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Date : 20200504


Dossier : IMM-5715-18

Référence : 2020 CF 582

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MOHAMMAD HUSSAIN WARDAK

RAZIA WARDAK

ZEKRIA WARDAK

KHADIJA WARDAK

IBRAHIM WARDAK

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur principal, Mohammad Hussain Wardak [M. Wardak], demande l’annulation d’une décision rendue le 13 novembre 2018 par laquelle sa demande de permis de travail a été refusée [la décision]. La décision a été prise par un agent des visas de la section des visas de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Le contexte factuel

[3]  M. Wardak est un citoyen de l’Afghanistan. Il travaille comme chef cuisinier au restaurant Bukhara à Kaboul, en Afghanistan.

A.  L’étude d’impact sur le marché du travail

[4]  En avril 2018, l’employeur éventuel canadien de M. Wardak, Naan and Kabob Restaurant [Naan and Kabob], a présenté une demande d’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] dans le but d’embaucher M. Wardak comme chef de cuisine dans sa chaîne de restaurants afghans de la région du Grand Toronto. M. Wardak devait avoir un salaire de 55 000 $ par année, et il aurait droit à des primes et/ou à des augmentations de salaire conformément à la politique de l’entreprise. Il aurait également droit à une pension.

[5]  Selon la demande d’EIMT, M. Wardak avait 10 ans d’expérience en préparation de plats traditionnels afghans. En tant que chef cuisinier au restaurant Bukhara, il était responsable de la préparation de plats traditionnels afghans. Il était également responsable de la mise à jour et de l’amélioration des menus ainsi que, de façon générale, de la propreté et de l’organisation de l’aire de préparation des aliments. M. Wardak devait travailler aux établissements de Naan and Kabob de l’ensemble de la région du Grand Toronto, ainsi que de Markham, Scarborough et Mississauga, en Ontario.

[6]  La demande d’EIMT précisait que, dans ses fonctions précédentes, M. Wardak avait dispensé de la formation aux nouveaux employés et agi comme mentor auprès de ceux-ci et qu’il avait de l’expérience en matière de contrôle de la qualité et de la quantité des éléments figurant aux menus ainsi que de la gestion des opérations quotidiennes de cuisine. Selon Naan and Kabob, l’expérience de M. Wardak, particulièrement des plats traditionnels afghans et des kébabs, contribuerait grandement à la croissance et à la réussite de l’entreprise au Canada.

[7]  En juillet 2018, Emploi et Développement social Canada a approuvé la demande d’EIMT pour une période de deux ans.

B.  La demande de permis de travail

[8]  Le 22 octobre 2018, M. Wardak a présenté sa demande de permis de travail au bureau des visas à Abou Dhabi.

[9]  La demande de permis de travail comprenait, entre autres documents, une lettre d’appui de Naan and Kabob, une lettre de recommandation de la direction du restaurant Bukhara, le curriculum vitæ de M. Wardak et les relevés bancaires traduits de ce dernier.

[10]  Au même moment, l’épouse et les enfants de M. Wardak ont demandé un permis de travail ouvert pour l’épouse de M. Wardak, un permis d’études pour deux des enfants et un visa de résident temporaire pour l’enfant le plus jeune.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Le 13 novembre 2018, l’agent des visas a rejeté la demande de permis de travail de M. Wardak. Comme les demandes de la famille étaient liées à la demande de M. Wardak, elles ont également été rejetées.

[12]  Les motifs de la décision sont indiqués dans une liste de quatre pages contenant divers motifs possibles et comportant des cases à cocher, dont certaines ont été cochées, ainsi que dans une page tirée des notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC).

[13]  Les cases de haut niveau suivantes ont été marquées d’un « x » :

[traduction
Vous n’avez pas été en mesure de démontrer que vous répondiez adéquatement aux exigences de votre emploi éventuel.

Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de divers facteurs, notamment : liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence; perspectives d’emploi dans le pays de résidence; situation d’emploi actuelle; biens personnels et situation financière.

Je ne suis pas convaincu que vous ayez répondu véridiquement à toutes les questions, tel que l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Plus précisément, je ne suis pas convaincu que les renseignements suivants sont véridiques :

Question 2b) sur les antécédents.

[14]  L’agent des visas a inscrit dans les notes du SMGC que M. Wardak disposait d’une EIMT pour travailler comme chef de cuisine et qu’il a fourni une lettre de recommandation d’une page, datée de juillet 2018, indiquant qu’il travaillait au restaurant Bukhara Restaurant and Fast Food depuis novembre 2013.

[15]  L’agent des visas a souligné qu’il n’était pas clair qui avait signé la lettre de recommandation, car aucun nom n’était indiqué sous la signature. De plus, l’agent a déclaré que, selon le site Web du restaurant www.bukhara.af, il semble que le restaurant ait été fondé en 2015.

[16]  Le reste de l’analyse de l’agent des visas est consigné dans les notes du SMGC :

[traduction
La compétence en anglais est une des exigences de l’EIMT, mais les éléments de preuve à l’appui à cet égard sont insuffisants.

Le chef de famille doit être accompagné de son épouse et de tous les enfants.

Historique irrégulier du compte personnel : solde nul en juillet 2018 et tous les fonds déposés après cette date, preuve insuffisante pour les biens.

J’ai pris en considération des sujets comme l’emploi et la situation financière ainsi que la situation politique, économique et sécuritaire actuelle en Afghanistan, ainsi que le fait que toute la famille doit voyager et que les liens avec le pays d’origine ne sont pas (sic) semblent pas suffisamment solides, et il y aurait un incitatif à demeurer au Canada.

Je ne suis pas convaincu que les demandeurs seraient des visiteurs authentiques et qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La demande est rejetée.

(Ajout d’un espace entre les paragraphes pour plus de lisibilité)

IV.  Les dispositions législatives pertinentes

[17]  La LIPR exige qu’un étranger qui demande à entrer ou à demeurer au Canada fasse la preuve qu’il est titulaire du visa d’entrée approprié, selon les modalités prévues au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 [le RIPR].

[18]  Si l’entrée est demandée en vue d’obtenir la résidence temporaire, la LIPR exige également, outre le visa nécessaire et tout autre document requis par le RIPR, que la personne qui cherche à entrer démontre qu’elle va quitter le Canada au plus tard à la fin de la période de séjour autorisée : LIPR, à l’alinéa 20(1)b).

[19]  La délivrance de permis de travail est régie par la section 3 du RIPR. Les dispositions pertinentes sont les alinéas 200(1)b) et 200(3)a), qui énoncent les exigences applicables à l’obtention d’un permis de travail :

Délivrance du permis de travail

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

[ . . . ]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

[ . . . ]

Exceptions

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

Issuance of Work Permits

Work permits

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[ . . . ]

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[ . . . ]

Exceptions

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

V.  Les questions en litige

[20]  Lors de l’audition de la demande de contrôle, les demandeurs se sont limités à deux questions, à savoir que l’agent des visas (1) a écarté de façon déraisonnable la lettre de recommandation de l’employeur et (2) s’est opposé à tort à la demande de permis de travail en invoquant des relevés bancaires insuffisants, violant ainsi l’équité procédurale.

[21]  Les demandeurs ont soutenu que la mention du site Web du restaurant Bukhara par l’agent des visas était l’un des motifs pour lesquels l’analyse de la lettre de l’employeur par l’agent des visas était déraisonnable et démontrait un manquement à l’équité procédurale.

VI.  La norme de contrôle

[22]  Le refus d’une demande de permis de travail par un agent des visas à l’étranger est examiné selon la norme de la décision raisonnable : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894, aux paragraphes 15 et 16.

[23]  Dans le cas des questions d’équité procédurale, la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas. Pour établir si l’obligation d’équité procédurale a été respectée, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle, bien que le processus soit souvent décrit comme un contrôle selon la norme de la décision correcte. La question fondamentale à laquelle doit répondre une cour de révision est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique], au paragraphe 56.

[24]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée à l’égard des décisions administratives, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique aux faits en cause : Vavilov, au paragraphe 23.

[25]  La présomption ne s’applique pas à une question comportant un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale : Vavilov, au paragraphe 23.

[26]  Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[27]  Les conditions essentielles d’une décision raisonnable sont reformulées dans l’arrêt Vavilov : la décision doit être fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle […] qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » : Vavilov, au paragraphe 85.

[28]  Je juge que les parties n’ont pas à soumettre d’autres observations. Le résultat en l’espèce serait le même en vertu du cadre établi avant l’arrêt Vavilov dans l’arrêt Dunsmuir.

VII.  Analyse

[29]  Les parties sont fondamentalement en désaccord quant au fondement qui a motivé la décision de l’agent des visas.

[30]  M. Wardak affirme que la décision est fondée sur des conclusions ou des inférences quant à la crédibilité qui sont inéquitables sur le plan de la procédure. Il affirme qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas, mais, comme cela n’a pas été le cas, son droit à l’équité procédurale a été violé. Il ajoute que l’agent des visas a tiré plusieurs conclusions déraisonnables.

[31]  Le défendeur affirme que l’agent des visas a simplement conclu que les éléments de preuve présentés par M. Wardak étaient insuffisants. Il n’y a pas d’iniquité procédurale, parce que les préoccupations de M. Wardak découlent de son défaut de satisfaire aux exigences de la loi.

[32]  Le défendeur a souligné que l’agent des visas a expressément mentionné trois de ces manquements de M. Wardak, chacun étant considéré comme déterminant : 1) son défaut de fournir la preuve de sa compétence en anglais, qui était une exigence de l’emploi; 2) son défaut de démontrer que lui et sa famille quitteraient le Canada à la fin du séjour autorisé; 3) son défaut de répondre véridiquement à l’une des questions dans sa demande de permis de travail.

A.  La lettre d’emploi du restaurant Bukhara, le site Web et l’anglais de M. Wardak

[33]  M. Wardak soutient que la lettre du restaurant Bukhara traite à la fois de sa capacité de remplir les exigences du poste de chef de cuisine et du fait qu’il quittera le Canada à l’expiration de son permis de travail.

[34]  L’agent des visas a souligné qu’il était difficile d’établir qui avait signé la lettre du restaurant Bukhara, parce qu’aucun nom n’était indiqué sous la signature. M. Wardak soutient que la lettre répondait aux exigences prévues. Il ajoute qu’un nom en caractères d’imprimerie n’ajoute pas de crédibilité à une lettre, contrairement aux coordonnées, qui permettent de vérifier le contenu : Downer c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada), 2018 CF 45 [Downer], au paragraphe 63.

[35]  La Liste de contrôle des documents pour un permis de travail (à l’extérieur du Canada) est le formulaire IMM­5488. Il s’agit d’un document de deux pages comportant des cases à cocher qui aide les demandeurs à remplir les documents nécessaires à joindre à leur demande de permis de travail. À la dernière case à cocher, à la dernière page du document, il est question de « [t]out document additionnel requis par le bureau des visas responsable de votre région. Remarque : Veuillez consulter les directives propres au bureau des visas responsable de votre région. » Abou Dhabi est la région qui couvre les candidats de l’Afghanistan. Elle a un document de directives distinct pour les permis de travail.

[36]  Le document de directives sur les permis de travail du bureau des visas d’Abou Dhabi contient une liste de contrôle pour les permis de travail. Cette dernière précise expressément qu’elle s’ajoute à la liste de contrôle IMM­5488 F et que certains documents doivent être fournis, le cas échéant. Dans le cas des lettres de recommandation d’emploi, provenant d’employeurs antérieurs ou actuels, il est précisé qu’elles doivent être produites sur du papier à en-tête officiel de l’entreprise et indiquer :

-  l’expérience de travail dans une profession liée à la profession que vous comptez exercer au Canada;

-  les périodes d’emploi;

-  le type d’emploi (permanent à temps plein, permanent à temps partiel, temporaire à temps plein ou temporaire à temps partiel);

-  une liste de vos responsabilités ainsi que le nom complet et les coordonnées de la personne qui a signé la lettre de recommandation d’emploi.

[37]  M. Wardak dit que les coordonnées sont fournies sur l’en­tête. Les coordonnées comprennent une adresse physique, trois numéros de téléphone différents, une adresse de courrier électronique et une adresse URL Facebook. M. Wardak soutient que l’absence d’un nom en caractères d’imprimerie sous la signature semble avoir amené l’agent des visas à considérer la lettre comme non crédible.

[38]  M. Wardak fait ensuite référence à la jurisprudence de la Cour fédérale, selon laquelle si un agent a des questions ou des préoccupations lorsqu’il traite une demande, il peut, et même devrait dans certains cas, utiliser les coordonnées pour vérifier ou clarifier ces questions. M. Wardak a reconnu que l’agent des visas n’avait pas l’obligation d’effectuer une vérification, mais il a souligné qu’il devait fournir une explication raisonnable pour remettre en question la véracité de la lettre de recommandation du restaurant Bukhara.

[39]  Le défendeur affirme que l’agent des visas n’a pas remis en question le fait que M. Wardak avait de l’expérience de travail. L’agent des visas n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité et n’a exprimé aucun doute quant à la véracité, au caractère frauduleux ou à l’authenticité de la lettre. L’agent a simplement relevé des lacunes ou fait des observations.

[40]  Je conviens avec le défendeur que l’agent des visas n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité au sujet de la lettre du restaurant Bukhara. Selon les notes consignées au SMGC, M. Wardak a présenté, à titre de preuve d’expérience antérieure, une lettre de recommandation d’une page indiquant qu’il travaillait pour Bukhara Restaurant and Fast Food depuis novembre 2013. Toujours d’après ces notes, le signataire de la lettre n’est pas indiqué et la lettre a été signée en juillet 2018.

[41]  La liste de contrôle d’Abou Dhabi exigeait le nom complet et les coordonnées de la personne qui a signé la lettre d’emploi. L’agent des visas a correctement inscrit dans les notes qu’il a consignées au SMGC que la lettre ne comportait pas les éléments requis. Il s’agissait d’une observation raisonnable de la part de l’agent des visas.

[42]  Bien que M. Wardak ait laissé entendre que le nom de l’auteur de la lettre n’ajoute pas de crédibilité à la lettre, il a convenu que les coordonnées permettent de vérifier les faits énoncés dans la lettre. En l’espèce, l’agent des visas n’avait ni le nom de l’auteur de la lettre ni les coordonnées de la personne.

[43]  M. Wardak s’appuie à tort sur la décision Downer et une jurisprudence semblable. Comme il est expliqué ci­après, l’agent des visas n’a pas utilisé l’absence de nom pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[44]  Les notes consignées au SMGC n’indiquent pas que l’agent des visas a tiré des conclusions quelconques ou une conclusion défavorable en raison de l’absence du nom d’une personne-ressource. Elles indiquent simplement que les renseignements étaient manquants. M. Wardak prétend qu’une interprétation plus nuancée de la décision est nécessaire. Je juge que, pour pouvoir en faire une telle interprétation, la Cour devrait se livrer à des conjectures sur ce que l’agent des visas aurait pu vouloir dire d’autre.

[45]  Il n’est toutefois pas nécessaire d’interpréter la décision de façon nuancée ni de se livrer à des conjectures. Pour conclure que M. Wardak n’était pas en mesure de démontrer qu’il satisfaisait adéquatement aux exigences du poste de son emploi éventuel, l’agent des visas a donné un motif précis : l’EIMT exigeait une compétence en anglais tant à l’oral qu’à l’écrit, mais la preuve était insuffisante pour démontrer que M. Wardak détenait de telles compétences.

[46]  M. Wardak a soutenu que l’exigence de parler l’anglais figure dans chaque EIMT, mais que la liste de contrôle des documents ne contient aucune exigence semblable.

[47]  Le défendeur soutient qu’une liste de contrôle n’est qu’un guide et qu’il ne s’agit pas d’un document exhaustif. Il incombe à chaque demandeur de déterminer, à la lumière des exigences législatives, les éléments de preuve qui peuvent ou non être nécessaires pour appuyer sa demande de permis de travail.

[48]  En réalité, ni M. Wardak ni Naan and Kabob n’ont fourni des éléments de preuve démontrant que M. Wardak avait une compétence en anglais ou qu’aucune compétence en anglais n’était requise pour le poste de chef de cuisine. Cela ne signifie pas que M. Wardak ne possède pas une telle compétence; cela signifie plutôt que, puisque M. Wardak n’a pas fourni d’éléments de preuve démontrant qu’il avait des compétences en anglais ou que l’anglais n’était en réalité pas une exigence de l’emploi, l’agent des visas n’avait que l’EIMT comme élément de preuve à prendre en considération. Sans rien d’autre, l’agent des visas n’avait manifestement pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Wardak possédait une quelconque compétence en anglais.

[49]  Enfin, en ce qui concerne la lettre du restaurant Bukhara, l’agent des visas a inscrit dans les notes qu’il a consignées au SMGC que, selon le site Web du restaurant www.bukhara.af, il semble que le restaurant ait été fondé en 2015. M. Wardak allègue qu’en consultant le site Web du restaurant, l’agent des visas a utilisé des éléments de preuve extrinsèque sans lui donner le droit de répondre et que cela constituait une violation de son droit à l’équité procédurale.

[50]  Il ne semble pas y avoir quoi que ce soit auquel M. Wardak aurait pu répondre s’il en avait eu l’occasion. L’agent des visas n’a tiré aucune conclusion fondée sur l’énoncé figurant sur le site Web. La phrase suivante fait référence à l’exigence de l’EIMT relative à la compétence en l’anglais. Encore une fois, l’agent ne mentionne pas le site Web dans la décision.

[51]  L’agent des visas a donné des motifs très précis pour justifier son refus de la demande de M. Wardak, motifs détaillés précédemment. Aucun de ces motifs ne fait référence ou n’a trait à la lettre ou au site Web du restaurant Bukhara. Tous les motifs découlent directement des dispositions législatives et de l’absence d’éléments de preuve suffisants ou, dans un cas, du fait que M. Wardak n’a pas répondu de façon véridique à une question sur la demande de permis de travail.

[52]  Compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’agent des visas ainsi que des notes inscrites dans le SMGC et des dispositions législatives, je conclus que M. Wardak ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que le traitement de la lettre d’emploi du restaurant Bukhara par l’agent des visas, la référence au site Web ou la conclusion selon laquelle il n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants sur sa compétence en anglais oral ou écrit étaient déraisonnables ou inéquitables sur le plan de la procédure.

B.  Les relevés bancaires

[53]  L’agent des visas a examiné les relevés bancaires traduits présentés par M. Wardak. Il a constaté que l’historique du compte était irrégulier – le solde était nul en juillet 2018, et tous les fonds avaient été déposés après cette date. L’agent des visas a conclu que la preuve relative aux biens de M. Wardak était insuffisante.

[54]  M. Wardak affirme que les relevés bancaires ne sont même pas requis; il les a tout simplement fournis volontairement et de bonne foi. Il soutient que, parce que l’agent des visas a noté que les relevés bancaires remontaient à juillet 2018, il était [traduction« évident que l’agent mettait en doute le demandeur, parce ce dernier n’avait pas fourni de relevés bancaires personnels remontant à plus loin que juillet 2018 ».

[55]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Il est plus probable, compte tenu du libellé et dans le contexte des autres observations figurant dans les notes du SMGC, que l’agent des visas ne faisait qu’énumérer les éléments de preuve fournis par M. Wardak lorsqu’il a inscrit ce qui suit :

[traduction
Historique irrégulier du compte personnel : solde nul en juillet 2018 et tous les fonds déposés après cette date, preuve insuffisante pour les biens.

[56]  Il s’agit d’un énoncé factuel fait par l’agent des visas.

[57]  La conclusion selon laquelle la preuve est insuffisante découle du fait que M. Wardak n’a présenté aucun autre élément de preuve démontrant qu’il possédait d’autres biens. Pour cette raison, il était tout à fait raisonnable de la part de l’agent des visas de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant les biens de M. Wardak.

C.  La conclusion de l’agent des visas selon laquelle les demandeurs ne quitteraient pas le Canada

[58]  L’alinéa 200(1)b) du RIPR est spécifique et d’application obligatoire : l’agent délivre un permis de travail si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.

[59]  L’agent des visas a tenu compte de la situation d’emploi et de la situation financière de M. Wardak ainsi que de la situation politique, économique et sécuritaire actuelle en Afghanistan. De plus, il a tenu compte du fait que tous les membres de la famille devaient venir au Canada et qu’ils ne semblaient pas avoir de liens suffisamment solides avec le pays d’origine.

[60]  L’agent des visas a conclu, en raison de cette combinaison de facteurs, qu’il y aurait un incitatif pour M. Wardak à demeurer au Canada. Il a conclu qu’il [traduction] « n’était pas convaincu que les demandeurs seraient des visiteurs authentiques et qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La demande est rejetée. »

[61]  Le dossier sous­jacent appuie cette conclusion de l’agent des visas. En plus des lettres d’emploi de l’employeur actuel et de l’employeur éventuel, M. Wardak a présenté son curriculum vitæ et les relevés bancaires traduits. Il a également présenté les demandes remplies, l’EIMT, des photographies et les passeports, un certificat de police, le certificat de mariage de M. et Mme Wardak et des documents promotionnels de Naan and Kabob. Il n’y avait aucun élément de preuve démontrant des liens continus avec l’Afghanistan.

D.  M. Wardak n’a pas répondu véridiquement à toutes les questions figurant dans la demande

[62]  Comme il est indiqué, l’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs avaient répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. En particulier, l’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs avaient répondu véridiquement à la question 2b) sur les antécédents.

[63]  La question 2b) est ainsi libellée : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée au Canada ou dans tout autre pays ou territoire ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » En réponse à cette question, les demandeurs ont coché « non » sur leur formulaire de demande.

[64]  Selon les notes consignées au SMGC, grâce à l’échange de renseignements, les États-Unis ont indiqué qu’un visa de non-immigrant avait déjà été refusé pour M. Wardak et son épouse.

[65]  M. Wardak prétend que l’agent des visas n’a ni soupesé ni mis en balance les éléments de preuve, comme il aurait dû le faire étant donné que l’examen est discrétionnaire. Il répète que rien n’est déterminant et que sa preuve répondait à toutes les exigences des trois listes de contrôle.

[66]  Le défendeur soutient que le manque de preuve et le défaut de se conformer aux exigences de la loi étaient tout à fait déterminants en l’espèce.

[67]  Je conviens que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’agent des visas pouvait raisonnablement rejeter la demande de permis de travail pour de tels motifs.

[68]  Lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada, le demandeur a une obligation de franchise et doit fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques. Aux termes l’article 40 de la LIPR, l’étranger qui, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou exprime une réticence sur ce fait, est interdit de territoire, car cela risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, aux paragraphes 13 et 16.

[69]  L’agent des visas a raisonnablement souligné le défaut de M. Wardak de répondre véridiquement. Comme le fait remarquer le défendeur, l’agent des visas n’a pas conclu que M. Wardak avait fait une fausse présentation sur un fait important ou exprimé une réticence sur un tel fait, ce qui l’aurait interdit de territoire au Canada. L’agent des visas a plutôt conclu que M. Wardak n’avait pas répondu véridiquement à toutes les questions, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. Par conséquent, si M. Wardak souhaite présenter une nouvelle demande de permis de travail, rien, jusqu’à la date de la décision, ne semble l’empêcher de le faire.

VIII.  Conclusion

[70]  Il convient de faire preuve d’une déférence considérable envers les décisions des agents des visas en ce qui a trait à leur appréciation et à la pondération de la preuve : Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872, au paragraphe 9. Le juge Rennie, qui était alors juge à la Cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 10 :

Les étrangers ont droit à un degré minimal d’équité procédurale. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des doutes que suscite sa demande ou des lacunes qu’elle comporte, ni de lui offrir un entretien. Par ailleurs, comme l’a déclaré le juge d’appel Rothstein (ex officio) dans la décision Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, il n’incombe pas non plus à l’agent des visas de prendre des mesures additionnelles pour traiter des préoccupations non réglées. L’étranger n’a aucun droit ou intérêt en jeu. C’est pour ces raisons qu’il est souvent difficile d’infirmer, au stade du contrôle judiciaire, la décision d’un agent des visas.

[71]  En l’espèce, l’agent des visas a examiné les éléments de preuve qui ont été fournis, puis il a brièvement fait mention de ces éléments de preuve et formulé des observations à leur sujet dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC. Cela est suffisant. Dans le contexte d’une demande de permis de travail, les agents des visas n’ont pas à donner de motifs détaillés : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115, au paragraphe 24.

[72]  M. Wardak devait savoir que deux des exigences législatives pertinentes étaient qu’il fournisse une preuve satisfaisante de sa capacité d’effectuer le travail et qu’il devait quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. C’était à lui de décider, avec l’aide des listes de contrôle, quels éléments de preuve présenter.

[73]  Il incombait à l’agent des visas d’établir si les éléments de preuve présentés par M. Wardak étaient suffisants. La décision était défavorable à M. Wardak, mais non déraisonnable.

[74]  Après avoir reçu et disséqué la décision, M. Wardak ne peut maintenant demander à la Cour de soupeser la preuve de nouveau ou de remettre en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas.

[75]  La Cour suprême a affirmé très clairement que, lorsqu’une Cour procède à un contrôle judiciaire, celle-ci doit s’abstenir de trancher la question en litige de nouveau. Je dois seulement trancher la question de savoir si la décision, y compris le raisonnement sous-jacent et le résultat obtenu, est déraisonnable : Vavilov, au paragraphe 83.

[76]  Compte tenu des éléments de preuve et de la déférence considérable à laquelle a droit l’agent des visas, je ne suis pas convaincue qu’il y ait un fondement permettant de conclure que la décision est déraisonnable ou qu’elle a été prise d’une manière qui était inéquitable sur le plan procédural pour M. Wardak.

[77]  Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est rejetée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

[78]  Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM­5715­18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­5715­18

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD HUSSAIN WARDAK, RAZIA WARDAK, ZEKRIA WARDAK, KHADIJA WARDAK ET IBRAHIM WARDAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO).

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 MAI 2020

 

COMPARUTIONS :

ARIS DAGHIGHIAN

 

POUR LES DEMANDEURS

 

AMINA RIAZ

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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