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Date : 20200327


Dossier : IMM‑3935‑19

Référence : 2020 CF 434

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ZUZETTE CALO SAN JUAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION, ÉGALEMENT APPELÉ LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse prie la Cour de contrôler trois décisions – une décision du 11 avril 2019 [la première décision], une décision du 8 mai 2019 [la deuxième décision] et une décision du 6 juin 2019 [la troisième décision] concernant sa demande de visa de résident permanent présentée au titre du Programme des aides familiaux résidants [le PAFR].

[2]  Dans ses décisions, l’agent des visas canadien [l’agent des visas] a rejeté la demande [traduction] « au motif que la demanderesse n’avait pas donné les renseignements et tous les éléments de preuve pertinents, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 ». Les décisions reposent sur l’hypothèse que de tels documents existent.

[3]  Mme San Juan, une citoyenne des Philippines, est venue au Canada en février 2011 à titre de travailleuse étrangère temporaire dans le cadre du PAFR. En mars 2013 ou vers cette date, elle a présenté une demande de visa de résident permanent et y a inscrit son époux, Vivencio San Juan, et leurs trois enfants aux Philippines à titre de membres de la famille qui l’accompagnaient.

[4]  En 2012, M. San Juan a été accusé d’avoir proféré de [traduction] « graves menaces » aux Philippines, en contravention de l’article 282 du code pénal révisé des Philippines. L’accusation a par la suite été rejetée. D’après les documents présentés dans le cadre de la demande, l’accusation criminelle avait été portée devant un tribunal de justice privée (la Cour métropolitaine), et non par la police devant un tribunal pénal. Il s’agissait donc d’une affaire privée. Les plaignants qui avaient accusé M. San Juan d’avoir proféré de graves menaces ne se sont pas présentés devant la Cour métropolitaine et, par conséquent, l’affaire a été présumée abandonnée.

[5]  Une copie de l’ordonnance du tribunal a été fournie à l’agent des visas, dans laquelle il était indiqué que l’affaire avait été rejetée provisoirement le 17 avril 2012, puis rejetée définitivement le 18 avril 2013.

[6]  La demanderesse a reçu trois demandes de documents distinctes en vue de l’évaluation de sa demande de visa, soit en mai 2014, en mai 2015 et en juin 2018. La plupart des documents demandés concernaient l’accusation de profération de graves menaces portée contre M. San Juan, y compris un certificat du Bureau national des enquêtes en lien avec l’accusation, une explication écrite de M. San Juan précisant les circonstances et les événements ayant mené à l’accusation, ainsi que tous les documents judiciaires se rapportant au dossier contre M. San Juan ou, s’il y a eu règlement, tous les documents extrajudiciaires s’y rapportant. La demande de juin 2018 ne visait pas les documents judiciaires ou extrajudiciaires.

[7]  Le 15 février 2019, la demanderesse a reçu un avis relatif à l’équité procédurale de la part de l’agent des visas, dans lequel il l’avisait qu’elle n’avait pas fourni tous les documents judiciaires ou extrajudiciaires pertinents en lien avec l’accusation portée contre M. San Juan.

[8]  L’agent des visas a rejeté à trois reprises la demande de visa de résident permanent de la demanderesse, de son époux et de leurs enfants. Les deux dernières décisions ont été rendues à la suite de deux demandes de réexamen présentées par un consultant en immigration que la demanderesse avait embauché après avoir reçu l’avis relatif à l’équité procédurale le 15 février 2019.

[9]  La première décision reposait sur le fait que la demanderesse n’avait pas fourni les éléments de preuve et documents demandés dans un délai de 30 jours suivant la réception de la lettre d’équité procédurale. La deuxième décision était fondée sur le fait que la demanderesse n’avait pas fourni [traduction] « tous les rapports de police, témoignages/affidavits/éléments de preuve écrits, ordonnances/jugements/documents judiciaires pertinents ayant trait à [l’]affaire ». Dans sa troisième décision, l’agent a confirmé le premier rejet, signalant qu’il avait examiné et pris en compte toutes les observations additionnelles exposées dans les deux lettres de réexamen et que la décision initiale de rejeter la demande demeurait inchangée.

[10]  À mon avis, la véritable question en l’espèce est celle de savoir si les décisions de l’agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas fourni les documents demandés concernant l’accusation criminelle portée contre son époux pour profération de graves menaces aux Philippines étaient raisonnables. Plus précisément, l’agent des visas lui a demandé de fournir le registre des arrestations et le document délivré par le barangay concernant l’accusation criminelle portée contre M. San Juan. Il semble que l’agent des visas ait exigé ces deux documents en raison du rapport d’un agent à Manille selon lequel, pour faciliter l’enquête préliminaire, les autorités délivrent toujours ces deux documents après le dépôt d’accusations criminelles.

[11]  La demanderesse s’appuie sur les règles de procédure pénale des Philippines. L’article 112 de ces règles, qui porte sur les enquêtes préliminaires, établit les entités qui sont habilitées à mener des enquêtes préliminaires. On retrouve notamment les juges des cours municipales de première instance et des cours de circuit municipales de première instance, mais pas les juges de la Cour métropolitaine, soit le tribunal ayant rendu l’ordonnance déclarant que la plainte contre M. San Juan avait été déposée par des particuliers et non par des autorités publiques et qu’elle avait été déposée directement auprès du tribunal. L’ordonnance indique aussi que les plaignants n’ont pas comparu et que, pour ce motif, l’affaire avait été rejetée.

[12]  La demanderesse fait valoir que le droit philippin n’exige pas que l’arrestation soit consignée dans le registre ni qu’un document soit délivré par le barangay dans une affaire privée intentée devant la Cour métropolitaine. Par conséquent, l’agent des visas demandait des renseignements qui n’existaient tout simplement pas.

[13]  Le défendeur soutient que les demandes de réexamen présentées par le consultant après les première et deuxième décisions n’abordaient pas la question sous-jacente qui est maintenant soulevée, à savoir l’absence de documents concernant les allégations criminelles.

[14]  Je souscris à l’avis du défendeur selon lequel les lettres de réexamen du 11 avril 2019 et du 18 avril 2019 n’abordaient pas directement la question de l’inexistence de ces documents. Toutefois, dans sa réponse à l’avis relatif à l’équité procédurale du 1er mars 2019, la demanderesse a dressé une liste de tous les documents démontrant que la plainte contre M. San Juan n’avait pas eu de suite et avait finalement été rejetée. La question de l’absence de documents a été abordée explicitement dans la deuxième lettre de réexamen du 26 mai 2019 :

[traduction]
Votre décision reposait sur la déclaration suivante :

Conformément aux lettres du 18 mai 2015, du 26 juin 2018 et du 15 février 2019, vous n’avez pas fourni les documents suivants :

Tous les rapports de police, témoignages/affidavits/éléments de preuve écrits, ordonnances/jugements/documents judiciaires pertinents ayant trait à votre affaire.

Malheureusement, nous n’avons aucun rapport de police à notre disposition, car l’affaire avait vraisemblablement été fabriquée et portée devant le tribunal. Il n’y a aucun rapport de police ou témoignage/affidavit/élément de preuve écrit au poste de police. L’affaire a été portée directement devant le tribunal de première instance et, pour étayer ce fait, nous avons joint une lettre du chef de police du bureau des dossiers judiciaires et des certificats de police dans laquelle il indique qu’il n’y a aucun dossier judiciaire au nom de cette personne depuis octobre 2010. De plus, les plaignants ne se sont jamais présentés aux audiences, comme l’indique la deuxième lettre ci‑jointe. Le tribunal a envoyé une mise en garde aux plaignants le 20 mars 2012 et, même après cette mise en garde, ils n’ont pas comparu à l’audience; par la suite, l’affaire a été rejetée provisoirement, puis rejetée définitivement. [Non souligné dans l’original, caractères gras dans l’original.]

[15]  La demande a été rejetée au motif que la demanderesse n’avait pas fourni les documents conformément au paragraphe 16(1) de la Loi. Aucune des trois décisions ne fait mention des documents présentés qui mènent à une conclusion contraire à celle tirée par l’agent des visas ni de l’argument selon lequel les documents demandés n’existent tout simplement pas.

[16]  Même si l’agent des visas est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve à sa disposition, l’arrêt Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425, au paragraphe 17, 157 FTR 35, nous enseigne que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » [citations omises].

[17]  En l’espèce, l’agent des visas n’a pas fait mention des éléments de preuve démontrant qu’il n’y a aucun dossier judiciaire et que le tribunal a rejeté l’accusation. À mon sens, il s’ensuit que sa décision de rejeter la demande était déraisonnable, car elle ne concorde pas avec la preuve dont il disposait.

[18]  La présente demande doit être accueillie et la demande de visa de résident permanent doit être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je rejette la demande d’adjudication des dépens présentée par la demanderesse en l’espèce; toutefois, compte tenu du laps de temps considérable qui s’est écoulé, la Cour presse le défendeur de mener à bien ce nouvel examen dans les meilleurs délais.

[19]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3935‑19

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3935‑19

 

INTITULÉ :

ZUZETTE CALO SAN JUAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 marS 2020

COMPARUTIONS :

Harry Virk

POUR La demanderesse

Brett L. Nash

POUr LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liberty Law Corporation

Avocats

Abbotsford (Colombie‑Britannique)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUr LE DÉFENDEUR

 

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