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Date : 20200403


Dossier : IMM-4345-19

Référence : 2020 CF 484

Ottawa, Ontario, le 3 avril 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

VYACHESLAV TALANOV

DILBARA TALANOVA

RENAT TALANOV

demandeurs

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire dirigée contre la décision rendue le 17 juin 2019 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] portant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[3]  Les demandeurs sont citoyens du Kazakhstan. Le demandeur principal, Renat Talanov, est le fils des deux autres demandeurs, son père Vyacheslav Talanov et sa mère Dilbara Talanov.

[4]  Le demandeur principal et un de ses amis ont subi les tirs d’un officier du Comité de sécurité nationale [CSN, ou KNB] de la République du Kazakhstan surnommé « Kalauov » le 22 mars 2009. Le demandeur principal a été blessé à la tête par une balle. Son ami, un dénommé Pavel, a subi des lésions cérébrales par une balle qui est passée par son œil droit.

[5]  Le demandeur principal et la mère de son ami Pavel ont déposé une plainte au pénal auprès du département régional du Ministère des affaires intérieures (ROVD), mais lequel n’y aurait pas donné suite.

[6]  Cependant, l’officier Kalauov a été arrêté le 25 avril 2009, suivant une plainte déposée auprès du procureur militaire.

[7]  Lors du procès, plusieurs témoins ont témoigné sur les événements de la soirée du 22 mars 2009. Le demandeur principal était l’un de ces témoins. Des preuves vidéo ont également été produites pour illustrer les événements qui ont abouti à la fusillade de Pavel et du demandeur principal.

[8]  Le 11 août 2009, l’officier a été condamné à quatre ans de prison pour une infraction pénale par un juge de la cour de justice militaire. Cette décision a été confirmée par trois membres de la division pénale de la cour de justice militaire le 22 septembre 2009.

[9]  En octobre 2009, il semble que le demandeur principal a reçu un appel de menace anonyme. Le 15 mai 2010, le demandeur principal a été enlevé par les amis de Kalauov. Ces derniers l’ont battu et l’ont menacé de mort, exigeant qu’il retire sa plainte contre Kalauov.

[10]  Après ce dernier incident, le demandeur principal s’est caché pendant sept mois dans la datcha (chalet) familiale avec son oncle Vladmir. Il semble que les parents du demandeur principal ont reçu des appels de menaces.

[11]  Le 28 janvier 2011, le demandeur principal décide de se rendre aux États-Unis, ayant reçu un visa d’étudiant pour y étudier.

[12]  Le 14 mars 2011, l’oncle Vladmir a été trouvé assassiné dans la datcha familiale. La police ont mis fin à l’enquête parce qu’elle n’a trouvé aucun suspect.

[13]  Le 6 mai 2011, deux hommes non identifiés ont saisi la mère du demandeur principal et ont essayé de la pousser dans leur véhicule. Après cet incident, les parents du demandeur principal ont quitté leurs emplois.

[14]  En décembre 2011, Kalauov a été libéré de prison.

[15]  En février 2012, le demandeur principal entre au Canada et demande l’asile.

[16]  Avec un visa de touriste américain en main, les parents du demandeur principal ont quitté le Kazakhstan vers les États-Unis le 26 avril 2012, et sont entrés au Canada le 1er mai 2012. Les demandeurs ont déposé une demande d’asile auprès des autorités canadiennes aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Les demandeurs ont fondé leurs demandes d’asile sur une crainte pour leurs vies à cause de Kalauov et ses amis au Kazakhstan.

[17]  La SPR a tenu une audience pour les trois demandes d’asile le 29 août 2018.

[18]  Après l’audience, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] est intervenu pour soutenir que le demandeur principal devait être exclu de la protection canadienne aux termes du paragraphe1F(b) de la Convention (crimes graves de droit commun).

[19]  Selon le ministre, le demandeur principal a été accusé de fraude postale, de fraude électronique et de blanchissement d’argent lorsqu’il était aux États-Unis par les autorités américaines. Un mandat d’arrêt a été lancé contre le demandeur principal le 20 septembre 2013.

[20]  Le ministre allègue que ces crimes sont passibles de peines d’emprisonnement d’au moins 10 ans en droit canadien : 14 ans pour fraude postale et fraude électronique ou 10 ans pour le blanchissement d’argent.

[21]  La SPR a tenu une deuxième audience le 18 novembre 2018, cette fois-ci portant sur la question de l’exclusion aux termes de l’article 1F de la Convention. Lors de l’audience, le demandeur principal a admis qu’il était impliqué dans les activités criminelles exposées dans l’acte d’accusation présenté par le ministre. Cependant, le demandeur principal a indiqué qu’il aurait reçu une assurance de protection par un agent du Bureau fédéral d’enquête (FBI) surnommé « Fred », car il aurait joué le rôle d'informateur pour les autorités américaines.

[22]  Une troisième audience a eu lieu le 23 août 2019; elle portait principalement sur la menace posée par Kalauov, y compris le rôle que le demandeur principal a joué lors du procès de celui-ci.

III.  La décision de la SPR

[23]  La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[24]  Concernant le demandeur principal, la SPR a conclu qu’il est exclu de la protection canadienne aux termes du paragraphe 1F(b) de la Convention vu son implication dans des activités criminelles aux États-Unis. Après avoir exposé les accusations contre le demandeur principal aux États-Unis et leurs équivalences en droit canadien, la SPR a conclu que le demandeur principal était visé par le paragraphe 1F(b) de la Convention. La SPR n’a pas retenu les explications du demandeur concernant l’assurance de protection en raison de l’absence de preuves corroborantes.

[25]  Quant à ses parents, la SPR a conclu qu’ils n’avaient pas démontré l’existence d’une crainte bien fondée de persécution ou d’un risque dans l’éventualité d’un retour au Kazakhstan. La SPR a relevé plusieurs problèmes sur le plan de la crédibilité des demandeurs. Dans sa décision, la SPR a estimé que le témoignage global des parents du demandeur principal était vague, exagéré et déroutant. En outre, le commissaire de la SPR a constaté des omissions, des incohérences et des contradictions pour lesquelles les parents n’ont pas produit d’explications satisfaisantes.

IV.  Question en litige

[26]  La présente affaire soulève la question suivante : la décision de la SAR est-elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[27]  La question en litige est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 73‑142). Suivant la norme de la raisonnabilité, une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles applicables (Vavilov aux paras 99-101).

VI.  Discussion

[28]  Je dois d’abord signaler que les demandeurs n’attaquent pas la conclusion de la SPR selon laquelle leurs demandes ne font jouer aucun des critères consacrés par l’article 96 de la LIPR, et qu’ils ont simplement été victimes, si toutefois ils l’ont été, d’une activité criminelle non étatique, de sorte que leur demande ne doit être examinée qu’en vertu de l’article 97 de la LIPR.

A.  Le paragraphe 1F(b) de la Convention

[29]  Bien que le demandeur principal attaque, dans son mémoire, la conclusion de la SPR portant qu’il est exclu de la protection canadienne en vertu du paragraphe 1F(b) de la Convention, devant moi, il a retiré ses arguments concernant la décision de la SPR sur cette question. Selon les demandeurs, c’est plutôt la discussion concernant les parents qui rend la décision de la SPR déraisonnable.

[30]  En conséquence, le demandeur principal est donc exclu de la protection canadienne aux termes de l’article 1F(b) de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

B.  L’appréciation de la crédibilité des parents du demandeur principal

[31]  En ce qui concerne la question des parents du demandeur principal, ils soutiennent que la SPR a manqué de souplesse dans l’appréciation de leur crédibilité.

(1)  Absence de preuve de plainte déposée par le demandeur principal contre Kalauov

[32]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a été trop rigide en concluant qu’il était douteux que la demanderesse ait été attaquée par des amis de l’agent de persécution. Les demandeurs estiment que la SPR n’a pas accordé suffisamment d’importance au rôle joué par le demandeur principal dans les procédures judiciaires visant l’agent de persécution.

[33]  Selon les parents, ils étaient visés parce que le demandeur principal n’avait pas retiré sa plainte contre Kalauov. Le dépôt d’une plainte au pénal est au cœur de leurs moyens : ils sont visés précisément parce que leur fils a déposé une telle plainte et a refusé de la retirer.

[34]  La SPR doute qu’une telle plainte pénale contre Kalauov ait jamais été déposée par le demandeur principal, selon la prépondérance des probabilités.

[35]  Premièrement, la SPR constate que Kalauov n’avait été reconnu coupable que d’agression et de blessures mettant la vie seulement de Pavel en danger, et non celle du demandeur principal. De plus, il n’y avait aucune preuve d’une procédure pénale contre Kalauov en rapport avec les blessures du demandeur principal.

[36]  Deuxièmement, la SPR note que les parents du demandeur principal n’ont jamais produit une copie d’une telle plainte, et les raisons pour lesquelles ils n’ont pas fait d’efforts pour en obtenir n’ont pas convaincu la SPR que des efforts raisonnables avaient été faits à cet égard.

[37]  Au cours de l’audience, il a été question de savoir s’il ressortait des preuves que le demandeur principal était désigné durant le procès de Kalauov comme victime ou uniquement comme témoin.

[38]  L’avocat des demandeurs a soutenu que, puisque le demandeur principal était désigné comme victime durant le procès de Kalauov, il s’ensuivait qu’il devait avoir une plainte pénale déposée par le demandeur principal contre Kalauov: qu’en général il faut une plainte pour être désigné comme victime.

[39]  Je dois dire que je ne suis pas ce raisonnement. Il ne fait aucun doute que le demandeur principal a comparu en tant que témoin dans le procès de Kalauov concernant la fusillade de Pavel, et il se peut très bien qu’il ait lui-même été victime de la fusillade en tant que personne blessée par les tirs de Kalauov. Cependant, il ne découle pas nécessairement de sa désignation comme victime dans la décision de la cour au Kazakhstan que le demandeur principal avait également déposé une plainte au pénal contre Kalauov.

[40]  En outre, les demandeurs font valoir qu’il n’y a jamais eu de procès contre Kalauov concernant les dommages subis par le demandeur principal parce que ses blessures n’étaient pas graves ni mortelles, et donc, comme le demandeur principal l’a lui-même déclaré lors de l’audience devant la SPR, il a été « requalifié » de victime à simple témoin.

[41]  Cela peut expliquer pourquoi la SPR n’a pas reçu de preuve d’un procès concernant les blessures subies par le demandeur principal, mais cela ne répond pas à la préoccupation principale de la SPR, à savoir qu’aucune copie de plainte n’a été déposée, et en outre, aucun effort n’a été fait par les parents du demandeur principal pour obtenir la copie de la plainte qui aurait été déposée par le demandeur principal contre Kalauov.

[42]  Bien que le demandeur principal ait été l’un des témoins lors du procès de Kalauov, la SPR a estimé que la condamnation de Kalauov concernait uniquement Pavel et qu’il ressort du manque d’efforts de la part des parents du demandeur principal d’obtenir la copie de la plainte supposément déposée par le demandeur principal qu’aucune plainte pénale de ce type contre Kalauov n’avait jamais été déposée par lui.

[43]  De toute manière, même si le demandeur principal avait déposé une telle plainte contre Kalauov concernant l’incident du 22 mars 2009, il a été « requalifié » de simple témoin lors du procès concernant les blessures de Pavel. De plus, les menaces proférées à l’encontre des demandeurs et d’autres témoins pour tenter de les faire taire afin de ne pas témoigner au procès de Kalauov auraient été des objets de préoccupation avant le procès lui-même. Cependant, le procès a eu lieu et Kalauov a été libéré de prison. Le témoignage du père du demandeur principal a démontré qu’ils n’avaient pas subi de menaces depuis que le demandeur principal était parti étudier aux États-Unis, ce qui est un indice que l’agent de persécution n’a plus de véritable intérêt de retrouver le demandeur principal.

[44]  De plus, la SPR a conclu que le témoignage des demandeurs a exagéré le rôle du demandeur principal durant le procès de Kalauov.

[45]  Je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions du SPR et je ne vois aucune preuve que la SPR a procédé à une analyse pointilleuse des éléments de preuve sur cette question. La SPR a simplement tiré des conclusions à partir des éléments de preuve qu’elle était en droit de tirer.

[46]  En l’absence d’un procès imminent concernant les blessures subies par le demandeur principal, je ne vois donc rien de déraisonnable dans la conclusion du SPR selon laquelle elle a conclu que les parents du demandeur principal n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient soumis à un risque personnel tel que défini au paragraphe 97(1) de la LIPR s’ils retournaient au Kazakhstan. Ce n’est pas la mission de notre Cour « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » (Vavilov au para 125).

[47]  Par ailleurs, je noterai qu’il a lieu d’abord de distinguer la notion de crédibilité de celle de la valeur probante (Henry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1594 au para 38). Comme l’explique le juge Grammond, la notion de la crédibilité concerne le niveau de « confiance » qui est accordée à une source d’information, tandis que la notion de la valeur probante réfère à la « solidité » des « inférences » (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 aux paras 16-26 [Magonza]).

[48]  Il est important de distinguer ces notions parce que « les critères qui sont employés pour apprécier la crédibilité et la valeur probante sont fondamentalement différents » (Magonza au para 24). Je signale cette distinction parce que les arguments des demandeurs semblent confondre les deux notions.

[49]  Pour l’essentiel, les arguments des demandeurs contestent la valeur probante accordée à la preuve. Ils soutiennent que la SPR a manqué de souplesse en minimisant le risque découlant de l’implication du demandeur principal dans les procédures judiciaires à l’encontre de l’agent de persécution. Bien que la SPR a analysé ces éléments sous la rubrique de la « crédibilité » des demandeurs, ces conclusions se rapportent plutôt à la valeur probante de cette preuve.

[50]  Sur ce point, je suis d’avis que l’analyse de la SPR de la force probante de la preuve et ses conclusions ne sont pas déraisonnables. La SPR était consciente du rôle du demandeur principal et a maintes fois souligné qu’il était un témoin d’attaque de la part de l’agent de persécution. La SPR a expliqué pourquoi elle n’a pas accepté les inférences des demandeurs. La SPR a noté le fait que les parents du demandeur principal n’ont présenté aucune preuve concernant la plainte contre Kalaunov.

[51]  Finalement, les parents du demandeur principal font valoir que leur témoignage sous serment doit être considéré comme véridique (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)), et que la SPR a jugé injustifiable qu’aucune preuve corroborante n’existait pour étayer leur affirmation selon laquelle une plainte pénale avait été déposée contre Kalauov par le demandeur principal et qu’ils étaient persécutés pour cette raison.

[52]  Je retiens la thèse portant qu’il n’existe aucune exigence générale en matière de corroboration, et comme l’a observé le juge Norris à l'occasion de l’affaire He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2 [He], « un tribunal commet une erreur s’il tire au sujet de la crédibilité une conclusion défavorable qui repose uniquement sur l’absence de preuves corroborantes (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 au par. 6) » (au para 24).

[53]  Mais cela n’est pas ce que la SPR a fait. En l’occurrence, les preuves militaient contre le témoignage des parents du demandeur principal selon lequel il y avait une plainte pénale formelle déposée au pénal par le demandeur principal contre Kalauov.

[54]  En espèce, il y avait des raisons valables de mettre en doute la sincérité des demandeurs, et le tribunal peut prendre en compte la non-production par eux de preuves corroborantes et l’absence d'explications raisonnables à ce sujet (He; Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026 aux paras 21-22, citant Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12 au para 10).

[55]  Par conséquent, je constate que la présomption de véracité du témoignage des demandeurs a été renversée en raison de l’incohérence de leurs témoignages.

(2)  Le pot-de-vin

[56]  Dans sa décision, la SPR constate que les demandeurs n’avaient pas indiqué dans leur récit que des officiers leur avaient proposé de leur payer un pot-de-vin s’ils retiraient leur plainte à l’encontre de l’agent de persécution. Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA], le père du demandeur principal a indiqué qu’il avait rencontré Kalauov et deux officiers le 28 mars 2009, et que ces derniers lui ont dit qu’ils prenaient en charge l’enquête qui prouverait que ce sont le demandeur principal et son ami qui avaient tiré sur Kalauov et non pas l’inverse.

[57]  Le FDA indique également qu’une offre d’argent a été faite mais seulement après l’arrestation de Kalauov le 25 avril 2009. Le FDA ne précise pas l'auteur de cette offre.

[58]  Cependant, le père du demandeur principal a témoigné lors de l’audience devant la SPR que les trois policiers lui avaient offert le 28 mars 2009 un pot-de-vin contre le retrait de la plainte déposée contre Kalauov. Selon la SPR, le fait de ne pas avoir spécifié que cette offre a été faite par des policiers dans leur narratif minait la crédibilité des demandeurs.

[59]  Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable, et selon eux, l’audience devant la SPR était le moment propice pour que les demandeurs mentionnent ce détail.

[60]  Les décisions Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456 au paragraphe 31 et Selvakumaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 623, 2002 CFPI 623 aux paragraphes 20 à 21, enseignent que le témoignage d’un demandeur ne peut pas être utilisé pour mettre en doute sa crédibilité, à moins que l’incident omis ait une incidence importante sur l’issue de leur demande d’asile.

[61]  Cependant, il est reconnu que la SPR peut prendre acte des omissions entre le FDA et le témoignage à l’audience (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 aux paras 18-20 [Ogaulu]).

[62]  L’affaire Ogaulu est un exemple d’application de cette règle. Dans cette affaire, le demandeur a déclaré dans son formulaire FDA qu’aucun des membres de sa famille n’était avec lui lorsqu’il a été agressé. Or, cette déclaration était directement contredite par son témoignage, selon lequel son frère était présent. Lors de l’audience, le demandeur a expliqué qu’il parlait plutôt des membres de sa famille immédiate. La SPR a rejeté cette explication puisque le demandeur a mentionné la présence d’un ami lors de son agression (dans son formulaire FDA), mais n’a pas mentionné celle de son frère qui avait apparemment joué un rôle plus important au moment de cet incident (Ogaulu aux paras 16-17). Notre Cour a conclu que l’analyse de la SPR était raisonnable parce que l’omission du demandeur touchait « le cœur même de la demande d’asile du demandeur » (Ogaulu au para 20).

[63]  En l’espèce, un des demandeurs a omis de mentionner l’identité des personnes qui lui ont offert un pot-de-vin. Cette omission est importante, car il s’agit d’un détail qui est au cœur de la demande d’asile, soit la crainte de persécution relative à Kalauov et à ses collègues. Par conséquent, l’absence de ce du formulaire FDA n’est pas une omission mineure ou accessoire, mais plutôt un élément important pour la demande d’asile du demandeur.

[64]  Dans un tel cas, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur d’asile manquait de crédibilité (Ogaulu au para 20; Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24 au para 50).

(3)  La valeur probante des deux certificats de décès de l’oncle

[65]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en accordant peu de valeur probante aux deux certificats de décès de l’oncle du demandeur principal présentés par les demandeurs. Selon les demandeurs, les certificats établissent le décès de l’oncle du demandeur principal et démontrent que les demandeurs pourraient être la cible de violence s’ils retournaient au Kazakhstan.

[66]  Je rejette cet argument.

[67]  Au paragraphe 33 de sa décision, la SPR explique que les deux certificats de décès produits par la partie demanderesse ne sont pas une preuve dont il ressort que les demandeurs risquent de se faire persécuter par Kalauov s’ils retournent au Kazakhstan :

Le demandeur masculin a témoigné qu'il n'était plus exposé à des problèmes de la part de Kalauov ou de ses amis après que le demandeur principal se soit rendu aux États-Unis en janvier 2011. En ce qui concerne le meurtre du frère du demandeur masculin, les demandeurs n'ont pas établi qu'il a quelque chose à voir, selon la prépondérance des probabilités. Deux certificats de décès ont été produits. L’un d’eux, émis le 16 mars 2011, déclare la cause suivante de la mort : "Œdème et inflammation du cerveau". L’autre, qui n’indique pas de date d’émission, déclare la cause suivante de la mort : "Homicide/œdème et inflammation du cerveau". Les demandeurs ont témoigné que la police leur a dit qu’elle enquêterait elle-même parce qu’elle avait de multiples versions de ce qui était arrivé. Un mois plus tard, elle aurait clos le dossier, au motif qu’elle n’avait trouvé aucun suspect.

[68]  Il ressort de ces deux certificats de décès que l’oncle du demandeur principal a été victime de blessures violentes ou d’un homicide, ce que la SPR n’a pas mis en doute. Cependant, la SPR avait des doutes quant au lien entre le décès de l’oncle et la menace posée par Kalauov. Sur cette question, ces certificats n’établissaient pas un tel lien.

[69]  En conséquence, je conclus qu’il était raisonnable de ne leur accorder que peu de valeur probante.

(4)  Les lettres

[70]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a manqué de souplesse en n’accordant pas de valeur probante à deux lettres produites par des personnes au Kazakhstan (Mme Ira, Mme Galyushecka), car elles ne seraient pas datées et manqueraient de détails. Les demandeurs expliquent que ces lacunes sont dues au fait que les lettres proviennent du Kazakhstan et que l’agent de persécution est particulièrement violent.

[71]  D’après moi, il était raisonnable de n’accorder aucune valeur probante à ces documents puisqu’ils sont vagues et ne permettent pas d’établir un lien entre la crainte alléguée et les interrogatoires qui y sont décrits.

[72]  La première lettre a été rédigée par Mme Ira. Il y est indiqué qu’elle devait déménager de son appartement en raison des nombreux interrogatoires sur la situation des demandeurs. La lettre n’est pas datée, ne mentionne pas l’identité des interrogateurs et ne précise pas la nature des questions posées.

[73]  La seconde lettre est rédigée par « Galyushechka ». Il y est indiqué que Galyushechka a reçu plusieurs appels d’un homme « étrange » (« strange ») qui s’est identifié comme gestionnaire des Affaires internes, en plus d’une visite d’un individu qui recherchait le demandeur principal. Cette lettre n’est pas datée, ne mentionne pas les noms des interrogateurs et ne précise pas la nature des questions posées.

[74]  Dans sa décision, la SPR n’a pas accordé de valeur probante à ces lettres parce qu’elles sont vagues et ne corroborent pas le témoignage du demandeur principal portant que son entourage était au courant de ses problèmes liés à la menace posée par Kalauov.

[75]  Je ne vois rien de déraisonnable quant à cette conclusion.

VII.  Conclusion

[76]  Pour ces motifs, la décision de la SPR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-4345-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4345-19

 

INTITULÉ :

VYACHESLAV TALANOV, DILBARA TALANOVA, RENAT TALANOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mars 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Meryam Haddad

Pour leS demandeurS

Me Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Meryam Haddad, Avocate

Westmount (Québec)

 

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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