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Date : 20200423


Dossier : IMM-4335-19

  Référence : 2020 CF 549

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2020

En présence de monsieur le juge James W. O'Reilly

ENTRE :

SANDRA MILENA GONGORA TORRES

YURY CAROLINA GONGORA PERILLA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La vue d’ensemble

[1]  Madame Sandra Milena Gongora Torres et sa cousine, Mme Yury Carolina Gongora Perrilla, sont arrivées au Canada en 2017 et ont demandé l’asile parce qu’elles craignaient d’être persécutées du fait de leurs opinions politiques dans leur pays d’origine, la Colombie. Elles soutiennent que l’Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional – l’ELN), un violent groupe de guérilléros, a demandé à Mme Gongora Torres de divulguer des renseignements confidentiels sur les forces armées nationales, dont elle était une employée civile. Elle a refusé de le faire. Par conséquent, un membre de l’ELN a menacé de la tuer, ainsi que sa cousine et le reste de leur famille. Les demanderesses ont fait une dénonciation contre l’ELN quelques jours avant leur départ au Canada. Elles croyaient que cette dénonciation pourrait faire en sorte que les autres membres de leur famille soient protégés, mais ne croyaient pas que les autorités de l'État seraient en mesure de les protéger toutes les deux.

[2]  Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a cru le récit des demanderesses, mais a rejeté leurs demandes. La SPR a conclu que leurs demandes étaient corroborées par des preuves documentaires concernant les activités de l’ELN en Colombie. En outre, elle a conclu que leurs demandes étaient par conséquent objectivement fondées.

[3]  Toutefois, la SPR a ensuite estimé que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle leur pays d’origine était en mesure de les protéger. Comme les demanderesses ont quitté la Colombie peu après avoir déposé la plainte contre l’ELN, elles n’ont pas donné aux autorités la possibilité de leur offrir une protection. De plus, la SPR a souligné que les demanderesses n’avaient pas présenté de demande à l’Unité nationale de protection (Unidad Nacional de Protección – l’UNP), un organisme doté d’un mandat et de ressources visant à fournir une protection aux personnes qui, comme Mme Gongora Torres, sont employées par l’armée.

[4]  Se fondant sur cette preuve, la SPR a conclu que les demanderesses pouvaient se réclamer d’une protection adéquate de l’État.

[5]  Les demanderesses soutiennent que la conclusion de la SPR concernant la possibilité de se réclamer de la protection de l’État est déraisonnable. Selon elles, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant que la Colombie est incapable de protéger les citoyens de la persécution de l’ELN, et leur a déraisonnablement reproché de ne pas être restées en Colombie pour attendre la protection de l’État. Elles me demandent d’annuler la décision de la SPR et d’ordonner qu’un autre tribunal procède à un nouvel examen de leurs demandes d’asile.

[6]  Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que la conclusion de la SPR sur la protection de l’État était déraisonnable. On ne sait pas avec certitude si les demanderesses auraient pu bénéficier de la protection de l’UNP et, même si c’était le cas, il est peu probable qu’elles auraient effectivement été protégées dans les circonstances. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]  La seule question en litige est celle de savoir si la conclusion de la SPR sur la protection de l’État était déraisonnable.

II.  La conclusion de la SPR sur la protection de l’État était-elle déraisonnable?

[8]  Le ministre fait valoir que les demanderesses devaient chercher, de manière diligente, à obtenir la protection de leur pays d’origine, et fournir la preuve qu’elles l’avaient fait (citant Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004). Compte tenu de ces exigences, dit le ministre, la conclusion de la SPR n’était pas déraisonnable au vu de la preuve qui lui avait été soumise.

[9]  Je ne suis pas d’accord. Les exigences que le ministre invoque s’appliquent lorsqu’il est raisonnablement possible de se réclamer de la protection de l’État. Les preuves documentaires sur lesquelles la SPR s’est appuyée indiquent que l’UNP peut protéger des politiciens, des défenseurs des droits de la personne, des syndicalistes, des dirigeants d’associations professionnelles, des dirigeants de groupes ethniques, du personnel médical, des témoins et des victimes de violations des droits de la personne, des journalistes, des fonctionnaires travaillant dans le domaine des droits de la personne, des avocats, des enseignants et des dirigeants de groupes armés démobilisés. Il n’est pas certain que l’une ou l’autre des demanderesses se qualifie. S’il est vrai que Mme Gongora Torres est une fonctionnaire, elle ne travaillait cependant pas dans le domaine des droits de la personne. Elle était dentiste et administratrice médicale.

[10]  Même si les demanderesses étaient admissibles à la protection fournie par l’UNP, les éléments de preuve indiquent qu’il faut en moyenne 101 jours aux autorités pour évaluer les risques encourus par les demandeurs. En outre, une fois que la protection est effectivement fournie, elle consiste généralement à fournir aux demandeurs des gilets pare-balles et des téléphones cellulaires.

[11]  La question à laquelle la SPR devait répondre était celle de savoir si, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, y compris ceux concernant la possibilité de bénéficier de la protection de l’État, la demanderesse faisait face à un risque raisonnable de persécution dans son pays d’origine (Moczo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 734, par. 10).

[12]  Les éléments de preuve démontrent que les demanderesses auraient probablement été exposées à un danger imminent si elles étaient restées en Colombie. Bien qu’elles soient parties avant que les autorités aient eu la possibilité d’évaluer le risque qu’elles encouraient et de leur fournir une protection adéquate, il est peu probable, dans ces circonstances, que toute mesure de protection éventuelle les aurait empêchées de subir un préjudice grave.

[13]  À mon avis, la preuve documentaire étayait l’affirmation des demanderesses selon laquelle elles encouraient un risque raisonnable de persécution, et était incompatible avec la conclusion de la SPR selon laquelle elles pouvaient se réclamer de la protection de l’État.

[14]  Par conséquent, la conclusion de la SPR n’était pas justifiée au regard des faits et du droit et elle était déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, par. 85).

III.  La conclusion et la décision

[15]  Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait et du droit applicable, la SPR est parvenue à la conclusion déraisonnable que les demanderesses auraient pu se réclamer de la protection de l’État en Colombie. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, et ordonner à un autre tribunal de la SPR de procéder à un nouvel examen des demandes d’asile. Les parties ne m’ont pas demandé de certifier une question de portée générale et je n’en énoncerai aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4335-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée devant un tribunal de la SPR différemment constitué pour nouvel examen;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de mai 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4335-19

 

INTITULÉ :

SANDRA MILENA GONGORA TORRES, YURY CAROLINA GONGORA PERILLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O'REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Aleksander Jeremic

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Eleanor Elstub

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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