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Date : 20200325


Dossier : T-1188-19

Référence : 2020 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GLOBAL MARINE SYSTEMS LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Global Marine Systems Ltd. (« Global Marine »), sollicite le contrôle judiciaire d’un courriel que Mme Emilie Gelinas, directrice, Voie maritime et politique de transport intérieur, au sein de la Direction générale de la politique maritime à Transports Canada, lui a fait parvenir le 20 juin 2019 pour l’informer que l’activité de mise en disponibilité opérationnelle du navire « Cable Innovator » était considérée par Transports Canada comme une activité maritime de nature commerciale au sens de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage, LC 1992, c 31 (ou la « Loi »). C’est cette conclusion que vise la présente demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

Le contexte

[2]  Le « Cable Innovator » est un navire exploité par Global Marine et battant pavillon britannique. Il s’agit d’un câblier, un bâtiment spécialisé dans la pose, la maintenance et la réparation de câbles sous-marins de fibre optique. Global Marine assure ces services dans le cadre du contrat de maintenance des câbles sous-marins d’Amérique du Nord (« contrat de la ZAN ») conclu le 2 décembre 2011 avec divers membres de la zone d’Amérique du Nord (« ZAN ») ayant un intérêt dans les câbles sous-marins situés dans cette zone. La ZAN correspond à une aire sous-marine délimitée à l’est par la côte ouest de l’Amérique du Nord, du Mexique à l’Alaska, et à l’ouest par le 167e méridien, près d’Hawaï.

[3]  Depuis de nombreuses années, le « Cable Innovator » et les navires qui l’ont précédé jettent l’ancre dans le port de Victoria, à Victoria, en Colombie-Britannique. Selon Global Marine, cette pratique a cours depuis 30 ou 40 ans. Aux termes du contrat de la ZAN, le « Cable Innovator » doit maintenir en permanence l’état de préparation opérationnelle, l’équipage et l’équipement devant pouvoir intervenir dans les 24 heures après avoir été avisé par un membre de la ZAN qu’un câble a besoin d’être réparé. Les services de maintenance et de réparation que Global Marine fournit sont tarifés. L’entreprise touche également une rémunération forfaitaire annuelle en contrepartie de laquelle elle met le « Cable Innovator », son équipage et son équipement à disposition pour l’exécution du travail précisé au contrat de la ZAN; cette rémunération couvre notamment les frais engagés par le « Cable Innovator » lorsqu’il est en attente de mission. D’après Global Marine, le « Global Innovator » accomplit l’essentiel de son travail hors du Canada et, depuis 2012, les projets situés en eaux canadiennes représentant moins de 3 p. 100 des jours d’activités du navire.

[4]  Le 21 septembre 2016, Global Marine a présenté une « Demande d’admission temporaire d’un navire pour fins de cabotage au Canada - licence de cabotage requise » (« demande C47 ») à l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») ainsi qu’à l’Office des transports du Canada (« OTC »). L’OTC est chargé de déterminer s’il existe un navire canadien ou un navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande C47. Le 17 octobre 2016, l’ASFC a informé Global Marine que, selon l’OTC, il n’existe pas de navire canadien adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande C47 présentée et qu’elle est donc autorisée à importer temporairement le « Cable Innovator » au Canada (« admission temporaire C47 »). Par contre, l’ASFC a ajouté qu’une licence de cabotage (« licence C48 » ou « licence de cabotage ») doit être obtenue avant que le navire puisse entreprendre ses activités.

[5]  Global Marine affirme que jusque-là, et ce, depuis 2008 au moins, sa pratique avait consisté à faire renouveler son autorisation d’admission temporaire C47 d’année en année et de demander la licence C48 uniquement au besoin lorsqu’il lui fallait réaliser des travaux de maintenance ou de réparation sur des câbles sous-marins en eaux canadiennes. Cette façon de faire était censée réduire le temps nécessaire à l’obtention d’une licence C48.

[6]  Or, le 2 mai 2017, Global Marine a reçu un courriel de Transports Canada l’avisant que le « Cable Innovator » est tenu de posséder une licence C48 lorsqu’il est en disponibilité dans le port de Victoria. Entre juillet 2017 et mars 2019, diverses communications ont été échangées et des rencontres ont eu lieu; à ces occasions, Global Marine a présenté des données pour étayer son point de vue, à savoir que l’état de disponibilité opérationnelle n’est pas une activité maritime de nature commerciale et qu’il n’est donc pas nécessaire d’obtenir une licence C48 lorsqu’un navire se met en disponibilité opérationnelle. Elle a notamment fait valoir ce point de vue lors d’une rencontre organisée avec le sous-ministre adjoint de Transports Canada le 27 février 2019.

[7]  Puis, dans un courriel daté du 20 juin 2019, Mme Gelinas a informé Global Marine que Transports Canada continuait d’être d’avis que l’activité de mise en disponibilité opérationnelle du navire « Cable Innovator » était une activité maritime de nature commerciale au sens de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage et qu’en conséquence, le « Cable Innovator » devait obtenir une licence C48 pour la réparation de câbles et pour l’activité de mise en disponibilité.

[8]  Le 22 juillet 2019, Global Marine a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire du courriel du 20 juin 2019, considéré comme étant la décision du ministre des Transports (le « ministre ») prise par délégation.

Le régime législatif

[9]  Il n’est pas contesté que la procédure d’obtention d’une licence C48 comporte deux étapes. Dans un premier temps, il s’agit de présenter à l’ASFC et à l’OTC une demande C47 selon le formulaire prescrit. L’OTC détermine alors s’il existe un navire canadien ou un navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service projeté ou être affecté aux activités visées dans la demande (Loi sur le cabotage, alinéa 4(1)a), paragraphe 8(1)). S’il n’y en a pas, l’OTC autorisera l’importation temporaire du navire étranger. Cela dit, malgré l’autorisation, le navire ne peut se livrer au travail projeté avant que le ministre ne lui délivre une licence de cabotage. Lors de cette deuxième étape, la Direction générale de la sécurité maritime de Transports Canada procède à l’inspection du navire pour s’assurer qu’il satisfait à toutes les dispositions applicables en matière de sécurité et de prévention de la pollution (Loi sur le cabotage, alinéas 4(1)d) et e)). De plus, tous les droits et taxes afférents à l’importation temporaire doivent être acquittés (Loi sur le cabotage, s 4(1)(c)).

[10]  Selon un affidavit souscrit le 19 septembre 2019 par Marc-Yves Bertin, directeur général de la Politique maritime à Transports Canada, et déposé à l’appui de la réponse du ministre à la présente demande de contrôle judiciaire (« l’affidavit de M. Bertin »), les marchandises importées sont assujetties à des droits de douane dont les taux sont prévus au Tarif des douanes, LC 1997, c 36. Les navires importés sont généralement assujettis à un tarif de 25 p. 100. Toutefois, les navires importés au Canada à titre temporaire en vertu d’une licence de cabotage profitent d’une réduction des droits de douane correspondant à 1/120 de la valeur du navire pour chaque mois ou partie de mois où celui-ci demeure au Canada, conformément à ce que prévoient le paragraphe 3(1) et l’article 4 du Règlement sur la diminution ou la suppression des droits de douane sur les navires, DORS/90-304. Si l’auteur de la demande établit de manière satisfaisante que ces conditions sont remplies, l’ASFC lui délivre, au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, une licence de cabotage valide pour une durée maximale d’un an.

[11]  L’objet du litige, en l’espèce, est de savoir si le « Cable Innovator » exerce une « activité maritime de nature commerciale » au sens de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage lorsqu’il est en disponibilité opérationnelle dans le port de Victoria et, le cas échéant, s’il est alors tenu de posséder une licence de cabotage.

La Loi sur le cabotage

Loi sur le cabotage, LC 1992, c 31

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

cabotage

a) Le transport de marchandises par navire, ou par navire et par un autre moyen de transport, entre deux lieux situés au Canada ou au‑dessus du plateau continental du Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada; toutefois, dans les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, seul le transport de marchandises lié à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau constitue du cabotage;

b) sous réserve de l’alinéa c), le transport de passagers par navire à partir d’un lieu au Canada, situé sur un lac ou un cours d’eau à destination du même lieu ou vers un autre lieu au Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada;

c) le transport de passagers par navire à partir d’un lieu situé sur le fleuve Saint-Laurent en aval des écluses de Saint-Lambert ou sur le fleuve Fraser à l’ouest du pont Mission :

(i) soit à destination du même lieu, sans faire escale dans un port étranger, exception faite des escales techniques ou d’urgence,

(ii) soit vers un autre lieu au Canada, exception faite des escales de transit, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada;

d) le transport de passagers par navire à partir d’un autre lieu au Canada que ceux visés par les alinéas b) ou c) :

(i) soit à destination du même lieu, sans faire escale dans un port étranger, exception faite des escales techniques ou d’urgence,

(ii) soit vers un autre lieu au Canada, exception faite des escales de transit, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada;

e) le transport de passagers par navire, lorsque ce transport est lié à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau continental du Canada :

(i) soit à partir d’un lieu au Canada vers un lieu au-dessus du plateau,

(ii) soit à partir d’un lieu au-dessus du plateau à destination du même lieu ou vers un lieu au Canada,

(iii) soit entre deux lieux au-dessus du plateau;

f) toute autre activité maritime de nature commerciale effectuée par navire dans les eaux canadiennes ou les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, l’activité devant toutefois, dans ce dernier cas, être liée à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau. (coasting trade)

[…]

3(1) Sauf en conformité avec une licence, un navire étranger ou un navire non dédouané ne peut se livrer au cabotage.

[…]

4(1) Sous réserve de l’article 7, sur demande d’un résident du Canada agissant au nom d’un navire étranger, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile délivre une licence pour le navire s’il est convaincu à la fois :

a) que l’Office a déterminé qu’il n’existe pas de navire canadien ou de navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande;

b) dans le cas d’activités qui comportent le transport de passagers par navire, que l’Office a déterminé qu’aucun exploitant de navires canadiens n’offre un service adéquat — identique ou comparable;

c) que des arrangements ont été pris à l’égard du paiement des droits et taxes prévus par le Tarif des douanes et la Loi sur la taxe d’accise applicables à l’utilisation temporaire du navire au Canada;

d) que tous les certificats et documents délivrés à l’égard du navire étranger en vertu de conventions maritimes auxquelles le Canada est partie sont en cours de validité;

e) que le navire étranger satisfait à toutes les dispositions en matière de sécurité et de prévention de la pollution prévues par la législation canadienne applicable.

[…]

5 Sous réserve de l’article 7, sur demande d’un résident du Canada agissant au nom d’un navire non dédouané, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile délivre une licence pour le navire s’il est convaincu à la fois :

a) que l’Office a déterminé qu’il n’existe pas de navire canadien qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande;

b) dans le cas d’activités qui comportent le transport de passagers par navire, que l’Office a déterminé qu’aucun exploitant de navires canadiens n’offre un service adéquat — identique ou comparable;

c) que des arrangements ont été pris à l’égard du paiement des droits et taxes prévus par le Tarif des douanes et la Loi sur la taxe d’accise applicables à l’utilisation temporaire du navire au Canada.

[…]

12 Pour le contrôle d’application de la présente loi, le ministre des Transports peut désigner toute personne ou toute catégorie de personnes en qualité d’agents de l’autorité; il remet à chaque agent un certificat attestant sa qualité.

[…]

13(1) Lorsqu’un navire contrevient au paragraphe 3(1), le navire est coupable d’une infraction punissable par procédure sommaire et encourt une amende maximale de cinquante mille dollars

La décision faisant l’objet du contrôle

[12]  Le contenu du courriel que Mme Gelinas a adressé à M. Wrottesley le 20 juin 2019 est le suivant :

[traduction]

Monsieur,

Nous vous remercions de nous avoir transmis, le 25 mars dernier, vos observations concernant les activités du Cable Innovator. Je vous écris pour vous informer que l’information reçue ne modifie pas l’analyse de Transports Canada : l’activité de mise en disponibilité exercée par le Cable Innovator pour aider à la réparation de câbles dans les eaux canadiennes est considérée comme une activité maritime de nature commerciale selon la Loi sur le cabotage et elle est visée par la définition de « cabotage » énoncée à l’alinéa 2(1)f) de la Loi.

À la lecture de la plus récente communication que vous nous avez transmise et de celles qui l’ont précédée, nous croyons comprendre que Global Marine Systems, Ltd. n’adhère pas à la conclusion que le navire effectue une activité maritime. À notre avis, il ne fait aucun doute que si un navire mouille dans un port, avec son équipage, en restant prêt à appareiller pour réparer en urgence la rupture d’un câble dans un délai de 24 heures conformément à l’accord de la zone d’Amérique du Nord encadrant son exploitation, il effectue une activité maritime.

Par conséquent, le Cable Innovator doit obtenir une licence de cabotage pour la réparation de câbles et l’activité de disponibilité opérationnelle. Je tiens également à rappeler que les navires qui ne se conforment pas à la Loi sur le cabotage s’exposent, sur déclaration sommaire de culpabilité, à la rétention et à des peines connexes, y compris des amendes, selon les termes de l’article 13 de la Loi.

Espérant que la présente communication règle définitivement la question, je vous prie de recevoir, Monsieur, mes sincères salutations.

Emilie Gelinas

Les questions en litige

[13]  Selon Global Marine, le présent contrôle judiciaire soulève deux questions :

  1. L’interprétation que fait le ministre du terme « activité maritime de nature commerciale », à l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage, est-elle erronée et déroge‑t‑elle aux règles modernes d’interprétation législative?
  2. Était-il déraisonnable que le ministre conclue que le « Cable Innovator » se livrait à du cabotage?

[14]  Le ministre soulève une question préliminaire, qui vise à déterminer si le courriel du 20 juin 2019 constitue une décision ou s’il peut par ailleurs faire l’objet d’un contrôle en tant que mesure administrative. Il soutient que la question sujette à un contrôle sur le fond est de savoir si la conclusion de Transports Canada – c’est-à-dire, que l’activité de disponibilité du « Cable Innovator » est visée par la définition de « cabotage » – est raisonnable.

[15]  Pour ma part, je suis d’avis que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Question préliminaire : le courriel du 20 juin 2019 est-il susceptible de contrôle judiciaire?
  2. Dans l’affirmative, la décision du ministre était-elle raisonnable?

La norme de contrôle

[16]  Dans ses observations écrites, Global Marine affirme que le contrôle de la décision du ministre devrait se faire selon la norme de la décision correcte; toutefois, ces observations ont été déposées avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov »).

[17]  Devant moi, les avocats de Global Marine et du ministre ont fait valoir que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, et j’abonde dans le même sens.

[18]  Les avocats de Global Marine signalent que la Cour suprême déclare entre autres, dans l’arrêt Vavilov, qu’« une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Elle ajoute aussi que le contexte particulier d’une décision pose les contours de ce que le décideur administratif pourra raisonnablement décider dans un cas donné, et que ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen (Vavilov, par. 88, 90 et 105). Au moment d’évaluer si une décision est raisonnable, la cour de révision doit se demander si cette décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99). Pour être raisonnable, une décision doit être « justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents » (Vavilov, par. 105).

[19]  Le ministre soutient que l’interprétation de Transports Canada aura forcément une certaine dimension discrétionnaire, étant donné que les mots de l’alinéa 2(1)f) qui sont en cause, « toute autre activité maritime de nature commerciale », ne sont pas définis dans la Loi sur le cabotage. Il faut donc recourir à l’expertise de Transports Canada en matière maritime et au contexte factuel pour préciser le sens de ces mots. L’interprétation de Transports Canada doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, de la manière exposée dans l’arrêt Vavilov (par. 91‑98).

[20]  À mon sens, le paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov énonce avec concision les éléments auxquels la cour de révision doit attacher de l’importance lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable d’une décision administrative :

[85]  Comprendre le raisonnement qui a mené à la décision administrative permet à la cour de révision de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Comme nous l’expliquerons davantage, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision.

Question préliminaire : le courriel du 20 juin 2019 est-il susceptible de contrôle judiciaire?

La position du ministre

[21]  Le ministre prétend que Global Marine a tort de considérer le courriel du 20 juin 2019 comme une « décision définitive » de Transports Canada pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il admet que le contrôle judiciaire ne se limite pas aux décisions et ordonnances et qu’il peut porter sur des mesures administratives (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art. 300; Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347, par. 24 (« Air Canada »)). Néanmoins, le ministre soutient que le courriel en cause n’est ni une décision ni une mesure portant atteinte aux droits de Global Marine, imposant des obligations juridiques ou entraînant des effets préjudiciables (Air Canada, par. 28‑29).

[22]  Bien que l’article 18.1 des Règles des Cours fédérales autorise quiconque est « directement touché par l’objet de la demande » à présenter une demande de contrôle judiciaire, le ministre qualifie le courriel de Mme Gelinas d’indications non contraignantes qui ne portent pas directement atteinte aux droits de Global Marine (Timberwest Forest Corp c Canada, 2007 CF 148, par. 92, conf. par 2007 CAF 389). Le ministre assimile le courriel à une décision anticipée ou à une lettre de courtoisie, ou de politesse, toutes choses qui ne sont pas des décisions ou mesures administratives susceptibles de révision (Philipps c Bibliothécaire et Archiviste du Canada, 2006 CF 1378, par. 32 (« Philipps »); Hughes c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 1055, par. 6 (« Hughes »); Rothmans, Benson & Hedges Inc c Ministre du Revenu national, 148 FTR 3, [1998] ACF no 79, par. 28 (C.F. 1re inst.) (QL/Lexis) (« Rothmans »); Démocratie en surveillance c Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, par. 9‑11 (« Démocratie en surveillance »)). Le ministre soutient en outre que la loi ne reconnaît à Global Marine aucun droit à une décision de Transports Canada, quelle que soit la nature de cette décision. Mme Gelinas a notamment comme responsabilité de veiller à l’application de la Loi sur le cabotage, y compris par la prestation d’indications non contraignantes. Aucune décision n’est prise lorsque de telles indications générales sont données. À cet égard, le rôle de Mme Gelinas se distingue des mesures d’exécution qui peuvent être prises en vertu des articles 13 à 16 de la Loi sur le cabotage, mesures qui auraient une incidence sur les droits d’une partie. Dans le courriel du 20 juin 2019, Mme Gelinas fait simplement état de l’analyse de la situation par Transports Canada et elle conseille à Global Marine d’obtenir une licence de cabotage pour les activités de réparation et de mise en disponibilité du « Cable Innovator ». Aucune directive ni aucun ordre en ce sens n’y sont donnés. Le courriel ne se prononce pas sur la question des droits de Global Marine; cependant, il attire l’attention de cette dernière sur les conséquences que pourrait entraîner une infraction à la Loi sur le cabotage.

[23]  Le ministre fait aussi valoir que le courriel du 20 juin 2019 est le dernier d’une série de pièces de correspondance qui reprennent la même opinion, soit que les activités du « Cable Innovator » sont visées par la définition de cabotage de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage. Rien ne justifie de traiter le courriel du 20 juin 2019 comme une décision, si on le compare à tous les courriels qui l’ont précédé et ont exposé la même position, le corollaire étant que si le courriel du 20 juin 2019 peut être considéré comme une décision, cela vaut également pour les communications précédentes. Pour cette raison, et parce que Global Marine n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions précédentes, elle a désormais dépassé le délai imparti de 30 jours pour le faire, s’agissant des communications antérieures et en grande partie identiques de Transports Canada.

La position de Global Marine

[24]  Global Marine invoque la décision Larny Holdings Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2002 CFPI 750 (« Larny ») pour faire valoir que le recours en contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales se veut englobant et que ces dispositions doivent recevoir une interprétation libérale. Le contrôle peut s’étendre à la lettre d’une autorité réglementaire informant son destinataire qu’elle a constaté ce qu’elle estime être une violation de la loi et qu’elle prendra des mesures pour faire respecter celle-ci si la pratique en cause ne cesse pas (voir aussi Markevich c Canada, 163 FTR 209, 172 DLR (4th) 164 (1re inst.) (« Markevich »); Morneault c Canada (Procureur général), 189 DLR (4th) 96, 2000 CanLII 15737 (CAF) (« Morneault »); Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc c Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), 125 DLR (4th) 559, [1995] ACF no 735 (CAF) (QL/Lexis) (« Gestion »); Falls Management Co c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 924, par. 18‑20).

Analyse

[25]  Dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale s’est employée à définir ce qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire :

[24]  Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ». La question qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ne comprend pas seulement une « décision ou ordonnance », mais tout objet susceptible de donner droit à une réparation aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Le paragraphe 18.1(3) apporte d’autres précisions à ce sujet, indiquant que la Cour peut accorder une réparation à l’égard d’un « acte », de l’omission ou du refus d’accomplir un « acte », ou du retard mis à exécuter un « acte », une « décision », une « ordonnance » et une « procédure ». Enfin, les règles qui régissent les demandes de contrôle judiciaire s’appliquent aux « demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives », et non pas aux seules demandes de contrôle judiciaire de « décisions ou ordonnances » : article 300 des Règles des Cours fédérales.

[25]  En ce qui concerne les « décisions » ou « ordonnances », la seule exigence est que les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les 30 jours qui suivent la première communication : paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[…]

[28]  La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[29]  Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149.

[30]  De nombreuses décisions illustrent ce type de situation : p. ex., 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, 375 N.R. 368 (lettre d’un fonctionnaire proposant des dates de réunion); Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11 (lettre de politesse envoyée en réponse à une demande de révision); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Ministre du Revenu national, [1998] 2 C.T.C. 176, 148 F.T.R. 3 (1re inst.) (une décision anticipée ne constitue qu’une opinion ne liant pas son auteur).

[26]  Pour déterminer si le courriel du 20 juin 2019 peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, il faut d’abord procéder à l’examen de la preuve pertinente et du contexte factuel à l’origine de ce courriel.

[27]  L’affidavit de M. Bertin contient la déclaration suivante :

[traduction]

22.  La Direction générale de la politique maritime (« Direction générale ») est l’organisation qui, au sein de Transports Canada, est responsable, entre autres, de l’exécution et du contrôle d’application de la Loi [sur le cabotage]. Ses responsabilités consistent :

a) à prendre des mesures pour le respect et le contrôle d’application de la Loi, en application des articles 12 à 16 de la Loi;

b) à confier à un ou plusieurs agents désignés la responsabilité de la prise de mesures pour le contrôle d’application sous le régime de la Loi;

c) à fournir des indications non contraignantes sur l’application de la Loi aux tiers intéressés, tels les éventuels demandeurs de licence de cabotage et les autres ministères.

[28]  M. Bertin ajoute, dans son affidavit, que l’application de la Loi sur le cabotage fait partie des responsabilités de l’auteure du courriel du 20 juin 2019, Mme Gelinas. On peut notamment y lire ce qui suit :

[traduction]

24.  Dans le cadre de ces fonctions de nature administrative, Mme Gelinas et d’autres membres de la Direction générale fournissent des indications et des avis consultatifs non contraignants en réponse aux demandes de renseignements de tiers intéressés, comme les propriétaires et exploitants de navires et les agents maritimes, concernant la façon dont la Loi s’appliquerait vraisemblablement à une situation donnée. Ces demandes d’orientations sont assez fréquentes : jusqu’ici, pour 2019, la Direction générale a reçu 43 demandes d’indications ou d’avis consultatifs portant sur l’application probable de la Loi. De même, la Direction générale communique avec les intéressés lorsqu’elle reçoit de l’information permettant de croire qu’ils ne se conforment pas à la Loi, comme ce fut le cas ici, et elle les informe des exigences de la Loi et leur fournit des indications.

[29]  Mme Gelinas est également désignée en qualité d’agente de l’autorité par le ministre des Transports, en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur le cabotage. À ce titre, elle décide des mesures à prendre en matière de contrôle d’application; en particulier, elle détermine si les activités ou les actes d’un navire constituent une infraction à la Loi justifiant le dépôt d’accusations. L’agent d’autorité peut par ailleurs ordonner la rétention et la perquisition de tout navire visé par le dépôt d’accusations sous le régime de la Loi sur le cabotage. Mme Gelinas n’a pris aucune mesure en matière de contrôle d’application contre le « Cable Innovator ».

[30]  En date du 21 septembre 2016, Global Marine a rempli un formulaire de demande C47, qu’elle a soumis avec une lettre contenant des renseignements généraux et portant la date du 27 septembre 2016. L’OTC a autorisé l’importation temporaire du navire par l’entremise d’une lettre de l’ASFC datée du 17 octobre 2016.

[31]  Le 2 mai 2017, Mme Katerina Klimas, analyste des politiques à la Direction générale de la politique maritime, a écrit au mandataire canadien de Global Marine, King Bros. Limited, au sujet de l’admission temporaire C47. Dans ce courriel, elle déclare que, selon ce que Transports Canada a appris, le « Cable Innovator » n’a toujours pas obtenu de licence de cabotage, alors qu’il se tient en disponibilité dans le port de Victoria aux fins de l’exercice des activités énoncées dans la demande C47. Elle poursuit en précisant que les navires étrangers auxquels l’admission temporaire au Canada est accordée pour fins de cabotage sont tenus d’obtenir une licence de cabotage, au plus tard au moment d’entreprendre l’activité maritime de nature commerciale visée par la demande. Mme Klimas conclut sur ces mots : [traduction] « Nous vous prions de bien vouloir vous procurer votre licence de cabotage dans les plus brefs délais. Si vous souhaitez en discuter davantage, n’hésitez pas à communiquer directement avec moi. »

[32]  Le 10 mai 2017, Mme Louise Laflamme, cheffe, Politique maritime et affaires réglementaires, a envoyé un courriel de suivi à King Bros. Limited pour lui rappeler que les navires qui ne se plient pas aux exigences de la Loi sur le cabotage s’exposent à des sanctions et à la rétention. Elle attire aussi son attention sur les paragraphes 3(1), 13(1) et (2) et 16(1) de la Loi, qui traitent de ces questions. Mme Laflamme sollicite la collaboration immédiate du destinataire et précise que l’ASFC recevra copie du courriel afin d’être informée de la situation. Enfin, elle l’invite à communiquer avec elle pour tout complément d’information ou pour discuter plus amplement de la question s’il le souhaite.

[33]  Le jour même, King Bros. Limited a répondu au courriel. Après avoir précisé que le « Cable Innovator » était en disponibilité et que pour le moment, il ne se livrait pas au cabotage, l’agent maritime a ajouté que le navire prendra les mesures nécessaires pour se procurer la licence de cabotage dès qu’il aura une mission à remplir en eaux canadiennes.

[34]  Mme Gelinas a répondu à ce courriel le 11 mai 2017. Dans son message, elle résume la teneur de la demande C47 présentée au nom du « Cable Innovator ». Puis, elle précise que le navire fonctionnait en mode de disponibilité (l’activité visée par la demande C47) au cours de la période définie dans toutes les pièces jointes et prie de nouveau le destinataire d’obtenir une licence de cabotage pour le « Cable Innovator ».

[35]  Dans un courriel adressé à King Bros. Limited le 13 juillet 2017, Mme Gelinas a déclaré que l’activité du « Cable Innovator », qui consiste à rester prêt à intervenir pour réparer des câbles au large de la côte ouest du Canada, est considérée comme une activité maritime de nature commerciale au sens de la Loi sur le cabotage, ce qui oblige le navire à se procurer une licence de cabotage pour pouvoir s’engager dans l’activité de mise en disponibilité :

[traduction] Comme le navire contrevient actuellement à la Loi, je vous demanderais une fois de plus de bien vouloir vous procurer une licence de cabotage pour le Cable Innovator et d’en informer Transports Canada une fois que vous l’aurez obtenue. À défaut, Transports Canada prendra des mesures pour la rétention du navire jusqu’à ce qu’une licence soit obtenue ou que le navire quitte définitivement les eaux canadiennes. Conformément à ce qui est indiqué ci-dessous et à l’article 13 de la Loi, le navire qui contrevient au paragraphe 3(1) est coupable d’une infraction punissable par procédure sommaire et encourt une amende maximale de cinquante mille dollars; en outre, il est compté une infraction distincte pour chacun des jours au cours desquels se réalise ou se continue la perpétration d’une infraction prévue au paragraphe (1).

[Souligné dans l’original.]

[36]  Mme Gelinas a ajouté qu’elle fera un suivi sous peu pour discuter de la question et s’assurer que l’information transmise est bien comprise.

[37]  Le 13 juillet 2017, M. Simon Smith, vice-président de King Bros. Limited, a envoyé un courriel à Mme Gelinas. Après avoir mentionné le fait qu’il venait d’être informé du dossier, il lui demande de lui indiquer l’article de la Loi sur le cabotage définissant expressément comme du cabotage la mise en disponibilité d’un navire. Il signale également que King Bros. Limited ne s’était jamais heurtée à ce problème lors de ses précédentes demandes C47.

[38]  Le 14 juillet 2017, dans sa réponse au courriel, Mme Gelinas déclare que le cabotage est défini dans la Loi, réitère la position de Transports Canada, à savoir que le fait de se tenir en disponibilité est considéré comme une activité maritime de nature commerciale relevant de l’alinéa 2(1)f), et reproduit le texte des alinéas 2(1)a) à f) de la Loi sur le cabotage. Elle demande de savoir à quel moment King Bros. Limited a reçu d’autres directives de Global Marine et propose à M. Smith de lui téléphoner la semaine suivante pour qu’ils règlent la question.

[39]  Dans une lettre datée du 21 juillet 2017, Global Marine fournit des détails sur ses opérations, dont celles découlant du contrat de la ZAN, ainsi que sur le rôle du « Cable Innovator » et ses [traduction] « escales » à Victoria. L’entreprise déclare ne pas souscrire à l’opinion voulant que ces escales constituent des activités maritimes de nature commerciale au Canada nécessitant une licence de cabotage : elle explique qu’elle maintient des autorisations d’admission temporaire C47 en vigueur pour des navires depuis plus de 10 ans et que c’est la première fois que Transports Canada lui impose d’obtenir immédiatement la licence C48. Enfin, elle dit accueillir favorablement l’idée d’une rencontre pour discuter de la question et répondre aux éventuelles préoccupations de Transports Canada.

[40]  Le 28 août 2017, Mme Gelinas a répondu à la lettre du 21 juillet 2017 : elle y réitère la position de Transports Canada, à savoir que l’activité de mise en disponibilité en vue d’offrir un service est considérée comme du cabotage et une licence doit être obtenue avant que le navire entreprenne ses activités ou ses opérations. Elle rappelle que les navires en infraction s’exposent à la rétention et à des sanctions connexes.

[41]  Dans un courriel daté du 29 août 2017, Global Marine sollicite une rencontre.

[42]  Le 30 août 2017, Mme Gelinas a pris acte de la demande dans un courriel où elle mentionne que Transports Canada demeure ouvert au dialogue avec Global Marine et propose une rencontre pour le 6 septembre 2017. Puis, elle ajoute :

[traduction] Cette rencontre est proposée pour que Global Marine puisse mieux faire connaître les activités du CS INNOVATORS et pour que Transports Canada veille à ce que Global Marine obtienne des éclaircissements sur ce qui constitue du cabotage au sens de la Loi sur le cabotage du Canada. Nous prions Global Marine de bien vouloir nous fournir à l’avance tous les renseignements supplémentaires qui devront être examinés lors de notre rencontre.

[43]  Le 1er septembre 2017, Global Marine a fourni d’autres renseignements. La rencontre a lieu le 6 septembre 2017 et, le jour même, Global Marine remet à Transports Canada une copie de l’exposé qu’elle y a présenté.

[44]  Dans un courriel daté du 7 septembre 2017, Mme Gelinas accuse réception des renseignements, ajoutant que Transports Canada allait procéder à leur examen.

[45]  Global Marine a effectué un suivi par courriel le 6 octobre 2017, puis le 11 octobre 2017. Dans ce dernier courriel, l’entreprise demande si Mme Gelinas a arrêté sa position quant à l’obligation pour le « Cable Innovator » d’obtenir une permission sous le régime de la Loi sur le cabotage pour sa seul présence dans un port situé en eaux canadiennes, à attendre qu’on fasse appel à lui pour des réparations. L’entreprise explique : [traduction] « [Nous] avons besoin d’une décision officielle qui nous aidera à décider de la suite des choses. »

[46]  Dans un courriel daté du 11 octobre 2017, Mme Gelinas déclare que Transports Canada étudie toujours la question et qu’il fera tout en son pouvoir pour présenter une réponse à Global Marine dans les meilleurs délais.

[47]  Les 4 et 5 juillet 2018, Global Marine a écrit au ministre. Elle explique que, depuis la fin des années 1970, elle garde un navire câblier basé à Victoria. Or, en mai 2017, alors qu’il n’y avait eu aucun changement dans le régime législatif ou dans le mode de fonctionnement de Global Marine, Transports Canada l’a informée qu’elle devait obtenir une licence de cabotage C48 pour que le « Cable Innovator » puisse rester à l’arrêt dans le port de Victoria. Global Marine joint à sa lettre un mémoire de cinq pages exposant les raisons pour lesquelles l’entreprise conteste la position de Transports Canada, qui soutient que le navire se livre de ce fait à une « activité maritime de nature commerciale » au sens de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage. Elle demande au ministre de confirmer que tandis qu’il reste ainsi à l’arrêt, le « Cable Innovator » n’est pas visé par l’alinéa 2(1)(f).

[48]  Le 12 octobre 2018, Mme Gelinas a adressé un courriel à Global Marine. Lui présentant d’abord ses excuses pour avoir tardé à répondre, elle convie l’entreprise à une rencontre pour discuter de l’exploitation du « Cable Innovator » dans le port de Victoria. Global Marine a répondu au courriel le 15 octobre 2018, et à nouveau le 8 novembre 2018, indiquant qu’elle accepte la rencontre et demandant d’être informée à l’avance des sujets précis qui y seront abordés.

[49]  Le 9 novembre 2019, M. Marc‑Yves Bertin a écrit à Global Marine. Il explique qu’à titre de directeur général de la Politique maritime à Transports Canada, il estime important que son équipe rencontre Global Marine pour discuter de la lettre que cette dernière a adressée au ministre, mais qu’au préalable, il tient à rappeler [TRADUCTION] « que l’activité consistant à “maintenir le navire dans un état permanent de disponibilité lui permettant de procéder, moyennant un très court préavis, aux réparations urgentes de câbles, conformément aux stipulations des contrats conclus avec les propriétaires des câbles” – activité figurant dans la dernière demande d’admission aux fins de cabotage que vous avez soumise à l’Office des transports du Canada, le 21 septembre 2016 – est visée par la définition de cabotage énoncée à l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage. Il s’ensuit que lorsque le Cable Innovator est en disponibilité dans les eaux canadiennes, une licence de cabotage est requise ».

[50]  Le 27 février 2019, Global Marine a rencontré le sous-ministre adjoint de Transports Canada pour discuter de la question. Le 25 mars 2019, à la demande du sous-ministre adjoint, Global Marine a présenté des observations écrites énonçant les raisons pour lesquelles elle maintient que le fait de se tenir à l’arrêt et prêt à intervenir n’est pas une activité maritime de nature commerciale et ne requiert donc pas de licence C48. Jugeant erronée la façon dont Transports Canada interprète l’alinéa 2(1)f), Global Marine a proposé l’interprétation qu’elle juge correcte.

[51]  Vient ensuite le courriel de Mme Gelinas du 20 juin 2019, reproduit plus haut.

[52]  Je ne suis pas convaincue qu’on puisse assimiler ce courriel du 20 juin 2019, qui marque le point culminant d’une longue discussion, à une lettre de courtoisie. L’envoi d’une lettre de courtoisie s’inscrit généralement en réponse à une demande de réexamen d’une décision antérieure.

[53]  Par exemple, dans l’affaire Hughes c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 1055, citée par le ministre, il avait été établi, au terme d’un processus de sélection interne, que le demandeur ne possédait pas les qualifications requises pour occuper un poste à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC »). Au lieu de chercher à faire contrôler cette décision par la Cour, le demandeur a tenté de la faire réviser au moyen d’une lettre dans laquelle il se plaignait du processus de sélection. Dans la réponse qu’il lui adresse, le sous‑commissaire de la Direction des ressources humaines de l’ADRC explique qu’il ne disposait, selon les termes du programme de dotation, d’aucun autre recours.

[54]  Le demandeur a alors tenté d’attribuer à la lettre le caractère d’une décision susceptible de contrôle judiciaire. La Cour, qui n’était pas d’accord, a déclaré ceci :

[6]  Je suis d’accord avec le défendeur que la lettre de M. Tucker est, tout au plus, une lettre de politesse. La jurisprudence a clairement établi qu’une lettre de politesse écrite en réponse à une demande de réexamen ne constitue pas une décision ou une ordonnance au sens de la Loi sur la Cour fédérale, et, par conséquent, ne peut être contestée par voie de contrôle judiciaire (Batkai c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 514, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.); Krishnamurthy c. Canada (M.C.I.) [2000] A.C.F. no 1998 (Q.L.), au paragraphe 14 (C.F. 1re inst.); Brar c. Canada (M.C.I.) (1997), 140 F.T.R. 163, aux paragraphes 7 à 9 (C.F. 1re inst.)).

[55]  La décision Brar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 140 FTR 163, [1997] ACF no 1527 (C.F. 1re inst.) (QL/Lexis), sur laquelle s’appuie également le ministre, va dans le même sens. Dans cette affaire, le requérant sollicitait le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui avait refusé de procéder au réexamen de sa demande de résidence permanente. La Cour, dans cette affaire, déclare ce qui suit :

[7]  En l’espèce, le requérant Brar ne conteste pas la lettre de refus en date du 23 janvier 1996 de l’agent des visas. Il conteste plutôt la lettre en date du 8 juillet 1996 portant refus de la demande de nouvel examen. L’intimé qualifie cette lettre de simple « réponse de courtoisie » ne constituant pas une « décision » au sens où ce terme est employé à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[8]  Je suis d’accord avec l’intimé. Ce point de vue est appuyé par la décision rendue par le juge Noël dans l’affaire Dumbrava c. M.C.I., dans laquelle il a été décidé que lorsqu’il y a une nouvelle décision fondée sur des faits nouveaux, il y a toujours « nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire ». En l’espèce, l’agente des visas n’avait pas fait référence à des faits ou à des arguments nouveaux, et elle n’avait pas déclaré qu’elle réexaminait sa décision. Comme le juge McKeown l’a indiqué dans l’affaire Dhaliwal c. M.C.I., « un procureur ne peut reporter la date d’une décision en envoyant une lettre dans l’intention de susciter une réponse ».

[9]  En l’espèce, rien ne permet d’expliquer pourquoi l’avocat de M. Brar n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire ou de demande de prorogation de délai en temps opportun. Je conviens avec l’avocat de l’intimé que la lettre en date du 8 juillet 1996 est une simple réponse de courtoisie et n’est pas susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1. Pour cette raison, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. J’ai toutefois l’intention d’exprimer mon opinion sur la deuxième question soulevée par les parties, à savoir celle du functus officio.

[Renvois omis.]

[56]  Dans l’affaire qui nous occupe, comme le montre la correspondance entre Transports Canada et Global Marine, dont il est fait état précédemment, Transports Canada avait manifestement arrêté son opinion quant à l’interprétation et l’application de l’alinéa 2(1)f) lorsqu’il a pris contact avec Global Marine. Il est tout aussi manifeste qu’il n’a pas modifié sa position au fil des discussions qui ont suivi. En revanche, Transports Canada a aussi à maintes reprises invité Global Marine à fournir des renseignements – ce que cette dernière a considéré comme un signe favorable à sa propre position –, a proposé et convoqué des rencontres avec Global Marine pour lui permettre de faire valoir sa position et, surtout, a indiqué qu’il procédait à un examen des renseignements fournis. De fait, le courriel du 20 juin 2019 accuse explicitement réception des observations de Global Marine du 25 mars 2019.

[57]  À mon sens, il faut présumer qu’en invitant ainsi Global Marine à fournir de plus amples renseignements, Transports Canada entendait tenir compte de ces renseignements et en a effectivement tenu compte. Et même si le ministère n’a pas modifié ses conclusions de départ, il ne semble pas qu’il soit arrivé à une décision définitive avant la lettre du 20 juin 2019. Mme Gelinas conclut sa lettre en disant espérer [traduction] « que la présente communication règle définitivement la question », ce qui évoque un dénouement qui ne se dégage par ailleurs pas des rencontres tenues et des communications échangées. Ainsi, il ne s’agit pas d’une situation où une décision définitive avait été rendue et communiquée à ce titre à Global Marine, qui a alors cherché à en obtenir le réexamen. Le courriel du 20 juin 2019 n’est donc pas de la nature d’une lettre de courtoisie.

[58]  De la même façon, la décision Philipps n’est d’aucune aide pour le ministre, car elle se distingue de l’affaire dont je suis saisie sur le plan des faits. Dans Philipps, une collection d’archives privées avait été cédée à Bibliothèque et Archives Canada (« BAC ») à la condition que ces archives ne soient pas rendues publiques avant que 20 années se soient écoulées à compter du décès du donateur. Par la suite, l’épouse du donateur a demandé à ce que cette restriction soit prolongée pour une période ne se terminant que 10 années après son propre décès. BAC a accédé à la demande. Puis, un peu plus tard, BAC a de nouveau modifié la restriction d’accès aux archives en la faisant passer à 25 ans à compter du décès de la femme du donateur. Le demandeur avait présenté plusieurs demandes d’accès aux archives. Après un échange de pièces de correspondance sur la question, BAC a écrit une dernière lettre pour informer le demandeur qu’elle avait décidé de maintenir les restrictions d’accès en vigueur et que cette décision était définitive. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision, et sa demande a été accueillie en partie.

[59]  La Cour a statué que la lettre était susceptible de contrôle judiciaire et que BAC ne pouvait prétendre qu’il s’agissait d’une simple réponse donnée par courtoisie à une requête du demandeur. Après avoir rappelé que la jurisprudence avait établi qu’une lettre de politesse écrite en réponse à une demande de révision ou de réexamen ne constituait pas une décision ou une ordonnance au sens de la Loi sur les Cours fédérales, et par conséquent, ne pouvait être contestée par voie de contrôle judiciaire, la Cour a ajouté qu’avant qu’il y ait une nouvelle décision susceptible d’un contrôle judiciaire, il devait y avoir un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, tel que le réexamen d’une décision antérieure à la lumière de faits nouveaux. (Philipps, par. 32).

[60]  Concernant la lettre en cause dans l’affaire Philipps, la Cour a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une lettre de politesse étant donné que BAC avait décidé dans une lettre antérieure de réviser sa décision de refuser au demandeur l’accès aux archives. Ainsi, au moyen de cette précédente lettre, BAC avait décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour réviser sa décision antérieure.

[61]  L’affaire qui nous occupe diffère de celle étudiée dans la décision Philipps, car il ne se dégage pas clairement des circonstances qui m’ont été rapportées qu’une décision définitive avait antérieurement été rendue et communiquée à ce titre, mais qu’en raison d’un changement de circonstances ou de nouveaux renseignements, Transports Canada avait à nouveau exercé son pouvoir discrétionnaire pour revoir sa décision. Au contraire, comme nous l’avons vu, en plus d’informer Global Marine des conclusions de son analyse sur l’application de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage, Transports Canada a invité cette dernière à engager des discussions, à fournir des renseignements et à participer à des rencontres pour discuter des raisons pour lesquelles elle ne partageait pas l’opinion de Transports Canada concernant l’application de l’alinéa 2(1)f) à l’activité de mise en disponibilité du « Cable Innovator ». Certes, Transports Canada n’a pas modifié son point de vue après avoir examiné les observations de Global Marine, mais il n’a pas non plus clairement indiqué qu’il avait arrêté sa décision avant l’envoi du courriel du 20 juin 2019.

[62]  En somme, compte tenu des paroles et des actes de Transports Canada, il est impossible d’affirmer avec certitude que le ministère avait déjà pris une décision définitive. Son courriel du 20 juin 2019 n’est donc pas une simple lettre de courtoisie, car elle n’a pas été écrite en réponse à une demande de réexamen. Quoi qu’il en soit, même si je devais avoir tort et même s’il se trouve que Transports Canada a bien rendu une première décision définitive pour ensuite décider, en vertu d’un nouvel exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’examiner les observations supplémentaires sollicitées de Global Marine puis, le 20 juin 2019, de rendre une nouvelle décision, cette dernière ne constituerait pas une simple réponse à une demande de réexamen.

[63]  Le ministre soutient aussi que le courriel du 20 juin 2019 relève de la catégorie des indications non contraignantes, ou qu’il s’apparente à une décision anticipée. Sur ce point, il invoque la décision Rothmans. Dans cette affaire, la requérante s’était adressée à Revenu Canada, Douanes, Accise et Impôt afin d’obtenir une décision anticipée quant à la question de savoir si certains produits du tabac étaient visés par la définition de « bâtonnet de tabac ». Dans sa décision anticipée, Revenu Canada a qualifié de bâtonnets de tabac quelques-uns des produits en cause (Rothmans, par. 24). La requérante, qui contestait cette interprétation, a alors demandé à la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision. Ayant radié l’avis de requête introductive d’instance de la requérante et rejeté l’action sous-jacente, la Cour explique que « [l]a décision anticipée n’a pour effet ni d’accorder ni de refuser un droit, et n’entraîne aucune conséquence juridique. Juridiquement, ce type de mesure n’a pas pour effet de régler la question et ce n’est d’ailleurs pas son objet. Il s’agit, tout au plus, d’un avis n’ayant aucune force obligatoire. D’ailleurs, rien n’indique qu’un produit correspondant au prototype dont il est question dans la décision anticipée ait été taxé. » (Rothmans, par. 28)

[64]  Pour étayer sa thèse selon laquelle Transports Canada n’a fait que donner des indications et des conseils, le ministre mentionne le paragraphe 4.6.1 des Lignes directrices relatives au traitement des demandes de licence de cabotage :

4.6.1 Transports Canada

84.  Bien qu’il soit de la responsabilité du proposant d’obtenir une licence de cabotage pour tout navire étranger ou non dédouané immatriculé au Canada effectuant des activités de cabotage, Transports Canada peut guider le proposant en ce qui a trait à l’application de la Loi sur le cabotage pour des activités particulières (c.-à-d. pour déterminer si une activité est considérée ou non comme une activité de cabotage) […].

85.  Les demandes pour déterminer si une activité constitue ou non une activité de cabotage doivent être acheminées à Politique maritime de Transports Canada.

[65]  Un fait mérite d’être souligné : Global Marine n’a jamais pris contact avec Transports Canada pour lui demander des conseils. C’est plutôt Transports Canada qui, le 2 mai 2017, a communiqué avec l’agent canadien de Global Marine, King Bros. Limited, pour lui signaler que, selon les renseignements portés à sa connaissance, le « Cable Innovator » n’avait toujours pas obtenu de licence de cabotage alors qu’il était en disponibilité dans le port de Victoria aux fins de l’exercice des activités énoncées dans la demande C47.

[66]  Selon l’affidavit de M. Bertin, c’est aux environs d’avril 2017 que Transports Canada a d’abord su que le « Cable Innovator » se tenait prêt à appareiller, dans le port de Victoria, pour effectuer la réparation de câbles sous‑marins de fibre optique dans un délai de 24 heures conformément aux obligations stipulées dans le contrat de la ZAN. Il l’avait appris en raison de l’action en justice qu’un syndicat, l’International Longshore and Warehouse Union (« ILWU »), avait intentée contre le « Cable Innovator » parce qu’il comptait parmi les membres de son équipage des travailleurs temporaires étrangers. À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, Global Marine a produit l’affidavit de John Wrottesley, gestionnaire des permis de Global Marine (« l’affidavit de M. Wrottesley »). D’après cet affidavit, le 18 août 2016, Global Marine a reçu une lettre dans laquelle l’ILWU affirme que l’un des navires de l’entreprise, le câblier « Wave Venture », qui avait été gardé dans le port de Victoria pour être ensuite remplacé par le « Cable Innovator », se livrait à du cabotage au sens de la Loi sur le cabotage. Toujours dans cette lettre qui est jointe en tant que pièce à l’affidavit de M. Wrottesley, l’ILWU déclare avoir appris qu’une demande de licence de cabotage a été présentée pour le câblier « Wave Venture » et précise que certains de ses membres sont aptes à travailler à bord de navires dans divers postes n’exigeant pas de brevet. Le syndicat invite Global Marine à prendre de telles dispositions pour former l’équipage du « Wave Venture » pendant qu’il se trouve au Canada.

[67]  Vu sous cet angle, on ne saurait affirmer que les communications que Transports Canada a adressées à Global Marine interviennent dans un contexte où, conformément aux Lignes directrices relatives au traitement des demandes de licence de cabotage, Transports Canada a donné à un proposant, à la demande de ce dernier, des conseils non contraignants concernant l’application probable de la Loi sur le cabotage à une situation donnée. Au contraire, en l’espèce, c’est Transports Canada qui, après avoir délivré l’autorisation d’admission temporaire C47, a pris contact avec Global Marine pour lui signaler ce qui, à son avis, constituait une infraction à la Loi sur le cabotage. Il s’agit d’une situation dont les lignes directrices ne traitent pas.

[68]  Cela dit, d’après l’affidavit de M. Bertin, le mandat des employés de la Direction générale de la politique maritime, dont Mme Gelinas, consiste en partie à fournir des indications non contraignantes sur l’application de la Loi aux tiers intéressés qui le demandent (à ce jour, ils ont répondu à 43 demandes de cette nature); par ailleurs, lorsqu’ils reçoivent de l’information laissant croire à une infraction, comme cela s’est produit ici (aucune autre situation du genre n’a été rapportée), ils communiquent avec les parties concernées pour les informer des exigences de la Loi et leur donner des indications. Il est possible que seules des indications non contraignantes sur l’application de la Loi, voire des exemples de contravention, aient été données dans d’autres cas, mais à mon avis, la situation examinée en l’espèce va plus loin. En effet, dans la présente affaire, une décision définitive a été communiquée lors de l’envoi du courriel du 20 juin 2019 indiquant que, selon Transports Canada, le « Cable Innovator » contrevenait à la Loi puisqu’il lui fallait posséder une licence de cabotage pour se mettre en disponibilité. Le courriel prévenait également son destinataire en termes clairs, pour ne pas dire explicites, que des mesures seraient prises pour assurer le respect de la Loi si l’infraction se poursuivait. À cet égard, rappelons que Mme Gelinas, l’auteure du courriel du 20 juin 2019, est agente désignée de l’autorité.

[69]  Au dire du ministre, le courriel que Mme Gelinas a adressé à Global Marine n’a pas fait naître d’obligation parce que l’agente n’a pas pris aucune mesure visant à faire appliquer la Loi, malgré des courriels réitérant que le « Cable Innovator » ne s’y conformait pas. Dans les faits, elle s’est limitée à remplir son rôle de conseillère. Selon le ministre, Mme Gelinas n’a jamais déclaré en toutes lettres qu’elle intenterait des poursuites en cas de défaut d’obtenir la licence. Elle a simplement fait savoir à son interlocuteur qu’elle avait le pouvoir de le faire. À mon avis, cet argument ne peut résister à l’analyse. Transports Canada, qui est l’organisme de réglementation, a communiqué avec Global Marine pour l’informer qu’à son avis, le « Cable Innovator » contrevenait à la Loi sur le cabotage, qui l’obligeait à se procurer une licence de cabotage C48 et l’exposait, en cas de défaut, au dépôt d’accusations. Il n’est pas réaliste de penser que Transports Canada n’aurait probablement pas mis ses menaces de poursuites à exécution si Global Marine n’avait pas obtempéré ou retiré son navire des eaux canadiennes. En effet, le message envoyé, qui était limpide, signalait que s’il n’était pas remédié à la contravention présumée, Transports Canada avait le pouvoir d’intenter des poursuites et qu’il le ferait.

[70]  De plus, dans le courriel adressé à Global Marine le 13 juillet 2017, Mme Gelinas précise que le navire sera retenu si la situation n’est pas corrigée :

[traduction] Comme le navire contrevient actuellement à la Loi, je vous demanderais une fois de plus de bien vouloir vous procurer une licence de cabotage pour le Cable Innovator et d’en informer Transports Canada une fois que vous l’aurez obtenue. À défaut, Transports Canada prendra des mesures pour la rétention du navire jusqu’à ce qu’une licence soit obtenue ou que le navire quitte définitivement les eaux canadiennes.

[Souligné dans l’original.]

[71]  Puis, elle enchaîne avec une description des peines prévues par la Loi.

[72]  Il ne s’agit donc pas, à mon sens, d’un cas où des conseils non contraignants ont été offerts, mais d’une mise en garde quant aux mesures d’exécution qui seraient prises si l’infraction se poursuivait.

[73]  Certes, si Global Marine n’était toujours pas d’accord avec l’interprétation et l’application de la Loi sur le cabotage préconisées par Transports Canada, elle aurait eu la possibilité de faire valoir sa propre interprétation au procès dans l’éventualité où Mme Gelinas aurait intenté des poursuites contre elle. Elle n’était pas vouée à une condamnation certaine.

[74]  Toutefois, rares sont les armateurs responsables qui choisiraient d’affronter des poursuites comme moyen de contester l’interprétation législative prônée par un organisme de réglementation. Global Marine, en tout cas, ne voulait pas courir ce risque. En effet, elle s’exposait non seulement à une amende, mais aussi à la rétention du navire, une éventualité évoquée à de nombreuses reprises par Mme Gelinas et qui l’empêcherait de remplir ses obligations contractuelles en ce qui touche la réparation de câbles sous-marins de fibre optique. Par conséquent, Global Marine a retiré le « Cable Innovator » du port canadien où il mouillait et a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vue de contester l’interprétation de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage retenue par Transports Canada.

[75]  Ce qui nous amène à la décision Larny. Dans cette affaire, le gestionnaire de l’Unité de la mise en application des lois sur le tabac, à Santé Canada, avait envoyé au demandeur une lettre résumant la position de son ministère au sujet des rabais offerts sur l’achat de plusieurs paquets de cigarettes. Selon ce qu’on pouvait y lire, la lettre avait pour but d’aider son destinataire à se conformer à l’article 29 de la Loi sur le tabac (devenue la Loi sur le tabac et les produits de vapotage, LC 1997, c 13), qui interdisait l’offre de rabais sur l’achat de plusieurs unités de produits du tabac, et de l’informer des dispositions prévues par cette loi en matière d’infractions. La lettre précisait également que des lettres d’avertissement étaient envoyées aux détaillants qui enfreignaient l’article 29. Le ministre de la Santé et le gestionnaire, qui étaient responsables de l’exécution et du contrôle d’application de la Loi sur le tabac, estimaient que la vente de multiemballages de cigarettes à un prix unitaire inférieur à celui demandé pour un seul paquet contrevenait à l’article 29 de cette loi. Après avoir reçu la lettre d’avertissement faisant suite à la première lettre, le demandeur a cessé d’offrir les multiemballages et a constaté que ses ventes déclinaient. Comme il était d’avis que la lettre de Santé Canada était une directive lui ordonnant de renoncer à ses stratégies de mise en marché et de fixation des prix, il en a demandé le contrôle judiciaire.

[76]  Le ministre de la Santé a fait valoir que la lettre ne pouvait être qualifiée de « décision » ou d’« ordonnance » au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, étant donné qu’elle n’emportait aucune conséquence juridique. Il soutenait en outre que l’activité consistant à émettre une opinion dépourvue d’effet obligatoire quant à la façon dont l’application des dispositions d’une loi est comprise n’était pas une décision susceptible de contrôle. À son avis, les défendeurs – le ministre et le gestionnaire – n’avaient aucun pouvoir direct d’application, car ils n’étaient pas habilités à imposer des sanctions, à révoquer un permis ou à exercer une quelconque action directe contre le demandeur pour ce qu’ils pouvaient considérer comme une violation de l’article 29. Ils avaient certes le pouvoir de déposer une dénonciation, mais c’était au tribunal qu’il revenait ensuite de trancher l’affaire.

[77]  Le juge Nadon n’était pas d’accord car, selon lui, le contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 se voulait englobant et accessible aux demandeurs. Ainsi, après avoir cité les arrêts Gestion, aux pages 700 à 705, et Morneault, aux paragraphes 40 à 43, le juge Nadon conclut :

[18]  Les remarques formulées par le juge Stone dans l’arrêt Morneault, précité, tout comme celles formulées par le juge Décary dans l’arrêt Gestion Complexe, précité, indiquent que le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18 de la Loi, doit être interprété de façon englobante et libérale, donc qu’une grande gamme de procédures administratives feront partie du mandat de contrôle judiciaire de la Cour. Il est également clair que le contrôle judiciaire n’est plus limité aux décisions ou aux ordonnances dont un décideur avait été chargé selon la loi habilitante. Au lieu de cela, le contrôle judiciaire touchera les décisions ou les ordonnances qui déterminent les droits d’une partie, même si la décision en question ne constitue pas la décision finale. Il s’ensuit également, depuis la décision rendue par la Cour d’appel dans l’arrêt Morneault, précité, que « matter » (Objet de la demande ou question) que l’on retrouve à l’article 18.1 de la Loi n’est pas limité aux « décisions ou [aux] ordonnances », mais englobe toute question pour laquelle une réparation pourrait être possible en vertu de l’article 18 ou du paragraphe 18.1(3).

[78]  Le juge Nadon a également fait référence à la décision Markevich (par. 9-13). L’affaire concernait une lettre qu’un agent de Revenu Canada avait rédigée au nom du ministre. Cette lettre informait le demandeur de la décision du ministère de procéder au recouvrement de l’impôt en souffrance et de faire le nécessaire pour recouvrer la dette fiscale antérieurement radiée. La Cour a conclu dans cette affaire que la lettre en question était un acte susceptible de contrôle judiciaire même si elle ne comportait « aucune décision prise en application d’un pouvoir légal, ni n’était expressément censée porter atteinte à un droit ou intérêt [individuel] quelconque ». Les deux paragraphes de la décision Markevich que le juge Nadon a repris dans la décision Larny sont les suivants :

[12]  N’est cependant considéré comme « procédure ou tout autre acte » susceptible de contrôle judiciaire que l’acte administratif qui représente une « procédure ou tout autre acte » d’un « office fédéral », savoir un conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne « ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale » (paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale). La lettre envoyée au demandeur au nom du ministre, et qui fait l’objet de ce recours en contrôle judiciaire, n’était certes ni un acte ni une procédure d’un office fédéral dans l’exercice d’un pouvoir légal, mais le ministre est une personne ayant des pouvoirs légaux, qu’il tient de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[13]  Même si elle ne s’inscrit pas dans l’exercice d’un pouvoir légal, la mesure administrative prise par une personne ayant des pouvoirs légaux peut être soumise au contrôle judiciaire à titre de « procédure ou tout autre acte » par application de l’alinéa 18.1(3)b) si elle touche aux droits ou intérêts d’individus. La lettre en question ne comportait aucune décision prise en application d’un pouvoir légal, ni n’était expressément censée porter atteinte à un droit ou intérêt quelconque du demandeur. Cependant, on peut raisonnablement interpréter ce document ainsi que les communications entre le demandeur et Mme Kara, sa rédactrice, comme signifiant que Revenu Canada avait décidé de procéder au recouvrement de l’impôt en souffrance et entendait faire le nécessaire pour recouvrer la dette fiscale antérieurement « radiée ». Et tel était effectivement le cas, comme en témoignent les sommations de payer envoyées par la suite.

[Souligné dans l’original.]

[79]  Dans la décision Larny, le juge Nadon n’a pas adhéré au point de vue du ministre, lequel estimait que la lettre devait être considérée comme une opinion ou une lettre d’avertissement délivrée non pas en vertu d’un pouvoir législatif particulier, mais plutôt par courtoisie, afin d’informer le demandeur de la position du ministre concernant l’effet de l’article 29 de la Loi sur le tabac, et que cette lettre était sans conséquences juridiques pour le demandeur. Le juge Nadon n’était pas non plus d’accord pour dire que la lettre constituait une opinion non contraignante sur l’interprétation de l’article 29. Il exprime plutôt l’avis suivant :

[24]  La directive envoyée par les défendeurs est à mon avis coercitive, et son but consiste à menacer le demandeur afin qu’il arrête immédiatement de vendre des multiemballages à défaut de quoi une accusation serait portée, et une poursuite au criminel pourrait être intentée. Je suis convaincu que les défendeurs espéraient que se produise ce qui s’est effectivement produit, c’est‑à‑dire que le demandeur arrête de vendre des multiemballages afin d’éviter une poursuite au criminel. Comme je l’ai déjà mentionné, la décision du demandeur d’arrêter de vendre des multiemballages lui a causé des pertes d’argent.

[80]  Par conséquent, selon le juge Nadon, la lettre était une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » et elle était susceptible de contrôle par la Cour.

[81]  À mon avis, cette affaire est très semblable à celle dont je suis saisie. Le but du courriel du 20 juin 2019 était de contraindre Global Marine à prendre les mesures que Transports Canada jugeait nécessaires pour que le « Cable Innovator » se conforme à la Loi sur le cabotage. Transports Canada avait décidé que la Loi n’était pas respectée. La Loi l’autorisait également à prendre des mesures pour en forcer le respect, et il avait déjà avisé que c’est ce qui arriverait en cas de défaut d’obtenir la licence de cabotage C48. Le courriel avait un effet direct et préjudiciable sur les droits et les intérêts de Global Marine, car les seules options qui s’offraient à elle étaient soit d’interrompre ses activités et de retirer le « Cable Innovator » des eaux canadiennes, ce qu’elle a fait, soit de prêter le flanc à des poursuites pour pouvoir contester l’interprétation et l’application de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage préconisées par Transports Canada.

[82]  À cet égard, l’importance de la décision Larny tient aussi à la position du ministre dans cette affaire : celui-ci prétendait que le demandeur ne pouvait obtenir de jugement déclaratoire concernant l’interprétation de l’article 29 de la Loi sur le tabac qu’auprès du tribunal qui avait compétence en matière de poursuites sommaires. Or, ces poursuites n’avaient pas été engagées puisqu’aucune accusation n’avait été portée. Sur ce point, le juge Nadon explique :

[30]  Si le demandeur suivait la logique des défendeurs, il se serait exposé à des risques et à des dépenses de poursuite au criminel afin d’obtenir une déclaration concernant l’interprétation de l’article 29 de la LT, et plus particulièrement le fait de savoir si la vente de multiemballages constitue un « rabais » en vertu de l’article. En d’autres mots, le demandeur devrait se conduire de façon à censément enfreindre la loi, attendre une accusation, subir le préjudice qui découlerait de l’accusation, puis dépenser des sommes importantes pour défendre son accusation. Cela n’est sûrement pas la solution aux difficultés du demandeur. Comme l’a déclaré le juge Farwell aux pages 420 et 421 de l’arrêt Dyson c. Attorney General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.) …

[...]

[33]  Le cas présent n’en est sûrement pas un où le litige entre les parties est purement hypothétique. À mon avis, il y a un litige réel et sérieux entre les parties concernant l’interprétation de l’article 29 de la LT. Il est certainement justifié que le demandeur, étant donné les faits du cas, demande réparation à la Cour sans avoir à se soumettre à une poursuite au criminel.

[34]  Le résultat de la question est que les défendeurs avaient la liberté de porter accusation contre le demandeur et donc de demander une interprétation de l’article 29 de la LT auprès de la cour des poursuites sommaires. Cependant, les défendeurs n’ont pas porté accusation contre le demandeur, mais ont plutôt envoyé des lettres coercitives dans l’espoir qu’il obéirait sans qu’il ne soit nécessaire de porter accusation. Dans ces circonstances, je suis convaincu que la Cour constitue un bon tribunal. Je suis également convaincu que cette demande de contrôle judiciaire n’est pas précoce.

(Voir également Falls Management Co c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 924, par. 18‑19; BPCL Holdings Inc c Alberta, 2006 ABQB 757, par. 9).

[83]  En l’espèce, Global Marine se trouve dans une situation analogue. Dans son courriel du 13 juillet 2017, Mme Gelinas, agente désignée de l’autorité, a bien précisé que si Global Marine ne se procurait pas une licence C48, Transports Canada prendrait des mesures de rétention du « Cable Innovator » jusqu’à ce que la licence soit obtenue ou que le navire quitte définitivement les eaux canadiennes. Ce risque de poursuites est aussi formellement évoqué dans d’autres pièces de correspondance. Le différend portant sur l’interprétation de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage et son application à l’activité de disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator » est donc bien réel et Transports Canada a indiqué que si Global Marine ne se pliait pas aux exigences, ou si elle ne quittait pas le Canada comme elle l’a fait, le navire serait poursuivi ou risquait de l’être. Par conséquent, les droits de Global Marine ont été directement touchés par les mesures administratives que Transports Canada a prises.

[84]  En clair, par l’entremise de son courriel du 20 juin 2019 et de ses communications précédentes, Transports Canada a tenté de forcer Global Marine et le « Cable Innovator » à se conformer à l’interprétation ministérielle de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage. Cette démarche a d’ailleurs porté ses fruits puisque le « Cable Innovator » a quitté les eaux canadiennes, cessant par le fait même de se trouver en situation d’infraction. Il reste qu’en définitive, exception faite du présent recours en contrôle judiciaire, Global Marine n’a aucun moyen de contester l’interprétation de Transports Canada, si ce n’est en faisant en sorte que le « Cable Innovator » regagne les eaux canadiennes et reprenne son activité de disponibilité opérationnelle sans détenir la licence de cabotage requise, risquant ainsi de s’attirer des poursuites.

[85]   Vu les circonstances, je suis convaincue que la lettre du 20 juin 2019 est une mesure administrative qui a porté directement atteinte aux droits et aux intérêts de Global Marine et qu’elle constitue à ce titre une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » susceptible de contrôle par la Cour.

[86]  Par ailleurs, je ne souscris pas non plus à l’argument du ministre lorsqu’il avance que si le courriel du 20 juin 2019 est une décision susceptible de contrôle, cela vaut aussi pour les communications précédentes de Transports Canada, et que Global Marine est de ce fait hors délai pour demander le contrôle judiciaire de ces décisions antérieures. Comme nous l’avons vu plus haut, la décision du 20 juin 2019 est le résultat de l’analyse que Transports Canada a réalisée à partir des observations qu’il avait sollicitées de Global Marine. Il s’agissait d’une décision nouvelle et définitive.

QUESTION EN LITIGE : Est-ce que l’interprétation que Transports Canada a donnée de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage était raisonnable?

  i.  L’interprétation de l’alinéa 2(1)f)

La position de Global Marine

[87]  Global Marine soutient que Transports Canada défend une interprétation intenable de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage si on la considère à la lumière des règles modernes d’interprétation législative. Cela tient au fait que son interprétation est contraire au sens ordinaire du terme « activité maritime de nature commerciale », qu’elle ne cadre ni avec le contexte et l’économie de la Loi sur le cabotage ni avec son objet et qu’elle conduirait à des résultats absurdes. Global Marine prétend également que la décision est contraire à la pratique qui avait été en usage à Transports Canada jusque-là.

[88]  S’agissant du sens ordinaire du terme « activité maritime de nature commerciale », Global Marine affirme que la question essentielle est de savoir si le « Cable Innovator » se livre à une activité maritime lorsqu’il se met en disponibilité. L’entreprise reconnaît à l’activité de disponibilité du « Cable Innovator » un caractère commercial, mais elle fait valoir que le terme « maritime » qualifie l’« activité », mot défini selon son sens ordinaire comme une [TRADUCTION« situation où des choses se produisent ou sont accomplies » ou comme une [TRADUCTION« action entreprise dans un but déterminé ». Pour sa part, lorsqu’il est en disponibilité dans le port de Victoria, le « Cable Innovator » se livre à une activité statique qui ne vise en soi aucun but particulier.

[89]  Global Marine affirme par ailleurs que pour déterminer s’il existe une raison valable de s’écarter du sens ordinaire de l’alinéa 2(1)f), la Cour doit tenir compte du contexte et de l’économie de la Loi sur le cabotage dans une perspective d’ensemble. Or, l’interprétation préconisée par Transports Canada est incompatible avec les autres activités énumérées aux alinéas 2(1)a) à e) de la Loi sur le cabotage et elle va par conséquent à l’encontre de la règle d’interprétation législative relative aux choses du même ordre (ejusdem generis). Selon Global Marine, les types d’activités précisés aux alinéas 2(1)a) à e) relèvent tous de la catégorie des activités maritimes opérationnelles, caractérisées par un commencement et une fin bien définis et entreprises dans le but de réaliser une tâche précise, ce qui correspond à l’interprétation retenue par Global Marine en se fondant sur le sens ordinaire. Dans le même ordre d’idées, Global Marine prétend que les exceptions prévues au paragraphe 3(1) de la Loi sur le cabotage sont la confirmation que le cabotage est censé renvoyer uniquement aux activités maritimes opérationnelles.

[90]  De plus, Global Marine soutient que l’interprétation donnée par Transports Canada à l’alinéa 2(1)f) est contraire à l’objet de la Loi sur le cabotage qui, du fait de ses visées largement protectionnistes, réserve certaines activités maritimes de nature commerciale aux navires canadiens. Citant le Rapport d’enquête sur le cabotage au Canada et les activités maritimes assimilées (Ottawa : Commission canadienne des transports, 1970) (« Rapport Darling »), Global marine affirme que son auteur, H.J. Darling, invite justement à ne pas attribuer au terme « autre activité maritime » un caractère limitatif. Selon elle, l’interprétation retenue par Transports Canada crée une rupture entre le sens du terme « activité maritime de nature commerciale » et l’objet de la Loi : en effet, en l’absence de travaux réalisés dans les eaux canadiennes ou au‑dessus du plateau continental du Canada, aucune activité n’entre dans le champ d’application de la Loi. L’unique objet de la Loi sur le cabotage est la protection du travail effectué en eaux canadiennes. Le « Cable Innovator » n’a effectué aucun travail de cet ordre et le domaine du cabotage ne peut être élargi au-delà de l’objet de la Loi.

[91]  Enfin, Global Marine prétend que l’interprétation de Transports Canada conduirait à des résultats absurdes, car si le fait de rester à l’arrêt constitue une activité maritime de nature commerciale, cela obligerait même les navires qui exercent des activités échappant par ailleurs à cette exigence à se procurer une licence C48 lorsqu’ils s’immobilisent en attendant que reprennent ces activités. Ainsi, le navire s’adonnant au commerce international et battant pavillon étranger serait tenu d’obtenir une licence C48 s’il était retardé alors qu’il se trouve au Canada. De plus, si le fait de se mettre en disponibilité opérationnelle constitue en soi une activité maritime, on pourrait trouver à tout moment un navire canadien adapté et disponible pour effectuer cette activité — même si ce navire est incapable de remplir les obligations stipulées au contrat. Cela compliquerait considérablement le processus d’obtention des autorisations d’admission temporaire C47 et des licences C48 pour les navires étrangers tels que le « Cable Innovator ».

La position de Transports Canada

[92]  Transports Canada s’est lui aussi intéressé à la question de l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la Loi sur le cabotage. Selon lui, Global Marine aborde l’interprétation textuelle à la manière d’une dissection, en négligeant de considérer les mots « activité maritime » comme un ensemble : un syntagme, une clause ou une disposition. Transports Canada affirme que, selon la Loi sur le cabotage, il peut y avoir « activité » sans mouvement d’un lieu à un autre. De plus, même si le « Cable Innovator » ne se déplace pas lorsqu’il se met en disponibilité, il déploie néanmoins une activité certaine car il est doté d’un équipage, ravitaillé et prêt à intervenir dans des délais très courts. Cet état de préparation opérationnelle est aux antipodes de ce qu’affirme Global Marine, à savoir que le navire est à l’arrêt, ce qui signifie qu’il est [TRADUCTION] « inoccupé ou inutilisé ». Du reste, par sa nature même, l’activité de disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator » est une activité maritime. D’ailleurs, dans des remarques incidentes, la Cour a déjà signifié qu’elle adhérait à une interprétation du terme « activité maritime de nature commerciale » qui englobe les activités stationnaires (Berhad c Canada, 2004 CF 501, par. 84 (« Berhad »)).

[93]  La Loi sur le cabotage n’exige pas non plus qu’une activité maritime de nature commerciale ait un commencement et une fin bien définis, et en tout état de cause, dans le cas présent, le commencement et la fin de l’activité de mise en disponibilité correspondent à la durée de l’accord de la ZAN. Global Marine cherche à limiter le sens de l’alinéa 2(1)f) en invoquant les alinéas 2(1)a) à e) mais, selon la Loi, le cabotage vise également « toute autre activité maritime de nature commerciale ». L’emploi du mot « toute » sans restriction aucune vient élargir la portée de ce qui peut être considéré comme une « activité maritime ». Transports Canada soutient que du fait de son état de préparation opérationnelle, état qui est intimement lié à ses activités de réparation de câbles sous-marins d’origine contractuelle, le « Cable Innovator » se livre à une activité maritime de nature commerciale. Si cette activité est statique, elle n’en est pas pour autant passive, et elle vise à l’évidence un but déterminé, soit la réalisation par le navire de travaux de réparation et de maintenance de câbles.

[94]  Transports Canada affirme que l’analyse contextuelle et téléologique de la Loi sur le cabotage doit tenir compte de l’historique de la Loi sur le cabotage; or, celui-ci montre que la définition de « cabotage » a été élargie à dessein. Il ajoute que la Loi poursuit un grand objectif d’intérêt public, qui est d’encourager l’activité maritime commerciale des navires canadiens dans les eaux canadiennes. Ce n’est que lorsque l’OTC détermine qu’il n’y a aucun navire canadien qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande C47 qu’un navire étranger sera admissible à une licence de cabotage. Transports Canada nie l’existence de toute distinction entre l’activité et le service qui sont décrits dans la demande C47 que Global Marine a présentée en 2016; il estime que cette thèse est indéfendable si on se reporte à l’objet de la Loi et à la condition prévue aux alinéas 4(1)a) et 5(1)a), selon laquelle il ne doit pas y avoir de navire canadien qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande. L’analyse téléologique justifie d’inclure dans la définition de « toute autre activité maritime de nature commerciale » les services qui font partie intégrante d’une activité.

[95]  Enfin, Transports Canada remarque que, depuis 2016, le « Cable Innovator » est principalement resté en disponibilité dans le port de Victoria. C’est l’endroit où il se tient par défaut, quand il n’est pas affecté à la réparation de câbles, et il s’agit là d’une composante essentielle de ses obligations contractuelles. Du fait de cette situation opérationnelle durable, son activité diffère de celle d’un navire de commerce international battant pavillon étranger qui serait retardé dans un port pendant une courte durée. En outre, l’activité de disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator » est intimement liée à ses missions de réparation de câbles, qu’elle vise à faciliter, et c’est pourquoi elle constitue une activité maritime de nature commerciale. Pour cette raison, l’interprétation de l’alinéa 2(1)f) proposée par Transports Canada n’a rien d’absurde.

Analyse

[96]  La Cour suprême du Canada a expliqué à maintes reprises quelle devait être l’approche à privilégier en matière d’interprétation des lois :

[33]  Il nous faut interpréter le texte législatif et discerner l’intention du législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21).

(Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, par. 33; voir aussi Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, 1998 CanLII 837 (CSC), par. 21; Canada (Procureur général) c Thouin, 2017 CSC 46, par. 26; Société Radio‑Canada c SODRAC 2003 Inc, 2015 CSC 57, par. 48; Vavilov, par. 117.)

[97]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la façon dont une cour de révision devait évaluer le caractère raisonnable d’une décision administrative reposant sur l’interprétation d’une loi :

[40]  Le décideur administratif « jouit [d’un privilège] en matière d’interprétation » (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 40). Lorsqu’elle examine une question d’interprétation législative, la cour de révision ne devrait pas procéder à une interprétation de novo, ni tenter de déterminer un éventail d’interprétations raisonnables avec lesquelles elle peut comparer l’interprétation du décideur. « [L]e juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 28, cité dans Vavilov, par. 83). La cour de révision ne « se demand[e] [pas] ce qu’aurait été la décision correcte » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, par. 50, cité dans Vavilov, par. 116). Ces rappels sont particulièrement importants compte tenu du fait qu’« une cour de révision peut facilement glisser de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte lorsqu’elle se penche sur une question d’interprétation qui soulève une pure question de droit » (New Brunswick Liquor Corp. c. Small, 2012 NBCA 53, 390 R.N.‑B. (2e) 203, par. 30).

[…]

[42]  Lorsque le sens d’une disposition législative est contesté, le décideur administratif doit démontrer dans ses motifs qu’il est conscient des « éléments essentiels » de l’interprétation législative : « le fond de l’interprétation [d’une disposition législative] par le décideur administratif doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet » (Vavilov, par. 120). Étant donné que ceux et celles qui rédigent les lois s’attendent à ce que le sens de la loi soit dégagé au moyen d’une analyse du libellé, du contexte et de l’objet, une interprétation raisonnable doit tenir compte de ces éléments — que l’entité chargée de l’interprétation législative soit une cour de justice ou un décideur administratif (Vavilov, par. 118). En plus de s’harmoniser avec le libellé, le contexte et l’objet, une interprétation raisonnable devrait être conforme à toute contrainte d’interprétation imposée par le régime législatif applicable ainsi qu’aux règles d’interprétation découlant d’autres sources de droit. En l’espèce, l’interprétation de l’agent d’appel est assujettie aux règles d’interprétation contenue dans le Code, à la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑ 21, et aux règles de common law en matière d’interprétation des lois.

(Voir aussi Vavilov, par. 115-124.)

[98]  Dans l’affaire qui nous occupe, la question est de savoir si le service de mise en disponibilité opérationnelle offert par le « Cable Innovator » est visé par la définition de « cabotage » de l’alinéa 2(1)f) de la Loi :

f)  toute autre activité maritime de nature commerciale effectuée par navire dans les eaux canadiennes ou les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, l’activité devant toutefois, dans ce dernier cas, être liée à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau. (coasting trade)

[99]  Global Marine reconnaît que le service de mise en disponibilité du « Cable Innovator » revêt un caractère commercial, étant donné qu’une rémunération forfaitaire annuelle est versée dans le cadre du contrat de la ZAN, et ce, que le navire soit ou non appelé à fournir des services de réparation ou de maintenance. Ainsi, la question qui se pose, plus précisément, est celle du caractère raisonnable de la conclusion de Transports Canada, selon laquelle les services de mise en disponibilité opérationnelle relèveraient de « toute autre activité maritime ».

[100]  Pour situer le contexte, signalons que dans la lettre qu’elle a annexée à sa demande C47, Global Marine a déclaré qu’elle souhaitait être autorisée à se mettre en disponibilité en permanence au Canada afin de pouvoir intervenir rapidement lorsqu’elle était appelée à effectuer des réparations. Elle y précise aussi que le « Cable Innovator » doit [TRADUCTION] « rester en état de disponibilité opérationnelle permanente à Victoria », un emplacement avantageux à partir duquel le navire peut s’occuper des câbles au Canada et aux États-Unis. De plus, les propriétaires des câbles ont conclu un contrat de maintenance pour s’assurer l’exclusivité des services de réparation et de maintenance d’un navire spécialisé ainsi que de toutes les fonctions de soutien du fournisseur de services, notamment :

[traduction] (Accès rapide à un câble de rechange à l’entrepôt situé à Victoria, au matériel et aux pièces nécessaires et à un personnel compétent et expérimenté), en urgence, avec 24 heures de préavis (il s’agit du délai imparti), c’est‑à‑dire que le navire doit se consacrer exclusivement à la prestation de ce service et être prêt et doté de l’équipage et de l’équipement lui permettant d’appareiller pour effectuer des réparations dans les 24 heures suivant la réception de l’avis du propriétaire du câble.

[101]  Le service/l’activité visés par la demande y sont décrits comme suit :

[traduction]

  • Service : maintenir le navire dans un état permanent de disponibilité lui permettant de procéder, moyennant un très court préavis, aux réparations urgentes de câbles conformément aux stipulations des contrats de maintenance conclus avec les propriétaires de câbles (c’est-à-dire en route vers le lieu de la réparation dans un délai de 24 heures)
  • Activité : localisation du câble et de la section endommagée, récupération du câble, réparation (élimination de l’anomalie, insertion d’un nouveau câble/d’une nouvelle installation, épissurage de fibres optiques, raccordement, pose d’une nouvelle protection, réarmement), essai du câble, réinstallation, inspection et ensouillage (s’il y a lieu) des systèmes sous-marins de télécommunication canadiens.

[102]  Selon la lettre de l’ASFC autorisant l’admission temporaire C47, l’OTC avait déterminé, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur le cabotage, qu’il n’existait pas de navire canadien disponible « pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans [la] demande ».

[103]  D’après Global Marine, le sens ordinaire du terme « activité maritime de nature commerciale » ne vise pas le fait de rester à l’arrêt en état de disponibilité opérationnelle et, en concluant le contraire, Transports Canada en a donné une interprétation déraisonnable. Pour fonder son opinion, elle relève que l’adjectif « maritime » se rapporte à l’« activité », en anglais « activity », que le Concise Oxford English Dictionary, dans sa 12e édition, définit comme une [traduction« situation où des choses se produisent ou sont accomplies » ou, subsidiairement, une [traduction] « action entreprise dans un but déterminé ». Selon cette même source, le mot « action » se rapporte au [traduction« processus consistant à faire quelque chose pour parvenir à un but ». Global Marine soutient que le sens ordinaire du terme « activité maritime » ne s’applique pas au fait de se tenir prêt à intervenir, une [traduction« activité statique » qui, en soi, ne vise la réalisation d’aucun but particulier.

[104]  Je me range à l’argument de Transports Canada lorsqu’il affirme que Global Marine aborde l’analyse de ce syntagme à la manière d’une dissection.

[105]  Pour appliquer la règle d’interprétation du sens ordinaire des mots, il faut d’abord lire ces derniers en suivant leur sens ordinaire et grammatical. Cela dit, il faut aussi [traduction« [t]enir compte, dans chaque cas, du contexte global du terme à interpréter, même si, à première vue, son sens peut paraître évident » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd (Markham, Ontario : LexisNexis Canada, 2014), § 3.7). Le sens ordinaire et grammatical du libellé d’une disposition législative n’est pas déterminant, et il faut au contraire considérer la disposition dans son contexte global, « c’est‑à‑dire examiner l’historique de la disposition, sa place dans l’économie générale de la Loi, l’objet de la Loi elle‑même ainsi que l’intention du législateur tant dans l’adoption de la Loi tout entière que dans l’adoption de cette disposition particulière » (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, par. 34).

[106]  Par ailleurs, vu la description des services et de l’activité figurant dans la demande C47 et le fait que le navire est tenu, aux termes du contrat de la ZAN, d’offrir ses services en exclusivité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il ne fait aucun doute, pour reprendre les propos de Transports Canada, que les services de mise en disponibilité sont intimement liés aux services de réparation offerts par le navire. Le navire doit être prêt à intervenir à tout moment. Pour y parvenir, il doit se maintenir en état de disponibilité opérationnelle. Bien que Global Marine affirme qu’il s’agit d’une activité [traduction] « statique » ne visant, en soi, aucun but particulier, ce n’en est pas moins une activité. Et elle n’est statique que dans la mesure où le navire se trouve à quai et qu’il n’effectue pas de travaux de réparation. C’est un état de préparation actif. Qui plus est, l’état de disponibilité opérationnelle est une action s’inscrivant dans la poursuite d’un objectif, qui est de permettre au navire d’intervenir dans un délai de 24 heures après avoir été avisé qu’un câble a besoin de réparations et de s’acquitter ainsi de ses obligations contractuelles. En fait, le contrat de la ZAN établit à la fois un taux quotidien de rémunération pour les réparations et une rémunération forfaitaire annuelle. Les travaux de réparation et la mise à disposition exclusive de la capacité d’intervention relèvent d’un même contrat. Dans ces circonstances, il n’était pas déraisonnable de conclure, comme l’a fait Transports Canada, que le terme « activité maritime de nature commerciale » englobe, selon son sens ordinaire, le service de mise en disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator ».

[107]  Global Marine prétend aussi que les alinéas 2(1)a) à e) correspondent à sa propre interprétation, à savoir que le contexte et l’économie de la Loi ne permettent pas de conclure que l’état de mise en disponibilité est visé par l’alinéa 2(1)f). Elle fonde cette affirmation sur l’idée que ces sous-alinéas portent sur le transport de marchandises entre deux lieux situés au Canada ou au-dessus du plateau continental du Canada (al. 2(1)a)), ou le transport de passagers entre deux lieux situés au Canada, ou encore, à partir d’un lieu au Canada ou au-dessus du plateau continental du Canada vers un autre lieu du même ordre, lorsque ce transport est lié à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau continental du Canada (al. 2(1)b) à e)). Ces types particuliers d’activités relèvent tous de la catégorie des activités maritimes opérationnelles, caractérisées par un commencement et une fin bien définis et entreprises dans le but de réaliser une tâche précise. Ainsi, Global Marine soutient que lorsqu’il reste à l’arrêt et prêt à intervenir dans le port de Victoria, le « Cable Innovator » ne se livre pas à une activité appartenant à la même catégorie que celles définies comme étant des activités de cabotage.

[108]  En principe, la règle d’interprétation relative aux choses du même ordre pourrait étayer la thèse de Global Marine selon laquelle le terme « toute autre activité maritime de nature commerciale », à l’alinéa 2(1)f), aurait une portée limitée permettant son harmonisation avec certaines des caractéristiques des autres activités énumérées aux alinéas 2(1)a) à e), car « le genre ou la catégorie des termes de l’énumération peuvent restreindre la portée du terme générique » (Walker c Ritchie, 2006 CSC 45, par. 25). De l’avis de Global Marine, la caractéristique commune aux éléments de la liste est que ce sont des [traduction« activités maritimes opérationnelles, caractérisées par un commencement et une fin bien définis et entreprises dans le but de réaliser une tâche précise ».

[109]  Cela dit, considéré du point de vue de l’objet de la Loi sur le cabotage, le transport de marchandises et de passagers, tel qu’il est défini aux alinéas 2(1)a) à e), vise essentiellement l’exercice de ces activités maritimes à l’intérieur de limites géographiques précisées. Autrement dit, le cabotage est défini de façon à englober ces activités maritimes lorsqu’elles s’exercent au Canada ou au-dessus de son plateau continental. Cette interprétation cadre avec l’objectif protectionniste de ces dispositions législatives, qui est de réserver ces activités aux navires battant pavillon canadien lorsqu’elles se déroulent dans les eaux canadiennes. Si on l’envisage dans ce contexte, l’alinéa 2(1)f) n’est pas différent, en ce sens qu’il définit le cabotage comme étant toute autre activité maritime de nature commerciale effectuée par navire dans les eaux canadiennes ou les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, l’activité devant toutefois, dans ce dernier cas, être liée à la recherche, à l’exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau. Les navires battant pavillon étranger ne sont pas autorisés à se livrer à ces activités en eaux canadiennes, sauf si elles se voient accorder une licence C48.

[110]  Je ne souscris pas au point de vue de Global Marine, qui prétend que ce qu’ont en commun les dispositions sur le transport de marchandises et de passagers des alinéas 2(1)a) à e) sont les [traduction] « activités maritimes opérationnelles, caractérisées par un commencement et une fin bien définis et entreprises dans le but de réaliser une tâche précise », mais même si ce point de vue était admis, j’estime, à l’instar de Transports Canada, que le service de disponibilité opérationnelle offert par le « Cable Innovator » et ses activités de réparation sont indissociables. Global Marine ne peut en offrir un sans qu’il soit complété par l’autre. Et, étant donné ce contexte, le commencement et la fin des fonctions de disponibilité et de réparation du « Cable Innovator » sont établis, d’une part, par le contrat de la ZAN, qui exige l’entière disponibilité du navire et un délai d’intervention de 24 heures en cas de réparation urgente pendant toute la durée du contrat et, d’autre part, par la période indiquée par Global Marine dans sa demande d’admission temporaire aux fins de cabotage au Canada. La demande C47 révèle que cette période, qui est de 12 mois, va du 1er novembre 2016 au 31 octobre 2017.

[111]  Il est vrai que l’activité de disponibilité opérationnelle diffère de tous les autres types de cabotage expressément mentionnés aux alinéas 2(1)a) à e), qui sont des formes d’échanges commerciaux comportant des mouvements de personnes ou de marchandises entre deux lieux. L’état de préparation opérationnelle est une chose, le mouvement de marchandises ou de passagers en est une autre. Pourtant, je ne suis pas convaincue qu’un navire doive être en marche pour effectuer une activité maritime. Les navires transportant des passagers et des marchandises en territoire canadien, conformément à ce qui est prévu aux alinéas 2(1)a) à e), consacrent aussi une partie de leur emploi du temps à l’embarquement et au débarquement des passagers ainsi qu’au chargement et au déchargement des cargaisons. Ce faisant, ils continuent de se livrer à du cabotage. Par ailleurs, dans des remarques incidentes formulées au paragraphe 84 de la décision Berhad, le juge Campbell a approuvé les observations formulées par l’un des avocats au sujet de la Loi sur le cabotage :

Le cabotage ne consiste donc pas seulement à transporter des cargaisons ou des personnes mais il englobe également une activité stationnaire et notamment, le fait d’exercer une activité commerciale, de façon stationnaire, dans les eaux canadiennes. C’est là que la plate-forme est visée, c’est un navire étranger, une plate-forme étrangère, elle ne peut venir dans les eaux canadiennes et commencer à forer. Elle ne peut le faire. Il faut obtenir une exemption aux termes de la Loi sur le cabotage, dédouaner le navire et exercer ensuite ces activités.

De la même façon, je pense que cela viserait un hôtel flottant. Il n’y a pas de différence. Un exploitant de navire de passagers étranger ne pourrait amener un navire dans le port de Vancouver, le placer dans le port et dire, « Nous sommes simplement un hôtel flottant ». S’il faisait cela, ce serait du cabotage.

[112]  Il est difficile de voir en quoi les services de mise en disponibilité du « Cable Innovator » seraient différents. Certes, le navire n’est pas en mouvement et n’effectue pas de réparation de câbles lorsqu’il est stationné dans le port de Victoria. Pour autant, il n’est pas non plus remisé et monté par un équipage fantôme. Il s’agit d’un bâtiment de mer doté d’un équipage complet et maintenu en permanence en état de préparation à l’intervention. Il doit se maintenir dans cet état pour s’acquitter de ses obligations en matière de réparation de câbles et il est d’ailleurs rémunéré pour s’y maintenir lorsqu’il se trouve dans le port de Victoria. Ainsi, il n’était pas déraisonnable, selon moi, que Transports Canada assimile ce travail sur demande à une activité maritime visée par l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage.

[113]  Mais surtout, l’analyse contextuelle et téléologique du terme « activité maritime de nature commerciale » doit comprendre un examen de l’objet de la Loi et de l’historique de cette disposition.

[114]  Nul ne conteste le fait que la Loi a un objectif protectionniste. Le paragraphe 3(1) interdit au navire étranger ou au navire non dédouané pour lequel aucune licence n’a été délivrée conformément aux articles 4 ou 5 de se livrer au cabotage, sous réserve des exceptions prévues au paragraphe 3(2).

[115]  Quant à l’historique de la Loi sur le cabotage, les deux parties citent le compte rendu officiel des Débats de la Chambre des communes portant sur le projet de loi C-52, mort au Feuilleton, mais auquel a succédé le projet de loi C-33, qui a reçu la sanction royale le 23 juin 1992, et notamment l’extrait suivant :

[Traduction] [...] Le « cabotage » est défini dans la Loi sur la marine marchande comme étant le transport par navire de passagers ou de marchandises entre deux ports canadiens. Ce projet de loi élargit cette définition de façon à inclure toutes les activités commerciales maritimes dans la zone territoriale et les activités liées aux ressources situées au-delà de la zone territoriale jusqu’à la limite la plus éloignée entre celle du plateau continental ou celle de la zone des 200 milles. Je crois que la loi actuelle ne précisait pas si le dragage et le posage de cables [sic] pouvaient être considérés comme du transport entre deux lieux situés au Canada. Grâce à la définition plus claire contenue dans ce projet de loi, ces activités sont maintenant régies par la loi.

(Projet de loi C-52, « Loi sur le cabotage et les activités commerciales maritimes », Débats de la Chambre des communes, 33-2, vol 7 (16 septembre 1987), à la page 9002 [non souligné dans l’original].)

[116]  Selon Global Marine, cet extrait montre que les législateurs n’entendaient pas élargir le sens de « cabotage » de façon à inclure une catégorie entièrement nouvelle d’activités, mais souhaitaient simplement dissiper une ambiguïté. Toutefois, cette interprétation ne se dégage pas du texte qui précède, où il est fait explicitement référence à l’élargissement de la définition. L’interprétation de Global Marine ne se retrouve pas non plus dans l’adoption ultérieure de l’alinéa 2(1)f).

[117]  De plus, concernant l’étude du projet de loi C-33 déposé subséquemment, le compte rendu officiel des Débats de la Chambre des communes rapporte l’intervention suivante :

[Traduction] [...] En somme, le projet de loi sur le cabotage élargira le champ d’application de la loi en vigueur de façon à englober : (1) Toutes les activités maritimes commerciales qui se déroulent dans les limites de la zone de 12 milles au large des côtes, sous réserve des exceptions mentionnées. (2) Toutes les activités maritimes commerciales liées à l’exploration ou à l’exploitation de ressources dans une zone s’étendant jusqu’à 200 milles des côtes ou jusqu’à la limite extérieure du plateau continental, en prenant celle des deux qui est la plus éloignée, toujours en tenant compte des exceptions mentionnées.

Cette loi protégera les exploitants de navires canadiens qui désirent travailler dans les eaux canadiennes et sur le plateau continental.

[Français]

De surcroît, elle permettra aux paquebots de croisière internationale de naviguer sans devoir se plier aux exigences de la Loi sur le cabotage…

(Projet de loi C-33, « Loi sur le cabotage », Débats de la Chambre des communes, 34-3, vol 3 (9 octobre 1991), p. 3524 [non souligné dans l’original.)

[118]  Quant au Rapport Darling, il recommande notamment que le terme « autre activité maritime » soit défini de façon à englober le dragage, le sauvetage, le remorquage et toutes les activités d’un navire se rapportant à la production pétrolière et gazière. Seraient notamment visés les navires sismographiques, navires de réserve, navires de ravitaillement et autres types de navires utilisés dans le cadre de ces activités, à l’exclusion des engins et plates-formes de forage qui ne sont pas autopropulsés, et les navires qui se livrent à des travaux scientifiques à des fins gouvernementales ou non commerciales (Rapport Darling, p. 209). La recommandation n’a pas été suivie, car dans sa forme actuelle, la Loi sur le cabotage ne définit pas ce qu’il faut entendre par « autre activité maritime » et elle est rédigée de manière à définir les navires auxquels elle ne s’applique pas (par. 3(2)). De plus, cette recommandation reposait sur l’idée que le cabotage devait se limiter au transport de marchandises et de passagers en tant que tel, de même qu’aux « autre[s] activité[s] maritime[s] » définies, lesquelles n’étaient pas assujetties aux mêmes restrictions. En définitive, j’estime que le Rapport Darling n’apporte rien de très utile à l’interprétation de la Loi dans sa version actuelle.

[119]  Enfin, je ne souscris pas à l’argument de Global Marine selon lequel l’interprétation de Transports Canada conduirait à des résultats absurdes. Le paragraphe 3(2) de la Loi sur le cabotage énonce les exceptions à l’obligation d’obtenir une licence de cabotage. Global Marine soutient qu’en vertu de l’interprétation préconisée par Transports Canada, les navires étrangers se livrant à une activité visée par une exception (comme la pêche, la recherche, les activités sismologiques ou les opérations de sauvetage) seraient tenus de se procurer une licence de cabotage s’ils cessaient ces activités et restaient à l’arrêt en attendant de reprendre ces activités. Or, les navires visés par ces exceptions que prévoit la Loi sont précisément cela, des cas d’exception. Peu importe, par exemple, que les activités sismologiques soient en cours ou que le navire s’arrête dans un port afin de se réapprovisionner ou d’attendre des conditions météorologiques favorables à la reprise de ses activités. Il était et demeure dispensé de l’obligation d’obtenir une licence.

[120]  En somme, la conclusion de Transports Canada selon laquelle l’activité de mise en disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator » constitue une « activité maritime de nature commerciale » est le résultat logique de la description que Global Marine a donnée des services et de l’activité du navire dans sa demande C47. Cette conclusion est conforme au sens ordinaire des mots, à leur interprétation dans le contexte de la Loi sur le cabotage et à l’historique de la Loi sur le cabotage.

  ii.  La décision de Transports Canada était-elle par ailleurs raisonnable?

[121]  Parallèlement à son argument fondé sur l’interprétation de la Loi, Global Marine soutient que la décision de Transports Canada était déraisonnable pour deux autres raisons.

[122]  D’une part, elle prétend que Transports Canada a commis une erreur en interprétant incorrectement la demande d’admission temporaire C47 qu’elle a présentée et en s’appuyant sur ce qu’il croyait à tort comprendre de la demande pour justifier sa décision. Selon elle, Transports Canada n’a pas tenu compte de la distinction qui existe entre l’activité de cabotage décrite dans la demande C47 (maintenance et réparation de câbles) et les services qui, plus généralement, sont nécessaires à l’exercice de l’activité (maintenir le navire en état de disponibilité opérationnelle), alors que cette distinction est présente dans la demande et dans la Loi.

[123]  D’autre part, Global Marine soutient qu’aucun fondement factuel raisonnable ne justifiait que Transports Canada lui impose de se procurer une licence C48. D’après elle, le raisonnement de Transports Canada semble avoir reposé dans une large mesure sur le fait qu’elle touchait une rémunération lorsque le navire restait en disponibilité. Or, suivant l’alinéa 2(1)f), il doit y avoir une activité maritime et cette activité doit être de nature commerciale. Le « Cable Innovator » ne s’est pas livré à des travaux de réparation ou de maintenance en eaux canadiennes, soit l’activité de cabotage pour laquelle une autorisation d’admission temporaire C47 a été demandée. Il s’ensuit qu’il n’y avait aucune activité maritime ni aucun fondement factuel sur lesquels s’appuyer pour exiger l’obtention d’une licence C48.

Analyse

[124]  Le paragraphe 8(1) de la Loi sur le cabotage énonce qu’à l’occasion de l’étude d’une demande de licence de cabotage, l’OTC doit procéder aux déterminations visées aux alinéas 4(1)a) et b) et 5a) et b).

[125]  L’article 4 de la Loi sur le cabotage est ainsi libellé :

4(1)  Sous réserve de l’article 7, sur demande d’un résident du Canada agissant au nom d’un navire étranger, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile délivre une licence pour le navire s’il est convaincu à la fois :

a) que l’Office a déterminé qu’il n’existe pas de navire canadien ou de navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande;

b) dans le cas d’activités qui comportent le transport de passagers par navire, que l’Office a déterminé qu’aucun exploitant de navires canadiens n’offre un service adéquat — identique ou comparable;

c) que des arrangements ont été pris à l’égard du paiement des droits et taxes prévus par le Tarif des douanes et la Loi sur la taxe d’accise applicables à l’utilisation temporaire du navire au Canada;

d) que tous les certificats et documents délivrés à l’égard du navire étranger en vertu de conventions maritimes auxquelles le Canada est partie sont en cours de validité;

e) que le navire étranger satisfait à toutes les dispositions en matière de sécurité et de prévention de la pollution prévues par la législation canadienne applicable.

5  Sous réserve de l’article 7, sur demande d’un résident du Canada agissant au nom d’un navire non dédouané, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile délivre une licence pour le navire s’il est convaincu à la fois :

a) que l’Office a déterminé qu’il n’existe pas de navire canadien qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande;

b) dans le cas d’activités qui comportent le transport de passagers par navire, que l’Office a déterminé qu’aucun exploitant de navires canadiens n’offre un service adéquat — identique ou comparable;

[Non souligné dans l’original.]

[126]  Il ressort clairement du paragraphe 8(1) et des alinéas 4(1)a) et 5a) que l’OTC a pour rôle de déterminer s’il existe un navire canadien ou un navire non dédouané qui soit à la fois adapté et disponible pour assurer le service ou être affecté aux activités visées dans la demande. Et comme nous l’avons vu précédemment, dans la lettre qui accompagne la demande C47, Global Marine a donné une description du service et de l’activité visés par sa demande, le service étant l’état de disponibilité et l’activité, la réparation de câbles.

[127]  Pour étayer sa thèse selon laquelle Transports Canada n’aurait pas bien saisi la distinction entre le service et l’activité décrits dans la demande C47, Global Marine signale deux communications que le ministère lui a envoyées. D’une part, il y a le courriel du 11 mai 2017, dans lequel Mme Gelinas écrit ceci :

[traduction] Dans la demande d’admission pour fins de cabotage que vous avez présentée à l’Office des transports du Canada au nom du CABLE INNOVATOR, il est indiqué que l’activité sous licence à laquelle vous serez affecté est la prestation de services de mise en disponibilité (à la demande) pour assurer en urgence la réparation de câbles sur la côte ouest du Canada […]

[…]

Comme le navire fonctionne actuellement en mode de disponibilité (l’activité visée par votre demande) au cours de la période définie dans toutes les pièces jointes, je vous demande une fois de plus de bien vouloir vous procurer une licence de cabotage pour le CABLE INNOVATOR.

[Souligné dans l’original.]

[128]  D’autre part, il y a le courriel du 9 novembre 2018 de M. Bertin, à l’effet suivant :

[traduction] […] Je rappellerais que l’activité consistant à « maintenir le navire dans un état permanent de disponibilité lui permettant de procéder, moyennant un très court préavis, aux réparations urgentes de câbles, conformément aux stipulations des contrats conclus avec les propriétaires des câbles » – activité figurant dans la dernière demande d’admission aux fins de cabotage que vous avez soumise à l’Office des transports du Canada, le 21 septembre 2016 – est visée par la définition de cabotage énoncée à l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage. Il s’ensuit que lorsque le Cable Innovator est en disponibilité dans les eaux canadiennes, une licence de cabotage est requise.

[129]  Toutefois, il faut considérer ces communications à la lumière de l’explication limpide offerte par Global Marine dans la lettre qu’elle a envoyée le 27 septembre 2016 à l’OTC et qui accompagnait sa demande C47. Dans cette lettre, elle désigne le service/l’activité visés par la demande à la fois comme un service de mise en disponibilité et une activité de réparation de câbles. Il faut aussi tenir compte du fait que dans les communications adressées à Global Marine, Transports Canada s’est contenté d’exposer son avis, à savoir que le « Cable Innovator » avait besoin d’une licence C48 pour son activité de mise en disponibilité — et non pas uniquement à partir du moment où il se livrerait à la réparation de câbles dans les eaux canadiennes. Dans l’ensemble, les communications de Transports Canada font clairement la distinction entre les services de mise en disponibilité visés par la demande et les activités de réparation. Je ne suis pas convaincue que Transports Canada a commis une erreur d’interprétation de la demande présentée par Global Marine en vue d’obtenir une autorisation d’admission temporaire C47. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, le service de mise en disponibilité et l’activité de réparation sont intimement liés aux termes du contrat de la ZAN.

[130]  Enfin, pour les motifs exposés ci-dessus, je ne vois pas non plus de fondement dans l’argument que tente de faire valoir Global Marine lorsqu’elle reproche au raisonnement de Transports Canada d’accorder trop d’importance à la rémunération que touchait le « Cable Innovator » lorsqu’il était en disponibilité opérationnelle et d’ignorer le fait que, pour cette raison, le navire est également tenu d’effectuer une activité maritime. Qui plus est, dans sa décision, Transports Canada a clairement indiqué que selon son analyse, l’activité de mise en disponibilité exercée par le « Cable Innovator » pour aider à la réparation de câbles dans les eaux canadiennes [traduction] « est considérée comme une activité maritime de nature commerciale selon la Loi sur le cabotage », ce qui correspond à la définition de « cabotage » énoncée à l’alinéa 2(1)f) de la Loi. À l’évidence, Transports Canada a jugé que les services de mise en disponibilité du « Cable Innovator » étaient à la fois des activités maritimes et commerciales. Du reste, prétendre qu’un navire en état permanent de disponibilité opérationnelle ne se livre à aucune activité « maritime » défie toute logique. Sur ce point, je suis d’avis que les arguments de Global Marine reprennent pour l’essentiel les observations qu’elle a formulées sur la question de l’interprétation des lois.

Conclusion

[131]   Pour reprendre ce qui est dit dans l’arrêt Vavilov :

[121]  La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause. Toutefois, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité – mais plausible – simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Il incombe au décideur de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité.

[132]  Après avoir examiné la décision et l’ensemble du dossier, je suis convaincue que l’interprétation de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage préconisée par Transports Canada – à savoir que l’activité de mise en disponibilité opérationnelle du « Cable Innovator » est visée par la définition du cabotage, et par conséquent, par l’obligation d’obtenir une licence de cabotage C48 – était compatible avec cette exigence.

[133]  L’interprétation de Transports Canada commande la retenue. De plus, sa décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles Transports Canada est assujetti, et elle est transparente et intelligible. La décision est raisonnable.

Les dépens

[134]  Bien que chacune des parties ait demandé que les dépens lui soient adjugés si elle devait obtenir gain de cause, j’estime que le succès est mitigé. Le ministre n’a pas réussi à imposer son argument voulant que le courriel de juin 2019 de Transports Canada ne soit pas susceptible de contrôle judiciaire, et Global Marine a échoué à convaincre que l’interprétation de l’alinéa 2(1)f) de la Loi sur le cabotage défendue par Transports Canada était déraisonnable. En conséquence, j’exerce le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales pour refuser d’adjuger les dépens à l’une ou l’autre partie.


JUGEMENT dans le dossier T-1188-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de juin 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1188-19

 

INTITULÉ :

GLOBAL MARINE SYSTEMS LTD. c MINISTRE DES TRANSPORTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :


Le 25 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Richard A. Wagner

Jean-Simon Schoenholz

Pour la demanderesse

Helen Gray

Yusuf Khan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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