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Date : 20200428


Dossier : IMM-2336-19

Référence : 2020 CF 560

Ottawa, Ontario, le 28 avril 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

SCHILLOT BELLEVUE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur réclame le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 mars 2019 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI], laquelle a pris une mesure d’expulsion contre lui après avoir conclu qu’il était visé par l’alinéa 36(1)b) (interdiction de territoire pour grande criminalité) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Dans sa décision, la SI a conclu que le demandeur, alors qu’il était aux États-Unis, avait été condamné pour une infraction (usage d’un passeport frauduleux) qui, commise au Canada, aurait constitué une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans (alinéa 36(1)b) de la LIPR; en l’espèce, quatorze ans, alinéa 123(1)b) de la LIPR).

[3]  Selon le demandeur, cette conclusion est erronée puisque l’article 133 de la LIPR prévoit une immunité pour l’infraction équivalente en droit canadien, soit une infraction relative à l’utilisation d’un passeport frauduleux (article 122 de la LIPR). Cette immunité est accordée aux véritables réfugiés et aux demandeurs d’asile qui utilisent de faux papiers afin d’obtenir la protection du Canada.

[4]  Or, la SI a conclu que cette immunité ne s’appliquait pas au demandeur parce qu’il n’a jamais fait de demande d’asile aux États-Unis.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je crois que cette conclusion n’est pas déraisonnable et qu’il n’y a pas lieu d’accueillir le contrôle judiciaire en l’espèce.

II.  Faits

[6]  Le 11 mars 2010, le demandeur était passager d’un vol d’Air France de Port-au-Prince (Haïti) à Miami (États-Unis). À son arrivée à l’aéroport de Miami, il a présenté un passeport canadien au nom d’un certain « G.H. » à un agent du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Le visage du demandeur ne correspondait pas à la photo dans le passeport et, lors d’une entrevue au poste, le demandeur a admis qu’il n’était pas G.H. et s’appelait plutôt Schillot Bellevue. Il semble qu’il ait obtenu ce passeport d’un homme à Port-au-Prince contre une somme de 5 000 $.

[7]  En même temps, le demandeur a affirmé aux agents d’immigration à l’aéroport que sa vie était menacée et qu’il serait tué advenant un retour en Haïti.

[8]  Le 12 mars 2010, le demandeur a été arrêté pour infraction de fraude et mauvais usage de visas, permis et autres documents, une infraction criminelle aux États-Unis entraînant une peine d’emprisonnement maximale d’entre 10 et 25 ans. Il a été maintenu en détention.

[9]  Le 26 mars 2010, le demandeur a été formellement accusé par un grand jury de l’infraction de mauvais usage d’un passeport (misuse of passport), prévue à l’article 1544 du titre 18 du Code des États-Unis [18 USC § 1544].

[10]  Le 9 avril 2010, le demandeur a admis avoir utilisé frauduleusement un passeport et a plaidé coupable à ce chef d’accusation. Le demandeur a été condamné à la peine déjà purgée, à un an de liberté surveillée et une amende de 100 $.

[11]  Il n’est pas certain s’il a été libéré immédiatement ou quelques semaines plus tard. Selon son témoignage à l’audience, le demandeur a déclaré avoir été maintenu en détention un ou deux mois avant d’être libéré.

[12]  En tout cas, le demandeur est resté aux États-Unis de 2010 jusqu’à son arrivée au Canada le 28 octobre 2017. En fait, il existe toujours un mandat d’arrêt contre lui aux États-Unis.

[13]  Pendant ce temps, le demandeur n’a jamais déposé de demande d’asile formelle auprès des autorités américaines et n’a jamais obtenu le statut de réfugié. Cependant, le demandeur prétend qu’il avait manifesté l’intention de demander l’asile aux États-Unis auprès de quelques avocats et agents d’immigration américains.

[14]  Après son arrivée au Canada, le demandeur a présenté sa demande d’asile.

[15]  Le 8 novembre 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Selon cette disposition, un étranger est interdit de territoire s’il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[16]  Ce même jour, l’examen de sa demande d’asile a été suspendu et son dossier a été déféré à la SI afin qu’elle détermine par voie d’enquête en interdiction de territoire si le demandeur était visé par l’alinéa 36(1)b).

[17]  Le 10 novembre 2017, le demandeur a été placé en détention en attendant l’enquête en interdiction de territoire et le contrôle des motifs de garde. L’enquête en interdiction de territoire s’est tenue les 17 et 28 novembre 2017.

[18]  Le 15 décembre 2017, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, puisqu’il avait été déclaré coupable d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[19]  La SI a indiqué que le demandeur ne pouvait pas invoquer l’immunité de l’article 133 de la LIPR, citant la décision Kathirgamathamby c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 811 [Kathirgamathamby]. La SI a également conclu que le demandeur ne bénéficiait pas de cette immunité, car l’infraction en question n’avait rien à voir avec son arrivée au Canada, et que cette disposition de la LIPR ne devait donc pas être prise en considération dans l’examen de l’équivalence en droit canadien.

[20]  Insatisfait de la décision de la SI, le demandeur a réussi à contester cette décision en contrôle judiciaire.

[21]  Dans une décision datée du 19 septembre 2018, notre Cour a conclu que la SI avait commis une erreur révisable lorsqu’elle a décidé « d’écarter » l’immunité prévue à « l’article 133 » « de son examen d’équivalence » (Bellevue c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 926 au para 44 [Bellevue]). Madame la juge St-Louis a expliqué que la jurisprudence de la Cour exige un tel examen et que le passage de la décision Kathirgamathamby cité par la SI n’était qu’un obiter dictum (Bellevue aux paras 34-42).

[22]  La Cour a donc décidé de renvoyer le dossier à la SI pour un nouvel examen.

III.  Décision

[23]  Après un réexamen du dossier, la SI s’est penchée sur la question en prenant en considération l’application de l’article 133 de la LIPR, mais, dans une décision rendue le 27 mars 2019, elle a conclu que le demandeur ne pouvait pas invoquer l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR dans le cadre de son examen d’équivalence puisqu’il n’aurait pas pu l’invoquer au Canada, n’ayant jamais demandé l’asile aux États-Unis.

IV.  Question en litige

[24]  La présente affaire ne soulève qu’une question : la décision de la SI est-elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[25]  Les parties conviennent que la décision de la SI, ayant été rendue en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Halilaj c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1062 aux paras 11-12).

[26]  Je suis d’accord. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Dans ce cadre d’analyse, le point de départ est la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17).

[27]  En l’espèce, aucune des situations justifiant que l’on déroge à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. La décision de l’agent d’immigration est assujettie à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Analyse

[28]  L’alinéa 36(1)b), le paragraphe 122(1) et l’article 133 de la LIPR disposent :

Grande criminalité

 

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

[…]

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

[…]

 

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

[…]

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

[…]

Possession, utilisation ou commerce

 

Documents

122 (1) Commet une infraction quiconque, en vue de contrevenir à la présente loi et s’agissant de tout document — passeport, visa ou autre, qu’il soit canadien ou étranger — pouvant ou censé établir l’identité d’une personne :

 

122 (1) No person shall, in order to contravene this Act,

 

a) l’a en sa possession;

(a) possess a passport, visa or other document, of Canadian or foreign origin, that purports to establish or that could be used to establish a person’s identity;

 

b) l’utilise, notamment pour entrer au Canada ou y séjourner;

(b) use such a document, including for the purpose of entering or remaining in Canada; or

 

c) l’importe ou l’exporte, ou en fait le commerce.

(c) import, export or deal in such a document.

Immunité

 

Deferral

133 L’auteur d’une demande d’asile ne peut, tant qu’il n’est statué sur sa demande, ni une fois que l’asile lui est conféré, être accusé d’une infraction visée à l’article 122, à l’alinéa 124(1)a) ou à l’article 127 de la présente loi et à l’article 57, à l’alinéa 340c) ou aux articles 354, 366, 368, 374 ou 403 du Code criminel, dès lors qu’il est arrivé directement ou indirectement au Canada du pays duquel il cherche à être protégé et à la condition que l’infraction ait été commise à l’égard de son arrivée au Canada.

 

133 A person who has claimed refugee protection, and who came to Canada directly or indirectly from the country in respect of which the claim is made, may not be charged with an offence under section 122, paragraph 124(1)(a) or section 127 of this Act or under section 57, paragraph 340(c) or section 354, 366, 368, 374 or 403 of the Criminal Code, in relation to the coming into Canada of the person, pending disposition of their claim for refugee protection or if refugee protection is conferred.

[29]  Le demandeur ne conteste pas que l’infraction américaine quant à l’utilisation d’un passeport frauduleux (18 USC § 1544) est semblable à l’infraction prévue au paragraphe 122(1) de la LIPR. Il ne conteste pas non plus le fait que, s’il était établi qu’il n’a jamais présenté de demande d’asile aux États-Unis, l’article 133 de la LIPR ne serait de toute façon pas applicable.

[30]  Le demandeur fait toutefois valoir qu’au moment de sa condamnation en vertu de l’article 18 USC § 1544, soit le 9 avril 2010 – le moment pertinent aux fins de l’examen d’équivalence en droit canadien en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR – il avait présenté une demande d’asile qui n’avait pas été abandonnée ou retirée et qu’à ce titre, s’il avait été au Canada, il aurait bénéficié de l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR.

[31]  Comme il n’existe pas de disposition semblable à l’article 133 de la LIPR en droit américain, le demandeur prétend qu’il n’y a pas d’équivalence entre l’article 18 USC § 1544 et une infraction en droit canadien. Donc, il soutient que la SI a commis des erreurs révisables dans son examen d’équivalence, rendant ainsi sa décision déraisonnable.

A.  L’équivalence prévue par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR

[32]  Afin de déterminer si le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, la SI devait d’abord procéder à un examen d’équivalence.

[33]  Dans un contexte d’évaluation de l’équivalence d’infractions, la SI doit se demander si le demandeur aurait commis la même infraction au Canada (Steward c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 CF 487 (CAF); Moscicki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 740 au para 38 [Moscicki]; Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 au para 27; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 4086 (CAF), [1997] 1 CF 235 au para 18 [Li]; Bellevue aux paras 30-31). En d’autres termes, cet exercice se fait sur une fiction juridique qui exige du décideur administratif qu’il regarde les faits tels qu’ils se sont produits dans un territoire non canadien et qu’il les transpose dans le cadre juridique canadien.

[34]  En l’espèce, la disposition équivalente en droit canadien proposée est l’alinéa 122(1)b) de la LIPR et, dans l’examen de l’équivalence, la SI avait l’obligation de considérer la disponibilité des moyens de défense et des immunités et de tenir compte de la décision de madame la juge St-Louis dans la décision Bellevue (Li au para 19; Bellevue au para 32; Vavilov au para 112).

[35]  Le demandeur soulève la possibilité de l’immunité que conférerait l’article 133 de la LIPR contre son infraction liée à l’usage d’un faux passeport. L’article 133 de la LIPR prévoit une immunité contre l’accusation d’avoir commis l’infraction équivalente en droit canadien, soit l’article 122 de la LIPR.

[36]  L’article 133 de la LIPR prévoit qu’un étranger qui est entré au Canada muni de documents contrefaits ou sans documents « ne peut être accusé d’infractions connexes tant qu’il n’est pas statué sur sa demande d’asile fondée sur la Convention sur les réfugiés ou une fois que l’asile lui est conféré » (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c J.P., 2013 CAF 262, [2014] 4 RCF 371 au para 18). Cette immunité n’est disponible que pour les « véritables réfugiés et demandeurs d’asile » (Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 338 au para 21 [Uppal]).

[37]  Comme l’a déclaré madame la juge St-Louis dans la décision Bellevue, « [l]a jurisprudence de la Cour indique qu’un examen d’équivalence complet doit inclure les moyens de défense (Li au para 19), à plus forte raison une immunité ».

[38]  Je souscris à la conclusion de madame la juge St-Louis dans la décision Bellevue selon laquelle il est déraisonnable pour la SI d’écarter l’article 133 de la LIPR de son examen d’équivalence, et selon laquelle les conclusions des décisions Uppal et Kathirgamathamby voulant que l’immunité de l’article 133 de la LIPR ne s’applique que lorsque les documents frauduleux ont été utilisés à l’égard de l’arrivée au Canada, et non pas de l’entrée dans un autre pays, constituent un obiter dictum (Uppal au para 21; Kathirgamathamby au para 17; Bellevue aux paras 42 et 44).

[39]  Il est logique que l’article 133 de la LIPR parle d’une infraction « commise à l’égard de son arrivée au Canada ». L’article 133 de la LIPR est lié à d’autres infractions prévues par des lois canadiennes qui ne viseraient que des faits commis au Canada. La question n’est pas de savoir si, par exemple, l’article 122 de la LIPR a un effet extraterritorial, mais plutôt « s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une déclaration de culpabilité aurait été prononcée au Canada pour un acte de même nature que celui posé à l’extérieur du Canada » (Moscicki au para 38; Bellevue au para 30).

[40]  Il existe également des raisons politiques pour lesquelles l’article 133 de la LIPR devrait faire partie de l’examen d’équivalence en l’espèce. Cette interprétation de l’article 133 de la LIPR est conforme à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150 [Convention], qui interdit aux États parties d’imposer des sanctions aux réfugiés en raison de leur entrée ou de leur présence illégale.

[41]  Comme l’a indiqué le juge en chef dans l’arrêt R c Appulonappa, 2015 CSC 59 (CanLII), [2015] 3 RCS 754 [Appulonappa] aux paras 42-43 (voir aussi B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 RCS 704 aux paras 62-63) :

La Convention relative aux réfugiés répond à des préoccupations d’ordre humanitaire. Elle précise que les États ne doivent pas appliquer de sanctions pénales, du fait de leur entrée irrégulière, aux réfugiés qui arrivent directement d’un territoire où leur vie ou leur liberté est menacée et qui se trouvent sur leur territoire sans autorisation, « sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières » (par. 31(1)).

Conformément à cette disposition de la Convention, l’art. 133 de la LIPR prévoit que les sans‑papiers qui entrent au Canada ne peuvent, tant qu’il n’est pas statué sur leur demande d’asile, être accusés d’entrée ou de présence irrégulières. Ainsi que je l’explique dans l’arrêt B010, le par. 31(1) de la Convention relative aux réfugiés cherche à protéger les véritables réfugiés qui entrent illégalement au pays pour y demander l’asile. Pour qu’ils soient effectivement protégés, il faut que la loi reconnaisse que souvent les demandeurs d’asile se regroupent et s’entraident pour entrer illégalement dans un pays. L’État qui respecte le par. 31(1) ne peut infliger de sanctions pénales aux demandeurs d’asile simplement parce qu’ils en ont aidé d’autres à entrer illégalement dans un pays au cours de leur fuite collective vers la sécurité.

[42]  Conformément à l’article 31 de la Convention, l’article 133 de la LIPR cherche à protéger, pour des raisons « d’ordre humanitaire » les « véritables réfugiés » qui entrent de façon illégale ou irrégulière au pays pour y demander l’asile (Appulonappa aux paras 42-43).

[43]  Il est donc clair que, dans l’examen d’équivalence dans la présente affaire, l’article 133 de la LIPR doit être pris en considération.

[44]  Je dois également mentionner qu’il ne semble pas y avoir de disposition équivalente à l’article 133 de la LIPR en droit américain. Par conséquent, il est d’autant plus important d’intégrer l’application de l’article 133 de la LIPR dans l’examen d’équivalence afin de s’assurer que les normes canadiennes sont respectées. Comme l’a déclaré monsieur le juge LeBlanc dans la décision Touré c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2019 CF 752 au paragraphe 19 :

Le test élaboré par la Cour d’appel fédérale dans Hill autorise une certaine souplesse dans l’exercice de détermination de la présence ou non d’une équivalence entre des infractions canadiennes et étrangères et permet, ce faisant, de recourir à des éléments de preuve pertinents de nature contextuelle. Comme la Cour l’a rappelé dans l’affaire Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 879, au para 206, un tel exercice « assure que les actes de la personne sont toujours évalués selon la norme canadienne de droit criminel, notamment afin de protéger la personne provenant d’un pays où le droit criminel est plus sévère ». Ce test, à mon sens, ne prône pas la rigidité du modèle proposé par le demandeur.

[Je souligne.]

[45]  S’il y a une demande de protection en cours ou une demande d’asile accueillie, l’immunité de l’article 133 de la LIPR s’applique et la procédure pénale est suspendue (Appulonappa; R v Agbor, 2010 BCCA 278 aux paras 5-8; R c Cirahan, 2003 CanLII 793 (QC CS) au para 31).

[46]  Si, toutefois, la demande d’asile est rejetée ou résolue (p.ex., abandonnée) ou n’a jamais été présentée, alors l’immunité de l’article 133 ne s’applique pas (Lasisi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 495 aux paras 4, 24-25).

[47]  Dans sa décision, la SI reprend le principe énoncé dans l’affaire Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 (CAF), (1987) 73 NR 315 [Hill]. Après avoir cité le passage pertinent de Bellevue, la SI a déclaré :

- Donc, il est clair que l’article 133 fait partie de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, que c’est considéré comme une immunité, il faut donc en tenir compte pour déterminer s’il y a équivalence entre les deux articles mis de l’avant par l’Agence. L’Agence dans la […] c’est-à-dire l’article du Code criminel américain, le 1544 là, « Misuse of a passport » – en français, c’est « mauvaise utilisation d’un passeport », ça serait une traduction libre là –, et aussi l’article 122(1) ou (2) de la LIPR.

- Donc, à partir de là, pour établir l’équivalence, c’est l’arrêt Hill qui nous dit comment établir des équivalences – l’arrêt Hill, c’est CF 1987 73 NR 315. Donc, l’équivalence peut être établie de trois manières. La première façon, c’est en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois pour dégager les éléments essentiels des infractions respectives; la deuxième façon, c’est par l’examen de la preuve au dossier pour démontrer de façon suffisante que les éléments essentiels à l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères; et la troisième façon, c’est au moyen d’une combinaison des deux.

- Ici, quand on compare le libellé des deux articles là, le 1544 aux États-Unis et le 122(2) au Canada ou la Loi sur l’immigration, les éléments... les libellés sont similaires et les éléments essentiels sont présents dans les deux textes de lois. Aux États-Unis, on parle de « sciemment et volontairement utilise un passeport émis à quelqu’un d’autre », puis au Canada, c’est « utiliser un passeport pour s’identifier et entrer au Canada ou y demeurer », et il existe une présomption que si le document est illégitime, il est utilisé pour contrevenir à la Loi.

- Par contre, l’introduction de l’article 133 dans le droit canadien, l’article 133 de la LIPR, ça opère […] ça crée une différence importante entre les deux […] entre les deux juridictions. Donc, ce qu’il faut faire à mon avis c’est utiliser la troisième méthode de Hill, donc on va […] je vais tenter d’appliquer les faits du dossier de Monsieur Bellevue et voir si c’était effectivement une infraction aux États-Unis et si ça pourrait l’être au Canada.

[Je souligne.]

[48]  Après avoir examiné les faits comme s’ils s’étaient produits au Canada, la SI a conclu que le demandeur aurait violé l’alinéa 122(1)b) de la LIPR, entraînant une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de 14 ans, et que ceci « tombe clairement sous la définition de “grande criminalité” à l’article 36(1)b) » de la LIPR.

[49]  En ce qui concerne l’application de l’article 133 de la LIPR, la SI a déterminé qu’il « est clair que Monsieur n’a jamais déposé de demande officielle auprès des autorités américaines pour l’étude de sa demande de protection ou de statut de refugies [sic] aux États-Unis » [je souligne].

[50]  En conséquence, la SI a conclu ce qui suit :

Quand on applique les faits du dossier de Monsieur Bellevue à la situation ici au Canada en vertu de l’article 122 de la LIPR, Monsieur n’a jamais déposé de demande officielle. Oui, je suis d’accord avec Me Desbiens que pendant un certain temps les agents d’immigration auraient considéré Monsieur comme un revendicateur ou un demandeur d’asile et l’immunité de l’article 133 aurait été en place, et Monsieur, s’il n’avait jamais fait une demande officielle au Canada, déposé les documents en bonne et due forme selon les délais prescrits, donc après un certain temps, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de déposer des accusations en vertu de l’article 122b) et, à mon avis, il existe des motifs raisonnables de croire que dans la situation où Monsieur ne revendique à aucun moment le statut de réfugié au Canada, ça aurait pu mener à une déclaration de culpabilité passible de 14 ans de prison.

- Donc, à mon avis. [sic] le ministre a pu démontrer qu’il existe, en vertu de l’article 36(1)b), il existe des motifs raisonnables de croire que Monsieur a commis à l’extérieur du Canada une infraction qui en serait une ici.

- Donc, je déclare Monsieur interdit de territoire en vertu de cet article l’article 36(l)b) et, en suivant l’article 229(l)c) des Règlements sur l’immigration, je prends contre Monsieur une mesure d’expulsion.

[Je souligne.]

[51]  La SI a utilisé la troisième méthode de Hill aux fins de l’examen d’équivalence, a examiné les faits comme si la même situation avait existé au Canada et a également pris en compte l’article 133 de la LIPR. Toutefois, ayant constaté que le demandeur n’a jamais formellement demandé l’asile aux États-Unis, même s’il s’était trouvé au Canada, il n’aurait pas bénéficié de l’immunité prévue par cette disposition de la loi canadienne.

[52]  Je ne vois rien de déraisonnable dans la manière dont la SI a procédé à son examen d’équivalence, mais le caractère raisonnable de sa décision repose sur sa conclusion selon laquelle aucune revendication qui aurait autrement entraîné l’application de l’article 133 de la LIPR n’avait été faite au moment de la condamnation du demandeur aux États-Unis.

B.  Est-ce qu’une demande d’asile valable était en cours au moment de la condamnation?

[53]  L’application de l’article 133 de la LIPR soulève deux questions, à savoir (1) si une demande d’asile avait été présentée en l’espèce et, si oui, (2) au moment de la condamnation, si l’immunité prévue à l’article 133 aurait pu s’appliquer.

(1)  La demande d’asile du demandeur aux États-Unis

[54]  Dans le présent litige, les parties ne sont pas d’accord sur la nature des revendications du demandeur lorsqu’il était aux États-Unis. Ce qui n’est pas contesté, c’est qu’il avait « exprimé et verbalisé sa crainte de retour en Haïti dès les premières minutes de sa présence aux États-Unis ». Le demandeur avait déclaré aux agents d’immigration que sa vie en Haïti était menacée et que, s’il devait y retourner, il serait tué.

[55]  Le demandeur prétend que la SI a commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’il n’avait pas donné suite à sa demande d’asile aux États-Unis, une conclusion qui ne concordait pas avec les éléments de preuve. Selon le demandeur, ses gestes et ses paroles, avant même sa condamnation le 9 avril 2010, sont suffisants afin de constituer une revendication d’asile.

[56]  Le demandeur fait valoir que l’intention du législateur était de protéger « l’auteur d’une demande d’asile » (article 133 de la LIPR), et qu’il y a une distinction entre « l’auteur d’une demande d’asile » et une « personne […] dont la demande est déférée à la Section de la protection des réfugiés », tel qu’il est prévu au paragraphe 100(4) de la LIPR. Par conséquent, le statut de revendicateur du statut de réfugié ne nécessite pas le dépôt formel d’une demande d’asile.

[57]  Or, le défendeur estime que le demandeur n’a jamais fait de demande d’asile aux États-Unis et qu’il ne bénéficierait donc pas de l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR même s’il s’était trouvé au Canada.

[58]  Je dois admettre que la réponse à la question de savoir si le demandeur avait revendiqué l’asile au moment de sa condamnation en vertu de l’article 18 USC § 1544 n’est pas claire, et il existe des éléments de preuve oraux et documentaires contradictoires sur ce point. En plus, la position adoptée sur ces questions par le défendeur semble également avoir évolué au fil du temps, depuis la première enquête en 2017.

[59]  Toutefois, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de détailler les arguments des parties sur cette question. La SI a accepté que le demandeur avait exprimé craindre pour sa vie à son arrivée à Miami. Dans sa décision, la SI a conclu :

- De toute façon, c’est plus ou moins important le fait […] [que] Monsieur [aurait] mentionn[é] plus tard devant ma collègue pendant son témoignage qu’il avait verbalisé devant les agents immigration américains dès son arrivée à l’aéroport que sa vie était e [sic] danger en Haïti. Donc, je vais prendre pour acquis qu’effectivement Monsieur a verbalisé une demande dès son arrivée à l’aéroport aux États-Unis que sa vie était en danger en Haïti.

- Donc, si la même chose était arrivée au Canada, il est clair que les agents immigration, dès l’arrivée de Monsieur au Canada, auraient considéré que c’était un demandeur d’asile.

[Je souligne.]

[60]  Après avoir lu les notes d’audience et pris en considération les arguments des parties, je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions de la SI sur cette question.

[61]  Par conséquent, au terme de l’analyse d’équivalence, il est constaté que le demandeur avait présenté une demande d’asile au moment de son arrivée aux États-Unis. J’estime également que rien dans la preuve n’indique qu’au moment de sa condamnation le 9 avril 2010, sa demande d’asile avait été abandonnée ou retirée.

(2)  Au moment de la condamnation, l’immunité prévue à l’article 133 était-elle en vigueur?

[62]  Le demandeur prétend que, s’il répond aux exigences de l’article 133 de la LIPR en démontrant qu’il a fait une demande d’asile au moment de sa condamnation aux États-Unis, il bénéficiera de l’immunité au Canada.

[63]  La SI a constaté que, bien qu’il ait exprimé une crainte de retourner en Haïti au moment de son arrivée à Miami, le demandeur n’y a jamais donné suite en présentant une demande d’asile formelle après sa libération de détention et, pour cette raison, il ne pouvait pas bénéficier de l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR.

[64]  C’est là que, selon le demandeur, la SI a commis une erreur.

[65]  D’après le demandeur, elle aurait dû procéder à l’évaluation de l’équivalence au moment où le demandeur est déclaré coupable des accusations criminelles – au moment de la condamnation le 9 avril 2010 alors qu’il était encore en détention, il avait déjà exprimé sa crainte de retour en Haïti – et non à un moment ultérieur, afin de déterminer si l’immunité prévue par l’article 133 LIPR était en vigueur (Liberal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 173 [Liberal]).

[66]  Tout d’abord, la décision Liberal n’aide pas le demandeur. Dans Liberal, la question était de savoir si la version applicable d’une loi, c’est-à-dire la version qui existait au moment de la condamnation, devait être mentionnée dans l’examen d’équivalence (Liberal aux paras 25-27). Ce n’est pas la question ici, car il est incontesté que la SI s’est référée aux versions applicables des lois américaines et canadiennes dans son examen d’équivalence.

[67]  Cela dit, je reconnais que l’examen d’équivalence doit être effectué avec les éléments, y compris les faits et le droit, qui étaient en vigueur au moment de la condamnation.

[68]  Cependant, c’est exactement ce que la SI a fait. Nulle part dans sa décision la SI n’a indiqué que l’article 133 de la LIPR n’était pas en vigueur au moment de la condamnation. Elle a seulement conclu qu’il n’était pas applicable, car le demandeur n’avait pas donné suite à une demande d’asile.

[69]  À mon avis, la SI a déterminé que l’article 133 de la LIPR était en vigueur au moment de la condamnation, mais cela soulève la question de savoir pourquoi cette disposition de la loi, qui était en vigueur au moment de la condamnation du demandeur, ne s’appliquait pas dans son cas.

(3)  Au moment de la condamnation, l’immunité prévue à l’article 133 était-elle applicable?

[70]  Le demandeur prétend que la SI a commis une erreur dans l’interprétation qu’elle a donnée à l’article 133 de la LIPR, soit que la perte subséquente de cette immunité pouvait servir à maintenir une condamnation antérieure, alors même qu’au moment du prononcé de la condamnation, l’immunité était toujours en vigueur.

[71]  Le demandeur ajoute que la SI a déterminé, de façon erronée, que le simple fait qu’il n’ait pas donné suite à sa demande d’asile après avoir été libéré lui a, en quelque sorte, fait perdre rétroactivement l’immunité qui lui avait été conférée jusque-là par l’article 133 de la LIPR.

[72]  D’après le demandeur, la question au cœur de l’affaire est que la SI n’a pas bien fait l’exercice qu’elle devait faire lors de l’examen d’équivalence en vertu de l’alinéa 36(1)b) : elle ne s’est pas placée à l’époque de la condamnation pour déterminer s’il était satisfait aux exigences requises en droit canadien pour bénéficier de l’immunité.

[73]  Le demandeur ajoute qu’au Canada, une fois qu’il est considéré que le demandeur a fait une demande d’asile à la frontière, il est considéré que l’immunité de l’article 133 de la LIPR s’applique immédiatement. Normalement, une fois au Canada, les demandeurs prennent le temps prévu dans les règlements pour déposer leur demande d’asile officielle, et ces délais réglementaires sont, en fait, une période préliminaire durant laquelle les autorités canadiennes ne jugent pas opportun d’accuser un demandeur d’être entré au pays avec un faux passeport.

[74]  En substance, ce que le demandeur fait valoir, c’est qu’il suffit qu’une demande d’asile ait été présentée pour que l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR puisse être invoquée, peu importe si une demande formelle a été déposée par après et que cette période préliminaire peut se prolonger de manière indéfinie sans qu’il soit nécessaire de déposer une demande d’asile formelle.

[75]  Or, l’argument principal du défendeur est que l’article 133 de la LIPR crée une immunité pour tout auteur de demande d’asile arrivé au Canada tant qu’il n’est pas statué sur sa demande. Pour que l’article 133 de la LIPR s’applique, il doit y avoir une demande d’asile formelle sur laquelle il peut être statué et sur laquelle une décision finale peut être rendue. En l’espèce, l’expression d’une crainte qui peut ou non constituer une demande d’asile n’a jamais été formalisée, donc on ne pourra jamais statuer sur celle-ci, comme le prévoit l’article 133 de la LIPR.

[76]  Je suis d’accord avec le défendeur et ne peux retenir la position du demandeur.

[77]  Ce qui est clair, c’est que la SI a tenu pour acquis que le demandeur avait seulement exprimé sa crainte de retour en Haïti et qu’il n’a jamais donné suite à une telle demande d’asile; donc, il n’y a jamais eu de demande d’asile sur laquelle statuer.

[78]  L’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR s’applique « tant qu’il n’est statué sur [une] demande, [ou] une fois que l’asile […] est conféré ». Cela présuppose qu’il existe une demande d’asile formelle qui peut être examinée, et subséquemment tranchée.

[79]  Je reconnais que cette période d’immunité que confère l’article 133 de la LIPR continue de s’appliquer durant la période préliminaire réglementaire pendant laquelle un demandeur d’asile doit présenter sa demande d’asile formelle au Canada, mais, durant cette période, l’immunité n’est que réputée, en attendant que les conditions soient remplies.

[80]  Selon mon interprétation de la disposition, l’immunité prévue à l’article 133 de la LIPR, c’est-à-dire le report d’une accusation, contient une condition suspensive légale : l’immunité continue d’exister aussi longtemps que les conditions auxquelles elle est assujettie continuent d’exister. Sous réserve d’une telle période préliminaire, la condition suspensive légale est celle qui doit exister avant que le bénéfice auquel elle se rattache ne devienne effectif. La conséquence du non-respect d’une condition suspensive légale est la nullité de l’immunité, comme si elle n’avait jamais été conférée (Jean v Gagnon, 1944 CanLII 65 (CSC), [1944] SCR 175 à la p 193).

[81]  Considérer le bénéfice de l’immunité conférée par l’article 133 de la LIPR comme faisant l’objet d’une condition suspensive légale est conforme à d’autres dispositions similaires de la LIPR (Ujkaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 587 au para 1; voir aussi Trust général du Canada c Artisans Coopvie, Société coopérative d’assurance-vie, 1990 CanLII 44 (CSC), [1990] 2 RCS 1185 aux pp 1194-1195; MacLeod v Canada Permanent Trust Co., 1980 CanLII 2612 (NS SC) au para 12).

[82]  Le fait de n’avoir jamais demandé l’asile aux États-Unis a pour effet d’annuler rétroactivement toute immunité qui aurait pu exister au moment de la condamnation, même si l’article 133 de la LIPR était en vigueur à ce moment-là.

[83]  La décision de la SI est conforme à cette approche. À la page 6 de sa décision, la SI a déclaré :

Quand on applique les faits du dossier de Monsieur Bellevue à la situation ici au Canada en vertu de l’article 122 de la LIPR’ [sic] Monsieur n’a jamais déposé de demande officielle. Oui, je suis d’accord avec Me Desbiens que pendant un certain temps les agent [sic] d’immigration auraient considéré Monsieur comme un revendicateur ou un demandeur d’asile et l’immunité de l’article 133 aurait été en place, et Monsieur, s’il n’avait jamais fait une demande officielle au Canada, déposé les documents en bonne et due forme selon les délais prescrits, donc après un certain temps, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de déposer des accusations en vertu de l’article 122(b) et, à mon avis, il existe des motifs raisonnables de croire que dans la situation ou [sic] Monsieur ne revendique a [sic] aucun moment le statut de réfugié au Canada, ça aurait pu mener à une déclaration de culpabilité passible de 14 ans de prison.

[Je souligne.]

[84]  Comme l’a déclaré madame la juge St-Louis dans la décision Bellevue, « [é]videmment, si la personne qui entre au Canada avec un passeport frauduleux n’y demande pas l’asile, elle pourra être accusée sous l’article 122 de la Loi [LIPR], comme une personne dont la demande d’asile a été refusée » (Bellevue au para 33).

[85]  L’immunité étant devenue nulle comme si elle n’avait jamais été conférée, le demandeur s’est retrouvé, rétroactivement, sans immunité applicable au moment de sa condamnation le 9 avril 2010, et susceptible d’être accusé de l’infraction à l’époque.

[86]  En l’espèce, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SI.

VII.  Conclusion

[87]  Il n’était pas déraisonnable pour la SI de conclure qu’au moment de la condamnation du demandeur aux États-Unis, la manière dont il avait demandé l’asile ne lui permettait pas de profiter de l’immunité au titre de l’article 133 de la LIPR.

[88]  Pour les motifs qui précèdent, la décision de l’agent n’est pas déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soumis de question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-2336-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2336-19

 

INTITULÉ :

SCHILLOT BELLEVUE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Vincent Desbiens

 

Pour le demandeur

Me Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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