canada par une personne protégée peut-elle être modifiée afin d'inclure des membres de sa famille plus de 180 jours après que la qualité de personne protégée lui a été reconnue en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés?

[23]       J'estime que cette question satisfait aux critères établis pour la certification. Elle est déterminante pour la demande qui m'est présentée et elle est de portée générale. Je vais certifier la question.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.       La demande est rejetée.

2.       La question suivante est certifiée :

La demande de résidence permanente présentée au Canada par une personne protégée peut-elle être modifiée afin d'inclure des membres de sa famille plus de 180 jours après que la qualité de personne protégée lui a été reconnue en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés?

         « Judith A. Snider »          

          Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL. B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                            IMM-3758-04

INTITULÉ:                                                                             MAINAH MAZHANDU c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                   LE 3 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                           LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 12 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Yiadom Atuobi-Danso                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Ian Hicks                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Yiadom A. Atuobi Danso                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.