Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200430


Dossier : IMM-4670-19

Référence : 2020 CF 567

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

HACIST LÉON-PAUL JUNIOR KOUASSI KAUDJHIS

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  M. Hacist Leon-Paul Junior Kouassi Kaudjhis demande le contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion prise contre lui par un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le Délégué], suite au rapport d’interdiction de territoire émis par un agent des services frontaliers du Canada [l’Agent].

[2]  Après examen du rapport de l’Agent, le Délégué a conclu que le demandeur, un citoyen de la Côte d’Ivoire, était interdit de territoire pour ne pas avoir respecté les conditions rattachées à son permis d’études, et pour avoir travaillé à temps plein au Canada sans détenir de permis de travail.

[3]  Le demandeur plaide que le Délégué n’était pas autorisé à émettre contre lui une mesure de renvoi et qu’il n’est pas raisonnable de le forcer à quitter le pays pour présenter une demande de permis de travail de l’extérieur. Il allègue également que le rapport de l’Agent ne respecte pas les dispositions de la Loi sur les langues officielles, LRC (1985), ch 31 (4e suppl.) puisqu’il est rédigé dans les deux langues officielles. Partant, plaide le demandeur, il doit être annulé.

II.  Faits

[4]  Le demandeur arrive au Canada en 2012 muni d’un permis d’études. Il amorce des études à l’Université de Montréal, pour les poursuivre à l’Université Laval à compter de 2013.

[5]  Il renouvèle son permis d’études à plusieurs reprises depuis son arrivée au Canada, le dernier étant valide jusqu’au 31 août 2019.

[6]  Le demandeur allègue qu’en raison du décès de son père qui le supportait financièrement, il est dans l’impossibilité d’acquitter ses frais de scolarité à compter de l’automne 2017. Il ne peut donc pas s’inscrire à la session d’hiver 2018 et choisit plutôt de travailler à temps plein à compter du 14 mai 2018.

[7]  La conjointe du demandeur, qui détenait un permis de travail comme personne accompagnant un étudiant étranger, doit se rendre en Martinique pour les obsèques de sa mère en 2018. Elle est enceinte à son départ mais elle fait une fausse couche. Le demandeur doit donc continuer à travailler pour payer les factures courantes, les frais du voyage, ainsi que les frais médicaux de sa conjointe.

[8]  En novembre 2018, le demandeur fait une demande de permis de travail pour étudiant démuni, laquelle est refusée en février 2019 au motif qu’elle n’est pas accompagnée d’une Étude d’impact sur le marché du travail. La lettre de refus des autorités précise qu’en application du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] , son statut d’étudiant sera valide jusqu’à sa date d’expiration (31 août 2019), ou jusqu’à quatre-vingt-dix jours après la fin de ses études, selon la première éventualité.

[9]  Le demandeur continue alors à travailler à temps plein.

[10]  Le 13 juillet 2019, le demandeur et sa conjointe se rendent aux États-Unis pour demander un permis de travail ouvert. Sa conjointe l’obtient, mais c’est alors qu’une mesure d’exclusion est émise contre le demandeur.

III.  Décision contestée

[11]  Les motifs invoqués pour justifier la mesure de renvoi sont les suivants :

  Le demandeur n’est ni citoyen canadien ni résident permanent;

  Il a été admis au Canada comme détenteur d’un permis d’études;

  Il n’a pas respecté les conditions rattachées à son permis d’études puisqu’il a abandonné ses études au début de 2018; et

  Il a travaillé illégalement à temps plein de mai 2018 à ce jour (ou à tout le moins jusqu’au 13 juillet 2019).

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que la décision du Délégué respecte la Loi sur les langues officielles?

  2. Est-ce que le Délégué était autorisé à prendre une mesure de renvoi contre le demandeur?

  3. Est-ce que la décision d’émettre une mesure d’exclusion contre le demandeur est raisonnable?

[13]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un délégué du ministre d’émettre une mesure d’exclusion est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration c Vavilov, 2019 CSC 65; Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 383).

V.  Analyse

A.  Est-ce que la décision du Délégué respecte la Loi sur les langues officielles?

[14]  Le demandeur plaide que le rapport émis par l’agent, sur la foi duquel la mesure d’exclusion a été prise, ne respecte pas les articles 22 et 27 de la Loi sur les langues officielles puisque son contenu est rédigé dans les deux langues. L’Agent a utilisé la version anglaise du formulaire pré-imprimé pour son rapport 44(1) et l’a rempli en français. Après l’identification du demandeur, le rapport se lit comme suit :

is a person who is a foreign national who has been authorized to enter Canada

and who, in my opinion, is inadmissible pursuant to:

Subsection 41(a) in that, on a balance of probabilities, there are grounds to believe is a foreign national who is inadmissible for failing to comply with this Act through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act, specifically;

The requirement of subsection 29(2) of the act that a temporary resident must comply with any conditions imposed under the Regulations and with any requirements under this Act.

The requirement of Section 8 of the Regulations that a foreign national may not enter Canada to work without first obtaining a work permit.

This report is based on the following information that the above-named individual:

Sujet n’est pas citoyen Canadien

Sujet n’est pas résident permanent du Canada

Sujet a été admis au Canada avec un permis d’études le 24 mai 2017.

Le sujet n’a pas respecté les conditions de son permis d’étude. II a abandonné ses études depuis printemps 2018 et a par la suite travaillé illégalement à temps plein de juillet 2018 jusqu’à aujourd’hui

Le R220.1(1) stipule que :

Le titulaire d’un permis d’études au Canada est assujettis (sic) à des conditions :

- être inscrit dans un établissement d’enseignement désigné et demeure inscrit dans un tel établissement jusqu’à ce qu’il termine ses études.

- II doit suivre activement un cour ou son programme d’études.

Pour ces motifs, je suggère l’émission d’une mesure d’exclusion contre M. KOUASSI KAUDJHIS, en vertu des articles L41, L29(2) de la LIPR et du règlement R220.1(1)

[15]  À noter dans un premier temps que la mesure d’exclusion elle-même est rédigée en français uniquement.

[16]  Par ailleurs, en ce qui concerne le formulaire pré-imprimé du rapport 44(1), il énonce de façon générique ce qui, selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR] , donne ouverture à l’émission d’une mesure d’exclusion. La portion rédigée en français énonce ce qui, dans le cas spécifique du demandeur, donne ouverture à l’émission de la mesure d’exclusion.

[17]  Bien que l’utilisation de la version anglaise du formulaire soit loin d’être idéale, je ne crois pas qu’il y ait ici violation de la Loi sur les langues officielles qui justifie l’annulation du rapport 44(1) et partant, de la mesure d’exclusion.

[18]  Dans la mesure où toute l’information pertinente qui concerne le demandeur ainsi que les motifs pour lesquels une mesure de renvoi est prise sont rédigés en français, je suis d’avis que les obligations linguistiques du défendeur sont respectées.

[19]  La Loi sur les langues officielles garantit à quiconque le droit d’être servi dans la langue officielle de son choix. Elle n’empêche pas que la communication soit bilingue, dans la mesure où l’information fournie dans une langue l’est également dans l’autre. C’est plutôt la communication unilingue qui pose problème, mais même en pareille cas, une violation de peu d’importance qui est rapidement corrigée peut ne pas justifier un remède drastique comme celui requis par le demandeur. Dans Leduc c Air Canada, 2018 CF 1117, la Cour énonce ce qui suit :

[71] Selon les articles 22 et 27 de la LLO, les obligations de bilinguisme d’une institution fédérale lors de la communication avec le public s’appliquent « tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache ». Air Canada avait l’obligation de s’assurer que M. Leduc, en tant que membre du public, pouvait communiquer avec elle dans la langue officielle de son choix. En envoyant un tarif uniquement en anglais à M. Leduc, elle a en principe violé ses droits linguistiques. Elle avait l’obligation de lui fournir une version française.

[72] Cependant, je crois que cette violation est minime. Dès que le CLO a signalé cette violation à Air Canada, elle a promptement fourni une version française, qui est annexée à l’affidavit de M. Fraser. En août 2010, le CLO déclare qu’il considère « la situation comme étant réglée ». De plus, la lettre en français à laquelle ce tarif est annexé explique clairement le contenu du tarif. Donc, je ne crois pas que des dommages-intérêts ou une lettre d’excuses sont des réparations convenables et justes dans les circonstances.

[73] Cependant, il demeure qu’Air Canada a violé les droits linguistiques de M. Leduc en envoyant le tarif unilingue. J’accorde donc un jugement déclaratoire attestant cette violation.

[20]  Dans le cas qui nous occupe, la mesure de renvoi est en français, l’information personnelle au demandeur dans le rapport 44(1) est en français et les notes de l’Agent et du Délégué sont également rédigées en français. Le demandeur a été interrogé par l’Agent en français et il était en mesure de comprendre les motifs invoqués, ce qu’il a d’ailleurs confirmé lors de son entrevue.

[21]  Je suis donc d’avis que cet argument du demandeur doit être rejeté.

B.  Est-ce que le Délégué était autorisé à prendre une mesure de renvoi contre le demandeur?

[22]  Bien que cet argument n’ait pas été soulevé par le demandeur dans son mémoire des faits et du droit, il a néanmoins plaidé devant la Cour que le Délégué aurait signé le rapport 44(1) aux lieu et place de l’Agent et que l’Agent aurait signé la mesure d’exclusion aux lieu et place du Délégué. Ne disposant d’aucune preuve à cet égard – je n’ai pas la preuve du titre de chacun d’eux et leurs signatures sont illisibles, cet argument ne peut être retenu pour invalider la mesure d’exclusion.

C.  Est-ce que la décision d’émettre une mesure d’exclusion contre le demandeur est raisonnable?

[23]  Le demandeur plaide qu’il ne pouvait être exclu du Canada en application de l’article 220.1 du Règlement puisqu’il est visé pas les exceptions prévues à ses paragraphes 220.1(3) a) et 222(2) a), lesquels exemptent toute personne « titulaire d’un permis d’études et qui est temporairement dépourvue de ressources en raison des circonstances visées à l’alinéa 208 a) » de devoir se conformer à l’article 220.1 du Règlement.

[24]  L’alinéa 208 a) permet à un étranger qui est titulaire d’un permis d’études d’obtenir un permis de travail si cette personne est « temporairement dépourvue de ressources en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et de celle de toute personne dont il dépend pour le soutien financier nécessaire à l’achèvement de ses études ».

[25]  Bien que je n’aie pas devant moi les documents soumis par le demandeur au soutien de sa demande de permis de travail pour étudiant démuni, le décès de son père semble être une situation couverte par cette disposition du Règlement. Cependant, le demandeur n’a pas contesté la décision négative rendue par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada le 19 février 2019, et il a continué à travailler à temps plein après l’avoir reçue. Je ne suis pas saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision et je n’ai pas devant moi les éléments qui pourraient me permettre d’en analyser le bien fondé.

[26]  Le résultat demeure que le demandeur a travaillé sans permis de travail du 19 février 2019 au 13 juillet 2019 et ce, en contravention des paragraphes 189 v) et w) du Règlement. Il n’a pas non plus respecter les conditions rattachées à son permis d’études en abandonnant ses études au printemps 2018. Dans ces circonstances, il était tout à fait raisonnable pour l’Agent d’émettre son rapport et pour le Délégué de prendre une mesure d’exclusion contre le demandeur pour non-respect de la LIPR et du Règlement.

VI.  Conclusion

[27]  Je suis donc d’avis que la décision du Délégué a été prise conformément aux pouvoirs qui lui sont dévolus, elle ne viole pas les droits linguistiques du demandeur et elle est raisonnable à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée au Délégué.

[28]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[29]  Les parties n’ont soumis aucune question d’importance générale pour fins de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette cause.

 


JUGEMENT dans IMM-4670-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4670-19

 

INTITULÉ :

HACIST LÉON-PAUL JUNIOR KOUASSI KAUDJHIS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 février 2020

 

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE en chef adjointe GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Gloria Ntirandekura

 

Pour le demandeur

 

Sherry Rafai Far

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gloria Ntirandekura

Québec (QC)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (QC)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.