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Date : 20190407

Dossier : IMM‑1129‑19

Référence : 2020 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

HASSAN A.M. ALRIYATI

demandeur

et

IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Hassan Alriyati, le demandeur, conteste la décision en date du 30 janvier 2019 par laquelle une agente d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agente) a refusé sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le demandeur soutient que l’évaluation des faits et l’application des critères juridiques par l’agente étaient déraisonnables.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la présente demande.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur, qui est né en Arabie saoudite, est citoyen de la Palestine. Il a cinq enfants, lesquels étaient âgés de huit (8) à vingt (20) ans au moment de la demande de contrôle judiciaire. Ils résident avec l’ex‑épouse du demandeur en Jordanie. Le demandeur a l’autorisation de son ex‑épouse d’emmener les enfants avec lui au Canada.

[4]  En décembre 2015, la sœur du demandeur, qui vit au Canada, a présenté le demandeur à son amie, Daoud Siyam (la répondante), une citoyenne canadienne naturalisée. La répondante a six enfants, dont deux neveux adoptés, qui étaient âgés de 10 à 26 ans au moment de la demande. Ses deux aînés vivent loin de la maison et ne dépendent pas financièrement d’elle.

[5]  Le couple a commencé à communiquer régulièrement et, en mai 2016, la répondante s’est rendue en Jordanie pour rencontrer le demandeur. Elle y a passé un mois et a rencontré ses enfants. En 2016, le demandeur est venu au Canada pour rendre visite à la répondante. Pendant son séjour, ils ont décidé de se marier et la cérémonie a eu lieu le 4 janvier 2017.

[6]  La répondante a cessé de recevoir des prestations d’aide sociale et a obtenu un emploi de concierge. En mars 2017, le couple a déposé une demande de parrainage conjugal. Dans cette demande, les cinq enfants du demandeur ont été inscrits à titre de personnes à charge accompagnant le demandeur. Plusieurs des enfants à charge de la répondante y ont aussi été inscrits. En mai 2017, le demandeur a obtenu un permis de travail et a intégré le marché du travail.

[7]  En mars 2018, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a écrit à la répondante pour l’informer qu’elle était admissible à titre de répondante et lui rappeler que l’engagement qu’elle avait signé était une promesse inconditionnelle de fournir un soutien financier au membre de la famille qu’elle parrainait et aux membres de la famille accompagnant la personne parrainée.

[8]  L’agente a interrogé la répondante et le demandeur séparément le 22 janvier 2019 et a refusé la demande le 30 janvier. Au cours de l’entrevue, l’agente s’est intéressée aux antécédents personnels du demandeur et de la répondante, ainsi qu’à l’évolution de leur relation et à la connaissance que chacun avait de l’autre. Au moment de l’entrevue, deux des enfants de la répondante vivaient avec eux, tandis qu’un troisième vivait avec eux et avec la mère de la répondante. Trois des filles de la répondante vivaient à Edmonton.

[9]  L’agente a mentionné que le demandeur [sic] avait touché des prestations d’aide sociale de 1998 à février 2017. Elle a également mentionné que le demandeur travaillait comme chauffeur d’autobus, mais qu’il avait cessé de travailler pour des raisons médicales, bien que le demandeur ait précisé qu’il avait l’intention de retourner au travail lorsqu’il pourrait le faire. L’agente a par ailleurs mentionné que le couple avait tenté d’avoir un enfant. Bien que l’agente ne l’ait pas mentionné expressément dans ses motifs, le demandeur a fourni une lettre d’un médecin indiquant que la répondante avait fait deux fausses couches.

[10]  L’agente a mis en doute la capacité de la répondante de subvenir financièrement aux besoins du demandeur et de ses enfants à charge, précisant que celle‑ci avait touché des prestations d’aide sociale pendant 19 ans et qu’elle n’avait cessé d’en recevoir que quelques semaines avant de présenter la demande de parrainage. Se fondant sur l’alinéa 133(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑2007 [le Règlement], l’agente a conclu que la répondante n’était pas admissible à parrainer le demandeur parce qu’elle ne pouvait pas subvenir à ses besoins financiers essentiels et à ceux de ses enfants à charge.

[11]  L’agente a également mis en doute l’authenticité du mariage, soulignant que les fréquentations du couple avaient été de courte durée et qu’il semblait que le [traduction] « but principal du demandeur est de faire venir au Canada ses cinq enfants qui sont en Jordanie ». L’agente a conclu que le mariage visait principalement à obtenir le statut d’immigrant, contrairement à l’alinéa 4(1)a) du Règlement.

[12]  Par conséquent, l’agente a refusé la demande de parrainage en vertu des alinéas 133(1)b) et 4(1)a) du Règlement.

[13]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision suivant le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[14]  Il y a deux questions à trancher :

  1. La décision de l’agente est‑elle déraisonnable parce qu’elle est fondée sur une interprétation erronée de l’alinéa 133(1)b) de la LIPR?
  2. L’évaluation par l’agente de la validité du mariage est‑elle déraisonnable?

[15]  Dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé certaines questions au sujet de l’équité procédurale, mais il n’y a pas donné suite dans les observations écrites ou orales qu’il a présentées, et il n’est pas nécessaire d’en parler.

[16]  Les questions en litige doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Au moment où la présente affaire était débattue, les principales sources qui faisaient autorité au regard du contrôle selon cette norme étaient l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et les décisions qui s’en sont inspirées. Depuis, la Cour suprême du Canada a revu et précisé le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire dans les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada].

[17]  Compte tenu du paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, je ne vois aucune raison, vu les faits de l’espèce, d’exiger des parties des observations supplémentaires quant à la norme appropriée ou à son application. En l’espèce, nous sommes en présence d’une situation semblable à celle de Postes Canada, où la Cour suprême a déclaré, au paragraphe 24, qu’il n’était pas injuste de statuer sur une affaire en y appliquant le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov alors qu’elle avait été plaidée selon l’approche de l’arrêt Dunsmuir, parce que les résultats auraient été les mêmes selon les deux cadres. Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

[18]  Au moment d’évaluer le caractère raisonnable, la cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par 99). Elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, par 85).

[19]  Ainsi, une décision sera déraisonnable s’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, par 103). Le cadre d’analyse établi par cette décision « insist[e] […] sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » en préconisant une méthode de contrôle judiciaire à la fois respectueuse et rigoureuse (Vavilov, par 2 et 12 à 13).

III.  Analyse

A.  La décision de l’agente est‑elle déraisonnable parce qu’elle est fondée sur une interprétation erronée de l’alinéa 133(1)b) de la LIPR?

(1)  Cadre juridique

[20]  La catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir des résidents permanents si elles satisfont aux exigences prévues au Règlement. L’étranger qui présente une demande au titre de cette catégorie ne peut devenir résident permanent que si l’engagement de parrainage pris à son égard est valide et que le répondant qui a pris cet engagement continue de satisfaire aux exigences de l’article 133 du Règlement. L’élément qui nous intéresse en l’espèce figure à l’alinéa 133(1)b) :

Exigences : répondant

Requirements for sponsor

133(1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

133(1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

[…]

b) avait l’intention de remplir les obligations qu’il a prises dans son engagement;

(b) intends to fulfil the obligations in the sponsorship undertaking;

[…]

[21]  L’engagement de parrainage dont il est question dans cette disposition comprend une promesse juridique contraignante selon laquelle le répondant s’engage « à subvenir aux besoins fondamentaux de la personne parrainée et des membres de sa famille qui l’accompagneront au Canada, s’ils ne peuvent subvenir eux‑mêmes à leurs besoins », et une reconnaissance que : « l’argent, les biens ou les services fournis par [le répondant] doivent être suffisants pour que la personne parrainée puisse vivre au Canada. [Le répondant] promet de faire en sorte que la personne parrainée et les membres de sa famille n’aient pas à demander des prestations d’aide sociale ». De plus, la personne qui est parrainée promet « de faire tout en [s]on possible pour subvenir à [s]es besoins fondamentaux et à ceux des membres de [s]a famille qui l’accompagnent ». L’engagement de parrainage indique clairement que le répondant s’engage à fournir un soutien financier à la personne parrainée et aux personnes à sa charge, que la relation se poursuive ou non, et malgré tout changement dans la situation de l’une ou l’autre des personnes.

(2)  Position des parties

[22]  Le demandeur soutient que l’agente a mal interprété la disposition. Au moment de la présentation de la demande et de l’entrevue, le demandeur et la répondante respectaient l’exigence de ne pas être bénéficiaires d’assistance sociale, comme le prévoit le Règlement. Le demandeur soutient que les exigences relatives au revenu vital minimum imposées pour d’autres types de demandes ne s’appliquent pas au parrainage conjugal. L’alinéa 133(1)b) fait référence à l’intention, non à la capacité, et l’agente a mal interprété les exigences juridiques en mettant l’accent sur la capacité de la répondante à respecter l’engagement de parrainage – habituellement évaluée en fonction de l’exigence relative au revenu vital minimum – plutôt que sur son intention de le faire.

[23]  De plus, l’agente n’a pas tenu compte de la situation personnelle de la répondante, en ce sens que, en tant que mère célibataire, elle avait déjà eu jusqu’à six enfants à sa charge et qu’elle avait reçu de l’aide sociale au cours de cette période. Au moment de la demande, sa situation avait changé parce que deux de ses enfants avaient quitté la maison et, au moment de l’entrevue, un troisième enfant n’était plus à sa charge. De plus, la situation financière de la répondante s’était améliorée entre le dépôt de la demande et l’entrevue parce que le demandeur avait obtenu un permis de travail et trouvé un emploi, ce qui lui avait permis de contribuer aux dépenses du ménage. L’agente n’a posé aucune question au sujet des revenus ou des dépenses réels du couple.

[24]  L’agente s’est dite préoccupée par le fait que la répondante ne travaillait pas au moment de l’entrevue, mais elle a écarté l’explication selon laquelle la répondante avait cessé de travailler parce qu’elle avait fait une fausse couche, ce qui était corroboré par une note de son médecin.

[25]  De plus, l’agente a tiré une conclusion de fait erronée concernant les antécédents de la répondante en tant que bénéficiaire de prestations d’aide sociale. L’agente a déclaré [traduction] « j’accorde beaucoup de poids au fait que la répondante a été bénéficiaire de prestations d’aide sociale pendant 19 ans […] », ce qui est faux. Au cours de cette période, la répondante a reçu des prestations d’aide sociale de façon intermittente, mais elle a aussi travaillé, comme le montre clairement la demande de parrainage.

[26]  Plutôt que d’appliquer les critères objectifs énoncés dans la loi, l’agente a procédé à une évaluation subjective de la capacité financière de la répondante, qui reposait en grande partie sur des hypothèses fondées sur la taille de la famille de celle‑ci. L’agente n’a pas examiné les conditions de vie réelles, ni le budget de la famille, ni la contribution du demandeur aux dépenses du ménage comme l’exige l’engagement de parrainage. Le demandeur soutient que l’analyse de l’agente est fondée sur une mauvaise interprétation du droit et des faits et qu’elle est donc déraisonnable.

[27]  Le défendeur soutient que l’analyse faite par l’agente de la situation financière de la répondante et de ses périodes d’emploi intermittent et d’aide sociale est fondée sur les éléments de preuve et correspond aux exigences de l’alinéa 133(1)b) du Règlement. L’agente avait raison de s’inquiéter du fait que la répondante disposait de moyens financiers très limités, qu’elle avait quatre enfants à charge et qu’elle avait dépendu de l’aide sociale par le passé. La répondante a cessé de bénéficier de l’aide sociale seulement un mois avant de présenter sa demande de parrainage, et au moment de l’entrevue, elle n’était plus en mesure de travailler pour des raisons médicales. La préoccupation de l’agente quant à savoir si la répondante pouvait respecter les engagements financiers pris dans l’engagement de parrainage était étayée par la preuve.

[28]  Le fait que, en mars 2018, la répondante a reçu une lettre confirmant qu’elle satisfaisait aux exigences d’admissibilité au parrainage ne facilite pas les choses en l’espèce, car l’agente était tenue de procéder à une nouvelle évaluation des exigences énoncées à l’article 133 au moment de l’entrevue, conformément à l’article 127 du Règlement. En l’espèce, la capacité de la répondante de fournir un soutien financier s’était détériorée parce qu’elle était incapable de travailler au moment de l’entrevue. Il s’agit d’un facteur pertinent.

[29]  L’agente était tenue d’évaluer si la répondante avait l’intention de remplir les obligations qu’elle a prises dans son engagement de parrainage. En l’espèce, il s’agissait notamment de fournir un soutien financier au demandeur et à ses cinq enfants à charge, en plus de ses quatre enfants à charge. L’analyse de l’agente était fondée sur une interprétation raisonnable des exigences juridiques et de la preuve au dossier.

(3)  Analyse

[30]  Le demandeur soutient que le fait que l’agente se soit fondée sur l’incapacité de la répondante de subvenir aux besoins du demandeur, eu égard à sa situation financière, était déraisonnable parce que cela n’a rien à voir avec son intention de respecter l’engagement de parrainage. L’alinéa 133(1)b) du Règlement exige de l’agent qu’il procède à une évaluation de l’intention et non de la capacité. De plus, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de sa capacité à subvenir à ses besoins et à ceux des personnes à sa charge.

[31]  Je ne suis pas convaincu.

[32]  Je conviens avec le demandeur qu’il serait déraisonnable d’importer un critère financier précis à l’alinéa 133(1)b). D’autres considérations financières sont prévues à l’article 133, notamment que le répondant ne soit pas bénéficiaire d’aide sociale, qu’il ne soit pas en défaut à l’égard de certaines dettes ou de certains paiements ou engagements et qu’il ne soit pas un failli non libéré. Toutefois, ces considérations n’empêchent pas de tenir compte de la situation financière du répondant pour l’application de l’alinéa 133(1)b), dans la mesure où elle est pertinente pour déterminer son intention. Selon l’article 127 du Règlement, l’agente devait procéder à une nouvelle évaluation de l’intention de la répondante au moment de l’entrevue. Par conséquent, la lettre qui confirmait que la répondante satisfaisait aux exigences d’admissibilité n’est pas contraignante ou convaincante.

[33]  Il n’y a pas de jurisprudence de notre Cour sur l’interprétation du terme « intention » à l’alinéa 133(1)b). Toutefois, les décisions portant sur l’interprétation d’autres dispositions de la LIPR ou du Règlement qui exigent une évaluation de l’intention d’une personne peuvent nous éclairer. Dans la décision Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 131, la Cour devait déterminer l’endroit où la demanderesse, qui relevait du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), avait l’intention de résider au Canada. Le juge Alan Diner a conclu au paragraphe 31 que « [l]’évaluation de l’intention, qui est une notion très subjective, peut tenir compte de tous les indices, y compris le comportement antérieur, les circonstances présentes et les plans futurs, au mieux de ce qui peut être confirmé selon les preuves et le contexte actuels ».

[34]  Dans le même ordre d’idées, dans la décision Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982, où les termes « capacité » et « intention » ont été analysés au regard de la définition de travailleur autonome au paragraphe 88(1) du Règlement, le juge Peter Annis a dit : « [i]l est bien connu que l’intention est un attribut mental et que, par conséquent, son existence ne peut être constatée que par l’examen de la preuve d’une conduite externe antérieure, au sens large, ce qui prouve que la fin ou le but de la conduite est probable » par 40; (voir aussi Rabbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 257).

[35]  Suivant cette approche, il était raisonnable que l’agente tienne compte de la conduite antérieure de la répondante, y compris son recours à l’aide sociale à long terme, ainsi que de sa situation au moment de l’entrevue, notamment qu’elle n’avait pas d’emploi et avait trois ou quatre enfants à charge (il y a une certaine divergence dans la preuve à cet égard). Il s’agissait de facteurs pertinents pour évaluer son intention de respecter l’engagement de parrainage. Bien que je convienne avec le demandeur que, strictement parlant, l’agente a tort de dire que la répondante a été prestataire de l’assistance sociale pendant 19 ans dans la mesure où elle donne l’impression que cela était continu, il ne s’agit pas là d’une erreur fatale, car il est évident que l’agente savait que la répondante avait travaillé sporadiquement pendant cette période.

[36]  L’agente n’a pas effectué, directement ou implicitement, une analyse du revenu vital minimum, et elle n’a pas non plus ajouté un seuil financier précis à l’examen. L’agente a plutôt examiné l’intention de la répondante en fonction de son comportement antérieur, de sa situation actuelle et de ses plans futurs. Il convient de rappeler qu’aux termes de l’engagement de parrainage, la répondante a promis de fournir un soutien financier au demandeur ainsi qu’à ses cinq enfants à charge, et de veiller à ce qu’ils ne demandent pas d’aide sociale. La répondante devait être en mesure de respecter cette promesse, peu importe que la relation se poursuive ou que le demandeur continue d’avoir un revenu d’emploi et de contribuer aux dépenses du ménage.

[37]  Essentiellement, l’agente a évalué l’intention déclarée de la répondante en fonction du critère de la « vraisemblance », qu’elle a appliqué afin de déterminer si l’intention de la répondante était susceptible d’être réalisée compte tenu de sa situation réelle, y compris sa situation financière. C’est ce que l’alinéa 133(1)b) du Règlement exigeait de l’agente, et l’analyse à laquelle elle s’est livrée est logique, cohérente et fondée sur la preuve. Suivant le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, cet aspect de la décision est raisonnable.

B.  L’évaluation par l’agente de la validité du mariage est‑elle déraisonnable?

(1)  Cadre juridique

[38]  Le deuxième motif de refus de l’agente est fondé sur l’alinéa 4(1)a) du Règlement :

Mauvaise foi

Bad Faith

4(1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4(1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) Was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

[…]

[39]  Il est bien établi que le critère applicable à cet égard est disjonctif et que, selon l’alinéa 4(1)a), l’intention que les parties avaient, en se mariant, doit être évaluée au moment du mariage (Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1017, par 17; Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068, par 28; Hua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1041, par 14). Si la preuve d’un authentique lien matrimonial au fil du temps peut être un facteur pertinent pour déterminer l’intention du couple au moment du mariage, cette preuve n’est pas déterminante, et l’évaluation de l’intention doit encore là tenir compte de tous les éléments pertinents.

(2)  Position des parties

[40]  Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en prenant en compte la durée des fréquentations comme une indication de l’intention au moment du mariage et en concluant que son principal objectif en se mariant était de faire venir ses enfants au Canada. Le demandeur fait remarquer que, dans la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, par 6 [Gill], le juge Robert Barnes a affirmé que, lorsqu’un décideur « se penche sur l’authenticité d’un mariage [en vertu de la LIPR], [il] doit faire preuve d’une grande prudence parce que les conséquences d’une erreur seraient catastrophiques pour la famille. Cela s’avère particulièrement évident lorsque la famille compte un enfant né de la relation ».

[41]  Pour ce qui est de la durée des fréquentations, le demandeur soutient que l’agente n’a pas tenu compte de sa situation particulière ni de celle de son épouse au moment du mariage. Ils étaient tous les deux adultes et avaient tous les deux des enfants, et lorsqu’ils ont trouvé un partenaire qui partageait leur expérience, leur culture et leur foi et qui était ouvert à une relation avec quelqu’un qui avait déjà des enfants, il ne leur a pas fallu beaucoup de temps pour décider qu’ils souhaitaient se marier. Le demandeur affirme qu’il s’agit de circonstances semblables à celles de l’affaire Padda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 708, dans laquelle le juge Diner cite avec approbation la décision Nadasapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 72 [Nadasapillai], et dit ceci :

[18]  Premièrement, il est facile de comprendre pourquoi Mme Raman était prête à vivre une relation qu’elle recherchait depuis longtemps comme elle l’a clairement expliqué : il arrive que les couples plus âgés décident rapidement de se marier (bien que la précipitation ne soit pas l’apanage d’un groupe d’âge en particulier). Les personnes plus âgées sont souvent prêtes à s’engager plus rapidement dans une relation pour la vie, parce qu’elles savent ce qu’elles veulent. Comme Mme Raman l’a déclaré dans son témoignage : [traduction] « Je vieillis. Je suis déjà très vieille et je ne sais pas combien de temps je vivrai. […] Je trouve que c’est une bonne personne. J’ai donc pris deux ou trois jours […] pour y penser et me décider » (transcription, DCT, p. 430).

[42]  Le demandeur soutient que la répondante et lui se trouvaient dans une situation semblable et qu’ils l’ont expliqué à l’agente. Comme l’agente n’a pas tenu compte de cet élément, sa décision est déraisonnable.

[43]  De plus, le demandeur soutient que l’agente a accordé trop d’importance à ses déclarations au sujet de son souhait d’être avec ses enfants et qu’elle a écarté les autres éléments de preuve qui portaient sur la connaissance que chacun avait de l’autre et de leur famille respective, leur vie commune et leurs plans futurs.

[44]  Enfin, le demandeur soutient que l’agente n’a pas tenu compte du fait qu’ils ont tenté d’avoir un enfant ensemble et qu’il s’agit là d’une lacune fatale. Un agent doit accorder un grand poids à la naissance d’un enfant ou à la tentative de concevoir un enfant lorsqu’il évalue l’authenticité d’un mariage (Nijjar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 903, par 30 et 31 [Nijjar]; Gill, par 8). L’agente n’a pas fait mention de cet élément dans sa décision. De plus, elle ne s’est pas intéressée à l’intérêt supérieur des enfants touchés par cette décision, y compris les enfants de la répondante au Canada et les enfants du demandeur en Jordanie, ce qui va à l’encontre des exigences énoncées dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, par 35-36 et 41.

[45]  Le défendeur soutient que la naissance rapide d’une relation est un facteur pertinent pour ce qui est de l’intention au moment du mariage, et qu’en l’espèce, la conclusion de l’agente selon laquelle le couple avait passé très peu de temps ensemble était fondée sur la preuve. La preuve montre que le couple s’est rencontré pour la première fois en décembre 2015, qu’en mai 2016, la répondante a rendu visite au demandeur en Jordanie pendant un mois, et qu’ils ont ensuite passé du temps ensemble après que le demandeur soit arrivé au Canada, le 18 novembre 2017. Ils se sont mariés 47 jours plus tard.

[46]  Le défendeur soutient qu’il ressort des notes d’entrevue que l’agente a examiné tous les éléments de preuve pertinents concernant la relation du couple, notamment la connaissance que chacun avait de l’autre et de leur famille respective, leur situation financière et familiale, leur culture et leur religion communes ainsi que leurs activités communes. Toutefois, l’agente a également souligné que le demandeur a fait part à plusieurs reprises de son désir de faire venir ses enfants au Canada. Le défendeur soutient que la décision de l’agente est fondée sur les faits et que le demandeur demande simplement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Tel n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’un contrôle judiciaire, et rien ne justifie de modifier la décision de l’agente.

(3)  Analyse

[47]  Le point de départ est que la décision de l’agente est fondée sur l’alinéa 4(1)a) du Règlement, qui exige une évaluation de l’intention des parties au moment du mariage. Il s’agit d’une analyse éminemment factuelle, et la décision de l’agente impose à la cour de révision de faire preuve d’une grande déférence (Chin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1642, par 6).

[48]  La décision de l’agente comporte les notes d’entrevue et une brève analyse. L’histoire et l’évolution de la relation du couple y sont examinées en profondeur. On peut également lire dans les notes que le demandeur a exprimé à plusieurs reprises son désir de faire venir ses enfants au Canada. Bien que ce soit là un désir tout à fait compréhensible de la part d’un parent, il s’agit également d’un facteur pertinent pour l’examen de l’agente concernant l’intention qu’avait le demandeur en se mariant.

[49]  De la même façon, la période relativement courte que le couple a passée ensemble avant le mariage peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs, notamment leur situation personnelle et leur maturité relative. Toutefois, comme nous l’avons vu dans la décision Nadasapillai, il s’agit d’une évaluation factuelle fondée sur les éléments de preuve dont disposait l’agente. Il était loisible à l’agente de considérer ce facteur comme témoignant d’une intention de se marier à des fins d’immigration.

[50]  L’agente disposait d’éléments de preuve selon lesquels la répondante a fait deux fausses couches après son mariage avec le demandeur. Il ressort clairement de jurisprudence citée par le demandeur, dont les décisions Nijjar et Gill, que la tentative d’avoir un enfant ou la naissance effective d’un enfant constituera un facteur important dans l’évaluation de l’authenticité d’un mariage selon l’alinéa 4(1)b) du Règlement, qui porte principalement sur la situation existant au moment de l’évaluation. Or, comme je l’ai mentionné précédemment, la décision en l’espèce repose sur l’alinéa 4(1)a), qui requiert de déterminer l’intention du couple au moment du mariage.

[51]  La conclusion de l’agente concernant l’intention qu’avait le demandeur en se mariant repose principalement sur les déclarations de ce dernier, à savoir que son but principal était de faire venir ses enfants au Canada. Elle prend appui sur les notes d’entrevue, qui révèlent que le demandeur en a parlé à plusieurs reprises pendant l’entrevue. L’agente a expliqué son raisonnement, qui tient compte à la fois des contraintes juridiques énoncées à l’alinéa 4(1)a) du Règlement et de la trame factuelle de l’espèce. L’analyse est courte, mais elle laisse voir le raisonnement de l’agente et elle est logique et cohérente dans les circonstances en l’espèce. Cela n’est pas déraisonnable.

IV.  Conclusion

[52]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

[53]  En l’espèce, je conviens avec le demandeur que certains aspects de la décision auraient pu être formulés différemment, par exemple, la référence à la période pendant laquelle la répondante a reçu des prestations d’aide sociale n’est pas tout à fait précise. Je reconnais également qu’il s’agit d’un cas où l’agente aurait pu raisonnablement tirer une conclusion différente eu égard à la preuve présentée. Toutefois, la décision n’est pas pour autant déraisonnable.

[54]  Dans la présente affaire, les motifs, qui comprennent les notes d’entrevue de l’agente et l’analyse qui suit, sont logiques et cohérents et expliquent la décision à la lumière du cadre juridique et aux faits. Ce sont là les caractéristiques d’une décision raisonnable, selon les cadres d’analyse établis dans les arrêts Dunsmuir et Vavilov.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1129‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de juin 2020.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1129‑19

INTITULÉ :

HASSAN A.M. ALRIYATI c. IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Pentney

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 AVRIL 2020

COMPARUTIONS :

Negar Achtari

POUR LE DEMANDEUR

Lawrence David

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Achtari Law Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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