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Date : 20200327


Dossier : IMM-3964-19

Référence : 2020 CF 436

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

BEHROZ VARGHAEI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Varghaei conteste la décision d’un agent selon laquelle il est une personne interdite de territoire aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, du fait qu’il est « membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte » visant au renversement d’un gouvernement par la force et le terrorisme.

[2]  Pour les motifs exposés en l’espèce, je lui accorde gain de cause quant à sa contestation.

Contexte

[3]  M. Varghaei, son épouse et leurs enfants, lesquels figuraient tous comme personnes à charge dans la demande de résidence permanente au Canada présentée par M. Varghaei, sont tous des ressortissants de l’Iran. Ils ont été reconnus par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés comme des réfugiés au sens de la Convention en 2015. En juin 2016, le demandeur a présenté une demande de réinstallation au Canada à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières parrainé par le secteur privé. Vers juin 2017, un groupe de cinq personnes a parrainé la famille à titre de réfugiés au sens de la Convention. La demande a été acheminée au bureau canadien des visas à Ankara, en Turquie, pour être traitée.

[4]  M. Varghaei a été interrogé par un agent des visas [l’agent] en Turquie le 10 novembre 2017. L’agent a conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention et que sa demande serait acceptée en attendant le résultat des vérifications des antécédents d’interdiction de territoire, y compris les examens médicaux et les vérifications de sécurité. Dans sa demande de visa de résident permanent et à l’entrevue, M. Varghaei a admis avoir été membre de Peykar (organisation de lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière, aussi appelée Moudjahidines marxistes) de janvier 1978 à janvier 1981. Il a également admis avoir été membre de l’Hekmatisme (parti communiste‑ouvrier iranien) de janvier 2005 à septembre 2015.

[5]  Une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à M. Varghaei le 15 avril 2019 au sujet de ces adhésions. Dans la partie pertinente, on peut lire ce qui suit :

[traduction]
[…] Je crains que vous soyez membre de la catégorie des personnes interdites de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), en raison de votre appartenance à des organisations qui se sont livrées à des actes visant à renverser un gouvernement par la force ou le terrorisme. Au cours de votre entrevue, vous avez admis être membre de Peykar (organisation de lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière), une faction dissidente des Mujahedin‑e‑Khalq (MEK), une organisation désignée comme entité terroriste. Vous avez également admis que vous appuyiez le renversement du gouvernement iranien et que vous appuyiez cette idéologie jusqu’en 2015. En tant que membre, vous avez appuyé les objectifs de ce groupe.

[6]  Dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale du 30 avril 2019, le demandeur affirme qu’en raison de son jeune âge (de 15 à 18 ans) au moment de son adhésion à Peykar, il était [traduction« plus un sympathisant qu’un véritable membre » de l’organisation. Il ajoute que [traduction« sa participation en tant que partisan de Peykar était tout à fait pacifique ».

[7]  Dans une lettre du 23 mai 2019, l’agent a avisé le demandeur que sa réponse à la lettre relative à l’équité n’avait pas dissipé ses préoccupations, et la demande de résidence permanente a été rejetée au motif qu’il était interdit de territoire.

[8]  Le 27 décembre 2018, l’agent a reçu une évaluation de sécurité de la Division des enquêtes pour la sécurité nationale de l’Agence des services frontaliers du Canada (DESN) intitulée « Évaluation de l’interdiction de territoire de la DESN – 34(1)f) » [l’évaluation de sécurité] concernant l’interdiction de territoire du demandeur aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi. Le demandeur n’en a été informé qu’après que la Cour eut accordé l’autorisation. Le défendeur a déposé une modification au dossier certifié du tribunal le 27 novembre 2019, qui comprenait l’évaluation de sécurité.

[9]  L’évaluation de sécurité de neuf pages formule [traduction« la recommandation selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur soit interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 34(1)f) », mais fait remarquer que la décision d’interdiction de territoire relève uniquement de l’agent. La recommandation repose principalement sur l’observation que [traduction« l’organisation Peykar est une faction des Mujaheddin‑e‑Khalq (MEK), ou Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), ou Mujahedin‑e Khalq Organization (MKO); Peykar et MEK se sont toutes deux engagées dans le terrorisme et le renversement d’un gouvernement par la force ».

Les questions en litige

[10]  Avant la communication de l’évaluation de sécurité, le demandeur a fait valoir que la décision n’était pas raisonnable, parce que l’agent avait conclu de façon déraisonnable qu’il était un « membre » de Peykar, et parce qu’il avait confondu Peykar et MEK, ainsi que Peykar et Hekmatisme. Après la réception de l’évaluation de sécurité, il a inclus comme motif de contrôle un manquement présumé à l’équité procédurale et à la justice naturelle du fait que l’agent ne lui avait pas communiqué l’évaluation de sécurité dans la lettre relative à l’équité.

Analyse

[11]  Sur la question de l’équité procédurale, le défendeur soutient que l’agent n’est pas tenu de communiquer tous les documents pris en compte dans la décision et que toutes les préoccupations de l’agent énoncées dans l’évaluation de sécurité sont mentionnées dans la lettre relative à l’équité procédurale fournie au demandeur. Le raisonnement du défendeur est que M. Varghaei a admis être membre de Peykar, et Peykar est une faction des MEK, une organisation désignée comme entité terroriste. En ce qui concerne l’adhésion du demandeur à Peykar et sa participation aux activités cette organisation, le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable compte tenu des éléments de preuve versés au dossier dont il disposait. Le défendeur fait remarquer que le demandeur, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, n’a ni contredit ni nié sa participation à Peykar ni son association avec les MEK.

[12]  Le demandeur souligne que, dans les notes consignées par l’agent dans la section [traduction] « examen du cas », ce dernier met l’accent sur les activités des MEK, un groupe terroriste. La seule référence à Peykar, mis à part le fait qu’il s’agit d’un groupe dissident des MEK, est la suivante : [traduction« L’organisation Peykar s’est limitée à mener des attaques de guérilla dans le nord du pays ». Cela pose problème. Premièrement, comme l’a fait remarquer l’avocat, l’agent n’a pas discuté de la question de savoir si cette conduite constitue « des actes visant au renversement du gouvernement par la force », comme l’exige l’alinéa 34(1)b) de la Loi. Plus important encore, la référence à ses activités de guérilla semble viser une période centrée autour de l’année 1982, soit après que M. Varghaei eut quitté l’organisation.

[13]  L’évaluation de sécurité et la décision de l’agent décrivent les activités des MEK qui pourraient amener une personne à avoir des motifs raisonnables de croire qu’un membre de cette organisation pourrait être interdit de territoire au Canada. Cependant, M. Varghaei n’a jamais été membre des MEK. Il était membre de Peykar. La preuve documentaire, y compris l’évaluation de sécurité, décrit Peykar comme un groupe qui s’est séparé des MEK en 1975, soit trois ans avant que M. Varghaei se joigne à Peykar. Par conséquent, c’est à tort que l’agent et l’auteur de l’évaluation de sécurité se fondent sur les activités des MEK.

[14]  Si le demandeur avait eu accès à l’évaluation de sécurité, il aurait connu la raison des préoccupations de l’agent décrites dans la lettre relative à l’équité et il aurait donc eu l’occasion d’y répondre pleinement. À mon avis, la lettre relative à l’équité n’énonce pas les véritables préoccupations révélées dans l’évaluation de sécurité. Le défaut de lui fournir cette lettre constitue un manquement à l’équité procédurale et, à mon avis, a amené l’agent à prendre une décision déraisonnable fondée sur les activités des MEK, et non sur celles de Peykar.

[15]  Par conséquent, la présente demande est accueillie.

[16]  Aucune partie n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3964-19

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision de l’agent datée du 23 mai 2019 par laquelle il rejetait la demande de visa de résident permanent pour interdiction de territoire est annulée, que la demande doit être tranchée par un autre agent après que le demandeur aura eu l’occasion de répondre par écrit au contenu de l’évaluation de sécurité, et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de mai 2020

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3964-19

 

INTITULÉ :

BEHROZ VARGHAEI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mars 2020

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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