Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20051130

Dossier : IMM‑10043‑04

Référence : 2005 CF 1618

 

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

OSCAR OMAR MARTINEZ ROSALES,

SUYAPA ASUNCION GALINDO DE MARTINEZ,

OMAR JOSUE MARTINEZ GALINDO, INDIRA PATRICIA MARTINEZ GALINDO,

GABRIELA CECILA MARTINEZ GALINDO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 9 novembre 2004, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’il existe pour eux au Honduras une protection de l’État adéquate.

 

LES FAITS

 

[2]               Les demandeurs, un père, une mère et trois enfants, sont citoyens du Honduras. Le demandeur principal, M. Martinez Rosales, prétend craindre avec raison d’être persécuté par des personnes associées à Jorge Medrano qui tueraient ou blesseraient physiquement sa famille s’ils retournaient au Honduras. Les demandes des autres demandeurs sont fondées sur la demande d’asile de M. Martinez Rosales.

 

[3]               Le 25 décembre 2002, le demandeur est arrivé chez lui et a empêché Jorge Medrano d’agresser sexuellement sa fille Gabriela. Le demandeur a « battu » Medrano, qui était à cette époque le petit ami de sa fille. À la suite de cet incident, le père de Medrano a juré de se venger du demandeur et le demandeur pense qu’il a engagé des criminels pour y arriver. Notamment, le demandeur prétend ce qui suit :

i.          à deux reprises, Medrano et son père se sont rendus au lieu de travail du demandeur et l’ont menacé de lui infliger des blessures corporelles;

 

ii.          le demandeur et sa fille ont reçu tous deux des appels téléphoniques de menaces au travail et à la maison;

 

iii.         Medrano a fait savoir qu’il ne permettrait pas à la fille du demandeur d’avoir un autre petit ami;

 

iv.         le 6 janvier 2003, quatre hommes ont tiré sur la maison du demandeur à partir du véhicule dans lequel ils se trouvaient;

 

v.                   le 10 mai 2003, des agresseurs se trouvant dans un véhicule ont tiré des coups de feu sur le véhicule du demandeur alors qu’il roulait sur une autoroute.

 

 

[4]               Le demandeur craignait pour la sécurité de sa famille et il a obtenu des visas de visiteur canadiens. Par la suite, les demandeurs sont arrivés au Canada et ils ont demandé l’asile.

 

LA DÉCISION

 

[5]               La Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur parce qu’il existe pour lui au Honduras une protection de l’État adéquate. La formation estimait que le témoignage du demandeur était digne de foi, mais elle a jugé qu’il n’avait pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État parce qu’il n’avait jamais demandé la protection de la police. La Commission a conclu que le demandeur ne pouvait demander une protection internationale qu’après avoir d’abord demandé une protection nationale au Honduras.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[6]               La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs avaient à leur disposition au Honduras la protection de l’État.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[7]               La norme de contrôle d’une décision de la Commission à l’égard de la protection de l’État est la décision raisonnable simpliciter. (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58, au paragraphe 11, Mme la juge Layden‑Stevenson.) En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il appartient au demandeur de fournir une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État selon la prépondérance des probabilités. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50, M. le juge LaForest.)

 

[8]               Comme Mme la juge Eleanor Dawson a déclaré dans la décision Maszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1329, aux paragraphes 7 et 8, la Commission, pour tirer une conclusion à l’égard de la protection de l’État, doit tirer certaines conclusions de fait qui peuvent être écartées si elles sont manifestement déraisonnables (c’est‑à‑dire abusives, arbitraires ou tirées sans tenir compte des éléments dont la Commission dispose). Puis, ces conclusions doivent être appréciées en fonction du critère juridique relatif à la protection de l’État, qui est une question mixte de fait et de droit révisable suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter. Par conséquent, la Cour doit séparer le contrôle en deux parties.

 

ANALYSE

 

Partie 1 :         La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable à l’égard du caractère adéquat de la protection de l’État?

 

[9]               La Cour ne procédera pas à une nouvelle appréciation du bien‑fondé de la conclusion de fait tirée par la Commission. La Cour interviendra lorsque de telles conclusions sont manifestement déraisonnables, mais elle ne modifiera pas des conclusions raisonnables qu’elle aurait pu tirer de façon différente. (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, aux paragraphes 4 et 5; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Le demandeur prétend que la Commission a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables sur lesquelles elle s’est fondée pour conclure qu’il existait une protection de l’État adéquate. En particulier, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en :

(a)        omettant de tenir compte d’éléments de preuve documentaire qui corroborent la prétention du demandeur selon laquelle la protection de l’État, s’il la demandait, ne serait pas disponible;

 

(b)        omettant de tenir compte du témoignage de la fille du demandeur selon lequel elle avait personnellement eu connaissance de cas où le système de justice hondurien n’avait pas protégé des femmes contre la violence;

 

(c)        interprétant erronément le témoignage du demandeur selon lequel il est possible au Honduras d’engager le gang criminel Maras pour tuer ou pour exercer des représailles impunément.

 

 

 

(a)        La preuve documentaire

 

[10]           La formation a conclu que la preuve documentaire mentionne que le gouvernement du Honduras a pris des mesures sérieuses et efficaces pour freiner la violence contre les femmes et la violence familiale. Elle a mentionné de la preuve établissant que le gouvernement national a tenté de mettre en œuvre sa propre loi contre la violence familiale en 1997 et de réduire les crimes commis contre les femmes. Le demandeur prétend que la Commission n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve lorsqu’elle a conclu à l’existence de la protection de l’État. Il prétend en outre que l’aide de l’État n’aurait pas été disponible et que c’est la raison pour laquelle il n’a pas demandé la protection de la police au Honduras.

 

[11]           La Commission est présumée avoir apprécié et pris en compte toute la preuve dont elle dispose, à moins que le contraire soit démontré (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1 (C.A.F.)). La formation n’a pas à mentionner chaque détail de la preuve dans ses motifs, dans la mesure où elle a pris en compte l’ensemble de la preuve (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). Cependant, la Commission doit mentionner les éléments de preuve importants, pertinents et contradictoires et énoncer les distinctions entre ces éléments, sinon la Cour tiendra pour acquis que tels éléments de preuve n’ont pas été pris en compte. Voir la décision Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 20 Imm. L.R. (2d) 296 (C.F. 1re inst.)), et la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17.

 

[12]           La Cour a examiné les documents dont disposait la Commission et elle conclut que la formation n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve contradictoires et qu’il n’était pas déraisonnable qu’elle décide que ces documents étayaient une conclusion selon laquelle il existait pour le demandeur au Honduras, selon la prépondérance des probabilités, une protection de l’État. Les motifs de la formation énoncés aux pages 3 et 4 mentionnent des éléments de preuve corroborant la demande du demandeur et on ne peut pas dire que la Commission a omis de prendre en compte de tels éléments pour en arriver à sa décision :

[…] Le conseil a cité des références de la trousse documentaire selon lesquelles les femmes sont victimes d’un niveau de violence élevé au Honduras, et qu’il y a des éléments de preuve de corruption au sein de la police. Un document indique que le gouvernement a dû renvoyer jusqu’à 300 policiers pour inconduite.

 

(b)        Le témoignage de vive voix

[13]           Le demandeur principal et sa fille ont expliqué tous deux qu’ils n’avaient pas signalé l’agression sexuelle à la police parce que cela n’aurait servi à rien. La Commission a de façon évidente pris en compte ces témoignages lorsqu’elle a déclaré ce qui suit à la page 3 de ses motifs :

Les demandeurs ont déclaré qu’ils n’avaient fait aucun effort pour demander de l’aide à la police ou aux autorités judiciaires du Honduras, parce qu’ils croyaient que leurs tentatives auraient été vaines. La fille a allégué que ni elle ni les membres de sa famille n’ont songé à cette option, car on n’aurait pas cru à son histoire. Les demandeurs allèguent que la police et les autorités du Honduras sont corrompues, et que la police elle‑même est très engagée dans sa lutte contre le gang bien connu, les « maras ».

 

 

(c)        La preuve interprétée erronément

[14]           La formation a conclu que le demandeur n’avait pas eu recours à la protection de l’État dans son pays, protection qui aurait été disponible s’il l’avait demandée. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en interprétant erronément son témoignage rendu lors de l’audience, témoignage qui donne à entendre qu’il existe au sein de la police de la corruption qui permet au gang Maras d’agir impunément. Le demandeur a témoigné que, étant donné que ces éléments criminels agissent sans que l’État intervienne, la protection de l’État ne serait pas disponible ou serait inefficace. La Cour, après avoir lu le dossier et les motifs de la Commission, n’est pas convaincue que la formation a interprété erronément la preuve. Par exemple, le rapport du Département d’État des États-Unis pour l’année 2003, à la page 124 du dossier, mentionne un incident du 5 avril 2003 au cours duquel les policiers ont tué 61 membres de gang. De façon évidente, la police tente de maîtriser les gangs. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau cette preuve, et le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la formation était manifestement déraisonnable à cet égard.

 

[15]           Le demandeur prétend que la Commission a mentionné trois notes en bas de page renvoyant à des éléments de preuve dont elle ne disposait pas. La Cour a examiné le dossier et est convaincue que la formation a mentionné cette preuve par erreur. Cependant, la preuve au dossier appuie de façon raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle le gouvernement du Honduras a fait des efforts sérieux pour mettre en œuvre la loi de 1997 en matière de violence familiale et pour punir des crimes commis contre des femmes. Le demandeur n’a pas démontré que ces conclusions étaient manifestement déraisonnables.

 

Partie 2 :         La conclusion de la Commission à l’égard de la protection de l’État

[16]           La décision de la Commission, puisqu’il n’a pas été démontré qu’elle s’appuyait sur quelque conclusion de fait manifestement déraisonnable ou sur des conclusions que la preuve au dossier n’étayait pas, résiste à un examen assez poussé quant à sa conclusion selon laquelle il existe au Honduras une protection de l’État adéquate que les demandeurs auraient dû demander avant de demander le statut de réfugié au Canada. Par conséquent, la Cour n’interviendra pas.

 

[17]           Les parties n’ont pas proposé une question de portée générale aux fins de la certification, et aucune telle question n’est certifiée.


 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM‑10043‑04

 

INTITULÉ :                                       OSCAR OMAR MARTINEZ ROSALES,

                                                            SUYAPA ASUNCION GALINDO DE MARTINEZ, OMAR JOSUE MARTINEZ GALINDO,

                                                            INDIRA PATRICIA MARTINEZ GALINDO, GABRIELA CECILA MARTINEZ GALINDO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Bordzky

Avocat

 

POUR LES DEMANDEURS

David Joseph

Ministère de la Justice

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Bordzky

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.