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Dossier : T-921-17

Référence : 2020 CF 596

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2020

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ROVI GUIDES, INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

VIDÉOTRON LTÉE

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  L’instruction de l’action en contrefaçon de brevet intentée par la demanderesse, Rovi Guides, Inc. [Rovi], contre la défenderesse, Vidéotron Ltée [Vidéotron] et la demande reconventionnelle de Vidéotron, ont commencé devant la Cour fédérale à Toronto, en Ontario, le 9 mars 2020.

[2]  L’audience s’est déroulée sous forme d’instruction électronique, dans le cadre de laquelle pratiquement tous les documents sur lesquels se sont appuyées les parties étaient stockés dans une base de données gérée par l’agent du greffe et pouvaient être affichés sur des écrans dans la salle d’audience.

[3]  Vingt jours ont été réservés pour le volet probatoire de l’instruction, et deux jours ont été réservés pour l’argumentation. Toutefois, après quatre jours de témoignage, les parties ont demandé d’urgence que le procès soit ajourné étant donné les mesures mises en place par les responsables de la santé publique pour freiner la propagation du nouveau coronavirus [COVID‑19] et les problèmes de disponibilité des témoins qui en résultent.

[4]  L’instruction a été ajournée et la reprise a provisoirement été fixée au 6 avril 2020. Ce plan a été remplacé presque immédiatement par la Directive sur la procédure et ordonnance émise par le juge en chef le 13 mars 2020, qui ajourne indéfiniment toutes les audiences et instructions prévues.

[5]  Au cours des semaines suivantes, les parties ont été consultées sur la possibilité de reprendre l’instruction en personne ou à distance par vidéoconférence. Bien que les parties indiquent maintenant que les avocats et les témoins sont disponibles pour l’instruction, Vidéotron s’oppose à ce que celle‑ci se déroule sans que ses témoins de fait comparaissent en personne devant le juge de première instance, comme cela a été le cas avec les témoins de Rovi. Vidéotron exprime également des préoccupations concernant la sécurité de la plateforme Zoom proposée.

[6]  Les questions à trancher consistent à déterminer si les dates d’instruction doivent être fixées en ce moment compte tenu de l’objection soulevée par Vidéotron et si la préoccupation de Vidéotron concernant la sécurité de la plateforme Zoom est bien fondée.

I.  Contexte

[7]  Par ordonnance datée du 7 novembre 2018, l’instruction devait initialement avoir lieu à Toronto le 3 février 2020.

[8]  Le 7 janvier 2019, la protonotaire Mandy Aylen a tenu une conférence de gestion de l’instance afin d’examiner une demande visant à fixer de nouvelles dates d’instruction, ainsi qu’une instruction conjointe dans deux autres instances introduites par Rovi et TiVo Solutions Inc. contre Bell Canada, Telus Corporation et d’autres (T-113-18 et T-206-18). Les parties ont proposé que les deux audiences se déroulent en tandem et que le même juge préside les deux instructions. Les parties ont également demandé que le juge d’instance attende la fin de la deuxième instruction avant de rendre sa décision dans la première instance.

[9]  Par des ordonnances datées du 11 janvier 2019, la protonotaire Aylen a reporté l’instruction de la présente affaire au 9 mars 2020 de même que l’instruction conjointe des dossiers T-113-18 et T-206-18 au 25 mai 2020.

[10]  L’instruction en l’espèce a commencé comme prévu le 9 mars 2020 à Toronto. La première semaine, la Cour a entendu trois témoins de faits de Rovi.

[11]  À la fin de la première semaine, les avocats de Rovi ont indiqué que certains témoins résidant aux États‑Unis n’étaient pas disposés à se présenter ni en mesure de le faire, étant donné les restrictions de voyage imposées par les gouvernements du Canada et des États-Unis et leurs employeurs. Les avocats de Vidéotron ont également indiqué qu’ils éprouvaient des difficultés à mettre une installation de vidéoconférence à la disposition d’un témoin et qu’il existait une incertitude quant à la capacité des témoins de Vidéotron d’être présents à l’instruction.

[12]  À la suite d’une conférence de gestion de l’instruction tenue le 2 avril 2020 en présence des avocats des parties, les avocats de Vidéotron ont présenté une lettre datée du 15 avril 2020 concernant leur proposition et leurs préférences en vue de la reprise de l’instruction, dans laquelle ils déclarent ce qui suit :

[TRADUCTION]

[13]  Une autre conférence sur la gestion de l’instruction a eu lieu le 22 avril 2020. Les avocats des parties ont indiqué qu’il faudrait 15 jours pour terminer l’examen de la preuve. La Cour a proposé que l’instruction se déroule en personne, dans la mesure du possible, ou qu’elle reprenne à l’aide de la plateforme Zoom, et que les documents continuent d’être communiqués à la Cour, aux avocats et aux témoins à l’aide de la Trousse de procès électroniques (par l’intermédiaire de FileMaker Pro).

[14]  Les avocats ont convenu, sous réserve de remanier leur horaire et de confirmer la disponibilité des témoins, qu’ils seraient prêts à poursuivre l’instruction conformément à la proposition de la Cour : du 25 au 29 mai, du 8 au 12 juin et du 15 au 19 juin 2020. Les avocats de Vidéotron ont réitéré que leur cliente n’a pas consenti à ce que l’instruction se déroule sous forme virtuelle ou hybride si la situation en santé publique ne permettait pas à ses témoins de fait de Montréal de se présenter en personne.

[15]  Le 29 avril 2020, les avocats de Rovi ont écrit pour confirmer que leurs témoins étaient disponibles pour une instruction à compter du 25 mai 2020 et qu’ils travaillaient à l’élaboration d’un calendrier d’instruction pour les autres témoins. Le même jour, les avocats de Vidéotron ont présenté une lettre indiquant à nouveau qu’ils n’acceptaient pas de poursuivre l’instruction si leurs témoins de fait ne pouvaient pas se présenter en personne.

[traduction]

Tel qu’il est indiqué dans notre lettre du 15 avril et réitéré lors de la conférence téléphonique de la semaine dernière, Vidéotron s’oppose à l’instruction de l’instance sans qu’au moins ses témoins de fait comparaissent en personne devant le juge de première instance, comme cela a été fait avec les témoins de la demanderesse. Par conséquent, Vidéotron ne consent pas à la mise au rôle de l’audience sous forme virtuelle ou hybride si la situation de santé publique ne permet pas à ses témoins de fait de Montréal de se présenter en personne.

L’accord de Vidéotron sur le calendrier d’instruction proposé est donc fondé sur le fait que la Cour ordonne que l’affaire soit instruite à ces dates même si l’état d’urgence et les restrictions relatives à la pandémie interdisent ou rendent impraticable la présence des témoins de fait de Vidéotron en personne.

Un autre problème soulevé par Vidéotron Ltd. est que la plateforme Zoom est connue pour être non sécurisée. Comme la Cour le sait, des documents commerciaux et financiers de nature délicate seront présentés à titre de pièces et mentionnés à l’audience. Comme il en a été question la semaine dernière, il est possible que la plateforme Microsoft Teams constitue une solution de rechange acceptable à Zoom.

II.  Analyse

[16]  Il est important de souligner dès le départ que Vidéotron n’a soulevé que deux préoccupations concernant la reprise de l’instruction. Vidéotron ne remet pas en question le fait que la façon traditionnelle de tenir des audiences n’est tout simplement pas possible pour le moment. Elle ne laisse pas non plus entendre que l’interrogatoire des témoins à distance est inacceptable ou que la gestion des documents dans une salle d’audience virtuelle est impraticable.

A.  La question de savoir si la Cour doit reporter l’instruction jusqu’à ce que les témoins de Vidéotron soient en mesure de comparaître en personne

[17]  La première objection concerne ce que Vidéotron perçoit comme un traitement inégal. Vidéotron soutient qu’il serait injuste sur le plan procédural de lui refuser le droit de convoquer ses témoins de la même manière que celle dont a bénéficié Rovi pendant la première semaine d’instruction. Elle est d’avis que l’instruction ne devrait pas reprendre tant et aussi longtemps que les témoins ne sont pas en mesure de témoigner en personne devant le juge de première instance. Pour les raisons suivantes, je ne suis pas d’accord.

[18]  L’article 32 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’ordonner qu’une audience « soit tenue en tout ou en partie par voie de conférence téléphonique ou de vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ». Le caractère approprié de l’instance par vidéoconférence dépendra des circonstances particulières propres à chaque cas. La Cour doit soupeser le préjudice relatif qui peut être causé à l’une ou l’autre des parties si une audience à distance est ordonnée par rapport au principe général énoncé à l’article 3 des Règles, qui exige que les questions soient tranchées sur le fond de la manière la plus expéditive possible. 

[19]  En l’espèce, il y a maintenant deux mois que les témoins de Rovi ont témoigné. Par conséquent, leur témoignage ne sera certainement pas nouveau dans l’esprit de la Cour à la reprise de l’instruction. Compte tenu des circonstances, dans la mesure où Rovi a pu avoir un avantage en faisant témoigner trois de ses témoins en personne, cet avantage a été perdu avec le temps.

[20]  Bien que le témoignage de vive voix doive généralement être livré en audience publique et que la présence en personne soit la règle et généralement préférable, il ne s’ensuit pas nécessairement que la capacité de la Cour d’évaluer la crédibilité d’un témoin ou que l’efficacité des avocats dans l’interrogatoire du témoin sera ou pourrait être compromise par la vidéoconférence. 

[21]  Jusqu’à ce qu’un vaccin contre la COVID‑19 soit accessible au Canada, ou jusqu’à ce que les responsables de la santé publique lèvent les ordonnances de confinement et assouplissent les restrictions afin de permettre aux gens de se déplacer en toute sécurité, de se réunir et de retourner au travail, les audiences de la Cour fédérale devront être tenues à distance à l’aide de la technologie appropriée et disponible. Étant donné que les installations de la Cour demeureront fermées dans un avenir prévisible, l’opposition de Vidéotron doit être rejetée puisqu’elle retarderait indéfiniment l’instruction.

B.  La question de savoir si l’instruction doit reprendre à l’aide des plateformes Zoom ou Microsoft Teams

[22]  Vidéotron a également exprimé des préoccupations concernant le choix de Zoom pour la tenue de l’audience à distance puisque la plateforme est connue pour être non sécurisée. Vidéotron indique que si l’instruction devait reprendre à distance, Microsoft Teams pourrait être une solution de rechange acceptable.

[23]  La Cour doit encore se prononcer sur la plateforme qui sera utilisée au procès. En l’espèce, il est particulièrement important de veiller à ce que cette plateforme soit sécurisée puisque des documents commerciaux et financiers de nature délicate ont été et seront présentés à titre de pièces et mentionnés à l’audience. Au cours des derniers mois, une myriade de problèmes ont été relevés relativement à l’utilisation de Zoom, en particulier du point de vue de la protection des renseignements personnels et de la sécurité. Bien que Zoom soit tout sauf une plateforme parfaite, la grande majorité des problèmes ont été corrigés par Zoom. Le Comité de la technologie de la Cour fédérale continue de surveiller la sécurité de cette plateforme et d’autres afin de s’assurer qu’à l’avenir, la meilleure technologie sera utilisée pour les audiences à distance.

[24]  Les parties ont déjà utilisé efficacement la Trousse de procès électroniques au cours de la première semaine de procès, et la Cour est convaincue qu’il est pratique de continuer à utiliser cette technologie. Ce programme assure la confidentialité des documents les plus délicats des parties, à mesure que les documents sont sauvegardés et récupérés sur les serveurs de la Cour.

[25]  Lors de la première semaine d’instruction, qui était ouverte au public, les parties ont également convenu de certains protocoles pour protéger davantage les renseignements confidentiels. Il arrive parfois que l’on fasse référence au numéro de page et à l’information figurant dans le document sans afficher ni mentionner expressément les détails en audience publique. À d’autres moments, la Cour a ordonné que les renseignements confidentiels soient examinés à huis clos. Ces protocoles peuvent continuer d’être appliqués à l’aide des fonctions offertes par les plateformes en ligne, comme « les salles d’atelier » de Zoom dans lesquelles la Cour, les avocats et les témoins peuvent participer à une audience virtuelle tenue à huis clos.

III.  Conclusion

[26]  La Cour demeure ouverte au réexamen de la présente ordonnance si les autorités de santé publique compétentes reconnaissent que le risque de contracter et de propager la COVID‑19 est passé ou minimisé à un degré acceptable.

[27]  D’ici là, je ne peux faire mieux que de répéter les paroles du juge Nye Perram de la Cour fédérale d’Australie dans Capic v Ford Motor Company of Australia Limited (Adjournment) [2020] FCA 486, au paragraphe 25 :

[traduction]

[...] nous sommes entrés dans une période où beaucoup de choses qui nous entourent sont et continueront d’être insatisfaisantes. Je pense que nous devons faire de notre mieux pour que cette instruction fonctionne. Si cela devient impossible, on peut l’ajourner, mais nous devons à tout le moins essayer.

[28]  Enfin, Rovi a récemment soulevé une question concernant la mise au rôle de la plaidoirie dans cette affaire. Les parties avaient convenu, lors de la conférence de gestion de l’instruction tenue le 22 avril 2020, que les plaidoyers finaux se tiendraient à l’automne afin de donner plus de temps pour la préparation des documents écrits et pour coordonner le calendrier des audiences avec les avocats dans le cadre des instances mettant en cause Bell et Telus. Après avoir examiné les observations des parties, je ne suis pas convaincu que Rovi ait présenté une raison valable faisant en sorte que la Cour réexamine la question. La Cour entendra les plaidoyers une fois que le volet probatoire de l’instruction dans les dossiers T-113-18 et T-206-18 sera terminé, à des dates qui seront fixées par la Cour.




 

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