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Date : 20200120

Dossier : T-1645-19

Référence : 2020 CF 81

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2019

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

FLUID ENERGY GROUP LTD.

demanderesse

et

EXALTEXX INC., NOVAMEN INC. ET

GLOBALQUIMICA PARTNERS LLC

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les mises en demeure sont courantes dans la procédure précédant les litiges au Canada, y compris dans les affaires de contrefaçon de brevets. Bien qu’elles ne soient pas exigées par la loi, ces mises en demeure peuvent viser un but louable, c’est-à-dire donner avis d’une prétention juridique et d’une poursuite éventuelle, ce qui permet au destinataire d’apprécier la demande ainsi que sa propre conduite, et d’entamer des discussions pouvant mener à la résolution du différend avant le début du litige.

[2]  En même temps, les mises en demeure qui menacent d’intenter une poursuite, avec tous les risques et coûts connexes, peuvent être utilisées tactiquement pour éviter une décision sur le véritable bien-fondé d’une demande. L’envoi d’allégations de contrefaçon et de menaces de poursuites coûteuses en matière de brevet à des clients ou à des fournisseurs d’un contrefacteur prétendu peut faire en sorte que le défendeur subisse un préjudice important sur le marché, voire même se faire entièrement expulser de celui-ci, et ce, bien avant qu’une décision ne soit rendue au sujet de la contrefaçon. Lorsque ces lettres sont fausses, en ce sens que le brevet n’est pas valide ou qu’il n’a pas été contrefait, elles peuvent elles-mêmes mener à une action. Lorsqu’il est satisfait aux conditions d’une injonction, une telle mesure peut être imposée.

[3]  Dans le cadre de la présente action en contrefaçon de brevets, Fluid Energy Group Ltd. [Fluid] affirme que les produits de sa concurrente, Exaltexx Inc. [Exaltexx], contrefont ses brevets. Après avoir introduit l’action, Fluid a envoyé trois mises en demeure, y compris à une société qui fournit un produit chimique à Exaltexx, ainsi qu’à une petite entreprise de camionnage qui transporte le produit d’Exaltexx à un de ses clients. Ces lettres comprenaient des allégations générales de contrefaçon portant sur les produits d’Exaltexx, ainsi que des menaces de poursuite en matière de brevets contre les entreprises si elles refusaient de se conformer immédiatement à la mise en demeure. L’entreprise de camionnage, en particulier, a estimé qu’elle n’avait pas d’autre choix que de se conformer à la mise en demeure et de cesser la manutention des produits d’Exaltexx.

[4]  Exaltexx sollicite une injonction interlocutoire empêchant Fluid d’envoyer d’autres mises en demeure à des tiers, alléguant qu’eux ou Exaltexx contreviennent aux brevets de Fluid, ou exigeant qu’ils cessent d’avoir affaire aux produits d’Exaltexx. Exaltexx déclare que les lettres vont au-delà de ce qui est acceptable en matière de correspondance préalable à un litige et qu’elles causent un préjudice irréparable à son entreprise.

[5]  En l’espèce, je suis convaincu qu’Exaltexx a soulevé une question sérieuse à juger, celle de savoir si les allégations de Fluid selon lesquelles ses fournisseurs de produits et de services contreviennent aux brevets de Fluid peuvent faire l’objet d’une poursuite au titre de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13. À la lumière de la preuve, je suis également convaincu que, dans le contexte de cette industrie, permettre à Fluid de continuer à écrire de telles lettres aux fournisseurs d’Exaltexx causerait un préjudice irréparable à Exaltexx, compte tenu du petit nombre de fournisseurs de produits chimiques et de transporteurs disponibles, de l’incidence que les lettres de Fluid ont eue jusqu’à présent et de l’incidence que Fluid veut clairement qu’elles aient. Fluid n’ayant présenté aucun élément de preuve concernant un préjudice quelconque que l’injonction demandée pourrait causer à ses intérêts commerciaux, je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’une injonction.

[6]  Cependant, Exaltexx n’a pas présenté une preuve suffisante pour soulever une question sérieuse quant aux allégations de contrefaçon formulées au sujet de ses produits mêmes. Cela ne découle pas du fait qu’il existe des éléments de preuve selon lesquels Exaltexx est responsable d’une contrefaçon, mais plutôt du fait qu’il n’y a pas de preuve suffisante d’un côté ou de l’autre et que le fardeau de la preuve dans le cadre de sa requête lui incombe. En l’absence d’une telle preuve, je ne suis pas convaincu qu’elle a établi l’existence d’une question sérieuse quant au fait que les allégations de contrefaçon avancées par Fluid, à l’égard des produits mêmes, sont fausses et peuvent donc mener à une poursuite au titre de l’alinéa 7a).

[7]  Par conséquent, une injonction est accordée, conformément aux modalités énoncées plus loin, interdisant à Fluid de communiquer avec les fournisseurs d’Exaltexx a) en alléguant qu’ils contrefont les brevets de Fluid en ayant affaire aux produits d’Exaltexx, b) en exigeant qu’ils cessent d’avoir affaire aux produits d’Exaltexx, et/ou c) en menaçant de les poursuivre en justice pour contrefaçon. Toutefois, pour le moment, l’injonction n’interdira pas à Fluid d’alléguer que les produits d’Exaltexx contreviennent à ses brevets, ou de communiquer avec des clients actuels ou potentiels d’Exaltexx.

II.  Le contexte du litige

[8]  Fluid et Exaltexx sont des concurrents dans la vente de produits chimiques à l’industrie pétrolière et gazière. Chacune vend des produits chimiques décrits comme des [traduction« acides sûrs », c’est-à-dire des acides forts qui ont été modifiés en les mélangeant avec des additifs pour les rendre plus sûrs, pour l’environnement et sur le plan dermatologique. Ces produits sont vendus à des clients qui les injectent en fond de trou pour stimuler la production de pétrole à partir d’une formation.

[9]  En novembre 2017, Fluid a poursuivi Exaltexx devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en alléguant qu’Exaltexx avait violé une entente de confidentialité signée lorsque les parties discutaient d’une possible relation commerciale. Une deuxième action devant cette cour a été intentée en novembre 2019, laquelle désignait Exaltexx et deux de ses dirigeants. Ces affaires sont pendantes.

[10]  Dans la présente affaire, Fluid allègue que les produits d’Exaltexx contrefont les brevets qu’elle détient. Fluid est titulaire de neuf brevets canadiens portant sur des compositions d’acides, délivrés de 2016 à 2019. En voici un aperçu :

Ces descriptions visent à fournir un contexte, sans tirer de conclusion quant à la portée ou à l’interprétation des brevets. Au besoin, plus loin, je renverrai à chaque brevet par les trois derniers numéros de ceux-ci (p. ex. le brevet 876).

[11]  Fluid a également désigné comme défendeurs deux des fournisseurs de produits chimiques d’Exaltexx, GlobalQuimica Partners LLC [GlobalQuimica] et Novamen Inc. [Novamen]. Fluid allègue que GlobalQuimica et Novamen ont également contrefait ses brevets, qu’ils ont incité Exaltexx à contrefaire les brevets en fournissant une partie ou l’ensemble des composants des produits prétendument contrefaits, qu’ils ont incité d’autres concurrents, clients, fournisseurs et distributeurs à contrefaire les brevets et qu’ils ont comploté avec Exaltexx pour contrefaire les brevets. L’avocat de GlobalQuimica et de Novamen était présent à l’audition de la présente requête, mais ces parties n’ont pris aucune position et n’ont pas participé à la requête. Lors de l’audience, la Cour a été informée qu’un règlement avait été conclu entre Fluid et Novamen, lequel devait entraîner le désistement de l’action contre Novamen.

[12]  Fluid a informé GlobalQuimica et Exaltexx de ses allégations de contrefaçon par une mise en demeure datée du 26 février 2019. Cette lettre identifiait un produit composé d’un produit acidulant fabriqué par GlobalQuimica et commercialisé sous le nom de GQ-300, qui est réétiqueté par Exaltexx et revendu au Canada sous le nom d’ACA (« Acid Control Additive » [en anglais]), qui, selon Fluid, contrefaisait le brevet 876, le brevet 777 et le brevet 787. La lettre comprenait une copie de la déclaration de Fluid contre Exaltexx à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

[13]  L’action dont est saisie la Cour fédérale a été déposée le 9 octobre 2019. À la fin du mois d’octobre, l’avocat d’Exaltexx a écrit à celui de Fluid, alléguant des lacunes dans la déclaration de Fluid, y compris le défaut de bien préciser les allégations de contrefaçon et d’incitation à la contrefaçon. Exaltexx a demandé que des modifications soient apportées à la déclaration. Après un bref échange, qui a eu lieu le 1er novembre, l’avocat de Fluid a indiqué qu’il examinerait la question et qu’il y répondrait, tout en acceptant de repousser la date limite pour déposer une défense entre-temps. Après un suivi d’Exaltexx, effectué le 11 décembre, Fluid a répondu qu’elle étudiait la question et qu’elle y répondrait bientôt.

III.  Les mises en demeure contestées

[14]  Alors que la question portant sur les actes de procédure était en suspens, Exaltexx a découvert que l’avocat de Fluid avait écrit à Panther Industries Inc. [Panther], l’un des fournisseurs de produits chimiques bruts d’Exaltexx, et à Dwayne Hommy Trucking Ltd. [Hommy Trucking], le transporteur privilégié par l’un des clients d’Exaltexx. Les deux lettres, datées du 9 décembre 2019, sont en fait identiques, et sont en fait identiques à une troisième lettre envoyée à la même date à Nitmoi Labs Inc. [Nitmoi Labs].

[15]  Étant donné que le contenu des lettres est important, je reproduis ci-dessous le texte de la lettre, en utilisant à titre d’exemple celle qui a été envoyée à Panther. J’ai ajouté des numéros de paragraphe par souci de commodité :

[traduction

1.  Nous sommes les avocats de Fluid Energy Group Ltd. (Fluid). La présente lettre a pour objet de vous aviser d’une prétention juridique et d’une éventuelle action en justice par Fluid contre Panther Industries Inc. (Panther), pour contrefaçon de brevet et/ou incitation ou obtention d’une contrefaçon de brevet.

2.  Il a été porté à l’attention de Fluid que Panther avait entreposé pour la vente, transporté, importé, expédié, distribué, fourni, vendu et/ou utilisé des produits et des compositions d’acides modifiés et synthétiques qui sont commercialisés et vendus par Exaltexx Inc. (Exaltexx) ou ses distributeurs qui peuvent être connus que de vous au Canada, y compris, mais sans s’y limiter, les produits connus et vendus sous les noms de « Stimtexx SPA HCI », de « GQ-300 Acid Additive », d’« Acid Controlling Additive », d’« ACA Concentrate » et d’« Ener-Ox HC Acid Replacement » (collectivement, les produits contrefaits), utilisés à diverses fins par l’industrie pétrolière et gazière au Canada.

3.  Fluid croit que la composition et l’utilisation des produits contrefaits, tels qu’ils sont vendus ou lorsqu’ils sont mélangés comme prévu avec d’autres additifs, sont visés par les revendications des brevets canadiens 2 892 875, 2 892 876, 2 961 787, 2 961 792, 2 961 794, 2 961 783, 2 974 757 et 3 006 476 de Fluid (les brevets de Fluid), qui confèrent à Fluid le droit exclusif de fabriquer, de vendre et d’octroyer des licences permettant l’utilisation des compositions protégées pour la période de validité des brevets.

4.  Fluid a introduit une action en contrefaçon de brevets devant la Cour fédérale du Canada contre Exaltexx et d’autres fabricants et distributeurs des produits contrefaits. Une copie de la déclaration est jointe à la présente lettre.

5.  Veuillez noter qu’en entreposant pour la vente, en transportant, en important, en expédiant, en distribuant, en fournissant, en vendant et/ou en utilisant les produits contrefaits au Canada, Panther a contrefait, continue de contrefaire et/ou a incité et amené d’autres personnes à contrefaire les brevets de Fluid. Par la présente, Fluid exige que Panther cesse immédiatement d’entreposer, de transporter, d’importer, d’expédier, de distribuer, de fournir, de vendre et/ou d’utiliser les produits contrefaits, ou tout produit contrefait similaire, au Canada, et confirme par écrit au soussigné qu’elle s’y conforme et qu’elle continuera de s’y conformer, au plus tard le vendredi 20 décembre 2019.

6.  Si Panther refuse de se conformer à cette demande, Fluid intentera une action en justice pour protéger ses droits de propriété intellectuelle et ceux attachés aux brevets sans autre préavis, y compris pour solliciter une injonction et obtenir des dommages‑intérêts, notamment pour la perte de profits et l’atteinte à la réputation, et/ou la comptabilisation et la remise des profits réalisés par Panther par suite de ses actes illégaux, ainsi que des dommages-intérêts punitifs et les frais juridiques.

7.  En outre, Fluid exige que Panther prenne des mesures immédiates pour conserver et préserver tous les documents potentiellement pertinents, tant en format papier qu’en format électronique (les documents), y compris, mais sans s’y limiter : les données et les dossiers actifs (comme toutes les fiches de données sur les matériaux, la sécurité et les produits, ainsi que tous les documents d’expédition, de livraison, d’inventaire, de douanes, de transport et de vente relatifs aux produits contrefaits); les données archivées et les données de sauvegarde, y compris les données qui risquent d’être assujetties à une suppression différée ou routinière; les données sauvegardées sur des ordinateurs autonomes, des téléphones cellulaires, des tablettes et d’autres appareils électroniques, y compris les métadonnées de tous ces appareils; les messages textes, les messages vocaux ou toute autre interaction enregistrée. En tant que partie éventuelle à une action en justice imminente, Panther est tenue de contribuer à la conservation et à la préservation des documents. Nous vous demandons de consulter, au besoin, des experts-conseils dans les domaines judiciaire et informatique pour assurer la préservation adéquate des documents électroniques. Panther ne doit d’aucune façon détruire, supprimer ou modifier les documents qui sont en sa possession ou sous son contrôle.

8.  Nous attendons votre réponse dans le délai prescrit.

[En caractères gras dans l’original.]

[16]  Hormis le fait qu’elle a fait suivre la lettre à Exaltexx, il n’y a aucun renseignement au dossier concernant la réponse de Panther ou sa réaction à cette lettre. Cependant, Hommy Trucking a retenu les services d’un avocat, qui a écrit à celui de Fluid pour lui indiquer qu’Hommy Trucking était une petite entreprise de camionnage et lui demander d’annuler sa lettre. Lorsque Fluid a refusé de le faire, l’avocat de Hommy Trucking a écrit à celui d’Exaltexx, déclarant qu’il n’avait pas d’autre choix que de conseiller à sa cliente d’accepter de cesser la manutention des produits d’Exaltexx.

IV.  La requête d’Exaltexx

[17]  La présente requête a été présentée le 18 décembre 2019, et demandait que soit tenue une audience avant le 20 décembre. La requête visait à la fois à obtenir une ordonnance en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, radiant la déclaration sans autorisation de la modifier, ainsi qu’une injonction interdisant à Fluid de :

[traduction

[...] faire toute autre déclaration, y compris la fourniture de copies de la demande introductive d’instance dans l’action sous‑jacente, à quelque fournisseur, distributeur, client ou autre partie que ce soit, qui a un lien ou qui participe à l’entreprise des acides sûrs d’Exaltexx, dans laquelle il est allégué une violation ou une contrefaçon des brevets invoqués et/ou dans laquelle il y a une menace d’intenter une poursuite judiciaire pour contrefaçon ou violation des brevets invoqués[.]

La requête d’Exaltexx visait également à obtenir la divulgation des parties à qui Fluid avait envoyé des déclarations alléguant une violation ou une contrefaçon, et/ou menaçant d’intenter une poursuite judiciaire.

[18]  La requête d’Exaltexx est appuyée par un affidavit de Katherine Ayotte, la dirigeante principale des finances d’Exaltexx, et un affidavit d’un technicien juridique auquel sont jointes divers éléments de correspondance.

[19]  Le jour suivant la signification de la requête d’Exaltexx, Fluid a signifié une déclaration modifiée. Exaltexx affirme que les modifications ne répondent pas à ses préoccupations quant à la déclaration et à la précision des allégations de contrefaçon et d’incitation à la contrefaçon. Exaltexx maintient sa requête en radiation de la déclaration, qui demeure en suspens.

[20]  Après des discussions entre Exaltexx et Fluid, les parties sont parvenues à une entente qui permettait la conduite ordonnée de la partie de la requête se rapportant à une injonction. Cette entente comprenait une exigence selon laquelle Fluid devait fournir une liste des parties ayant été contactées pour alléguer qu’Exaltexx contrefaisait les brevets de Fluid ou pour exiger que le destinataire cesse de vendre des produits d’Exaltexx et qu’il fournisse des communications non confidentielles. Elle comprenait également un engagement temporaire de Fluid de ne plus envoyer de correspondance, selon des modalités qui, soutient maintenant Exaltexx, devraient être maintenues par la Cour, à savoir que :

[21]  Aucune interdiction n’a été convenue ni n’est demandée par Exaltexx pour restreindre les possibilités pour Fluid d’intenter des actions en contrefaçon de brevets, que ce soit au moyen d’une nouvelle action ou en ajoutant des parties à la présente action, ou de discuter d’un possible règlement avec l’une des défenderesses.

[22]  L’entente provisoire, en attendant l’audience relative à l’injonction, indiquait expressément qu’elle ne portait pas atteinte aux positions et aux arguments des parties concernant la requête.

[23]  Par suite de l’entente, Fluid a avisé Exaltexx que les seules parties avec lesquelles Fluid avait communiqué étaient Panther, Hommy Trucking, Nitmoi Labs et Brenntag Canada Inc. [Brenntag]. La preuve présentée par Mme Ayotte indique que Brenntag est un fournisseur de produits chimiques avec qui Exaltexx fait affaire depuis 2015, mais qu’au début du mois de novembre 2019, Brenntag a donné avis qu’elle annulait un devis sur les services d’approvisionnement en acides et en mélanges d’acides et qu’elle ne serait plus en mesure de fournir un mélange d’acides personnalisé à Exaltexx. Fluid n’a fourni aucune copie de la correspondance écrite avec Brenntag, de sorte qu’il peut être inféré que les communications avec Brenntag étaient orales ou qu’elles étaient visées par la revendication d’une immunité.

[24]  Fluid a brièvement contre-interrogé Mme Ayotte sur son affidavit, mais a choisi de ne pas déposer quelque élément de preuve que ce soit en réponse à la requête en injonction d’Exaltexx.

V.  Les questions préliminaires

[25]  Fluid soulève deux questions préliminaires concernant les conditions préalables à la présentation d’une requête en injonction. Bien que chacune soulève une question importante, je conclus que les engagements fournis par l’avocat lors de l’audition de la requête répondent à chacune d’elles.

A.  La requête précède l’instance

[26]  L’article 372 des Règles prévoit qu’une requête ne peut être présentée avant « l’introduction de l’instance » que dans les cas d’urgence et uniquement si la personne qui présente la requête s’engage à introduire l’instance :

Requête antérieure à l’instance

Motion before proceeding commenced

372 (1) Une requête ne peut être présentée en vertu de la présente partie avant l’introduction de l’instance, sauf en cas d’urgence.

372 (1) A motion under this Part may not be brought before the commencement of a proceeding except in a case of urgency.

Engagement

Undertaking to commence proceeding

(2) La personne qui présente une requête visée au paragraphe (1) s’engage à introduire l’instance dans le délai fixé par la Cour.

(2) A party bringing a motion before the commencement of a proceeding shall undertake to commence the proceeding within the time fixed by the Court.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[27]  Fluid fait remarquer qu’Exaltexx n’a présenté ni demande ni demande reconventionnelle contre Fluid et que ses documents de requête n’ont pas démontré d’engagement dans ce sens. Exaltexx répond qu’une action a déjà été introduite par Fluid, de sorte que cette disposition des Règles ne s’applique pas. Subsidiairement, l’avocat d’Exaltexx a indiqué que l’affaire avait été introduite en réponse à une urgence et a confirmé qu’il avait reçu comme directive de s’engager à présenter une demande reconventionnelle, si la Cour l’exigeait. Exaltexx a soutenu qu’il serait approprié d’attendre le résultat de la requête portant sur un acte de procédure en suspens, et de présenter la demande reconventionnelle en temps opportun, en réponse à la demande, si elle était maintenue après la décision sur cette requête. En même temps, l’avocat a demandé que toute exigence visant la présentation d’une demande reconventionnelle avant la requête portant sur un acte de procédure ne porte pas expressément préjudice à la requête portant sur un acte de procédure, une condition à laquelle Fluid ne s’est pas opposée.

[28]  Je suis d’accord avec Fluid pour dire qu’une demande reconventionnelle doit être considérée comme une instance distincte aux fins de l’application de l’article 372 des Règles. Les Règles des Cours fédérales reconnaissent généralement les demandes reconventionnelles comme des actions distinctes de la demande principale, bien qu’elles soient présentées dans le même dossier judiciaire. Ainsi, les demandes reconventionnelles doivent elles-mêmes être « introduites », peuvent procéder indépendamment de l’action principale, peuvent être présentées contre des parties qui ne sont pas parties à l’action principale et sont décrites comme des « instances » à un certain nombre d’endroits (voir les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales : 62(2), 63(1)b), 105, 171b), 182, 189 à 192, 419, formule 171E).

[29]  En outre, le principe qui sous-tend l’article 372 des Règles est que les requêtes décrites à la partie 8, y compris les requêtes en injonction, visent la préservation des droits dans une instance, c’est-à-dire qu’elles traitent de questions de façon interlocutoire, en attendant une décision complète sur ces droits. La nature de la demande en attente d’une décision et le redressement demandé doivent être décrits et définis dans les actes de procédure. Cela est vrai tant pour les requêtes présentées par un défendeur pour préserver des droits en attendant que soit tranchée une demande reconventionnelle que pour les requêtes présentées par un demandeur pour préserver des droits en attendant que soit tranchée l’action principale : AMTIM Capital Inc c Appliance Recycling Centers of America, 2018 CarswellOnt 8793 [AMTIM Capital], au para 19.

[30]  Je suis donc d’accord pour dire que la présente requête a été présentée avant l’introduction de l’instance aux fins de l’application de l’article 372 des Règles, de sorte que les exigences quant à l’urgence et à l’engagement doivent être remplies. En ce qui concerne la première exigence, je suis convaincu que les circonstances entourant la présentation de la requête d’Exaltexx représentaient un cas d’urgence. La requête a initialement été présentée dans un court délai, soit dans la semaine après qu’Exaltexx a pris connaissance des lettres envoyées à Panther et à Hommy Trucking. Dans ces circonstances, et surtout à la lumière des préoccupations toujours présentes concernant la déclaration, j’accepte le fait qu’il était raisonnable de présenter la requête avant d’introduire une demande reconventionnelle.

[31]  En ce qui concerne la seconde exigence, Exaltexx n’a pas fourni l’engagement requis par le paragraphe 372(2) des Règles dans ses documents de requête. Cependant, à l’audience, l’avocat a indiqué qu’il avait reçu comme directive de fournir l’engagement, ce qu’il a fait. Plus précisément, l’avocat a mentionné l’intention et l’engagement d’Exaltexx de présenter une demande reconventionnelle contre Fluid au moment de devoir répondre à [traduction« un acte de procédure approprié », y compris une demande reconventionnelle en dommages‑intérêts et une injonction, au titre de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, découlant des mises en demeure envoyées par Fluid. L’avocat de Fluid a reconnu qu’un engagement de l’avocat était suffisant pour satisfaire cette fin.

[32]  En renvoyant à AMTIM Capital, Fluid laisse entendre qu’un projet de demande reconventionnelle aurait dû être déposé par Exaltexx, en attendant la décision concernant la requête portant sur un acte de procédure. Cependant, comme l’a souligné Exaltexx, la situation dans AMTIM Capital était relativement différente, puisque l’action principale dans cette affaire avait été introduite en 2011 (bien qu’une requête en modification de la demande fût en suspens), et il [traduction« n’était pas très clair ce que serait le fondement de la requête en injonction » : AMTIM Capital, au para 16. Quoi qu’il en soit, je ne considère pas AMTIM Capital comme appuyant la proposition selon laquelle un projet d’acte de procédure doit toujours être fourni lorsqu’une injonction est demandée avant l’instance.

[33]  Je suis d’accord avec Exaltexx pour dire qu’il y a peu à gagner à exiger qu’elle signifie une défense et une demande reconventionnelle en réponse à la déclaration modifiée avant que soit rendue une décision concernant la requête portant sur un acte de procédure, ce qui peut entraîner la radiation ou d’autres modifications de la déclaration modifiée. Exaltexx sera donc tenue de signifier une demande reconventionnelle avec toute défense, conformément à toute ordonnance rendue sur la requête en radiation de la déclaration. Dans l’éventualité où cette requête a pour effet de radier la déclaration, la demande d’Exaltexx sera déposée en tant qu’action indépendante, sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour pour trancher la requête portant sur un acte de procédure. Si les parties parviennent à un règlement, à l’égard de la demande reconventionnelle ou de l’ensemble de l’action, Exaltexx sera libérée de son engagement.

[34]  Par souci de clarté, je ne fais aucun commentaire sur la situation d’un défendeur à l’égard d’une demande invoquant les pouvoirs de la Cour prévus à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, ni sur les pouvoirs de la Cour prévus à l’article 44 de cette loi dans les cas où la décision finale est laissée à un autre tribunal, tel que discuté dans Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626.

B.  L’engagement concernant les dommages-intérêts

[35]  Le paragraphe 373(2) des Règles exige que la partie qui demande une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages découlant de la délivrance de l’injonction, sauf ordonnance contraire :

Injonctions interlocutoires et provisoires

Interim and Interlocutory Injunctions

Injonction interlocutoire

Availability

373 (1) Un juge peut accorder une injonction interlocutoire sur requête.

373 (1) On motion, a judge may grant an interlocutory injunction.

Engagement

Undertaking to abide by order

(2) Sauf ordonnance contraire du juge, la partie qui présente une requête pour l’obtention d’une injonction interlocutoire s’engage à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance ou de la prolongation de l’injonction.

(2) Unless a judge orders otherwise, a party bringing a motion for an interlocutory injunction shall undertake to abide by any order concerning damages caused by the granting or extension of the injunction.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

Encore une fois, Exaltexx n’a pas fourni cet engagement dans ses documents de requête, conformément à la pratique courante. Fluid soutient que cela est fatal à la requête d’Exaltexx.

[36]  L’engagement concernant les dommages-intérêts est une condition préalable importante et nécessaire à la délivrance d’une injonction. En tant que mesure interlocutoire extraordinaire, une injonction accorde à la partie requérante des avantages significatifs avant qu’elle ne se prononce pleinement sur son bien-fondé. En tant que mécanisme de pondération des risques, ces avantages sont associés à l’obligation de payer les dommages-intérêts connexes s’il est finalement déterminé que l’injonction n’aurait pas dû être accordée : voir, p. ex., Ordina Shipmanagement Ltd c Unispeed Group Inc, 1998 CanLII 8785 (CF), au para 12, citant Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, 2e éd. (Toronto, Thomson Reuters, feuilles mobiles), à la p. 2-28. Le caractère de pondération des risques de l’engagement est tel qu’il est également pertinent pour la prépondérance des inconvénients : Commodore c Canada (Procureur général), 2001 CAF 387, au para 13; Lac La Biche (Town) c Alberta, 1993 ABCA 104, au para 26.

[37]  Exaltexx fait valoir qu’il ne devrait pas être exigé qu’un engagement concernant les dommages-intérêts soit fourni dans les circonstances, étant donné (1) qu’elle ne cherche pas à interdire à Fluid de se livrer à une activité générant des revenus, en livrant concurrence ou en vendant des produits, et (2) que les seuls dommages-intérêts possibles découlant de l’injonction seraient dus aux ventes d’Exaltexx et, par conséquent, à un dédoublement de l’action principale pour contrefaçon. Subsidiairement, à l’audience, l’avocat a encore une fois mentionné qu’il avait reçu comme directive de fournir l’engagement requis concernant les dommages-intérêts.

[38]  Un engagement concernant les dommages-intérêts est requis en l’espèce. Bien que l’injonction demandée n’empêche pas Fluid de livrer concurrence, elle vise à empêcher Fluid de se livrer à des activités relatives à ses affaires commerciales qui pourraient avoir une incidence sur son entreprise. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas que les injonctions relatives à une activité qui génère des revenus qui exigent un engagement concernant les dommages-intérêts – le paragraphe 373(2) des Règles n’est pas si limité. De plus, les dommages-intérêts potentiels pour Fluid ne coïncident pas nécessairement avec la demande pour contrefaçon, puisque le juge président l’instruction pourrait, par exemple, rejeter à la fois la demande pour contrefaçon de Fluid et la demande reconventionnelle d’Exaltexx au titre de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, et déterminer que l’injonction n’aurait pas dû être accordée.

[39]  L’argument d’Exaltexx selon lequel Fluid n’a déposé aucun élément de preuve selon lequel elle subirait un préjudice doit également être rejeté. Il incombe à Exaltexx de satisfaire les conditions de la mesure qu’elle sollicite dans le cadre de la requête, notamment en fournissant l’engagement requis; Fluid n’a pas à prouver qu’un engagement est nécessaire. Bien qu’il appartienne à Fluid d’établir les dommages-intérêts découlant de la délivrance de l’injonction au moment approprié, ils sont théoriquement possibles, et Exaltexx doit s’engager à les payer.

[40]  En même temps, l’absence de preuve de la part de Fluid mine bel et bien son argument concernant la nécessité de pouvoir procéder à un interrogatoire sur l’engagement. Étant donné qu’Exaltexx n’a pas fourni son engagement dans ses documents de requête, Fluid fait valoir qu’elle n’a pas été en mesure de procéder à une vérification ou à un interrogatoire quant à la solidité et au caractère exécutoire de l’engagement. Bien que cela puisse être un facteur plus important dans d’autres affaires, je ne conclus pas que cela affecte la validité de l’engagement en l’espèce. L’injonction demandée par Exaltexx ne donne pas à penser de façon intrinsèque qu’elle pourrait causer un préjudice financier important. Contrairement aux observations de Fluid, Exaltexx ne cherche pas à empêcher Fluid de faire valoir ses droits sur les brevets, de promouvoir ses produits ou et de livrer concurrence sur le marché. En l’absence d’une preuve démontrant une incidence financière importante sur Fluid, en raison de l’impossibilité de continuer à écrire des lettres accusant Exaltexx et ses fournisseurs de contrefaçon, l’engagement pris par Exaltexx concernant les dommages‑intérêts me convainc.

VI.  Exaltexx a satisfait aux exigences d’une injonction

[41]  Pour obtenir une injonction interlocutoire, Exaltexx doit démontrer (A) qu’elle a soulevé une question sérieuse à juger à l’égard de sa demande contre Fluid, (B) qu’elle subira un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée, et (C) que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de l’octroi de l’injonction : RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald], à la p. 334.

[42]  Les éléments du critère RJR-MacDonald sont conjonctifs, en ce que la partie requérante doit satisfaire aux trois volets pour obtenir la mesure sollicitée. Cependant, ces éléments ne sont pas indépendants, et une conclusion plus solide quant à un ou plusieurs de ceux-ci peut abaisser le seuil des autres éléments : Bell Média Inc c GoldTV.Biz, 2019 CF 1432 [GoldTV.Biz], au para 56; Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd c Pharmacia Canada Inc, [2001] OJ No 1911 (QL) [Boehringer], aux para 35 à 37. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé qu’il « s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire » : Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 [Google], aux para 1 et 25.

[43]  Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu qu’Exaltexx s’est acquitté de son fardeau d’établir chacun des trois volets du critère RJR-MacDonald à l’égard des allégations de Fluid selon lesquelles les fournisseurs d’Exaltexx (en employant ce terme pour renvoyer aux fournisseurs de produits et de services, comme des services de transport) contrefont les brevets de Fluid.

A.  Exaltexx a soulevé une question sérieuse à juger

[44]  Exaltexx fonde sa question sérieuse à juger sur l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Exaltexx a également soulevé l’article 52 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, qui porte de façon similaire sur les déclarations fausses et trompeuses, mais elle s’appuie sur la Loi sur les marques de commerce pour les besoins de la présente requête. Par conséquent, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de savoir s’il y a lieu d’accorder une injonction au titre des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence : voir Energizer Brands, LLC c The Gillette Company, 2018 CF 1003, aux para 86 à 91.

[45]  Le seuil de la « question sérieuse à juger » est peu élevé et exige seulement que la prétention du demandeur soit « ni futile ni vexatoire » : RJR-MacDonald, aux p. 335 et 337; R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12. Néanmoins, cela exige que la Cour effectue un « examen préliminaire du fond de l’affaire » : RJR-MacDonald, à la p. 337. Cet examen doit être effectué à partir de la preuve déposée dans le cadre de la requête. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans Turbo Resources Ltd c Petro Canada Inc (CA), [1989] 2 CF 451 [Turbo Resources], une décision antérieure à RJR-MacDonald, « la partie qui sollicite l’injonction doit convaincre la cour que sa demande n’est ni futile ni vexatoire; en d’autres termes, cette partie doit établir que les éléments de preuve présentés à la cour révèlent l’existence d’une question sérieuse à trancher » [non souligné dans l’original] : Turbo Resources, aux para 19 et 21; voir aussi Unilin Beheer BV c Triforest Inc, 2017 CF 76, au para 112.

[46]  Pour soulever une question sérieuse pour les besoins de la présente requête, Exaltexx doit établir, compte tenu de la preuve, qu’il y a une question sérieuse à juger à l’égard de sa demande proposée contre Fluid sur le fondement de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et découlant des déclarations qu’elle cherche à faire interdire. Pour apprécier cela, j’examinerai d’abord les exigences prévues à l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et les précédents qui les ont appliquées dans le contexte de mises en demeure. J’examinerai ensuite les lettres et les éléments de preuve déposés pour déterminer si une question sérieuse a été soulevée concernant chacun des éléments requis de l’alinéa 7a).

(1)  Les principes généraux concernant l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce

[47]  L’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce prévoit l’interdiction suivante :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut :

7 No person shall

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent;

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, goods or services of a competitor;

[48]  L’article 7 de la Loi sur les marques de commerce « comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux » : MacDonald et al c Vapor Canada Ltd, [1977] 2 RCS 134, 1976 CanLII 181 [Vapor Canada], à la p. 172. Ainsi, pour que l’alinéa 7a) soit valide, il doit être interprété comme se rapportant à des déclarations fausses et trompeuses faites au sujet d’une marque de commerce ou d’une autre propriété intellectuelle : Riello Canada, Inc c Lambert (1986), 9 CPR (3d) 324 [Riello], au para 35; Canadian Copyright Licensing Agency c Bureau en gros ltée, 2008 CF 737 [Bureau en gros], au para 27.

[49]  Il est reconnu depuis longtemps qu’une fausse allégation selon laquelle un concurrent contrefait un brevet peut relever de l’alinéa 7a) : S&S Industries Inc c Rowell, [1966] RCS 419 [S&S Industries], aux p. 422, 424, 425, et 429 à 432. C’est le cas même si la fausseté de l’allégation ne peut pas être établie avant une date ultérieure, par exemple, après une conclusion selon laquelle le brevet est invalide : S&S Industries, à la p. 425. Les éléments essentiels d’une telle action sont a) une déclaration fausse et trompeuse; b) le fait de chercher à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent; c) un préjudice en résultant : S&S Industries, à la p. 424.

[50]  Le juge Manson de la Cour a récemment appliqué S&S Industries et l’alinéa 7a) dans Excalibre Oil Tools Ltd c Advantage Products Inc, 2016 CF 1279 [Excalibre], conf. par 2019 CAF 121. Après avoir conclu qu’aucun des brevets pertinents n’avait été contrefait, le juge Manson a répondu à l’allégation selon laquelle les déclarations faites par Advantage aux clients, selon lesquelles le produit d’Excalibre contrefaisait les brevets, étaient fausses ou trompeuses. Étant donné qu’aucune version du produit d’Excalibre ne contrefaisait un des brevets d’Advantage, le juge Manson a conclu qu’il était clair que les lettres alléguant la contrefaçon contenaient des déclarations fausses et trompeuses : Excalibre, aux paragraphes 29, 52 et 280.

[51]  Quant à la question de savoir si les lettres tendaient à discréditer l’entreprise ou les marchandises d’Excalibre, le juge Manson a fait la distinction, aux paragraphes 281 à 283, entre les mises en demeure envoyées à titre « informatif » et celles qui contiennent des « menaces », en faisant référence à la décision du juge Hughes dans E Mishan & Sons, Inc c Supertek Canada Inc, 2016 CF 986 [Supertek] :

[…] Il est loisible aux brevetés de revendiquer les droits que leur confère un brevet valide. Par conséquent, la mise en cause de la validité d’une revendication d’un brevet ou de toute autre propriété intellectuelle ne peut être interprétée comme étant forcément une déclaration fausse ou trompeuse en vertu de l’alinéa 7a) ([...] [Supertek], au paragraphe 11).

Il est important de faire la distinction entre les lettres de cessation et d’abstention envoyées à titre informatif de celles qui contiennent des menaces. Dans la décision Supertek, précitée, le juge Roger Hughes compare la situation visée par l’arrêt S. & S., dans laquelle les déclarations fausses et trompeuses prenaient la forme d’une lettre de mise en demeure brandissant la menace de poursuites qui ne s’est pas matérialisée, et la situation faisant l’objet de la décision M&I Door Systems Ltd. v. [Indoco] Industrial Door Co Ltd. (1989), 25 CPR (3 d) 477 (CFPI), dans laquelle la lettre de mise en demeure était plus informative que menaçante. Une lettre informative fait état des droits d’un breveté et fournit de l’information permettant au destinataire de comprendre ce qui pourrait constituer une contrefaçon. Une lettre de menaces renferme des menaces, explicites ou voilées, de poursuites à l’encontre du destinataire s’il ne modifie pas la ligne de conduite reprochée.

Le contenu d’une lettre de mise en demeure tend à discréditer les produits ou les services d’un concurrent du breveté. […]

[Non souligné dans l’original; certains renvois omis.]

[52]  Le juge Manson a conclu que les lettres en cause dans cette affaire étaient menaçantes et discréditaient le produit d’Excalibre. Il a donc conclu que l’allégation aux termes de l’alinéa 7a) était établie, et que le montant des dommages-intérêts devait être déterminé par suite d’un renvoi : Excalibre, aux paragraphes 284 à 289.

[53]  Fluid fait remarquer qu’Excalibre était la conclusion d’un procès plutôt que d’une requête en injonction, et renvoie à la décision de la Cour dans Mr Safety Check Systems Inc c Brake Safe Inc (1997), 76 CPR (3d) 136 (CFPI) [Mr Safety Check]. Dans cette affaire, Mr. Safety Check a envoyé des lettres à des clients de Brake Safe, les informant que tout personne qui contrefaisait son brevet serait tenue de payer des dommages-intérêts, et a également distribué des copies de publicités comparant le produit de Brake Safe à des [traduction« imitations de mauvaise qualité » (bien que le produit de Brake Safe ne soit pas explicitement appelé une imitation de mauvaise qualité). En refusant d’accorder une injonction limitant la conduite de Mr. Safety Check, le juge Cullen a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 17 à 20 :

Ainsi que je l’ai conclu au sujet de la requête que j’ai déjà entendue dans la présente affaire, un examen très sommaire du fond de la cause m’amène à conclure qu’il y a plusieurs questions véritables qui doivent être tranchées en fonction des conclusions qui seront tirées au sujet des faits et de la crédibilité. En outre, il y a plusieurs questions juridiques complexes qui doivent être tranchées au sujet de la propriété ou de la copropriété, de la qualité d’inventeur et de la contrefaçon, pour n’en nommer que quelques-unes. La Cour ne peut se prononcer dans le cadre de la présente requête sur la crédibilité et sur les questions qui vont au cœur même de la contrefaçon. Il semble qu’il y ait peut-être même deux produits différents en litige en l’espèce. L’examen de ces questions exige la tenue d’un procès en bonne et due forme.

J’estime qu’il y a peut-être une question sérieuse à juger en ce qui concerne la question de savoir si les activités de l’intimée contreviennent à l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce canadienne. Je suis d’accord avec l’avocat des requérants pour dire que notre Cour a compétence pour se prononcer sur cette disposition et sur tous les documents en litige dans la présente requête. Bien qu’elles puissent sembler sous certains aspects concerner une inexécution de contrat, les questions en litige en l’espèce sont néanmoins toutes manifestement liées au différend dont la Cour est saisie au sujet du brevet. Toutefois, en raison de la complexité de l’affaire, la Cour sera davantage en mesure de répondre à la question relative aux marques de commerce après avoir exposé en détail les faits en litige comme elle le ferait au procès et non de façon préliminaire, comme elle l’a fait en l’espèce.

La question de savoir si les déclarations de l’intimée sont fausses et trompeuses est inextricablement liée aux questions qui doivent être tranchées au procès. Il n’est pas possible de dissocier les allégations des requérants du règlement de l’action principale. Il est impossible de se prononcer sur ces allégations sans résoudre l’action principale.

Par ces motifs, je ne suis pas convaincu qu’il existe une question sérieuse qui doit, ou même qui pourrait, être tranchée de façon préliminaire. Néanmoins, comme je ne crois pas que la requête des requérants soit futile ou vexatoire, il est prudent d’examiner maintenant les deuxième et troisième volets du critère applicable en matière d’injonctions interlocutoires.

[Non souligné dans l’original.]

[54]  Bien que le juge Cullen ait conclu, d’après les faits au dossier, qu’il n’y avait aucune question sérieuse justifiant l’octroi d’une injonction, je ne considère pas que Mr Safety Check appuie un principe général selon lequel une demande fondée sur l’alinéa 7a) ne peut jamais faire l’objet d’une injonction. Bien que, comme Fluid le souligne, la véracité ou la fausseté des allégations de contrefaçon ne puisse être déterminée, en fin du compte, qu’après le procès, il en va de même pour toute allégation invoquée comme fondement d’une injonction. La norme relative à une requête en injonction prévoit seulement qu’il doit être déterminé si, après un examen préliminaire du fond, il y a une question sérieuse à juger : RJR-MacDonald, à la p. 334. Il n’y a aucun motif justifiant que soit tranchée une demande fondée sur l’alinéa 7a) comme si elle était assujettie à un critère différent. Je souligne que le juge Cullen semble bel et bien avoir reconnu que, en dépit de ses réticences, il devrait tenir compte des autres volets du critère RJR‑MacDonald, puisque le cas de la demanderesse n’était ni frivole ni vexatoire : Mr Safety Check, aux para 20 à 26.

[55]  Je souligne également que, dans le cadre de la « requête […] déjà entendue » entre les mêmes parties, qui est mentionnée au début du passage ci-dessus, le juge Cullen a également rejeté la demande d’injonction de Mr. Safety Check pour limiter la contrefaçon alléguée du brevet par Brake Safe, répondant ainsi à des préoccupations similaires quant à la nécessité d’une décision finale au procès, mais il continue à examiner les autres volets du critère, puisque l’affaire n’était ni futile ni vexatoire : Mr Safety Check Systems Inc c Brake Safe Inc (1997), 77 CPR (3d) 1 (CFPI), aux para 19, et 25 à 28. En dépit des difficultés possibles liées à l’examen des questions relatives à la contrefaçon à un stade précoce identifiés par le juge Cullen, une question sérieuse quant à la contrefaçon d’un brevet peut être clairement établie dans le cas approprié : voir, p. ex., Aventis Pharma SA c Novopharm Ltd, 2005 CF 815, aux para 54 à 57, conf. par 2005 CAF 390.

[56]  Dans Rolls-Royce plc c Fitzwilliam (2000), 10 CPR (4th) 1 (CFPI) [Rolls-Royce], la Cour a accordé une injonction pour limiter les mises en demeure fondées sur l’alinéa 7a). Le juge Blanchard a conclu que les lettres de M. Fitzwilliam, qui faisaient valoir des droits sur les marques de commerce Rolls-Royce et menaçaient de poursuites judiciaires, soulevaient une question sérieuse au titre de l’alinéa 7a), en raison des faits dont il disposait et par suite d’une analyse du dossier : Rolls-Royce, aux para 5, 7, 8 et 15. Fluid distingue la présente affaire de Rolls‑Royce, au motif que Rolls-Royce avait une forte revendication de propriété sur les marques de commerce en cause et qu’une injonction concernant une question semblable avait déjà été accordée contre M. Fitzwilliam. Toutefois, bien que, dans cette affaire, ces points puissent porter sur le caractère approprié général de l’injonction, ils ne limitent pas l’octroi d’une injonction à de telles affaires et n’empêchent pas une injonction dans les affaires où les questions de propriété intellectuelle sont moins claires. En effet, le juge Blanchard a confirmé que le seuil pour établir s’il y a une question sérieuse « n’est pas très exigeant » : Rolls-Royce, au paragraphe 15.

[57]  Compte tenu des principes en jeu dans ces affaires, il est clair que les mises en demeure qui allèguent la contrefaçon d’un brevet peuvent justifier une action au titre de l’alinéa 7a) et qu’une injonction peut être accordée dans des circonstances appropriées pour interdire la délivrance de telles lettres, lorsqu’une question sérieuse est soulevée concernant les éléments de l’alinéa 7a) et qu’il est satisfait aux autres éléments du critère RJR-MacDonald.

(2)  La question sérieuse concernant les déclarations fausses ou trompeuses de Fluid

[58]  Exaltexx allègue qu’elle a établi l’existence d’une question sérieuse quant à savoir si les déclarations de Fluid concernant la contrefaçon par Exaltexx et celle par les fournisseurs de cette dernière, c’est-à-dire Panther ou Hommy Trucking, sont fausses et trompeuses. Fluid soutient que ses déclarations ne peuvent pas constituer le fondement d’une demande au titre de l’alinéa 7a), compte tenu du contexte du litige et de l’immunité applicable, et que, quoi qu’il en soit, Exaltexx n’a pas établi que les allégations sont fausses ou trompeuses. J’aborderai d’abord les arguments de Fluid concernant les déclarations contenues dans la lettre et la question de savoir si elles sont visées par l’immunité, puis j’examinerai la question de savoir si une question sérieuse a été soulevée au sujet de la fausseté des déclarations.

a)  Fluid a formulé des allégations de contrefaçon qui ne sont pas visées par l’immunité

[59]  Dans un premier temps, je suis convaincu qu’il existe une question sérieuse quant à savoir si, dans ses lettres, Fluid formule des allégations selon lesquelles les produits d’Exaltexx contreviennent aux brevets de Fluid, et si Panther et Hommy Trucking contreviennent à ces brevets en raison de leur participation au commerce des produits d’Exaltexx.

[60]  Fluid fait remarquer que le paragraphe 3 de chaque lettre (reproduit ci-dessus au paragraphe 15) se contente d’indiquer que Fluid [traduction« croit » que les produits d’Exaltexx tombent sous le coup de ses brevets, ce qu’elle affirme ne pas être faux. En laissant de côté la question de savoir si l’inclusion du terme [traduction« croit » est suffisante pour éviter une conclusion au titre de l’alinéa 7a) dans ces circonstances, le paragraphe 2 de la lettre définit les produits d’Exaltexx comme des [traduction« produits contrefaits », le paragraphe 4 indique qu’une copie de la déclaration dans laquelle des allégations de contrefaçon sont formulées est jointe, et le paragraphe 5 affirme que le destinataire a véritablement commis une contrefaçon en ayant affaire aux produits d’Exaltexx (qui, dans ces circonstances, ne pourrait être vrai que si les produits d’Exaltexx sont contrefaits), de sorte qu’ils feront face à une action en justice s’ils ne cessent pas la contrefaçon (au paragraphe 6). Sans juger préalablement la question qui devra être tranchée au procès, il existe une question sérieuse quant à savoir si, dans le contexte en l’espèce, la lettre allègue que les produits d’Exaltexx et les fournisseurs d’Exaltexx contrefont les brevets de Fluid.

[61]  Fluid soutient également que la mention de la déclaration ne peut pas servir de fondement à une demande au titre de l’alinéa 7a), puisque l’acte de procédure est visé par l’immunité, citant Nintendo of America Inc c Battery Technologies Inc, 2001 CFPI 596 [Nintendo], au para 35, et Chase Manhattan Corp v 3133559 Canada Inc, [1999] ACF no 1044 (CFPI) [Chase Manhattan], aux para 2 et 3. Chacune de ces affaires concernait une demande reconventionnelle alléguant que les déclarations faites dans la déclaration contrevenaient à l’alinéa 7a). Les déclarations faites dans un acte de procédure sont elles-mêmes visées par une immunité absolue : voir, p. ex., Big Pond Communications 2000 Inc c Kennedy (2004), 70 OR (3d) 115 (CS), aux para 7 à 15. Les demandes reconventionnelles dans Nintendo et Chase Manhattan étaient donc insoutenables. Cependant, cela ne signifie pas que les déclarations contenues dans un acte de procédure peuvent être répétées hors cour en toute impunité.

[62]  Dans Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130 [Hill], la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une immunité relative s’appliquait pour viser la description juste et exacte, sans malice, de documents relatifs à une procédure judiciaire : Hill, aux paragraphes 150 à 153. Cette immunité peut être éliminée lorsque les déclarations hors cour dépassent les objectifs légitimes de la situation et la portée admissible, même si cela ne constitue pas une véritable malveillance : Hill, aux para 155 et 156. Toutefois, même cette immunité relative se limite à la présentation de documents relatifs à une procédure judiciaire, elle ne vise pas les allégations indépendantes de cette procédure. En d’autres termes, le fait qu’une allégation peut être faite dans un acte de procédure ne signifie pas que la même allégation, formulée dans d’autres contextes, est couverte par l’immunité.

[63]  En l’espèce, le renvoi de Fluid à son action contre Exaltexx, au paragraphe 4 de sa lettre, pris isolément, pourrait sans doute être visé par une immunité relative. Toutefois, la Cour n’a pas à apprécier si le contenu et les circonstances de la lettre pourraient l’exclure de la portée de l’immunité, puisque les autres allégations de contrefaçon formulées dans la lettre vont au-delà d’une simple présentation des actes de procédure et ne sont pas visées par l’immunité. À cet égard, je ne suis pas d’accord avec la caractérisation de Fluid selon laquelle Exaltexx tente [traduction« [d’]empêcher le public d’apprendre que Fluid a poursuivi Exaltexx pour contrefaçon de ses brevets ». La requête d’Exaltexx vise plutôt à empêcher Fluid d’alléguer qu’Exaltexx et ses fournisseurs contrefont les brevets de Fluid, et de menacer ses fournisseurs de poursuites.

[64]  Fluid affirme également que, dans le contexte de l’alinéa 7a), la protection accordée aux actes de procédure s’étend aux [traduction« déclarations faites après l’introduction de l’instance », en se fondant sur les paragraphes 32 et 33 de Bureau en gros :

[…] La jurisprudence en matière de contrefaçon de brevets, à commencer par l’arrêt S&S Industries de la Cour suprême, a clairement limité la validité d’une allégation selon l’alinéa 7a) à la revendication fautive de droits de brevet sans que soit introduite une procédure en contrefaçon et cette jurisprudence est un prolongement de la common law du XIXe siècle. Mais cette jurisprudence n’a jamais été appliquée aux revendications de droit d’auteur ni aux déclarations faites après l’introduction d’une procédure [...]

[...] L’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce traite essentiellement de la responsabilité commerciale et se rapporte à la concurrence déloyale. Cette disposition a été élargie pour englober les déclarations fausses ou trompeuses se rapportant à des brevets, mais elle n’a jamais été appliquée dans le contexte du droit d’auteur, surtout lorsqu’une déclaration a été faite après l’introduction d’une procédure.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[65]  Je ne suis pas d’accord pour dire que, lue dans son contexte, la décision Bureau en gros visait à étendre l’immunité aux actes de procédure, ou l’immunité prévue à l’alinéa 7a), à toute déclaration faite après l’introduction de l’instance. Dans Bureau en gros, la Canadian Copyright Licensing Agency (« Access Copyright ») a poursuivi Bureau en gros pour la contrefaçon de droits d’auteur relativement à ses services de photocopie. Après avoir déposé sa demande, Access Copyright a publié un communiqué de presse concernant l’action dans le cadre de laquelle des déclarations ont été faites au sujet de Bureau en gros, y compris que cette dernière avait profité de la contrefaçon du droit d’auteur. Bureau en gros a présenté une demande reconventionnelle alléguant une violation de l’alinéa 7a).

[66]  Le protonotaire Aalto a radié la demande reconventionnelle de Bureau en gros fondée sur l’alinéa 7a), au motif que (i) Access Copyright et Bureau en gros n’étaient pas des « concurrentes », comme l’exige l’alinéa 7a); que (ii) l’alinéa 7a) exigeait que les déclarations portent sur la propriété intellectuelle du demandeur (la partie touchée par les déclarations) plutôt que sur celle du défendeur (qui a fait les déclarations) : Bureau en gros, aux para 1, 5, 6, 9 et 10. En appel, le juge de Montigny, alors juge de la Cour, a confirmé la décision. Bien que le fait qu’Access Copyright et Bureau en gros n’aient pas été des concurrentes suffisait à rejeter l’appel, le juge de Montigny a également formulé des commentaires sur le deuxième motif invoqué par le protonotaire Aalto pour justifier la radiation de la demande.

[67]  Le juge de Montigny a reconnu que S&S Industries et Riello avaient chacune accueilli des demandes fondées sur l’alinéa 7a) et sur des déclarations concernant la propriété intellectuelle du défendeur plutôt que sur celle du demandeur. Ainsi, il a apparemment reconnu qu’au moins certaines déclarations au sujet de la propriété intellectuelle du défendeur pouvaient justifier une demande fondée sur l’alinéa 7a) : Bureau en gros, au par 31. Cependant, le juge de Montigny a fait une distinction entre ces affaires en faisant valoir qu’elles concernaient une « revendication fautive de droits de brevet sans que soit introduite une procédure en contrefaçon », notant que le principe n’avait pas été étendu aux revendications de droit d’auteur ou aux déclarations faites après l’introduction d’une procédure : Bureau en gros, aux para 32 et 33.

[68]  À l’appui de cette déclaration, le juge de Montigny a cité Levi Strauss & Co c Timberland Co (1997), 74 CPR (3d) 49 [Levi Strauss]. Dans cette affaire, le protonotaire Morneau avait conclu que l’alinéa 7a) ne comportait pas de délit d’abus de procédure et ne pouvait pas servir de fondement à une demande fondée sur l’introduction de nombreuses instances, en raison de l’immunité s’appliquant aux actes de procédure : Levi Strauss, aux para 11 à 16. Compte tenu de cette mention et du contexte des déclarations en cause dans Bureau en gros, qui décrivaient principalement les allégations formulées dans la demande introductive d’instance, il semble que le juge de Montigny ait simplement reconnu que l’alinéa 7a) ne pouvait pas être fondé sur des déclarations visées par une immunité, y compris un rapport sur l’introduction d’une action, c’est-à-dire une déclaration faite après l’introduction d’une action. Certes, il ne semble y avoir aucune justification de principe permettant à un demandeur d’avoir une liberté générale de faire de fausses déclarations dépassant la portée et les exigences du litige, à l’abri d’une demande fondée sur l’alinéa 7a), simplement parce qu’une action a été intentée.

[69]  Je formule trois autres remarques au sujet de Bureau en gros. Premièrement, dans la mesure où cette décision prétend limiter les demandes fondées sur l’alinéa 7a) à la revendication fautive de droits de brevet sans que soit introduite une action en contrefaçon, Excalibre est un exemple plus récent d’une demande fondée sur l’alinéa 7a) ayant eu gain de cause, même lorsqu’une action en contrefaçon a été intentée par le breveté.

[70]  Deuxièmement, la distinction entre les déclarations faites au sujet des droits de propriété intellectuelle du demandeur et de ceux du défendeur semble difficile à maintenir, en raison soit du libellé de l’alinéa 7a), soit des limites constitutionnelles analysées dans Vapor Canada et, plus récemment, dans Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65, aux paragraphes 19 à 36. Certes, comme l’a reconnu le juge de Montigny, les demandes ont été accueillies sur la base de revendications des droits de propriété intellectuelle de la partie qui a fait la déclaration : S&S Industries; Riello; Excalibre; voir aussi JAG Flocomponents NA c Archmetal Industries Corporation, 2010 CF 627, au para 117, où le juge Phelan a fait remarquer « qu’il n’est pas nécessaire d’être propriétaire d’une marque pour avoir le droit de réclamer une réparation en vertu de l’article 7. La question qui se pose est celle de savoir si la partie contrevenante se sert de droits de propriété intellectuelle de compétence fédérale pour nuire à un concurrent ».

[71]  Troisièmement, bien qu’il ne s’agisse pas d’une question en litige en l’espèce, il ne semble y avoir, à première vue, aucun motif constitutionnel ou d’interprétation limitant l’application de l’alinéa 7a) aux affaires de brevets (comme dans S&S Industries et Excalibre) et de marques de commerce (comme dans Rolls-Royce), mais pas aux affaires de droit d’auteur, en particulier parce que les brevets et le droit d’auteur figurent expressément à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[72]  Pour les besoins de la présente affaire, je dois simplement déterminer s’il existe une question sérieuse quant à savoir si l’alinéa 7a) peut viser les déclarations faites (i) par un breveté (ii) après l’introduction d’une instance (iii) concernant les droits qui sont attachés à ses propres brevets et l’atteinte à ces droits par d’autres parties. Pour les motifs susmentionnés, je conclus que c’est le cas. Je conclus également qu’il y a des allégations, non visées par une immunité, de contrefaçon par Exaltexx dans les lettres envoyées par Fluid. La question suivante est de savoir si Exaltexx a soulevé une question sérieuse quant à savoir si ces déclarations sont fausses.

b)  Il existe une question sérieuse quant à savoir si certaines des allégations de contrefaçon sont fausses ou trompeuses

[73]  Comme il a été mentionné, Exaltexx soulève une question sérieuse à juger concernant les allégations selon lesquelles ses produits contrefont les brevets de Fluid, ainsi que les allégations selon lesquelles les personnes impliquées dans les activités d’Exaltexx, notamment Panther et Hommy Trucking, ont contrefait les brevets de Fluid. J’aborderai d’abord ces dernières allégations, puisque je conclus qu’Exaltexx a soulevé une question sérieuse selon laquelle ces allégations sont fausses ou trompeuses.

[74]  L’affidavit de Mme Ayotte établit que Panther est [traduction« l’un des fournisseurs de produits chimiques bruts d’Exaltexx » et [traduction« n’a fourni à Exaltexx que de l’acide chlorhydrique ». Elle n’a pas été contre-interrogée sur ces déclarations. Aucun des brevets de Fluid ne revendique l’acide chlorhydrique ou l’utilisation d’acide chlorhydrique en soi. Peu importe qu’Exaltexx puisse utiliser cet acide pour produire une composition qui contrefait à un ou plusieurs brevets de Fluid, le simple fait de fournir un composant n’est ni une contrefaçon ni une incitation à la contrefaçon. C’est le cas même si le composant est destiné à être incorporé à une combinaison brevetée ou ne peut être utilisé à aucune autre fin : MacLennan c Produits Gilbert Inc, 2008 CAF 35, aux para 33 à 38. En effet, l’avocat de Fluid a reconnu que, si tout ce que faisait Panther était de fournir de l’acide chlorhydrique – ce qui est le seul élément de preuve dont dispose la Cour –, elle n’aurait pas contrefait les brevets.

[75]  Je suis convaincu que, compte tenu de la preuve dont dispose la Cour, il existe une question sérieuse à juger quant à savoir si les déclarations de Fluid, au paragraphe 5 de sa lettre, selon lesquelles [traduction« Panther a contrefait, continue de contrefaire et/ou a incité et amené d’autres personnes à contrefaire les brevets de Fluid », sont fausses ou trompeuses.

[76]  L’affidavit de Mme Ayotte établit également que Hommy Trucking est un [traduction« expéditeur ou transporteur privilégié » d’un des clients d’Exaltexx et que, lorsque ce client achète un produit, il est livré à Hommy Trucking pour son expédition. À la connaissance de Mme Ayotte, Hommy Trucking n’achète pas ni ne vend le produit, mais l’entrepose ou l’expédie simplement au client. Encore une fois, Mme Ayotte n’a pas été contre-interrogée sur cette déclaration. Comme le souligne Exaltexx, l’entreposage et l’expédition ne sont pas expressément désignés comme des activités de contrefaçon au sens de l’article 42 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, qui se rapporte à l’octroi d’un droit exclusif de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention ».

[77]  Fluid fait valoir que le concept d’« exploitation » énoncé dans la Loi sur les brevets est large et que, dans Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 [Monsanto], la Cour suprême du Canada a conclu que la possession soulevait une présomption réfutable d’exploitation : Monsanto, au point 6 du paragraphe 58. L’arrêt Monsanto n’est pas très utile à Fluid, compte tenu du contexte factuel de cette affaire et de l’examen du principe d’exploitation aux paragraphes 45 à 57 du jugement. En effet, dans Monsanto, on fait remarquer qu’un défendeur peut réfuter la présomption d’exploitation fondée sur la possession en présentant une preuve selon laquelle « il n’a ni exploité ni eu l’intention d’exploiter cette invention, même par l’exploitation de son utilité latente » : Monsanto, au para 56. Compte tenu de la preuve, rien n’indique que Hommy Trucking, en tant qu’expéditeur, a exploité l’invention, avait l’intention de l’exploiter, ou voire même pourrait l’utiliser. Fluid n’a pas été en mesure d’invoquer un cas où le simple transport par camion d’un produit constituait une exploitation contrefaisante. Néanmoins, Fluid fait valoir qu’au procès, le transport peut être considéré comme une exploitation, tout en reconnaissant que de savoir si elle aurait gain de cause à ce sujet, à l’instruction, était une [traduction« question ouverte ». Ce seul point confirme qu’il existe une question sérieuse quant à savoir si les allégations, selon lesquelles Hommy Trucking [traduction« a contrefait, continue de contrefaire et/ou a incité et amené d’autres personnes à contrefaire les brevets de Fluid », sont fausses ou trompeuses.

[78]  Exaltexx s’est peu fiée à la lettre envoyée à Nitmoi Labs, et la Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve portant son rôle dans les activités d’Exaltexx. Je ne tire donc aucune conclusion concernant Nitmoi Labs.

[79]  En ce qui concerne Brenntag, dans le cadre de l’entente conclue entre les parties, Fluid a avisé Exaltexx qu’elle avait communiqué avec Brenntag. Cependant, aucune lettre n’a été produite par Fluid et aucun élément de preuve n’a été présenté par Fluid concernant la nature ou la date de ces communications. Il nous reste donc la preuve de Mme Ayotte selon laquelle Brenntag est un fournisseur et mélangeur de produits chimiques avec lequel Exaltexx fait affaire depuis 2015, mais qu’au début de novembre 2019, Brenntag a annulé un devis sur des services d’approvisionnement en acides et de mélange d’acides et a déclaré qu’elle ne serait plus en mesure de fournir un mélange d’acides personnalisé à Exaltexx.

[80]  Lors du contre-interrogatoire, Mme Ayotte a indiqué que le fournisseur de Brenntag, Chemtrade, avait refusé de vendre un acide à Brenntag afin de le revendre à Exaltexx pour son produit. Contrairement aux observations de Fluid, cet élément de preuve n’indique pas seulement que Brenntag [traduction« a mis fin à sa relation avec Exaltexx en raison de problèmes avec un fournisseur ». L’élément de preuve selon lequel Chemtrade a refusé de fournir un acide à Brenntag pour le revendre à Exaltexx en particulier, compte tenu du fait que Fluid a communiqué avec Brenntag au sujet de ses allégations de contrefaçon, donne à penser que l’annulation du devis pourrait être liée aux allégations de contrefaçon.

[81]  Il y a donc une preuve positive selon laquelle Fluid a communiqué avec Brenntag à propos de la question, ainsi qu’une preuve positive des lettres que Fluid a écrites à d’autres entreprises faisant affaire avec Exaltexx. En l’absence d’une contre‑preuve de la part de Fluid au sujet de la nature et du contenu de ses communications avec Brenntag, je suis disposé à inférer que les communications de Fluid, comme celles avec Panther et Hommy Trucking, comprenaient des allégations de contrefaçon concernant Brenntag qui peuvent être fausses ou trompeuses.

[82]  Après avoir examiné les allégations selon lesquelles les fournisseurs d’Exaltexx sont responsables d’une contrefaçon, je me penche sur les allégations selon lesquelles les produits d’Exaltexx constituent eux-mêmes une contrefaçon. Je conclus que, compte tenu de la preuve produite, Exaltexx n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse à l’égard de ces allégations.

[83]  Comme je l’ai mentionné plus haut, bien que le seuil de la question sérieuse soit peu élevé, l’existence de cette question doit être établie en tenant compte de la preuve déposée auprès de la Cour : Turbo Resources, aux paragraphes 19 et 21. Exaltexx s’appuie sur trois aspects du dossier pour démontrer qu’il existe une question sérieuse quant à savoir si les allégations de contrefaçon sont fausses : (i) les lacunes de la déclaration de Fluid, y compris la déclaration modifiée; (ii) les déclarations dans la correspondance de l’avocat de GlobalQuimica concernant les raisons pour lesquelles son produit GQ-300 ne contrefait pas les brevets de Fluid; (iii) la demande présentée dans la première mise en demeure de Fluid à Exaltexx et à GlobalQuimica demandant un échantillon à des fins d’essai. Je conclus qu’aucun de ces aspects, pris individuellement ou dans leur ensemble, ne suffit à satisfaire au seuil peu élevé de la question sérieuse.

[84]  En ce qui concerne les actes de procédure, Exaltexx allègue que la déclaration jointe en annexe aux lettres et la déclaration modifiée qui a depuis été signifiée sont tellement dépourvues de faits importants, frivoles et sans fondement, que rien ne donne à penser, en les lisant, que les allégations sont [traduction« tout sauf fausses ». Je ne suis pas d’accord. Indépendamment des lacunes – même si elles sont sérieuses ou fatales – dans les actes de procédure qui pourraient être identifiées lors de l’audition de la requête en radiation, je ne suis pas d’accord pour dire que le contenu de la déclaration – dans sa forme originale ou dans sa version modifiée – peut être invoqué pour établir une question sérieuse quant à la fausseté des allégations de contrefaçon formulées dans la demande ou dans les lettres envoyées par Fluid.

[85]  De même, le fait que Fluid a demandé des échantillons de certains produits d’Exaltexx pour les mettre à l’essai n’établit pas la fausseté des allégations de contrefaçon. Si Fluid n’avait en fait aucune connaissance du contenu des produits d’Exaltexx, cela peut montrer que les allégations de Fluid étaient hypothétiques, voire imprudentes, mais cela n’indique pas si elles sont véridiques ou fausses, ou s’il existe une question sérieuse quant à leur fausseté.

[86]  Plus fondamentalement, Exaltexx renvoie à deux lettres envoyées par des avocats américain et canadien, respectivement, à GlobalQuimica, en réponse à la première mise en demeure de Fluid. Bien que la première lettre contienne une dénégation pure et simple de la contrefaçon, la seconde lettre est plus précise et explique pourquoi le produit GQ-300 de GlobalQuimica (qui est le produit ACA d’Exaltexx) ne contrefait pas les brevets, notamment qu’il ne contient aucune urée (un élément des brevets 876, 875, 777, 787, 792, 794 et 783), aucune lysine (un élément du brevet 757), ni aucun acide minéral ni d’alcanolamine (des éléments du brevet 476).

[87]  Bien que cette information, présentée de manière appropriée, soulèverait une question sérieuse quant à savoir si les allégations de contrefaçon formulées dans les lettres de Fluid sont fausses ou trompeuses, je suis d’accord avec Fluid pour dire que le fait de joindre une lettre de l’avocat d’un codéfendeur à un affidavit sans une autre explication n’est pas une preuve suffisante pour soulever une question sérieuse à juger.

[88]  La preuve déposée dans le cadre d’une requête peut comprendre du ouï‑dire provenant de tiers. À titre d’exception à la règle générale selon laquelle les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a connaissance, le paragraphe 81(1) des Règles prévoit qu’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête peut contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui. En l’espèce, Mme Ayotte a joint les lettres de GlobalQuimica, mais elle n’a pas indiqué si elle croyait en leur contenu ou si elle avait des motifs de le faire. En fait, elle décrit simplement la lettre comme [traduction« expliquant en détail pourquoi, selon GlobalQuimica, le produit GQ-300 ne contrevient à aucun des brevets en question de l’action fédérale » et, lors du contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle n’avait pas participé à la rédaction de la lettre et qu’elle n’avait aucun renseignement à ce sujet au-delà de ce qui y était écrit.

[89]  En outre, Mme Ayotte n’indique pas pourquoi aucun élément de preuve direct concernant les questions abordées dans la lettre de GlobalQuimica n’a pu être produit, soit par elle (bien qu’elle ait déclaré en contre-interrogatoire qu’elle n’avait jamais participé aux activités de GlobalQuimica en ce qui a trait à la composition des produits), soit par une autre personne chez Exaltexx. Il se peut, comme l’a laissé entendre l’avocat d’Exaltexx, qu’elle achète le produit de GlobalQuimica et, par conséquent, qu’elle n’ait aucune connaissance de son contenu. Cela semble assez contre-intuitif, étant donné que les techniciens d’Exaltexx font des recommandations aux clients concernant les traitements à l’acide sûr. Plus précisément, il n’y a toutefois aucun élément de preuve au dossier à l’appui de la déclaration de l’avocat selon laquelle Exaltexx ne connaît pas le contenu de son propre produit et que cela explique l’absence d’une preuve directe d’Exaltexx sur la question. En outre, il n’y a aucune preuve pour expliquer pourquoi, le cas échéant, aucune preuve n’a pu être obtenue de la part de GlobalQuimica. Contrairement à l’observation d’Exaltexx, il n’incombe pas à Fluid d’obtenir de la preuve en contre-interrogatoire quant aux raisons pour lesquelles des éléments de preuve plus directs n’étaient pas disponibles.

[90]  Je ne suis pas non plus convaincu que le fait que Fluid n’a pas répondu à la lettre de GlobalQuimica soit une preuve suffisante de la véracité de son contenu pour établir une question sérieuse à juger. Rien n’indique que Fluid a accepté le contenu de la lettre ou y souscrivait, expressément ou en omettant de répondre, et rien ne peut être inféré de l’absence de réponse dans la correspondance dans ce contexte.

[91]  Il y a sans doute des raisons pour lesquelles chaque partie a choisi de ne pas produire de preuve directe concernant la question de savoir si le produit d’Exaltexx contrefaisait les brevets de Fluid. Cependant, Exaltexx a le fardeau d’établir une question sérieuse à juger à la lumière de la preuve. À mon avis, même dans le contexte d’une requête urgente, on ne peut pas présenter cette preuve en s’appuyant sur le contenu d’une lettre de l’avocat d’une autre partie jointe comme pièce, protégeant ainsi cette preuve du contre-interrogatoire, sans une explication adéquate ou une allégation justifiée de la foi en son contenu : voir, p. ex., ME2 Productions Inc c M Untel, 2019 CF 214, aux para 97 et 120 à 123.

[92]  En l’absence d’un énoncé indiquant que Mme Ayotte croit les renseignements contenus dans la lettre de GlobalQuimica et fournissant les motifs de cette conviction, ou expliquant pourquoi aucune preuve directe ne porte sur la question de savoir si le produit d’Exaltexx contrefait les brevets, je ne suis pas disposé à accepter l’ajout de la lettre de GlobalQuimica comme preuve adéquate pour soulever une question sérieuse quant à la fausseté des allégations de contrefaçon.

[93]  Cela étant dit, il n’est pas nécessaire de tirer l’inférence défavorable suggérée par Fluid, selon laquelle l’absence d’éléments de preuve directs concernant la composition indique qu’Exaltexx cherche à dissimuler des renseignements et que, en fait, son produit contrefait effectivement les brevets. En l’absence d’une preuve positive de contrefaçon présentée par Fluid, je refuse de tirer une telle inférence.

[94]  J’insiste sur le fait qu’en prenant la décision qui précède, je ne tire aucune conclusion quant au contenu des produits d’Exaltexx, quant à savoir s’ils sont visés par l’un des brevets de Fluid, ou quant à savoir si Exaltexx serait en mesure, grâce à une preuve appropriée, de démontrer qu’il n’y a eu aucune contrefaçon, selon la norme de la question sérieuse ou, au procès, selon la prépondérance des probabilités. Ma conclusion repose uniquement sur la preuve dont disposait la Cour dans le cadre de la présente requête.

[95]  Par conséquent, je conclus qu’Exaltexx a établi une question sérieuse à juger quant à la fausseté des allégations de Fluid selon lesquelles les fournisseurs et les expéditeurs d’Exaltexx contrefont les brevets de Fluid, mais pas quant à la fausseté des allégations de Fluid selon lesquelles Exaltexx contrefait elle-même les brevets.

(3)  La question sérieuse concernant des déclarations qui tendent à discréditer un concurrent

[96]  Je conclus également qu’il existe une question sérieuse à juger quant à savoir si les déclarations de Fluid concernant la contrefaçon par Hommy Trucking et Panther tendent à discréditer un concurrent. Fluid n’a pas fait valoir le contraire et a concentré ses observations sur la question de savoir si les déclarations étaient fausses ou trompeuses. Il ne fait aucun doute que Fluid et Exaltexx sont des concurrents.

[97]  Dans Riello, le défendeur avait envoyé des lettres aux clients de la demanderesse indiquant qu’ils contrefaisaient le brevet du défendeur et qu’ils devaient payer des droits pour la vente du produit de la demanderesse. Le juge Strayer n’a eu aucune difficulté à conclure que ces déclarations tendaient à discréditer la demanderesse, puisqu’elles indiquaient non seulement que le produit de la demanderesse était fabriqué à tort, mais aussi que toute personne qui en ferait commerce s’exposerait à des demandes de paiement de droits : Riello, au para 31.

[98]  Comme je l’ai mentionné plus haut, dans Excalibre, le juge Manson a également souligné l’importance des menaces de poursuite, en faisant la distinction entre les mises en demeure envoyées à titre « informatif » et celles qui contiennent des « menaces ». Le juge Manson a conclu que « [l]e contenu d’une lettre de mise en demeure tend à discréditer les produits ou les services d’un concurrent du breveté » : Excalibre, au para 283.

[99]  Les mises en demeure envoyées par Fluid contiennent clairement des « menaces », puisqu’elles allèguent directement la contrefaçon, exigent que le destinataire cesse ses activités (au paragraphe 5) et menacent de poursuites judiciaires sérieuses si elles ne le font pas (au paragraphe 6). En l’absence d’une preuve de Fluid concernant la communication avec Brenntag, et compte tenu de celle produite par Exaltexx concernant l’annulation par Brenntag de son devis, je suis disposé à inférer que la communication avec cette entreprise était de nature semblable.

[100]  La nature menaçante des lettres Fluid est amplifiée par l’inclusion de la demande de préservation de documents au paragraphe 7, ce qui indique la possibilité d’un processus coûteux impliquant des dossiers complets ainsi que des [traduction« experts-conseils dans les domaines judiciaire et informatique », et pourrait bien exagérer les obligations du destinataire.

[101]  Bien que ce ne soit pas non déterminant, je souligne que, contrairement à la lettre initiale envoyée à Exaltexx, les lettres envoyées à Panther et à Hommy Trucking n’invitent pas à la discussion ni à une explication des raisons pour lesquelles le destinataire pourrait ne pas contrefaire les brevets. Elles ne font plutôt qu’affirmer simplement qu’il y a eu contrefaçon, en raison d’une vaste gamme d’activités alléguées (dont la plupart ne sont pas exercées par les destinataires), liées à une vaste gamme de produits, et que Fluid intentera une action en justice si le destinataire ne se conforme pas immédiatement à la mise en demeure. La gravité de cette menace d’action en justice a été soulignée par la fourniture d’une copie de la demande de Fluid contre Exaltexx et GlobalQuimica, qui réclame 100 000 000 $ en dommages-intérêts.

[102]  Par conséquent, je suis convaincu que, dans le contexte de ces lettres, il existe une question sérieuse à juger quant à savoir si les allégations de Fluid concernant la contrefaçon par les fournisseurs d’Exaltexx tendent à discréditer Exaltexx. Si j’avais conclu qu’il existait une question sérieuse concernant les allégations de Fluid selon lesquelles les produits d’Exaltexx contrefont les brevets de Fluid, j’aurais également conclu que ces déclarations tendaient à discréditer Exaltexx.

(4)  La question sérieuse concernant le préjudice subi

[103]  Dans Supertek, le juge Hughes a reconnu que, en ce qui concerne S&S Industries, le préjudice subi est un élément essentiel d’une demande fondée sur l’alinéa 7a) : Supertek, au para 7; Excalibre, au para 285. Cependant, dans Riello, le juge Strayer a conclu qu’il n’était pas nécessaire de prouver une perte pour obtenir une injonction au titre de l’article 53 de la Loi sur les marques de commerce, sur la base d’une demande fondée sur l’alinéa 7a) : Riello, au para 34. Je n’ai pas besoin de trancher cette question, puisque je conclus qu’il existe une question sérieuse à juger quant à savoir si les déclarations faites dans les lettres de Fluid ont causé un préjudice à Exaltexx.

[104]  À cet égard, je considère que le préjudice devrait être considéré dans le contexte de la « campagne de rédaction de lettres » dans son ensemble, plutôt que d’avoir à établir le préjudice causé par chaque lettre individuelle, et ce, en partie en raison de la nature de la présente requête, qui vise à interdire l’envoi d’autres lettres, dont certaines pourraient causer directement un préjudice, et d’autres non. En fin de compte, Exaltexx devra prouver le préjudice particulier qu’elle a subi et la façon dont il a été causé par les déclarations de Fluid. À ce stade-ci, je considère qu’Exaltexx doit simplement démontrer l’existence d’une question sérieuse quant à savoir si elle a subi un préjudice découlant de la conduite de Fluid qui fait ces déclarations dans les lettres.

[105]  En l’espèce, la preuve démontre clairement que Hommy Trucking, du moins, a cessé de faire affaire avec Exaltexx à la suite de la lettre de Fluid. Fluid fait valoir qu’Exaltexx n’a fourni aucune preuve établissant le préjudice réel ainsi causé. Je ne suis pas d’accord. Bien qu’il n’y ait aucun élément de preuve concernant la valeur monétaire spécifique de cette incidence – une question abordée plus loin pour apprécier le préjudice irréparable –, la preuve de Mme Ayotte démontre clairement que Hommy Trucking est le transporteur privilégié de l’un de ses clients. Je n’ai aucune difficulté à conclure que le fait que l’expéditeur privilégié d’un client cesse de faire affaire soulève une question sérieuse quant au préjudice financier direct associé au réacheminement des expéditions (en présumant qu’un autre expéditeur satisfaisant pour le client peut être identifié et que les commandes sont passées malgré l’interruption de l’expédition) et au préjudice à la réputation par rapport à l’expéditeur et au client.

[106]  Fluid a également soutenu que la décision d’Hommy Trucking reflète l’avis de l’avocat, qui comprendrait une appréciation du bien-fondé de l’allégation. Cependant, cette observation contredit directement la réponse initiale envoyée dans les faits par l’avocat d’Hommy Trucking, qui était : [traduction« Ma cliente n’a aucune connaissance ni aucune idée quant à la validité ou la frivolité de l’action visée par les menaces de vos clients [sic]. Tout ce qu’elle sait, c’est que votre demande a une incidence sur leurs résultats. » Il s’agit là de la préoccupation même soulevée par des lettres menaçantes de cette nature, à savoir que la possibilité d’un litige coûteux entraînera la conformité, peu importe le bien-fondé d’une allégation de contrefaçon en particulier.

[107]  En ce qui concerne Brenntag, comme il a déjà été mentionné, la preuve de Mme Ayotte, dans son affidavit et en contre-interrogatoire, soulève au moins une question sérieuse quant à savoir si Brenntag a cessé de faire affaire avec Exaltexx pour des raisons liées aux allégations de contrefaçon. Étant donné que Brenntag était un fournisseur qui faisait des devis concurrentiels pour la fourniture de produits et de services dans un marché comptant un petit nombre de fournisseurs, je n’hésite pas, encore une fois, à conclure qu’il existe une question sérieuse quant à savoir si Exaltexx a subi un préjudice en conséquence.

[108]  Fluid fait valoir qu’il n’y a aucune preuve en relation avec la réaction de Panther à la mise en demeure. Cela n’a pas d’importance en fin de compte, étant donné les autres dommages subis par Exaltexx. Cependant, il est clair que le désir et l’intention de Fluid qui ressortent de la lettre à Panther étaient que celle‑ci cesse de faire affaire avec Exaltexx. Il est difficile pour Fluid de prétendre qu’elle devrait être autorisée à continuer à envoyer de telles lettres, au motif qu’un fournisseur peut avoir décidé de ne pas s’y conformer.

[109]  À cet égard, la situation est différente de celle dans l’affaire Boehringer, qui a été invoquée par Fluid. Cette affaire concernait des déclarations de sociétés pharmaceutiques concernant la nature et les mécanismes d’action de médicaments concurrents. Le juge Nordheimer a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que Boehringer subirait une perte économique à la suite des déclarations : Boehringer, au para 67. Contrairement à l’affaire Boehringer, les déclarations en l’espèce étaient accompagnées d’une demande directe sollicitant que les destinataires cessent de faire affaire avec un concurrent, et il y a une preuve à l’appui du fait qu’au moins certains destinataires se sont conformés à cette demande. Il est donc erroné de dire que les craintes d’Exaltexx [traduction« émanent entièrement d’elle‑même, sans preuve indépendante que ces craintes sont, ou sont susceptibles d’être, confirmées par des faits réels », comme ce fut le cas dans Boehringer.

[110]  Étant donné qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour soulever une question sérieuse à l’égard de chacun des éléments d’une demande fondée sur l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, j’aborde maintenant la question du préjudice irréparable.

B.  Exaltexx a établi un préjudice irréparable

[111]  Contrairement au seuil de la « question sérieuse », celui pour établir un préjudice irréparable est élevé : Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2006 CF 1443, aux para 22 et 23. Dans Première Nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans, et Garde côtière), 2018 CF 334, aux para 89 et 90, le juge Manson a récemment résumé l’exigence relative au préjudice irréparable de la manière suivante :

Le terme « irréparable » dénote la nature du préjudice subi, plutôt que son importance. Il s’agit d’un préjudice qui ne peut être quantifié sur le plan pécuniaire ou auquel il ne peut être remédié [...] La demanderesse doit produire une preuve claire, qui ne repose pas sur des conjectures, qu’elle subira un préjudice irréparable si la requête en redressement interlocutoire est refusée [...] Il ne suffit pas de démontrer qu’un préjudice irréparable pourrait se produire et le préjudice irréparable invoqué ne peut se fonder sur de simples affirmations [...]

Toutefois, les cours d’appel canadiennes ont statué qu’une « preuve claire de préjudice irréparable n’est pas requise » et ont mis en garde contre l’exigence que les requérants démontrent avec un degré élevé de certitude qu’un préjudice irréparable serait définitivement créé [...]

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[112]  Comme il est énoncé ci-dessus, l’exigence relative au préjudice irréparable ne doit pas être traitée isolément, de sorte qu’une preuve plus solide sur le fond peut abaisser le seuil du préjudice irréparable : GoldTV.Biz, au para 56; Boehringer, au para 35. En l’espèce, je tiens compte du fait que, selon les éléments dont je dispose, il existe une preuve assez solide selon laquelle Exaltexx sera en mesure, au procès, d’établir que les allégations de Fluid, selon lesquelles Hommy Trucking et Panther contrefont ses brevets sont fausses ou trompeuses, peu importe la décision sur l’allégation de contrefaçon contre Exaltexx. En même temps, cela ne dispense pas Exaltexx de l’obligation de démontrer un préjudice irréparable si l’injonction demandée n’est pas accordée.

[113]  Exaltexx affirme qu’elle subira les types de préjudices irréparables suivants si l’injonction demandée n’est pas accordée :

[114]  Bien qu’elle ne soit pas aussi précise qu’elle aurait pu l’être à certains endroits, la preuve de Mme Ayotte est claire en ce que :

[115]  Fluid ne s’est pas penché sur ces éléments de preuve lors du contre-interrogatoire, et elle n’a produit aucune preuve en réponse.

[116]  Compte tenu de la nature particulière du domaine d’affaires dans laquelle Exaltexx évolue, je conclus que les éléments de preuve de l’atteinte à la réputation commerciale d’Exaltexx; d’un préjudice à l’égard de ses relations avec les fournisseurs, dans la mesure de la perte réelle et/ou potentielle de ces fournisseurs; de l’incidence potentielle sur l’ensemble des activités d’Exaltexx, compte tenu de la taille de l’industrie et de celle d’Exaltexx; des difficultés associées à la quantification de la nature de ce préjudice, équivalent à une preuve claire, qui ne repose pas sur des spéculations, d’un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée.

[117]  En tenant compte de l’atteinte causée à la réputation commerciale d’Exaltexx et du préjudice causé à l’égard de ses relations commerciales, je considère en partie la nature des lettres envoyées par Fluid. Sur l’échelle allant de « informative » à « menaçante » décrite par le juge Manson dans Excalibre, les lettres de Fluid se placent à l’extrémité « très menaçante ». Le fait que de telles lettres menaçantes sont reconnues comme « tendant à discréditer » l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent démontre l’effet préjudiciable intrinsèque de ces lettres sur la réputation : Excalibre, au paragraphe 283. L’atteinte à la réputation peut faire l’objet d’une inférence tirée à partir de la preuve : Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106, aux para 28 à 30.

[118]  Je n’accepte pas la prétention de Fluid selon laquelle Exaltexx n’a pas démontré un préjudice irréparable, parce que seule Hommy Trucking a expressément décidé de ne plus faire affaire avec Exaltexx en raison des lettres, qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel elle ne peut pas être remplacée et qu’Exaltexx n’a pas établi un [traduction« refus en bloc » de faire affaire avec elle : Boehringer, au para 73. Fluid déclare que, à ce jour, elle a envoyé trois mises en demeure et communiqué avec une quatrième partie. Le but déclaré à première vue des lettres est de faire en sorte que les entreprises ayant affaire aux produits d’Exaltexx – y compris celles dont le seul rôle est peu susceptible d’être considéré comme une contrefaçon – cessent de le faire. L’un des destinataires des lettres s’y est expressément conformé (Hommy Trucking) et il y a des éléments de preuve selon lesquels la partie ayant reçu une communication orale ou protégée (Brenntag) en a fait autant.

[119]  En s’opposant à la présente requête, Fluid cherche à pouvoir envoyer des lettres équivalentes à chaque fournisseur ayant affaire aux produits d’Exaltexx, y compris à tous ceux qui pourraient remplacer des fournisseurs comme Hommy Trucking, exigeant qu’ils cessent de le faire. Il est difficile pour Fluid d’argumenter qu’elle devrait être autorisée à le faire, parce que ses lettres initiales n’ont pas été pleinement efficaces pour atteindre son but déclaré. Cela est particulièrement vrai, puisqu’un petit nombre de fournisseurs potentiels (fournisseurs et transporteurs de produits chimiques) sont disponibles. Comme Fluid l’a reconnu, l’examen de la question de savoir si le préjudice est irréparable est nécessairement contextuel. Dans Boehringer, la mention de l’expression [traduction« refus en bloc » renvoyait à l’absence d’une preuve relative à un refus en bloc de la part des médecins de prescrire le médicament de la demanderesse. Cela ne crée pas une nouvelle norme de [traduction« refus en bloc » qui doit être satisfaite dans différents contextes en ce qui concerne différentes déclarations faites dans différents marchés et ayant des effets différents.

[120]  De même, en me fondant encore une fois sur Boehringer, je rejette l’argument de Fluid selon lequel aucun élément de preuve n’établit que l’atteinte causée à la réputation d’Exaltexx est [traduction« irrévocable », puisque Exaltexx pourrait parer cette atteinte au moyen de ses propres communications : Boehringer, au para 74. Boehringer ne concernait pas une situation où il y a eu des demandes directes exigeant que les destinataires cessent certaines activités ou des menaces de poursuite en matière de brevets; la situation impliquait plutôt des préoccupations quant à la diffusion de renseignements erronés sur un médicament. Encore une fois, il est difficile d’argumenter que Fluid devrait être autorisée à continuer d’envoyer des allégations de contrefaçon potentiellement fausses, des demandes exigeant que les destinataires cessent d’avoir affaire aux produits d’Exaltexx et des menaces de poursuite, et ce, sans un préavis à Exaltexx, au motif qu’Exaltexx pourrait ou devrait parer ces menaces par ses propres déclarations ou une indemnité.

[121]  J’accepte l’argument de Fluid selon lequel le fait qu’Exaltexx ne savait pas, au départ, avec qui Fluid communiquait ne rend pas, en soi, les dommages commerciaux non quantifiables, puisque ces renseignements seraient susceptibles d’être communiqués dans le cadre du processus de litige. Cependant, même avec ces renseignements, il serait impossible de déterminer quels fournisseurs, en conséquence, ont refusé de soumissionner ou de faire une fourniture, quels clients ont décidé qu’ils ne pouvaient pas compter sur Exaltexx en raison de ses difficultés à obtenir un produit ou à assurer le transport de celui-ci, et l’incidence plus large de l’envoi de lettres supplémentaires sur le marché serait impossible à quantifier, même si l’entreprise d’Exaltexx qui fait le commerce d’acides sûrs survivait à une telle campagne.

C.  La prépondérance des inconvénients favorise une injonction

[122]  L’appréciation de la prépondérance des inconvénients consiste à déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice en raison de l’octroi ou du refus de l’injonction : Boehringer, au para 76. Fluid n’a produit aucun élément de preuve sur le préjudice qu’elle pourrait subir si on l’empêchait d’écrire d’autres mises en demeure afin de contrebalancer la preuve relative au préjudice que subirait Exaltexx.

[123]  Fluid fait plutôt valoir que la prépondérance des inconvénients favorise le refus d’accorder l’injonction en raison d’un certain nombre d’allégations insoutenables concernant l’incidence de l’injonction, y compris qu’elle :

  • - [TRADUCTION« empêcherait le titulaire d’un brevet valide d’aviser les autres entreprises dans leur espace commercial partagé au sujet de ses efforts pour protéger sa propriété intellectuelle »;

  • - [TRADUCTION« ferait en sorte qu’il soit interdit à Fluid de faire valoir ses droits de brevet [...] en avisant des tiers de la présente action en justice », bien qu’Exaltexx [TRADUCTION« serait autorisée à commercialiser un produit potentiellement contrefait, sans qu’il y ait concurrence »;

  • - [TRADUCTION« limiterait sérieusement la capacité de Fluid à promouvoir ses produits, tout en permettant à un concurrent de promouvoir impunément des produits potentiellement contrefaits »;

  • - interdirait à Fluid [TRADUCTION« d’entam[er] une discussion avec les entreprises qui, selon elle, contrefont son brevet », de sorte que, si [TRADUCTION« l’entité établit qu’il n’y a pas eu contrefaçon, il ne sera pas nécessaire d’entamer un litige »;

  • - forcerait Fluid à [TRADUCTION« entamer un litige contre toute entité qui, selon elle, a contrefait ses brevets »;

  • - [TRADUCTION« limiterait gravement la capacité de Fluid [à] faire respecter les droits de brevet qu’elle détient ».

[124]  L’injonction demandée par Exaltexx ne limite en rien la capacité de Fluid à promouvoir ses produits. Elle n’empêcherait pas non plus Fluid de faire respecter convenablement ses droits de brevet, par voie de litige ou au moyen de communications de bonne foi avant le litige. Fluid n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel son entreprise ou ses droits de brevet seraient d’une manière ou d’une autre lésés si on l’empêchait de formuler des allégations selon lesquelles les fournisseurs d’Exaltexx ont contrefait ses brevets et de les menacer de poursuite s’ils continuent d’avoir affaire aux produits d’Exaltexx.

[125]  Comme je l’ai souligné au début, les mises en demeure font souvent partie des litiges au Canada et peuvent constituer un élément important de l’application des droits, y compris des droits de propriété intellectuelle. En l’espèce, toutefois, en envoyant des lettres très menaçantes aux entreprises qu’elle soupçonnait de contrefaçon, Fluid a dépassé les conditions d’une utilisation appropriée et valable de mises en demeure. Si le résultat est qu’il devient plus difficile pour elle de les utiliser comme outil pour faire respecter ses droits de brevet jusqu’à la détermination de ces droits, il s’agit du résultat de sa propre conduite jusqu’à ce jour et des conséquences de celle-ci sur Exaltexx.

[126]  En l’absence d’éléments de preuve de la part de Fluid et compte tenu de l’engagement d’Exaltexx à payer des dommages-intérêts, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction.

D.  La question essentielle : l’octroi d’une injonction est-il juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire?

[127]  Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Google, la question ultime ou essentielle est de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable dans les circonstances : Google, aux para 1 et 25. Bien que le critère en trois volets de RJR-MacDonald vise à répondre à cette question, je considère qu’il convient d’aborder brièvement la question essentielle de façon distincte.

[128]  En l’espèce, Fluid allègue que le produit d’un concurrent contrefait ses brevets. Cette allégation est clairement contestée et la décision sur le fond sera rendue par la Cour en temps opportun. Entre-temps, Fluid a mené une campagne de rédaction de lettres soulevant des menaces sérieuses et agressives de poursuite, y compris contre les parties – comme Hommy Trucking et Panther – visées par une allégation de contrefaçon de brevets qui semble, compte tenu de la preuve dont dispose la Cour à l’heure actuelle, ténue, au mieux. Dans la mesure où Fluid ne savait pas que la seule participation de ces parties aux activités d’Exaltexx était en tant que fournisseur, je ne peux pas conclure que cette excuse justifie la rédaction de lettres d’une nature aussi large et menaçante. En fait, ce manque de connaissances rendrait simplement la rédaction des lettres imprudente. Les lettres étaient loin d’être [traduction« rédigées avec prudence et circonspection », pour reprendre les termes employés par le juge Cullen dans M&I Door Systems Ltd c Indoco Industrial Door Co Ltd (1989), 25 CPR (3d) 477 (CFPI), au para 101. Au contraire, elles semblent, à première vue, conçues pour avoir un effet de menace maximal afin d’obliger les destinataires à cesser de faire affaire avec Exaltexx, peu importe le bien-fondé d’une demande contre ces fournisseurs, et bien avant la décision sur sa demande contre Exaltexx.

[129]  Je réitère le rôle important et généralement constructif que jouent les mises en demeure, ainsi que l’importance de permettre aux titulaires de droits de propriété intellectuelle de faire respecter ces droits de façon concrète et efficace, y compris en dehors du processus de litige ou avant celui-ci. Même en gardant ces principes à l’esprit, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’en l’espèce, il est juste et équitable d’interdire à Fluid d’avoir d’autres communications menaçantes avec les fournisseurs d’Exaltexx.

VII.  La réparation : portée de l’injonction

[130]  Exaltexx a établi l’existence d’une question sérieuse quant à savoir si les déclarations de Fluid, selon lesquelles les fournisseurs de produits (comme les produits chimiques) et de services (comme le transport) contrefont les brevets de Fluid, peuvent faire l’objet d’une poursuite au titre de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Dans le cadre de la présente requête, Exaltexx ne l’a pas fait pour les déclarations de Fluid selon lesquelles les produits d’Exaltexx contrefont eux-mêmes les brevets. Étant donné que les autres éléments du critère de RJR‑MacDonald ont également été respectés, une injonction sera accordée, laquelle empêchera Fluid de formuler d’autres allégations de contrefaçon, ou menaces de poursuite, contre les fournisseurs d’Exaltexx. Bien que Fluid puisse avoir de meilleures prétentions de contrefaçon contre certains fournisseurs par rapport à d’autres, comme ceux qui mélangent des produits chimiques selon la formulation finale qui serait contrefaite, la conduite de Fluid dans l’envoi de lettres de façon arbitraire et la nécessité d’éviter une surveillance au cas par cas par la Cour sont telles qu’il sera interdit à Fluid de faire de telles communications à tous les fournisseurs d’Exaltexx.

[131]  Exaltexx a également mentionné le préjudice qui peut découler de lettres similaires envoyées aux clients, et elle cherche également à interdire à Fluid de formuler des allégations de contrefaçon contre ses clients. Toutefois, à ce jour, il n’y a aucun élément de preuve selon lequel Fluid a envoyé ou a l’intention d’envoyer de telles lettres aux clients. Cela peut découler du fait que ces clients sont également des clients de Fluid, ou pour d’autres raisons. Néanmoins, malgré les préoccupations soulevées par Mme Ayotte au sujet des actes de certains clients, la liste des entités contactées fournie par l’avocat de Fluid conformément à l’entente entre les parties n’identifiait pas ces clients ou d’autres clients. Bien que Fluid n’ait présenté aucun élément de preuve direct concernant la question, je ne suis pas disposé, dans les circonstances, à inférer de l’absence d’une preuve présentée sous serment que la déclaration de l’avocat est inexacte.

[132]  En outre, la nature de ces brevets est telle que, si les produits d’Exaltexx contrefont les brevets de Fluid, les clients qui utilisent ces produits peuvent aussi être visés par la contrefaçon. Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve établissant une question sérieuse quant aux produits d’Exaltexx, il n’y a pas non plus de preuve établissant qu’une déclaration alléguant qu’un client contrefait un brevet pourrait faire l’objet d’une action au titre de l’alinéa 7a), si une telle déclaration était faite. L’injonction accordée à ce moment‑ci ne s’appliquera donc pas aux clients ou aux clients potentiels d’Exaltexx.

[133]  Une injonction sera donc accordée sous la forme de l’ordonnance énoncée plus loin.

[134]  Je termine en réaffirmant l’énoncé du juge Hughes selon lequel ce ne sont pas toutes les revendications à l’égard d’une propriété intellectuelle pouvant subséquemment être prouvées incorrectes qui constitueront une déclaration fausse et trompeuse qui tend à discréditer un concurrent et qui donne lieu à une demande fondée sur l’alinéa 7a) : Supertek, aux para 10 et 11. Encore moins que chacune de ces revendications ou menaces de poursuite pourra, à juste titre, être visée par une injonction, car il y aura de nombreux cas où les exigences de l’alinéa 7a) ou les autres volets du critère de RJR-MacDonald ne seront pas respectés. Toutefois, lorsque des allégations de contrefaçon et des menaces de poursuite visent des tiers dans le but d’obtenir effectivement, dans le marché, ce qui ne peut pas être obtenu au moyen d’une injonction, il est possible d’établir un fondement raisonnable pour une demande fondée sur l’alinéa 7a). Si un demandeur subit un préjudice irréparable et que les autres volets du critère de RJR-MacDonald sont satisfaits, une injonction empêchant de telles communications peut être accordée, à juste titre.

VIII.  Les dépens

[135]  Conformément à la demande des parties à la fin de l’audience, si elles n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent présenter des observations selon ce qui suit :

ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1645-19

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

« Nicholas McHaffie »

Juge.



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