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Date : 20200428


Dossier : IMM­6184­18

Référence : 2020 CF 563

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

FERD KEQAJ

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Ferd Keqaj, est un citoyen de l’Albanie. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 novembre 2018, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

[3]  Le cousin du demandeur, Florjan, et son épouse, Silvane, ont été exposés à la persécution en Albanie, par la famille de Silvane, en raison de différences culturelles et religieuses entre les deux familles. La famille de Silvane est musulmane, tandis que le demandeur et Florjan sont catholiques.

[4]  Le demandeur a tenté de régler le différend entre les deux familles. Après que sa tentative a échoué, il a aidé Florjan et Silvane pendant qu’ils se cachaient de la famille de Silvane. Le demandeur prétend que, en raison de l’aide qu’il a apportée, la famille de Silvane l’a battu et a attenté à sa vie.

[5]  Le demandeur est arrivé au Canada en mai 2016 et il a présenté une demande d’asile.

[6]  Dans sa demande d’asile, le demandeur a allégué que, en novembre 2015, Florjan et lui ont été attaqués et battus par trois hommes, qui les ont traités de [traduction« sales catholiques ». Le demandeur a déclaré qu’il a été hospitalisé pendant deux jours après l’attaque, et il a fourni un rapport médical de l’hôpital régional de Lezhe, daté du 7 juin 2016.

[7]  La Section de recherche de renseignements précis [la SRRP] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a fait enquête sur le rapport médical. Elle a ainsi reçu de l’hôpital régional de Lezhe des renseignements selon lesquels le demandeur n’était pas inscrit au registre des patients de l’hôpital pour la période de novembre 2015. La GRC a elle aussi procédé à une appréciation du rapport médical, et elle a constaté que le document avait été imprimé au moyen d’une imprimante à jet d’encre et qu’il comportait des altérations manuelles, y compris des lignes rouges tracées à la main et du texte manuscrit ajouté au timbre circulaire.

[8]  Le demandeur a allégué qu’en mars 2016 un tireur a tiré des coups de feu sur son véhicule. Le demandeur a également allégué que sa mère avait été menacée et blessée par la famille de Silvane en Albanie. Le demandeur a présenté un rapport de la police de Shkoder, daté du 22 avril 2016, à l’appui de son allégation. La GRC a apprécié le rapport de police, et elle a constaté que le logo de la police et le timbre figurant au bas de la page avaient été imprimés au moyen d’une imprimante à jet d’encre.

[9]  Le 1er novembre 2017, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible et que son utilisation de documents frauduleux minait des éléments essentiels de sa demande d’asile.

III.  Les questions en litige

[10]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur mixte de fait et de droit dans son application de la norme de la décision correcte à la décision rendue par la SPR.

[11]  Le demandeur souligne quatre erreurs importantes que la SAR a, selon lui, commises lorsqu’elle a confirmé la décision de la SPR. Ces erreurs alléguées concernaient les points suivants : (1) comment et quand il a obtenu le rapport de police; (2) la conclusion selon laquelle deux rapports d’hôpital et deux rapports de police étaient frauduleux d’après les rapports judiciaires; (3) ne pas avoir examiné si le demandeur s’était vu refuser le droit à l’équité procédurale, du fait que la SPR n’avait pas fait part de ses préoccupations au demandeur quant à savoir s’il avait été admis à l’hôpital; (4) avoir maintenu le rejet par la SPR de tous les documents à l’appui qu’il avait présentés.

IV.  La norme de contrôle

[12]  La SAR a procédé au contrôle de la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte. La Cour d’appel fédérale a exposé en détail la nature du rôle de la SAR dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], aux paragraphes 78 et 79 :

[78]  À cette étape‑ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b] de la LIPR).

[79]  Je suis d’avis par ailleurs que l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo. Étant conscient qu’il puisse exister des divergences d’opinion et d’interprétation, je tiens à clarifier ce que j’entends par « véritable processus de novo ». À mon sens, lorsqu’il y a réexamen de l’affaire de novo, le décideur repart à zéro, c’est‑à‑dire que la juridiction d’appel ne reçoit pas le dossier de l’instance inférieure et ne prend en compte aucun aspect de la décision initiale. Lorsque l’appel consiste en un véritable processus de novo, la norme de contrôle n’est jamais en cause. De toute évidence, telle n’est pas l’idée lorsque la SAR instruit l’affaire sans tenir d’audience.

[13]  La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle que doit appliquer la Cour à une décision de la SAR : Huruglica, aux paragraphes 30 et 35.

[14]  Il faut faire preuve d’un degré de déférence élevé particulièrement lorsque les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits : Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057, au paragraphe 15.

[15]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle présumée à l’égard des décisions administratives, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique aux faits en l’espèce : Vavilov, au paragraphe 23.

[16]  Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[17]  Citant l’arrêt Dunsmuir, l’arrêt Vavilov a également confirmé qu’une décision raisonnable est une décision justifiée, transparente et intelligible, et il faut centrer l’attention sur la décision même qui a été rendue, notamment sur sa justification : Vavilov, au paragraphe 15.

[18]  Comme la présente demande a été plaidée en tenant pour acquis que la norme de contrôle applicable était la décision raisonnable, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de recevoir d’autres observations des parties. Le résultat en l’espèce serait le même dans le cadre établi avant l’arrêt Vavilov, dans l’arrêt Dunsmuir et les décisions rendues dans sa foulée.

V.  Analyse de la décision faisant l’objet du contrôle

[19]  Le demandeur n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve ni demandé la tenue d’une audience devant la SAR. La question déterminante en appel était la crédibilité.

[20]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible.

A.  Le rapport de police

[21]  Le demandeur a soutenu que la SPR avait tiré une inférence déterminante quant au moment où il avait reçu le rapport de police. Il affirme que la conclusion de la SAR confirmant celle de la SPR est déraisonnable, parce qu’il n’y a aucune preuve pour démontrer que le demandeur avait personnellement obtenu le rapport de police en avril ou qu’il s’était rendu à Shkoder, en Albanie, pour l’obtenir. La preuve établit seulement qu’il a reçu le rapport de police en avril.

[22]  Le demandeur fait valoir que, dans certains cas, la SAR, dans son appréciation du caractère correct, peut juger si la SPR avait raison lorsqu’elle a tiré une inférence, comme celle selon laquelle il avait personnellement obtenu le rapport de police. Le demandeur déclare que la question qu’il convient de se poser en l’espèce, c’est si l’appréciation par la SAR de la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait personnellement reçu le rapport de police était correcte.

[23]  Le demandeur affirme qu’il a bel et bien obtenu le rapport de police, mais que la SPR ne l’a pas interrogé à ce sujet. Il affirme qu’il n’a jamais dit comment il avait obtenu le rapport. Selon le demandeur, la preuve dont disposait la SPR n’était pas claire; la SPR a donc dû tirer une inférence selon laquelle il avait obtenu le rapport. Le demandeur affirme que la SPR a le droit de tirer une inférence, mais, pour arriver à la même conclusion, la SAR devait être convaincue que la SPR avait raison. Comme il n’y a aucune preuve démontrant que le demandeur a personnellement obtenu le rapport ou qu’il s’est rendu à Shkoder pour l’obtenir, la conclusion de la SAR était une erreur mixte de fait et de droit.

[24]  Le défendeur soutient que la déclaration du demandeur selon laquelle il n’y a [traduction« aucune preuve » démontrant qu’il a personnellement acquis le rapport de police était une question que le demandeur aurait facilement pu clarifier lui‑même en déclarant dans ses observations écrites qu’il n’avait pas personnellement obtenu le rapport auprès de la police.

[25]  Le défendeur souligne également que le demandeur n’a jamais déclaré qu’il n’avait pas personnellement obtenu le rapport de police; il a seulement dit qu’il n’y avait aucune preuve démontrant qu’il avait acquis personnellement le rapport. Le demandeur répond que ce n’est pas sa faute si la SPR ne l’a pas interrogé à ce sujet. Je juge qu’il n’est pas nécessaire de régler cet aspect de la question. Comme il est mentionné ci‑dessous, la SAR s’est appuyée sur d’autres éléments de preuve au dossier pour en arriver à la conclusion qu’elle a tirée.

[26]  La SAR n’a pas simplement accepté l’analyse de la SPR à ce sujet. Elle a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR. Elle a indiqué qu’elle avait porté une attention particulière à la discussion sur la question. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur quant au moment où le demandeur avait reçu le rapport, car le demandeur avait précisé qu’il n’était pas certain de la date à laquelle il l’avait reçu.

[27]  La SAR s’est ensuite penchée sur l’argument du demandeur, selon lequel la SPR avait conclu que son témoignage était incohérent, du fait qu’il déclarait qu’il s’était caché de mars à mai, mais qu’en avril, il avait pris plus d’une heure pour se rendre au poste de police, afin d’obtenir le rapport. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas déclaré dans son témoignage avoir personnellement quitté sa cachette pour obtenir le rapport, de sorte qu’il n’y avait aucune incohérence véritable.

[28]  Après avoir écouté l’enregistrement audio, la SAR a fait remarquer que le demandeur avait utilisé le mot « je » lorsqu’il avait expliqué avoir reçu le rapport de la police le soir de l’incident et lorsqu’il avait par la suite déclaré qu’il n’était pas certain de la date réelle à laquelle il avait reçu le rapport de la police. La SAR a conclu de ces déclarations que, peu importe la date à laquelle le demandeur avait reçu le rapport, il l’avait obtenu de la police.

[29]  La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant à une incohérence dans le témoignage du demandeur au sujet de la façon dont il avait obtenu le rapport de police. La SAR a conclu que le demandeur avait déclaré avoir personnellement obtenu le rapport de la police et que, s’il l’avait obtenu en avril, cela n’était pas compatible avec son témoignage selon lequel il se cachait à ce moment‑là.

[30]  Lorsque la SAR peut écouter l’enregistrement de l’audience ou lire la transcription du témoignage dans le dossier sous‑jacent, la SPR ne jouit alors pas d’un avantage significatif par rapport à la SAR pour ce qui est de l’appréciation de la crédibilité : Rozas Del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, aux paragraphes 90 et 91. Dans un tel cas, la SAR est libre de rendre une nouvelle décision sur la question de la crédibilité.

[31]  Le dossier présenté à la SPR ainsi que la transcription de l’audience et l’enregistrement audio constituaient le dossier sous‑jacent dont la SAR disposait. Je suis convaincue, après examen du dossier sous‑jacent, que celui‑ci appuie raisonnablement la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur a personnellement obtenu le rapport de police.

B.  Les documents frauduleux

[32]  La GRC a procédé à un examen judiciaire de deux rapports de police et de deux rapports médicaux fournis par le demandeur.

[33]  Le demandeur a été avisé par lettre le 15 août 2016 que les rapports étaient envoyés pour analyse judiciaire. Le 30 novembre 2016, le rapport de la GRC lui a été communiqué.

[34]  Dans chaque cas, le rapport judiciaire a conclu qu’il y avait des problèmes, notamment :

  • - des lignes rouges tracées à la main sur les documents;

  • - des timbres imprimés au moyen d’une imprimante à jet d’encre plutôt que des timbres à l’encre appliqués avec un tampon encreur;

  • - du texte manuscrit ajouté à un timbre appliqué avec un tampon encreur;

  • - des signatures imprimées plutôt que manuscrites;

  • - la présence d’un timbre simulé dessiné à la main.

[35]  Comme aucun spécimen authentique disponible n’a permis de faire une comparaison avec les documents examinés, le rapport de la GRC a conclu que le résultat concernant l’authenticité de chaque document était [traduction« non concluant ».

[36]  La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les documents étaient frauduleux et n’étaient pas dignes de foi. En plus de ce que contenait le rapport judiciaire, la SPR a examiné des duplicata nouvellement signés et datés des rapports médicaux et des rapports de police présentés par le demandeur. Dans son témoignage, il a déclaré que les rapports avaient été signés par les mêmes responsables, mais la SPR a fait remarquer que les signatures étaient clairement différentes.

[37]  La SAR a examiné la preuve et les rapports judiciaires, après quoi elle a tiré ses propres conclusions selon lesquelles, selon la prépondérance des probabilités, les documents étaient frauduleux. La SAR a conclu que « le rapport a[vait] manifestement relevé un certain nombre de problèmes avec ces documents, chacun suffisant en lui-même pour faire soupçonner que quelque chose n’allait pas avec chaque document ».

[38]  Le demandeur a fait valoir que, parce que les résultats des tests judiciaires n’étaient pas concluants, la SPR a commis une erreur en concluant que les documents étaient frauduleux. La SAR a déclaré que l’expression [traduction« non concluant » était généralement utilisée lorsqu’il n’y avait pas de preuve à 100 p. 100 de quelque chose. La SAR a souligné qu’elle n’était pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve, et qu’elle avait le droit de recevoir les éléments de preuve qu’elle jugeait crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et de fonder sur eux sa décision. Elle a conclu que, compte tenu de la norme moins stricte à laquelle elle était assujettie pour l’appréciation de la preuve, il n’était pas nécessaire d’appliquer la norme liée au terme [traduction« concluant ».

[39]  Par conséquent, la SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les documents étaient frauduleux et que la SPR n’avait commis aucune erreur en leur accordant peu de poids.

[40]  Le demandeur s’appuie sur la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, pour affirmer que la SAR n’a pas appliqué correctement la règle de preuve, parce qu’il est intrinsèquement déraisonnable de juger concluant un document qui a été apprécié par un expert judiciaire, lequel a conclu qu’il ne l’était pas.

[41]  Le défendeur soutient que la SAR n’a pas prétendu que la GRC avait des connaissances spécialisées concernant les rapports de police albanais. La SAR a toutefois bel et bien reconnu que la GRC ne pouvait pas affirmer de façon concluante que les documents étaient frauduleux.

[42]  La SAR ne s’est pas fondée uniquement sur le rapport judiciaire pour conclure que les documents étaient frauduleux. Elle a affirmé expressément avoir examiné la preuve, y compris le rapport judiciaire.

[43]  La GRC a tiré des conclusions au sujet des documents, et ces conclusions ont éclairé la SAR dans sa prise de décision. Dans sa décision, la SPR a également souligné que les duplicata de rapports fournis par le demandeur, en réponse au rapport judiciaire de la GRC, étaient suspects. Le demandeur avait déclaré devant la SPR que la signature figurant sur le duplicata du rapport de police de Lezhe était nouvelle, mais apposée par le même responsable. La SPR a souligné que les deux signatures figurant sur le rapport original et sur le duplicata étaient clairement différentes, en ce sens que la dernière lettre de la signature et les fioritures sous la signature n’étaient pas identiques dans les deux documents.

[44]  Le rapport judiciaire mentionne clairement que les documents examinés ont été altérés. Le rapport contient des représentations graphiques précisant les altérations et ajouts. La Commission a le droit de prendre acte des documents qui, selon elle, contiennent des altérations et de ne leur accorder aucune valeur. Lorsque la preuve révèle qu’un document a été falsifié, la Commission a le droit de ne lui accorder aucune valeur et elle n’a pas besoin de recourir à des connaissances spécialisées plus poussées pour le faire : Diarra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, au paragraphe 24; Saleem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 389, au paragraphe 37.

[45]  Compte tenu du dossier sous‑jacent et de ce qui précède, il était raisonnable pour la SAR de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les documents en question étaient frauduleux.

C.  Le dossier de l’hôpital

[46]  Le demandeur admet que [traduction« la preuve la plus convaincante » concernant sa crédibilité est qu’il a affirmé avoir été hospitalisé en novembre 2015, mais qu’un représentant de l’hôpital a prétendu qu’il n’avait pas été inscrit au registre des patients.

[47]  Le demandeur soutient que, comme il n’a jamais été interrogé au sujet de l’omission alléguée de son nom dans le registre des patients de l’hôpital, il n’a pas été en mesure de fournir une explication pour répondre à la préoccupation de la SPR. Le demandeur soutient que la SPR a manqué à l’équité procédurale en tirant une inférence défavorable sans l’interroger, et que la SAR n’a pas appliqué la norme de la décision correcte à cet égard.

[48]  La SAR a examiné l’argument du demandeur selon lequel il n’avait pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi l’hôpital n’avait aucun dossier sur lui, mais elle a également souligné que le demandeur n’avait pas fourni d’explication.

[49]  Il semble que la SPR a donné au demandeur l’occasion d’expliquer le problème du dossier de l’hôpital. Le dossier de demande contient la transcription de l’audience de la SPR. Dans le bas de la page 251, à la page 46 de la transcription de la journée en question, le document indique que la SPR a directement soulevé la question de l’absence du nom du demandeur dans les dossiers relatifs aux patients de l’hôpital :

[traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Conseil, sur ce point, je vous demanderais simplement, si vous pouviez me fournir des observations concernant la réponse de la SRRP au sujet du dossier de l’hôpital.

[50]  Une discussion s’ensuit entre le conseil et la SPR afin de trouver le document en question. La SPR renvoie ensuite à une lettre datée du 17 novembre 2016 qui est adressée au conseil et qui contient la mention [traduction« Copie du rapport médical fournie par la SRRP ». Après entente sur le document en question, il est constaté que la date de la lettre est le 15 novembre 2016. Le conseil présente ensuite diverses observations sur l’authenticité des documents.

[51]  Il semble donc que le demandeur a été traité équitablement par la SPR. Il a été invité expressément à présenter des observations au sujet du duplicata du dossier de l’hôpital obtenu par son oncle, duplicata qui, selon un rapport judiciaire, présentait également des problèmes.

[52]  Toutefois, même si cette discussion n’est pas prise en compte, il n’en demeure pas moins que le conseil a eu l’occasion, à la fin de l’audience de la SPR, de faire des observations sur l’ensemble de la preuve, le demandeur ayant alors reçu la réponse donnée à la SRRP selon laquelle il ne semblait pas avoir été un patient de l’hôpital.

[53]  À la lumière des rapports médicaux frauduleux et de l’information selon laquelle le demandeur n’avait pas été un patient à l’hôpital, la SAR a conclu que « la seule conclusion raisonnable » était que le demandeur n’avait jamais été à l’hôpital, comme il l’alléguait.

[54]  Il s’agit d’une analyse raisonnable qui répond aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité. Le dossier sous­jacent appuie ce résultat, qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

D.  Les documents à l’appui

[55]  Le demandeur a fourni d’autres documents corroborants auxquels la SPR n’a accordé aucun poids. Les motifs de la SPR à cet égard figurent aux paragraphes 28 et 29 de la décision :

[traduction]

[28]  Le demandeur d’asile a fourni des documents à l’appui provenant de sa mère et de ses cousins et traitant des problèmes qu’il alléguait avoir subis, notamment le fait de s’être caché après la fusillade prétendue du 2 mars 2016 et le fait que les Hoxha étaient en colère, parce qu’ils n’avaient pas réussi à tuer le demandeur d’asile en mars 2016. Étant donné qu’il a conclu que le demandeur d’asile avait appuyé sa demande d’asile au moyen d’au moins quatre documents frauduleux, le tribunal juge qu’il ne peut se fier aux autres documents ou déclarations à l’appui ni leur accorder de poids pour établir les allégations du demandeur d’asile concernant le fait qu’il aurait été attaqué à deux reprises par des membres de la famille Hoxha.

[29]  Le demandeur d’asile a également fourni un rapport médical et une lettre de sa mère, Luce Keqaj, qui allègue que des membres de la famille Hoxha l’ont attaquée et l’ont blessée après avoir exigé des renseignements au sujet du demandeur d’asile. Le tribunal conclut qu’il ne peut accorder aucun poids à la déclaration de la mère du demandeur d’asile ou au rapport médical, compte tenu de la fiabilité des documents en cause dans la présente demande d’asile. Il faudrait que le tribunal puisse interroger Luce Keqaj comme témoin avant de pouvoir accorder quelque poids que ce soit à sa déclaration ou à son rapport médical. En outre, comme le tribunal a conclu que l’un des membres de la famille du demandeur d’asile, Luigj Keqaj, avait déjà fourni de faux documents et une déclaration dénuée de fiabilité, le tribunal ne peut accepter telles quelles les déclarations des membres de la famille du demandeur d’asile. Compte tenu des préoccupations du tribunal, celui‑ci conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la déclaration de Luce Keqaj est intéressée et dénuée de fiabilité, au point où il ne peut lui accorder aucun poids.

[Notes de bas de page omises.]

[56]  Le demandeur soutient qu’il n’était pas loisible à la SPR d’attaquer la crédibilité de sa mère et de ses cousins et de rejeter les autres éléments de preuve sans les examiner. Il affirme que l’inférence de portée générale que la SPR a faite concernant les éléments de preuve des membres de sa famille est déraisonnable. Chaque document devait faire l’objet d’une analyse rationnelle quant au poids à lui attribuer.

[57]  Le demandeur soutient que le défaut d’examiner la preuve documentaire dans un tel contexte a été jugé déterminant, parce que, dans Voytik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 66, le juge O’Keefe a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 20 et 21 :

[20]  […] même si la Commission estime qu’un revendicateur n’est pas crédible, elle doit néanmoins tenir compte de la preuve documentaire. Ici, la Commission a commis une erreur parce qu’elle a usé de sa conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse comme motif pour n’accorder aucune valeur à une preuve documentaire qui pouvait être d’une importance cruciale, vu la nature de la revendication et du témoignage de la demanderesse.

[21]  Je ne me propose pas d’examiner les autres arguments de la demanderesse, car selon moi mon appréciation de la manière dont la Commission a traité les rapports médicaux de la demanderesse dispose de cette demande.

[58]  Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur en accordant peu de poids à la preuve documentaire présentée par le demandeur. Dans la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 71, le juge Boswell a déclaré, au paragraphe 28, qu’une conclusion générale de manque de crédibilité pouvait avoir une incidence sur les autres éléments de preuve présentés par un demandeur :

[28]  Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire qu’une conclusion générale de manque de crédibilité peut avoir une incidence sur l’ensemble de la preuve pertinente présentée par un demandeur, y compris la preuve documentaire, et, en fin de compte, entraîner le rejet de la demande (voir Nijjer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1259, au par. 26, 184 ACWS [3d] 196; Yasik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 760, au par. 55, 242 ACWS [3d] 917; et Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, au par. 49, 442 FTR 237).

[59]  La SAR a examiné et accepté la déclaration du demandeur selon laquelle chaque élément de preuve distinct devait être analysé et examiné individuellement, mais elle a conclu que, « [c]ompte tenu de la propension [du demandeur] à fournir de faux documents et à mentir à la Commission, il était tout à fait raisonnable de la part du tribunal de rejeter tout document présenté par [le demandeur] ».

[60]  La SAR a abordé la question du traitement par la SPR des autres éléments de preuve à l’appui. En plus de mentionner que le demandeur avait présenté au moins quatre documents frauduleux, la SPR s’était appuyée sur le fait que, lorsque la Commission avait vérifié l’allégation au sujet du séjour à l’hôpital, elle avait reçu comme information que le demandeur n’avait pas été hospitalisé à l’hôpital en question.

[61]  La SPR n’a pas dit qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve. Elle a examiné les documents à l’appui, mais a décidé de ne pas leur accorder de poids en disant qu’elle : [traduction] « ne peut se fier aux autres documents ou déclarations à l’appui ni leur accorder de poids pour établir les allégations du demandeur d’asile concernant le fait qu’il aurait été attaqué à deux reprises par des membres de la famille Hoxha ». Cela n’équivaut pas à ne pas tenir compte des éléments de preuve.

[62]  La SAR a convenu qu’il était approprié que la SPR n’accorde aucun poids aux lettres à l’appui de la mère et des cousins du demandeur, étant donné que le demandeur avait présenté au moins quatre documents frauduleux.

[63]  Compte tenu des circonstances factuelles de la présente affaire, cette conclusion de la SAR est raisonnable.

VI.  Conclusion

[64]  En effectuant le présent contrôle selon la norme de la décision raisonnable, je dois faire preuve de déférence à l’égard de la SAR, à condition que la décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée par rapport aux faits et au droit : Vavilov, au paragraphe 83.

[65]  La SAR a clairement expliqué chacune des conclusions qu’elle a tirées, en faisant référence à la preuve au dossier et au droit applicable. Lorsqu’elle a conclu que la SPR avait commis une erreur, elle l’a mentionné. Lorsqu’elle était d’accord, après avoir procédé à un examen indépendant de la preuve, elle a expliqué pourquoi elle était d’accord avec la conclusion de la SPR. Parfois, elle était d’accord pour les mêmes motifs; d’autres fois, elle donnait des motifs différents.

[66]  En l’espèce, la SAR a aussi bénéficié de l’écoute de l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, et une transcription de la preuve présentée devant la SPR figurait au dossier. Pour cette raison, la SAR était dans la même position ou, compte tenu de son expertise, elle était peut‑être même mieux placée que la SPR pour examiner soigneusement la preuve du demandeur.

[67]  La Cour d’appel fédérale a récemment eu l’occasion d’examiner à nouveau le rôle et les pouvoirs de la SAR. La Cour d’appel a affirmé que la SAR disposait « de vastes pouvoirs pour corriger les erreurs, en conformité avec la mission qui lui est conférée par la loi », et qu’il était important de noter que « la norme de contrôle au regard de laquelle la Cour fédérale examine les décisions de la SPR et de la SAR ne l’empêche pas de faire un examen sur le fond ou de prendre en compte les conclusions de fait de l’un ou l’autre tribunal. […] Les conclusions de fait défavorables et les conclusions ou hypothèses défavorables en matière de crédibilité doivent être justifiées par les éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR et doivent être énoncées dans les motifs de la SPR » : Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, aux paragraphes 42 et 46.

[68]  Rien n’oblige la SAR à faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR. La SAR doit seulement décider si, dans sa décision, la SPR a commis une erreur de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Il faut examiner au cas par cas la question de savoir si la SAR doit s’abstenir de substituer sa propre décision, et la SAR doit répondre à la question de savoir si la SPR a joui d’un avantage en entendant les témoignages et, le cas échéant, la SAR doit alors se demander si elle peut rendre une décision définitive relativement à la demande d’asile : Huruglica, aux paragraphes 59, 65 et 70. Ces énoncés concordent tous avec l’objectif déclaré pour la création de la SAR, à savoir de s’assurer que la décision correcte est rendue à l’égard de la demande d’asile et que la SAR a la capacité de réparer les erreurs éventuelles, de façon à ce que moins de dossiers soient soumis à la Cour fédérale : Huruglica, au paragraphe 87.

[69]  La Cour suprême du Canada a également déclaré très clairement que, lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire, la cour de révision doit s’abstenir de trancher à nouveau la question en litige. Je suis seulement appelée à décider du caractère raisonnable de la décision, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov, au paragraphe 83.

[70]  Les motifs de la SAR permettent aux parties de comprendre comment et pourquoi la SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le raisonnement suivi est clair, et il appuyé par le dossier sous‑jacent.

[71]  Pour tous les motifs qui précèdent, je juge que la SAR a raisonnablement conclu que la décision de la SPR devait être maintenue et que la SPR n’avait pas commis d’erreur importante.

[72]  La demande est rejetée, sans frais.

[73]  Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM­6184­18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande est rejetée, sans frais;

  2. qu’il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2020

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­6184­18

 

INTITULÉ :

FERD KEQAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 28 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

H.J. YEHUDA LEVINSON

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MICHAEL BUTTERFIELD

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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